ITER est une vitrine des défauts de l'énergie de fusion
Daniel Jassby,
physicien émérite, spécialisé en physique de la fusion nucléaire,
Université de Princeton
Thiery Pierre (traduction), physicien des plasmas, Centre National de la recherche Scientifique
25 juin 2019
Il y a un an, j'ai fait paraître un article critiquant la fusion nucléaire comme source d'énergie, intitulée « Les réacteurs de fusion : ils ne sont pas ce qu'ils sont censés être ». Cet article a suscité beaucoup d'intérêt, si l'on en juge par les très nombreux commentaires. Par conséquent, on m'a demandé d'écrire une suite et de poursuivre la conversation avec les lecteurs du Bulletin of Atomic Scientists. Mais dans un premier temps je vais rappeler quelques éléments pour les nouveaux lecteurs.
Je suis chercheur-physicien ayant travaillé sur plusieurs expériences de fusion nucléaire pendant 25 ans à Princeton au Laboratoire de Physique des Plasmas dans le New Jersey. Mes domaines de recherche portaient sur différents sujets en physique des plasmas et sur la production de neutrons liée aux recherches et aux développements de l'énergie de fusion. Maintenant que je suis à la retraite, j'ai commencé à regarder l'ensemble des recherches en fusion nucléaire de manière plus détachée, et j'ai le sentiment qu'un réacteur de fusion commercial, quotidien, causerait plus de problèmes qu'il n'en résoudrait.
Je me sens donc obligé de dissiper une part de l’aura qui a été développée autour de la fusion nucléaire, qui a été régulièrement annoncée comme la source d'énergie « parfaite » et présentée trop souvent comme la solution-miracle aux problèmes énergétiques mondiaux. Mon article paru l'année dernière a démontré que ces caractéristiques de perfection énergétique proclamées à l'infini (habituellement « inépuisable, bon marché, propre, sûre et sans radiations ») ne résistent pas devant les dures réalités, et qu'un réacteur de fusion serait en fait proche du contraire d'une source d'énergie idéale. Cette discussion a largement porté sur les inconvénients des réacteurs de fusion conçus actuellement, tandis que les promoteurs de la fusion continuent d'insister sur le fait qu'un jour ces problèmes seront surmontés.
Maintenant cependant, nous sommes à un point où, pour la première fois, nous pourrons étudier une installation de réacteur de fusion au stade de prototype : le réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), en construction à Cadarache, en France. Même si l’achèvement du réacteur est encore éloigné, le projet ITER est suffisamment avancé pour que nous puissions l'examiner comme un test pour la filière tokamak, l'approche actuellement la plus prometteuse pour obtenir une énergie de fusion terrestre basée sur le confinement magnétique. En décembre 2017, la direction du projet ITER a annoncé que 50% de la construction avait été réalisée. Cette étape importante rend confiant dans l'achèvement de ce qui sera la seule installation sur Terre qui ressemble à peu près à ce qu’est censé être un réacteur de fusion pratique. Comme l'a écrit le New York Times, cette installation « est en cours de construction pour tester un rêve de longue date : la fusion nucléaire, la réaction atomique qui se produit au cœur du soleil et dans les bombes à hydrogène, peut être contrôlée pour générer de l'énergie ».
Les physiciens des plasmas considèrent ITER comme le premier dispositif de confinement magnétique capable de produire un "plasma en phase thermonucléaire", où le chauffage par les particules alpha générées dans les réactions de fusion devient le moyen dominant pour maintenir la température du plasma. Cette condition exige que la puissance de fusion soit au moins égale à cinq fois la puissance de chauffage externe appliquée au plasma. Malgré le fait que cette énergie de fusion consiste en chaleur en non pas en électricité, le projet ITER est principalement présenté comme une étape essentielle sur la voie vers une centrale électrique de fusion nucléaire réelle, et c’est cette assertion que nous analysons dans ce document.
Voyons ce que l'on peut déduire des inconvénients éventuellement irrémédiables des installations de fusion en analysant le projet ITER, en mettant l’accent sur quatre points : la consommation d'électricité, les pertes en tritium, l'activation par les neutrons et les besoins en eau de refroidissement.
