Aux habitants de la Hague
Depuis que l’on a commencé la mobilisation, la phrase qu’on entend le plus c’est « quoi qu’il arrive, quoi que vous fassiez, ils vont faire la piscine, c’est joué d’avance ».
Bizarrement, rarement l’on entend des gens dire : Oui, moi j’ai envie que la piscine se fasse ici, je ne m’inquiète pas du tout, je défends deux cents pour cent l’industrie nucléaire, je veux absolument prendre encore plus de déchet sur la presqu’île.
Non, la seule chose qu’on entend, c’est « c’est comme ça, on n’y peut rien ».
Alors, en tant que jeune, on ne peut pas accepter que notre avenir ne soit pas entre nos mains, qu’on ne puisse pas avoir un mot à dire sur un projet qui nous engage sur 100 ans.
Et en réalité cet argument défaitiste, le « tout est joué d’avance », loin de jouer contre nous, il nous renforce. Parce que c’est bien ça que dénonce le collectif depuis le début de la mo-bilisation.
Au nom de quoi la construction d’un tel projet, qui engage l’avenir de la presqu’île et de ses habitants pour des décennies, viendrait s’imposer comme une fatalité ?
C’est bien ça le problème, c’est le caractère antidémocratique d’un tel chantier, et celui de la filière de ma-nière générale.
Comment on en est arrivé là ? Comment on en est arrivé à devoir faire passer ce genre de projet dans l’urgence ? Et comment surtout on a réussi à mettre dans la tête des populations, qu’ils n’avaient pas leur mot à dire ?
Dans le coin on dirait qu’on parle de l’industrie nucléaire comme de la pluie et du beau temps, ça nous tombe dessus et on ne peut rien y faire.
Le fatalisme, il fait partie de la sagesse des ruraux, de ceux qui savent que certaines choses de la nature leur échappent et qu’on doit nécessai-rement accepter certaines contraintes, qu’on doit faire au mieux avec.
Eh ben là-haut, y’a des gros malins chez les ingénieurs et les politiciens, qui ont réussi à nous faire croire que c’était la même chose pour la filière nucléaire.
Source, Ouest France
Et c’est notre rôle je crois, en tant que collectif de convaincre et de montrer que ça c’est des conneries, que les milliers de tonnes de déchets qui vont nous tomber sur la tête, dépendent de choix politiques. De la mauvaise gestion du problème des déchets par EDF, et de leur mépris de la population et de la démocratie.
Comment on en est arrivé là ? Comment ils ont réussi à ancrer au plus profond des habitants de la Hague, que l’avenir de leur presqu’île ne leur appartenait pas ?
J’entends même des habitants dire « le site est déjà pourri, autant les mettre là les déchets ». Comment en est-on venu à s’accepter comme une population sacrifiée ?
En réalité c’est un travail de fond qu’a fait l’industrie nucléaire, depuis des décennies. Dès l’implantation du site, on a bien fait comprendre aux élus et aux populations qu’ils n’avaient pas leur mot à dire.
Le coup de l’usine de casseroles, de la réunion en pleine nuit pour annoncer aux maires la construction de l’usine, tout ça découle d’un réel mépris des technocrates, pour des habitants qu’ils estiment incapables de comprendre les enjeux. Et tout juste bons à travailler sans rien dire.
Alors comme on disait l’autre jour : la jeune génération de la Hague, elle sait qu’elle doit faire avec un héritage compliqué, que les déchets que vous nous transmettez, ils ont choisi une partie de notre futur à notre place.
On sait que l’on va devoir vivre avec pour longtemps, qu’on doit s’en oc-cuper, et qu’il faudra les léguer à nos enfants. Pour le coup, ça c’est écrit, ce qui est fait est fait, c’est pour cela qu’on ne cesse de répéter qu’il ne s’agit pas d’un débat pour ou contre le nucléaire, et que ça ne viendra pas à l’idée des membres du collectif de faire jouer les gens qui bossent là-bas, contre les autres.
On sait que c’est là, et qu’il faut s’en occuper.
Mais le futur lui, il n’est pas écrit.
Et ce dont hérite aussi la jeune génération de la Hague, c’est de cette résignation, de toute cette histoire, de toute la mémoire des dignités bafouées, des renoncements, de ces gens qu’on a méprisés, des fiertés paysannes qu’on a piétinées. C’est tout ça qui s’incarne dans ce fatalisme, si répandu, des gens d’ici.
Seulement voilà, cette fois ci, ça ne passe pas, aujourd’hui on se réjouit de voir que contrairement à ce qu’ils pensaient là-haut, rien n’est jamais écrit d’avance.
