Le « cycle de combustible français »
Analyse GSIEN
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A la Commission locale d’information nucléaire (CLIN) de Paluel-Penly, EDF a présenté sa vision du cycle sous forme de schéma (cf. page suivante). A la sortie des usines de retraitement, on remarque la flèche « URT » (Uranium de retraitement) qui retourne directement aux usines de transformation et poursuit son cycle indéfiniment, laissant croire que cet uranium de retraitement est réutilisé pour la fabrication du combustible des centrales françaises. Avec le schéma du cycle du combustible présenté par l’ASN dans son dernier rapport annuel, l’illusion de la réutilisation de l’URT disparait : la totalité de l’uranium de retraitement part en entreposage (cf. page suivante).
Si EDF a effectivement recyclé une partie de l’uranium de retraitement entre 1994 et 2013 pour fabriquer du com-bustible URE (Uranium de retraitement enrichi), en 2022 ce n’est pas le cas : « ce type de combustible, mis en œuvre dans les quatre réacteurs du CNPE de Cruas, n’est plus utilisé depuis 2013 ; EDF prévoit de reprendre son utilisation dans les prochaines années » [IRSN-2018-003].
Mais à quelle date ? Selon la Cour des comptes, « EDF prévoit ainsi de redémarrer le recyclage de l’URT dans les quatre réacteurs de Cruas en 2023-2024 et de charger en URE trois à quatre réacteurs 1 300 MW d’ici 2030, sous réserve de l’autorisation de l’ASN (1). Les contrats porteront sur la période 2023-2032 (2). Le choix d’EDF s’est porté, pour la majorité des lots (3) (con-version, enrichissement, transport), sur l’entreprise russe Tenex, dont les pratiques environnementa-les avaient été sévèrement critiquées avant que soit mis fin au recours au recyclage de l’URT en 2013. Dans le cadre des nouvelles dispositions con-tractuelles, EDF a renforcé ses exigences environ-nementales envers Tenex.
Indépendance énergétique
L'enrichissement de l'URT s’est fait en Russie et non en France... De 2004 à 2012, EDF a exporté 2 390 tonnes d'URT en Russie et a importé (de 2004 à 2011) 296 tonnes d'URE, soit 8,07 t d'URT par tonne d'URE. Comme il faut 72,5 t pour faire un cœur de 900 MW, il y a eu là de quoi constituer l’équivalent de 4,08 cœurs.
La décision qui a été prise au conseil d’administration d’EDF du 14 mai 2018 a été éclairée par des considérations financières prenant en compte le risque de requalification de l’URT, au titre de l’article L. 542-13-2 du code de l’environnement. En effet, cette requalification obligerait EDF à constituer des provisions pour stockage de l’URT ainsi que des actifs dédiés pour son entreposage et son stockage. Aujourd’hui, EDF ne constitue des provisions que pour l’entreposage de l’URT. Ces provisions sont constituées sur la base d’une projection de durée d’entreposage infinie (ce qui est limité comptablement à 260 ans avec l’effet de l’actualisation), ce qui semble contradictoire avec la notion même d’entreposage, qui n’a pas vocation à constituer une solution définitive de gestion » [L’aval du cycle du combustible nucléaire - Cour des comptes, 2018].
(1) Toutefois, l’IRSN a attiré l’attention d’EDF et d’Orano sur le fait que la mise en œuvre d’une gestion de combustibles URE sur le palier 1 300 MW nécessiterait de conduire des études préalables permettant d’apprécier son impact sur la dilution des solutions de dissolution avec celles des combustibles UNE, afin de confirmer le respect des spécifications actuelles des colis vitrifiés et compactés.
(2) La durée des contrats est motivée par la volonté de maintenir la filière ouverte à de nouveaux entrants après 2033, de respecter les recommandations des autorités de la concurrence de la Commission Européenne, de se garder la possibilité d’augmenter les volumes d’URT recyclés.
(3) Une partie de l’enrichissement sera réalisée par Urenco et la fabrication des assemblages combustibles sera réalisée par Framatome.
Commentaire GSIEN : EDF prévoit une durée d’entreposage infinie pour l’uranium de retraitement. Cela s’appelle un stockage. Dans un avis sur le « projet de Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2021-2025 » (PNGMDR), « L’ASN insiste sur la nécessité d’apprécier le caractère valorisable des matières radioactives en tenant compte des quantités concernées et des horizons temporels de disponibilité des filières industrielles d’utilisation de ces matières (...) :
la valorisation d’une matière radioactive peut être considérée comme plausible si l’existence d’une filière industrielle est réaliste à un horizon d’une trentaine d’années ;
pour toute perspective plus lointaine, il est nécessaire d’anticiper les besoins d’entreposage sur les durées correspondantes, plus longues qu’une trentaine d’années, dans des conditions sûres, et la gestion possible de la substance radioactive en tant que déchet ;
en tout état de cause, l’absence de perspective d’utilisation à l’horizon d’une centaine d’années doit conduire à requalifier la substance en déchet » [Avis n° 2021-AV-0390 - ASN, 9/11/2021].
EDF stocke de l’uranium de retraitement mais ne veut pas le classer comme déchet afin d’éviter de constituer des provisions pour stockage. Même en cas de réintroduction d’uranium de retraitement enrichi sur les 4 réacteurs de Cruas vers 2023-2024, le stock d’URT ne diminuerait pas. Il faudrait en effet « urter » quelques réacteurs de 1300 MWe en plus de ceux de Cruas (900 MWe) pour seulement stabiliser le stock comme on peut le remarquer sur la projection réalisée par la Cour des comptes (cf. graphique ci-contre).
Extrait de l’article L. 542-13-2 du code de l’environnement : « Après avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, l'autorité administrative peut requalifier des matières radioactives en déchets radioactifs si les perspectives de valorisation de ces matières ne sont pas suffisamment établies. Elle peut également annuler cette requalification dans les mêmes formes » [legifrance].
L’ASN pourrait ainsi émettre un avis en vue de requalifier en déchet la majeure partie du stock d’uranium de retraitement actuellement présent sur le site Orano de Tricastin où « 34 100 tonnes » y étaient entreposées « à fin 2020 » [Andra - Les essentiels 2022].
Dans l’attente d’une future éventuelle réintroduction d’URT (qui serait fabriqué majoritairement en Russie...), EDF sert le boniment sur le mythe du cycle du combustible aux membres de la CLIN de Paluel-Penly : députés, sénateurs, conseillers départementaux et régionaux, représentants de communautés de communes et d’agglomérations, représentants de l’état, etc. La composition complète de la CLIN est disponible sur son site (clin76.fr).
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