Un slogan mal choisi. Sur le site web d'ITER, on est accueilli par la proclamation « Unlimited Energy », qui est aussi le cri de guerre des amateurs de fusion nucléaire partout dans le monde. L'ironie de ce slogan n’est apparemment pas perçue par le personnel du projet et elle n’est pas indiquée au public. Mais quiconque a suivi la construction sur le site d'ITER au cours des cinq dernières années - et il est facile de le faire au vu des photos détaillées et des descriptions sur le site Web du projet - aura été frappé par l'énorme quantité d'énergie investie.
Le site web indique implicitement cet investissement énergétique considérable, dépeignant chacun des sous-systèmes d'ITER comme le plus prodigieux de son genre. Par exemple, le cryostat, ou réfrigérateur à hélium liquide, est le plus grand récipient à vide en acier inoxydable au monde, tandis que le tokamak lui- même peut peser jusqu'à trois fois le poids de la Tour Eiffel [10 100 t]. Le poids total de l'installation centrale d'ITER est d'environ 400 000 tonnes, dont les composants les plus lourds sont 340 000 tonnes pour les fondations et les bâtiments du complexe tokamak et 23 000 tonnes pour le tokamak lui-même.
Mais les thuriféraires du projet devraient être inquiets plutôt qu'en extase devant ces chiffres, parce que cela signifie de grandes dépenses de capitaux et de grands investissements d'énergie, qui doivent apparaître du côté négatif dans le bilan énergétique. Et cette énergie aura été largement fournie par des combustibles fossiles, laissant une empreinte carbone considérablement élevée pour la préparation du site et pour la construction de toutes les installations de soutien, ainsi que pour le réacteur lui-même.
Des combustibles fossiles sont brûlés dans l'extraction, le transport et l'affinage des matières premières nécessaires sont nécessaires pour fabriquer les composants du réacteur de fusion et éventuellement lors du processus de fabrication lui-même. On peut se demander comment cette énergie dépensée pourrait être compensée finalement par le succès du réacteur - et bien sûr, ce ne sera pas le cas. Mais ce formidable investissement énergétique ne représente que la première composante de l'ironique "Energie Illimitée" vantée par le projet.
Tout près de ces bâtiments se trouve un poste électrique de quatre hectares avec des sous-stations énormes traitant jusqu'à 600 MW d'électricité, provenant du réseau électrique régional, ce qui serait suffisant pour alimenter une ville de taille moyenne. Cette puissance sera nécessaire pour alimenter les besoins opérationnels d'ITER ; aucune énergie ne circulera jamais vers l'extérieur, car la conception d'ITER rend impossible la conversion de la chaleur de fusion nucléaire en électricité. Rappelez-vous qu'ITER est une installation d'essai conçue uniquement pour prouver la pertinence de la conception des ingénieurs pour imiter le fonctionnement interne du soleil pour fusionner les atomes d'une manière contrôlée ; ITER n'est pas destiné à produire de l'électricité.
La sous-station électrique est une indication de la grande quantité d'énergie qui sera dépensée dans l'exploitation du projet ITER - et même dans toutes les grandes installations de fusion nucléaire. Comme je l'ai souligné dans mon précédent article, les réacteurs de fusion et les installations expérimentales doivent pouvoir répondre à deux types de consommation électrique. Premièrement, une foule de systèmes auxiliaires essentiels tels que les cryostats, les pompes à vide, le chauffage, la ventilation et le refroidissement doivent être maintenus en permanence, même lorsque le plasma de fusion n’est pas présent. Dans le cas d'ITER, cette puissance non-interruptible varie entre 75 et 110 MW, écrit J. C. Gascon et ses co-auteurs dans leur article de janvier 2012 dans Fusion Science & Technology, « Design and Key Features for ITER Electrical Energy Distribution. »
La deuxième catégorie de consommation de puissance est directement liée au plasma lui-même, dont le fonctionnement est impulsionnel. Pour ITER, au moins 300 MW seront nécessaires pendant des dizaines de secondes pour chauffer le plasma et établir les courants requis dans le plasma. Pendant la phase d'exploitation d’une durée maximale de 400 secondes, environ 200 MW seront nécessaires pour maintenir la fusion et contrôler la stabilité du plasma. Même au cours des huit prochaines années de construction comportant des interruptions éventuelles, la consommation d'énergie sur le site atteindra au moins 30 MW en moyenne, ce qui ajoutera à l'énergie investie et servira de banc d’essai pour la puissance non-interruptible. Mais une grande partie de ces informations sur les puissances requises et sur la nécessaire distinction à établir avec la génération de chaleur attendue sur ITER n’a pas été indiquée lorsque le projet a été rendu public.