Qui aurait dit que l’on serait des centaines à élever la voix cette fois ci ? Certainement pas eux. Eux qui pensaient, une fois encore, dérouler les vieilles méthodes, faire passer ça en douce, avec des arrangements de coin de table.
Alors, en tant que jeunes, on n’a pas envie de faire jouer une génération contre l’autre, parce que l’on sait, comme la lecture de l’article de 1967 (voir ci-dessous) vient nous le montrer, qu’au fond les habitants d’ici ont toujours su garder dans un coin d’eux-mêmes une certaine fierté, un certain amour pour la presqu’île, et surtout une certaine sagesse. Une sagesse qui sait la valeur de l’héritage et de la transmission de la terre.
Partout, dans toutes les sociétés, on sait que le bien le plus précieux qu’on reçoit de nos parents et qu’on doit léguer à nos enfants, c’est la terre, que soigner la terre c’est prendre soin des valeurs dont on a hérité et de celle qu’on veut transmettre, on la bonifie on la soigne, parce que l’on sait que nous ne sommes que de passage sur ce bout de terre et que sans elle on n’est rien. Qu’elle nous appartient autant que nous lui appartenons.
C’est ça le vrai fatalisme, la vraie sagesse des gens de la terre, celui qui sait que l’on n’est rien sans elle.
Et certainement pas celui qui pense que l’on peut impunément saccager le travail des anciens et l’avenir des jeunes !
La Hague, poubelle de la France ?
A la fin de l’année 1967, le bruit court dans la Hague que la société Infratome a l’intention de stocker à Digulleville tous les déchets radioactifs issus des centrales nucléaires françaises. Une décision contre laquelle toute le région, élus en tête, s’oppose unanimement. Il n’est pas question que la Hague devienne le "dépotoir atomique" du pays. Et il n’est pas question non plus de céder au chantage exercé par Infratome : accepter les déchets ou voir l’expansion de l’usine stoppée nette. A suivre.
La Presse de la Manche (fin 1967)
Une fois encore, on a envie de poser la question aux habitants de la Hague. Qu’est-ce que vous voulez pour la presqu’île ?
De l’argent, il y’en a ! Du boulot, il y’en a ! La question qui est censée être abordée dans la concertation publique c’est « Est-ce que vous voulez encore des déchets » ? Est-ce qu’encore une fois, on ne prend pas soin de notre terre commune, on la laisse aux mains des géants de l’industrie ?
Avant l’usine il y avait des paysans, des pêcheurs, des commerçants, des artisans, tout ce que vous voulez, qu’ils ne nous fassent pas croire que c’était un désert ici. Encore aujourd’hui, on a une activité parallèle qui résiste dans le respect de l’environnement. Est-ce qu’on sacrifie ça une fois de plus ?
Moi, j’ai envie de croire que c’est comme la petite fleur qu’on a mis sur le tract, parce qu’elle est menacée par le futur chantier, la centorium portense, petite mais bien "roguu" [solide, résistante, en patois normand] : plus on la fauche, plus elle repousse.
Ils n’arriveront jamais à se débarrasser complètement de nous. Ils aimeraient bien pourtant, foutre ici tout ce qui dérange ailleurs, et que ceux qui ne sont pas content se barrent. Mais ils n’y arriveront jamais tout à fait.
En tant que jeune, on ne dira jamais que tout est foutu. On a envie d’habiter là longtemps, et le mieux possible.
On ne choisit pas de ce dont on hérite, mais on peut aller y chercher certaines choses et pas d’autres, pour nous aider à construire notre futur, ce qu’on veut retenir de toute cette histoire c’est donc cet amour des gens pour leur terre, la conscience de tout ce qu’on lui doit, et puis la colère contre ceux qui ne la respectent pas, c’est tout ça qu’il
faut faire remonter, revenir à la vie, pour qu’on puisse choisir et construire ensemble un avenir pour la Hague, un avenir qui ne soit pas décidé dans un cabinet parisien et qui ne soit pas condamné par l’incompétence d’EDF.
Ensemble faut que l’on aille déterrer la mémoire des résistances vaincues, le souvenir des orgueils perdus et le sentiment d’attachement qu’ils nous ont fait oublier.
Parce qu’à ce moment-là, et quoi qu’il arrive de ce projet de piscine, on pourra dire que l’on n’a pas tout perdu, et qu’ils ne pourront jamais tout enterrer.
Des jeunes habitants de La Hague
Une des 4 piscines actuelles de La Hague
REUTERS/Benoit Tessier