Dossier ITER
La fission de noyaux d’atomes lourds (235U ou 239Pu) a permis à l’homme de fabriquer des bombes atomiques (dites bombes A) puis, en la maîtrisant, de propulser des sous-marins et de produire de l’électricité avec des centrales nucléaires. L’avènement des bombes à hydrogène (dites bombes H) met en œuvre la fusion de noyaux légers comme c’est le cas dans le soleil et la plupart des étoiles (fusion de noyaux d’hydrogène). L’homme rêve d’apprivoiser l’énorme quantité d’énergie dégagée par la fusion. Avec les physiciens Igor Tamm et Andreï Sakharov (les pères de la bombe H) les soviétiques ouvrent le bal en 1958 avec la construction du premier engin de recherche, le tokamak T1. L’optimisme est de mise : « En 1950, nous espérions réaliser le réacteur thermonucléaire en 10 ans, 15 ans au grand maximum » (Mémoires d’Andreï Sakharov, 1990). En 1968, le tokamak T3 soviétique atteindra un record : faire un plasma de 10 millions de degré pendant quelques millisecondes...
ITER : 45 ans de mûrissement
pour 400 secondes de plasma...
Pour la fission nucléaire, neuf ans ont séparé la première explosion en 1945 de la première centrale électrique couplée au réseau en 1954. Rien de tel avec la fusion, entre la première bombe H en 1952 et ... ?
A l'époque, deux idées techno-logiques s'affrontent ; le confinement inertiel par laser (on comprime le combustible contenu dans des billes par des décharges laser) et le confinement magnétique (création de plasma dense par champs électromagnétiques dans des Tokamaks bien plus développés...). Mais que ce soit en 1960 ou en 1980, la fusion contrôlée est toujours pour dans 50 ans…
Tokamak soviétique T1
Institut Kurchatov
Source, iter.org
Arrive novembre 1985 et la rencontre à Genève entre Reagan et Gorbatchev pour marquer la fin de la guerre froide et le désarmement nucléaire. En conclusion, sur proposition de Gorbatchev les deux duettistes proposent de développer la fusion pacifique "pour le plus grand bénéfice de l'humanité" et en utilisant l'approche tokamak.
L'Europe (Euratom) et le Japon se joignent aux discussions prélimi-naires en 1988 (deux ans après la décision...). Commence alors la phase de conception (Conceptual Design Activity) censée faire le point sur les recherches en cours chez les partenaires. Recherches publiques ou non, et la confiance régnant, il faut bien deux ans pour que cette phase s'achève en 1990. Encore deux années de palabres et en 1992 démarre la phase d'ingénierie (Engineering Design Activity) pour 6 ans, avec les USA quittant le projet (préférant le confinement par laser). Il faut deux ans de plus pour revoir le projet sans les USA, et après encore un an, en 2002, tout est prêt pour le début des discussions de conception, de finances, de lieu... avec la Chine et la Corée, et le retour des USA.
Quatre ans après, en novembre 2006 c'est la signature de l'accord final ITER, avec la Chine, la Corée, les USA, la Russie, l'Inde, le Japon et l'Europe (du moins officiellement...). ITER sera à Cadarache, payé à 45% par l'Europe...
En 2007, les premiers travaux de terrassement commencent, les retards s'annoncent (13 ans de retard prévus en 2022, avec les erreurs de réalisation) et les coûts s'envolent (passant de 5 à 19 milliards d'euros).
ITER se compare souvent au CERN, le plus imposant projet international scientifique actuel. Mais entre les premières idées du CERN (1946) et les premiers faisceaux de particules, il s'est écoulé moins de 10 ans. Entre le sommet de Genève et le démarrage de ITER en 2030 – si tout va bien – il se sera passé 45 ans...
Sans oublier le fait qu'ITER est d'abord un joujou du CEA : les USA continuent d'explorer le confinement par laser (première fusion positive durant quelques millisecondes en 2022), l'Allemagne a son Stellarator, et l'Europe conserve son Tokamak JET en grande Bretagne...