Energie électrique comparée à l’énergie thermique. Récemment, le site Internet « New Energy Times » a présenté un compte-rendu bien documenté, "Le mythe de l'amplification de puissance sur ITER", sur le fait que le département de la communication d’ITER diffusait des informations mal rédigées sur le bilan énergétique d'ITER et sur le fait qu’il trompait les médias. En effet, une déclaration largement répandue est que "ITER produira 500 mégawatts de puissance de sortie avec une puissance d'entrée de 50 mégawatts", ce qui implique que les deux chiffres se réfèrent à l'énergie électrique.
Le journal New Energy Times a montré clairement que les 500 MW attendus en production font référence à l'énergie de fusion (portée par les neutrons et par les particules alpha), qui n'a rien à voir avec une énergie électrique. L'apport de 50 MW mentionné ici est la puissance de chauffage injectée dans le plasma pour aider à maintenir sa température et son courant, et ce n'est qu'une petite fraction de la puissance d'entrée électrique totale du réacteur. Cette dernière variera entre 300 et 400 MW, comme expliqué précédemment.
La critique technique parue dans New Energy Times est fondamentalement correcte et elle attire l'attention sur la puissance électrique colossale exigée par toute installation de fusion. En fait, il a toujours été reconnu qu'une énorme quantité d'énergie est nécessaire pour démarrer tout système de fusion nucléaire. Mais les systèmes de fusion de type tokamak nécessitent également des centaines de mégawatts d'énergie électrique pour être maintenus en fonctionnement. Dans ce qui semble une réponse aux critiques de New Energy Times, le site Web d'ITER et d'autres sites de communication tels que Eurofusion ont corrigé certaines déclarations trompeuses concernant le flux d'énergie produite.
Pourtant, la communication au sujet d’ITER pose des problèmes beaucoup plus graves que l’annonce trompeuse des puissances d'entrée et de sortie du réacteur. Alors que la puissance électrique nécessaire de 300 MW est tout à fait incontestable, la question fondamentale est de savoir si ITER produira 500 MW de « quelque chose », une question essentielle qui a trait au gaz tritium nécessaire. En effet, il faut analyser son approvisionnement, la possibilité réelle de l'utiliser, ainsi que le programme technologique nécessaire pour optimiser son utilisation dans le réacteur.
Les vicissitudes de l’élément tritium. Le combustible de fusion le plus réactif est un mélange 50-50 des isotopes de l'hydrogène qui sont le deutérium et le tritium. Ce carburant nucléaire (souvent écrit comme "D-T") a une production de neutrons de fusion 100 fois supérieure à celle du deutérium seul et il induit des conséquences considérables en termes de rayonnement. Le deutérium est présent dans l'eau ordinaire, mais les ressources naturelles en tritium sont presque inexistantes, ce nucléide radioactif ayant une demi- vie de seulement 12,3 années. Le site web d'ITER indique que le tritium sera « pris sur les réserves mondiales en tritium ». Ces réserves consistent en tritium extrait de l'eau lourde des réacteurs nucléaires à fission de type CANDU, principalement en Ontario, au Canada et accessoirement en Corée du Sud, avec un potentiel futur réacteur en Roumanie. Le « stock global » aujourd'hui est d'environ 25 kilogrammes et augmente d'environ 500 grammes par an, notent Muyi Ni et ses co-auteurs dans leur article en 2013, « Tritium Supply Assessment for ITER », dans Fusion Engineering and Design. Les réserves mondiales devraient atteindre un maximum avant 2030.
Alors que les « fusionnistes » parlent allègrement de fusionner le deutérium et le tritium, ils ont en réalité une très grande peur d'utiliser le tritium pour deux raisons. Premièrement, il est quelque peu radioactif, donc il y a des problèmes de sécurité liés à son rejet potentiel dans l'environnement. Deuxièmement, il existe une production inévitable de matières radioactives lorsque les neutrons de fusion D-T bombardent le réacteur, ce qui nécessite un blindage amélioré qui entrave grandement l'accès pour la maintenance et induit des problèmes d'élimination des déchets radioactifs.
