Produits de fission et béryllium
Quand l’ASN évoque des « incertitudes importantes concernant la quantité de produits de fission mobilisables », le GSIEN estime qu’il faut comprendre sous-estimation grossière des produits de fission mobilisables.
Nous avons donc un réacteur de fusion de noyaux d’atomes légers qui va tout de même fabriquer des produits de fission de noyaux d’atomes lourds. Cela est rendu possible par la présence de matière fissile (uranium), à l’état de trace, dans le béryllium constituant la première paroi de la couverture de la chambre à vide du tokamak. Comme son fonctionnement va générer quantité de neutrons, la matière fissile pourra fissionner mais aussi s’activer : il y aura donc des produits de fissions mais également des produits d’activation (transuraniens) comme le 239Pu (T 24 100 ans) dans les déchets radioactifs d’ITER.
Extrait de l’Étude d’impact de la « demande d’autorisation de création de l’installation expérimentale ITER » : « L’installation ITER n’est pas supposée produire des nucléides émetteurs alpha. Pour éviter un risque de présence de traces d’actinides dans les matériaux faisant face au plasma, ITER met en œuvre des spécifications exigeantes relatives à la teneur en actinides dans les matériaux utilisés, en particulier pour le béryllium (moins de 30 ppm d’U dans Be), qui aboutiraient à l’émission d’actinides au niveau de la cheminée à des niveaux de concentration très faibles (moins de 0,0001 Bq/m3) » [DAC ITER, 2011, Cf. Pièce 6 - page 119].
En clair, le béryllium utilisé dans la première paroi du tokamak devrait avoir une teneur en uranium (U) limitée à 30 ppm maxi. Mais, comme il restera tout de même de l’uranium dans le béryllium, il va être délicat de prétendre éviter un risque de présence de traces d’actinides dans la couverture du tokamak.
Jointe au téléphone par le GSIEN, l’ASN a bien confirmé la présence d’uranium dans le béryllium d’ITER. D’après nos recherches, le béryllium utilisé proviendrait de trois pays : USA, Russie et Chine. Le tableau ci-dessous résume la teneur en uranium du béryllium en fonction de son origine.
Béryllium utilisé dans le blindage de la première paroi d’ITER |
||||
Origine |
Nuance |
Teneur en uranium (wppm ou mg/kg) |
||
Moyenne |
Mini |
Maxi |
||
USA |
S-65C |
32 |
< 30 |
85 |
Russie- Kazakhstan |
DShG-200 |
5,2 |
0,16 |
18 |
Chine |
CN-G01 |
15 |
/ |
< 20 |
Sources, |
Dans le compte-rendu du 11ème atelier international de l’AIEA sur la technologie du béryllium (Barcelone, septembre 2013), la publication de trois scientifiques russes de l’institut Kurchatov de Moscou présente « Quelques réflexions sur les ressources en béryllium, les impuretés qu'il contient et la nécessité de sa détritiation après irradiation ». Les cherches russes ont évalué l’activité radioactive des transuraniens (familles des actinides) :
« Pour une concentration initiale de U dans le Be d'ITER égale à 30 wppm [mg/kg], il y aura Utot = ~370 g de U naturel, dont environ 2,7 g de 235U, dans 12,3 t de Be de la première paroi d'ITER. À la fin de la période d'exploitation de 20 ans d'ITER (pour une fluence de neutrons de fusion de 0,3 MW/an/m2 à travers la première paroi), environ 2 % de 238U et environ 10 % de 235U auront fissionné, environ 8 g de 239Pu et d'autres nucléides transuraniens fissiles plus environ 180 mg de produits de fission se seront accumulés. L'enrichissement du combustible fissile égal à 235U + 239Pu + 241Pu/Utot sera de ~2,5% ».
(...)