C'est beau, un développement technologique commun....
Une machine expérimentale
ITER est une installation mettant en œuvre une réaction de fusion nucléaire. L’exploitation débutera avec « les opérations plasma d’hydrogène et d’hélium », suivront ensuite « les opérations plasma de deutérium/deutérium » avec enfin la mise en œuvre de la fusion entre deux noyaux d’isotopes de l’hydrogène : le deutérium (D) et le tritium (T). L’objectif affiché est de « générer 500 MW de puissance de fusion dans le plasma pendant 400 secondes » [iter.org]. Sans pour autant tenter de récupérer l’énergie produite.
Réaction de fusion
D + T → He + n + énergie (17,5 MeV)
En fait, ITER ne va produire que des déchets nucléaires : « Le flux de neutrons issus de la réaction cède son énergie à la paroi en la chauffant et en activant les matériaux qui la constitue. On a ainsi une production d'éléments radioactifs lourds, en quantité certes inférieure à celle produite dans les réacteurs à fission » [Gazette n° 201/202].
« La proposition finale pour le tokamak d’ITER aboutit en 2001. Il fut conclu que la combinaison finale des paramètres d’ITER était l’ensemble optimum qui permettrait de démontrer la faisabilité de la fusion à un coût raisonnable pour l’installation de recherche. La puissance de fusion devrait atteindre 500 Mégawatt. Pour cela le champ magnétique toroïdal devait avoir 5,3 Tesla au centre du plasma et atteindre un courant plasma de 15 Méga-ampère » [Demande d’autorisation de création - Pièce 6 : Étude d’impact - ITER Organization, 2011].
Plasma dans le tokamak coréen KSTAR
Source, iter.org
C’est « la création des champs magnétiques intenses qui piègent le plasma. Cela est réalisé (JET) par des courants électriques intenses circulant dans des bobines et par le courant électrique qui traverse le plasma lui-même. Pour éviter l'échauffement des bobines conductrices elles doivent être refroidies à des températures très basses, proches du zéro absolu (-273°C) et n'offrent alors aucune résistance au passage du courant (bobines supraconductrices) ». C’est là le paradoxe de la fusion : refroidir des bobines à une température proche du zéro absolu au voisinage d’un plasma à plus de 100 millions de degrés...
« Le plasma est alors confiné dans une zone torique (forme d'une chambre à air) sans contact avec les parois matérielles entre lesquelles il évolue ».
Une des difficultés est de « résoudre le problème des instabilités du plasma pour empêcher les particules chargées électriquement qui le constituent de frapper la paroi matérielle à l'intérieur de laquelle il évolue [Gazette n° 201/202].
Explication avec le physicien Pierre-Gilles de Gennes
« On n'est pas capable d'expliquer totalement l'instabilité des plasmas ni les fuites thermiques des systèmes actuels. On se lance donc dans quelque chose qui, du point de vue d'un ingénieur en génie chimique, est une hérésie. Et puis, j'aurais une dernière objection. Connaissant assez bien les métaux supraconducteurs, je sais qu'ils sont extra-ordinairement fragiles. Alors, croire que des bobinages supraconducteurs servant à confiner le plasma, soumis à des flux de neutrons rapides comparables à une bombe H, auront la capacité de résister pendant toute la durée de vie d'un tel réacteur (dix à vingt ans), me paraît fou » [Les Echos, 12/01/2006 ou archive Wikipédia]
Un problème important à résoudre est l'élimination des impuretés qui résultent des interactions entre le plasma et le revêtement de la chambre torique qui contient le plasma. L'idée est d'utiliser pour cela un déflecteur magnétique le "divertor" : les impuretés sont séparées, à ce niveau, du reste du mélange et aspirées par des pompes cryogéniques » [Gazette n° 201/202].