Au cours de 65 années de recherches en fusion impliquant des centaines d'installations, seuls deux systèmes de confinement magnétique ont déjà utilisé le tritium : le réacteur de fusion TFTR, tokamak installé autrefois dans mon ancien laboratoire Princeton Plasma Physics Laboratory, et d’autre part le Joint European Tokamak (JET) à Culham, au Royaume-Uni, dans les années 1990.
Le planning actuel d'ITER prévoit l'acquisition et la consommation d'au moins un kilogramme de tritium par an. En supposant que le projet ITER soit en mesure d'acquérir une quantité suffisante de tritium et qu'il soit suffisamment téméraire pour l'utiliser, une puissance de fusion de 500 MW sera-t-elle réellement atteinte ? Personne ne le sait.
Le « premier plasma » sur ITER est prévu actuellement pour 2025. Cette étape sera suivie par une période contrainte de 10 ans de continuation de l’assemblage de la machine avec des opérations plasma périodiques utilisant de l'hydrogène et de l'hélium. Ces gaz ne produisent pas de neutrons de fusion, ce qui permettra peut-être de résoudre les problèmes de stabilité du plasma et d'optimiser les performances avec des risques de rayonnement minimaux. En effet, les instabilités du plasma devront être maîtrisées pour assurer un confinement satisfaisant de l’énergie, de telle sorte que le plasma puisse être ensuite chauffé et maintenu à haute température. Les flux d'atomes d’impuretés devront être minimisés.
Le programme d'ITER prévoit l'utilisation de deutérium et de tritium au cours de la fin de la décennie 2030-2040. Mais il n'y a aucune certitude que l’objectif de 500 MW de puissance produite sera atteint. Générer une telle puissance de fusion dépendra en particulier de la mise au point de la technique de l'injection de deutérium et de tritium par des pellets (glaçons de gaz solidifiés), par des faisceaux de particules, par des bouffées de gaz et par le recyclage des gaz. Au cours des premières années 2040, il est probable que la puissance de fusion obtenue sur ITER sera faible, et que davantage de tritium injecté sera perdu par non-récupération que par fusion avec du deutérium.
L’analyse de la phase « tritium » dans ITER indique que seulement 2% du tritium injecté sera brûlé, de sorte que 98% du tritium injecté sortira intact du plasma. Bien qu'une forte proportion s'écoule simplement avec les effluents gazeux du plasma, une grande partie du tritium devra être continuellement récupérée sur les surfaces internes du réacteur, sur les injecteurs de faisceaux, les conduits de pompage et les autres appendices pour le traitement et la réutilisation des gaz. Au cours de leurs dizaines de traversées du « circuit tritium » dans la chambre à plasma, le système de pompage, le retraitement et la séparation isotopique, la réinjection, certains atomes de tritium seront piégés de façon irrémédiable et définitive dans les parois et les composants internes du réacteur ainsi que dans les systèmes de diagnostic et de chauffage.
La pénétration du tritium à haute température dans de nombreux matériaux n'est pas encore comprise aujourd'hui, comme l'expliquent R.A. Causey et ses co-auteurs dans l’article « Les barrières-tritium et la diffusion du tritium dans les réacteurs à fusion », article disponible sur ResearchGate. La migration plus profonde d'une petite fraction du tritium piégé dans les parois, puis dans les canaux de refroidissement liquide et gazeux seront impossibles à empêcher. La plus grande partie du tritium implanté finira par se désintégrer, mais il y aura inévitablement des rejets dans l'environnement par la circulation de l’eau de refroidissement.
Les concepteurs des futurs réacteurs de type tokamak supposent généralement que tout le tritium brûlé sera remplacé par absorption des neutrons de fusion dans le lithium entourant complètement le plasma en phase réactive. Mais cette idée illusoire ne prend pas du tout en compte le tritium qui est définitivement perdu dans ses pérégrinations à travers les sous-systèmes du réacteur. Comme ITER le démontrera, la quantité de tritium non récupérée sera du même ordre que celle brûlée. Elle pourra être remplacée que par l'achat très coûteux de tritium produit dans des réacteurs à fission.