L'activité spécifique du béryllium d'ITER, pour une concentration initiale d'U de 30 wppm et une fluence de neutrons de fusion à travers la première paroi de 0,3 MW-an/m2 à l'arrêt d'ITER, sera de l'ordre de 20 GBq/g, principalement en raison de la présence de 6He et d'autres isotopes à vie courte. Un jour après l'arrêt du réacteur, l'activité spécifique du Be sera ramenée à ~533 kBq/g (97 % dus au 3H et 3 % dus aux isotopes transuraniens et au 60Co). Après 100 ans de refroidissement, l'activité spécifique sera de ~10 MBq/g, dont 82% dus aux isotopes transuraniens » [Kolbasov et al, 2013 - Cf. page 103].
A titre de comparaison, la radioactivité naturelle des sols en France est de l’ordre de 0,4 à 8 Bq/g selon que l'on est en sol sédimentaire ou en sol granitique.
Ces valeurs d’activité sont estimées pour une teneur moyenne en uranium dans le béryllium de 30 mg/kg. Ils sont à pondérer en fonction de la provenance du béryllium.
Si la première paroi du tokamak doit être remplacée deux ou trois fois durant la vingtaine d’années prévue de son exploitation, cela divisera par 2 ou 3 l’activité massique mais augmentera d’autant la masse de déchets radioactifs de béryllium.
Un article du Journal of nuclear materials, à propos de l’Activation du béryllium dans une [hypothétique] centrale à fusion, communique sur l’activation de l’isotope naturel 9Be. « A l'arrêt, (...) et après quelques minutes, les seuls radionucléides significatifs restants sont 3H et 10Be » [Forty et al, 1998]. L’isotope radioactif 10Be, produit par absorption neutronique du 9Be, est un émetteur bêta pur avec une période de près de 1,4 millions d’années...
Sous l’impact des neutrons, la couverture d’ITER va s’activer et devenir un déchet radioactif, mais elle va aussi s’effriter ce qui explique la nécessité de son remplacement périodique.
Des poussières de béryllium vont donc être produites dans l’installation, des poussières hautement toxiques. Dans sa fiche toxicologique, l’INRS signale un « Risque avéré d'effets graves pour les organes à la suite d'expositions répétées ou d'une exposition prolongée ». « Des Valeurs limites d'exposition professionnelle [VLEP] contraignantes dans l'air des lieux de travail ont été établies en France pour le béryllium et ses composés » : « 0,0002 mg/m3 » d’air inhalé avec une curieuse mesure transitoire de « 0,0006 mg/m3 jusqu’au 11 juillet 2026 », soit 0,6 μg/m3. « Pour rappel, en 2010, l'Anses recommandait de fixer, pour le béryllium et ses composés, une VLEP (8 heures) à 0,01μg/m3 » [INRS, mars 2022].
Quelles précisions sur la toxicité du béryllium avec le BRGM : « Le béryllium est un métal non radioactif très toxique. Il est classé parmi les éléments les plus toxiques comme l'arsenic, le cadmium, le chrome, le plomb et le mercure. Le béryllium agit comme un poison cancérigène, affectant les membranes cellulaires et se liant à certaines protéines régulatrices dans les cellules. Le béryllium peut rester détectable dans l’urine jusqu'à 10 ans après l’exposition.
(...)
L’inhalation de "grandes" concentrations de béryllium (plus de 1 mg/m3 d’air), ou une inhalation prolongée (plus d'une dizaine d'années) même de très faibles doses, peut engendrer une maladie nommée maladie chronique du béryllium ou bérylliose. Cette maladie affecte les poumons ; elle présente de nombreux points communs avec la pneumonie et peut évoluer vers une insuffisance cardiorespiratoire grave » [BRGM, 2010].
Dans l’Union Européenne, selon l’INRS, « Le béryllium et ses composés sont classés cancérogènes catégorie 1B » soit une substance dont le potentiel cancérogène pour l'être humain est supposé. Le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail (CCHST) est plus catégorique : « Le béryllium est également un cancérogène connu, des cancers du poumon associés au béryllium étant de plus en plus souvent déclarés. Cette substance est classifiée dans le Groupe 1 - Cancérogènes pour l'humain, par le Centre international de Recherche sur le Cancer (IARC), et dans le groupe A1 - Cancérogène humain confirmé, par l'American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH) » [CCHST, 2017].