Radiations et déchets radioactifs de la fusion. Comme indiqué ci-dessus, les 500 MW d'énergie thermique de fusion prévus sur ITER ne sont pas de l'énergie électrique. Mais ce que les partisans de la fusion détestent vous dire, c’est que cette puissance de fusion n'est pas un rayonnement solaire bénin, mais consiste principalement (80%) en un flux de neutrons très énergétiques dont la seule fonction apparente dans ITER est de produire d'énormes volumes de déchets radioactifs en bombardant les parois de la cuve du réacteur et ses composants internes. Seulement 2% des neutrons seront interceptés par des modules d'essai conçus pour étudier la production de tritium à partir du lithium, mais 98% des flux de neutrons vont simplement interagir avec les noyaux des matériaux constituant les parois du réacteur ou dans les dispositifs extérieurs à travers les fenêtres d’accès au réacteur.
Dans les réacteurs à fission, 3% de l'énergie de fission, au maximum, apparaît sous forme de neutrons. Mais ITER s'apparente à un appareil électrique qui convertit des centaines de mégawatts d'énergie électrique en flux de neutrons. Une particularité des réacteurs de fusion D-T est que l'énergie thermique, pour l’essentiel, n'est pas produite dans le plasma en réaction, mais en réalité à l'intérieur des très épais écrans en acier qui entourent le réacteur, et cela lorsque les flux de neutrons interagissent avec ces écrans en dissipant progressivement leur énergie. En principe, cette énergie neutronique thermalisée pourrait en quelque sorte être reconvertie en électricité à très faible rendement, mais le projet ITER a choisi de ne pas relever ce défi. C'est une tâche reportée aux illusoires « réacteurs de démonstration » que les promoteurs de la fusion espèrent déployer dans la seconde moitié du siècle.
Un inconvénient reconnu depuis longtemps de l'énergie de fusion nucléaire est l'endommagement par rayonnement neutronique des matériaux exposés, provoquant un gonflement, une fragilisation et une fatigue. En fait, le temps total de fonctionnement à des taux de production de neutrons élevés dans ITER sera trop faible pour causer des dommages notables pour l'intégrité structurelle du réacteur, mais l’activation neutronique créera pour longtemps une radioactivité dangereuse dans tous les composants exposés du réacteur, produisant finalement 30 000 tonnes de déchets radioactifs.
Entourant le tokamak d'ITER, un cylindre en béton monstrueux de 3,5 mètres d'épaisseur, de 30 mètres de diamètre et de 30 mètres de hauteur appelé « bioshield » empêchera les rayons X, les rayons gamma et les neutrons parasites d'atteindre le monde extérieur. La cuve du réacteur et les composants non-structuraux à la fois à l'intérieur de la cuve et au-delà jusqu'au bio-écran deviendront hautement radioactifs par activation par les flux de neutrons. Les temps d'arrêt pour maintenance et réparation seront très longs car toute la maintenance devra être effectuée par un équipement de manipulation à distance.
Pour le projet expérimental JET (Joint European Torus) beaucoup plus petit qu’ITER, installé au Royaume-Uni, le volume de déchets radioactifs est estimé à 3 000 mètres cubes, et le coût du démantèlement dépassera 300 millions de dollars, selon le Financial Times. Ces chiffres seront éclipsés par les 30 000 tonnes de déchets radioactifs d'ITER. Heureusement, la majeure partie de cette radioactivité induite se désintègrera en quelques décennies, mais après 100 ans, quelque 6 000 tonnes seront encore dangereusement radioactives et devront être éliminées dans un dépôt, indique la section « Déchets et démantèlement » du rapport final de conception d'ITER. Le transport périodique et l'élimination hors-site des composants radioactifs ainsi que le démantèlement final de la totalité de l'installation du réacteur seront des tâches gourmandes en énergie qui accroitront encore le côté négatif du bilan énergétique.
La question de l'eau consommée. Des quantités d'eau énormes seront nécessaires pour évacuer la chaleur de la cuve du réacteur d'ITER, évacuer celle des systèmes de chauffage au plasma, des systèmes électriques du tokamak, des réfrigérateurs cryogéniques et des alimentations électriques des aimants. En incluant la production de fusion nucléaire, la charge thermique totale pourrait atteindre 1 000 MW, et cela même avec une puissance de fusion nulle. L'installation du réacteur consomme jusqu'à 500 MW qui finissent par devenir de la chaleur à éliminer. ITER démontrera que les réacteurs à fusion seraient beaucoup plus consommateurs d'eau que tout autre type de générateur d'énergie, en raison des très nombreuses dissipations parasites qui se transforment en chaleur supplémentaire devant être dissipée sur place (par "parasite", nous entendons : qui consomment une partie de la puissance même que produit le réacteur.)
L'eau de refroidissement sera prélevée sur le Canal de Provence formé par la canalisation de la Durance, et la plus grande partie de la chaleur sera rejetée dans l'atmosphère par des tours de refroidissement. Pendant les opérations de fusion nucléaire, le débit combiné de toutes les eaux de refroidissement sera de l’ordre de 12 mètres cubes par seconde, soit plus du tiers du débit du canal. Ce débit pourrait alimenter une ville de 1 million d'habitants. (Mais la demande réelle sur l'eau du canal sera seulement une très petite fraction de cette valeur parce que la phase de puissance sur ITER ne durera que 400 secondes avec 20 tirs quotidiens tout au plus, et une partie de l'eau de refroidissement d'ITER est recyclée).
Même si ITER ne produit que des neutrons, son débit maximum de liquide de refroidissement sera toujours près de la moitié de celui d'une centrale au charbon ou d'une centrale nucléaire fonctionnant à plein régime et produisant 1 000 MW d'énergie électrique. Dans ITER, au moins 56 MW d'énergie électrique seront consommés par les pompes qui font circuler l'eau à travers quelque 36 kilomètres de tuyauterie de qualité nucléaire.
L'exploitation de n'importe quelle grande installation de fusion telle que ITER est possible seulement dans un endroit comme la région de Cadarache en France, avec un accès à beaucoup de réseaux électriques de haute puissance aussi bien qu'à un système d'eau fraîche à haut débit. Au cours des dernières décennies, la grande abondance de débits d'eau douce et l'eau froide et illimitée des océans ont permis la mise en place d'un grand nombre de centrales thermoélectriques d’une puissance de l’ordre du gigawatt. Compte tenu de la raréfaction de l'eau douce et même de l'eau froide dans le monde entier, la difficulté de fournir de l'eau de refroidissement rendrait difficilement possible le déploiement futur des réacteurs de fusion nucléaire.
L'impact d'ITER. Que le réacteur ITER fonctionne ou non, son héritage le plus favorable est que, comme la Station Spatiale Internationale, il aura donné un exemple impressionnant d'une coopération internationale durant plusieurs décennies entre des nations à la fois amicales ou semi-hostiles. Les critiques affirment que la collaboration internationale a considérablement amplifié les coûts et les délais, mais un coût de 20 à 30 milliards pour ITER n’est pas disproportionné avec celui d'autres grandes entreprises nucléaires, comme les centrales électriques dont la construction a été approuvée ces dernières années aux États-Unis (SOMMER et VOGTLE) et en Europe occidentale (Hinkley Point et Flamanville), ou encore le projet de développement du combustible nucléaire US MOX à Savannah River. Tous ces projets ont connu un triplement des coûts et les délais de construction ont gonflé d'année en année. Le problème sous-jacent est que toutes les installations d'énergie nucléaire - que ce soit la fission ou la fusion - sont extraordinairement complexes et exorbitantes.
Un deuxième rôle inestimable d'ITER sera son influence définitive sur la planification de l'approvisionnement en énergie au niveau mondial. En cas de succès, ITER pourrait permettre aux physiciens d'étudier des plasmas de fusion à haute température maintenus pendant des temps longs. Mais considéré comme un prototype de mode de production d'énergie, ITER sera manifestement une source de neutrons dévastatrice alimentée par le tritium lui-même produit dans des réacteurs à fission. Le réacteur ITER sera alimenté par des centaines de mégawatts d'électricité du réseau électrique régional et exigera des ressources en eau de refroidissement sans précédent. Les dommages causés par les neutrons seront sans précédent, tandis que les autres défauts perdureront dans tout autre réacteur à fusion qui tentera de produire suffisamment d'électricité pour essayer de compenser toutes les nombreuses pertes d'énergie mentionnées ci-dessus.
Finalement, confrontés à cette réalité, même les promoteurs d’une nouvelle énergie nucléaire les plus optimistes devraient abandonner la fusion. Plutôt que d'annoncer l'avènement d'une nouvelle ère énergétique, il est probable qu'ITER jouera un rôle analogue à celui du surgénérateur à fission rapide, dont les inconvénients flagrants ont mis fin à cette filière prétendue également source d'énergie illimitée et qui a finalement permis la prédominance actuelle des réacteurs classiques à fission dans le domaine de l’énergie nucléaire.