Facteurs influençant et sensibilité à la CSC
La principale cause identifiée par EDF est la complexité de la géométrie des lignes, entre l’organe d’isolement (clapet anti-retour) et le raccordement (ou piquage) sur la tuyauterie primaire principale associée aux phénomènes thermohydrauliques (vortex/stratification). Prenons l’ex-emple de la ligne RIS (l’injection de sécurité du réacteur) raccordée en branche froide (BF) et regardons l’évolution de sa géométrie au fil de la construction des différends paliers.
Géométrie des lignes RIS BF – Un problème de conception ?
Les tranches de 900 MWe ont été construite sous licence Westinghouse avec pour modèle les réacteurs américains de North Anna. En 1981, le « contrat [de licence] est remplacé par un accord de coopération technique » [Hubert Grard, 2014].
Les tranches du palier 1300 MWe sont construites sur le modèle de South Texas.
Pour le palier suivant (N4 – 1500 MWe), le constructeur (Framatome) s’est affranchi des liens restants avec Westinghouse pour construire les tranches de Chooz et de Civaux.
Palier 900 MWe - Ces tranches seraient les moins sensibles à la CSC car la configuration des lignes est épurée comme on peut le voir avec la représentation schématique de l’injection en boucle 2 sur Bugey 5 (CP0) dans le tableau page 22. La longueur de la tuyauterie de diamètre 6 pouces (Ø 6’’ – 15,24 cm) est réduite, entre le piquage RIS sur la branche froide de la tuyauterie primaire et le clapet d’isolement.
Pour les autres tranches de 900 MWe (CPY), hormis les lignes d’injection par les accumulateurs (Ø 12’’), aucun schéma isométrique des circuits d’injection en 6’’ n’a été publié.
Palier 1300 P4 - Sur les tranches de 1300 MWe, la géométrie des lignes RIS va évoluer. Avec une longueur de 4 à 5 m, la ligne RIS (Ø 10’’) du palier P4 est plus importante que celle du Bugey et présente quatre coudes entre le clapet et le piquage en branche froide du primaire.
Palier 1300 P’4 - La ligne RIS BF (Ø 10’’) du palier P’4 s’est considérablement allongée (de l’ordre de 7 m) et on n’y trouve pas moins de 9 coudes entre le clapet et le piquage primaire.
Dans un Mémento technique d’exploitation (MTE), EDF explique la raison des évolutions réalisées sur ce palier de 1300 MWe : « Au cours des études de réalisation des premières tranches de Paluel, il est apparu une augmentation sensible des coûts prévus à l’origine, contrairement à ce qui était attendu de l’effet de taille. Un nouveau projet baptisé P’4 a été étudié, orienté vers une optimisation dans un souci de réduction des coûts à qualité égale. (...) Les objectifs d’économie ont été obtenus au niveau du génie civil et des matériels mécaniques. En même temps, de nouvelles options ont été prises » comme la « modification du bâtiment réacteur, touchant les dimensions (diamètre et hauteur légèrement réduits), l’installation des matériels, les structures de génie civil » et une « évolution dans les schémas des différents circuits de l’îlot nucléaire » [Fiche MTE 075, EDF 1986].
Palier N4 - La longueur de la ligne RIS BF (Ø 10 et 12’’) est à peu près équivalente à celle du palier précédent. Les quatre réacteurs 100% français n’ont pas produit un seul kWh en 2022. A ce niveau d’indisponibilité, ce n’est plus de l’intermittence mais plutôt la panne sèche...
Phénomènes thermohydrauliques et contraintes mécaniques
La géométrie des lignes RIS semble être un des facteurs déterminant influencé par les phénomènes thermo-hydrauliques qui n’ont pas été pris en compte à la conception. La vitesse du fluide dans la tuyauterie primaire principale provoque une zone de turbulence, appelée vortex, au niveau du piquage sur la tuyauterie primaire avec création d’une stratification thermique dans la portion horizontale de la ligne (cf. figure ci-contre). La différence de température entre la partie supérieure et la partie inférieure de cette portion horizontale entraîne des contraintes de dilatations thermiques lesquelles engendrent un moment de flexion se répercutant sur l’ensemble de la ligne. La longueur de la ligne amplifie ces phénomènes thermo-hydrauliques et, par voie de conséquences, les contraintes mécaniques. Comme la zone de vortex est chaotique, la stratification thermique peut fluctuer et induire des variations de l’amplitude des contraintes mécaniques.
Exemples de géométrie des ligne RIS BF en fonction des différents paliers (modèles) |
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Paliers |
Centrales (Nb x MWe) |
Géométrie RIS BF |
CP0 |
Bugey (2x910 + 2x880) |
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CPY |
Tricastin (4x915) |
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Gravelines (6x910) |
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Dampierre (4x890) |
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Blayais (4x910) |
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Chinon (4x905) |
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Cruas (4x915) |
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Saint-Laurent B (2x915) |
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P4 |
Paluel (4x1330) Saint-Alban (2x1335) Flamanville (2x1330) |
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P’4 |
Belleville (2x1310) Cattenom (4x1300) Golfech (2x1310) Nogent (2x1310) Penly (2x1330) |
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N4 |
Chooz (2x1500) Civaux (2x1495) |
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Sources: CEA, ANCCLI, HCTISN |
Piquage sur le circuit primaire - Représentation schématique
de la stratification thermique
Source, EDF
Contraintes de soudage
La préparation de surface et le soudage provoque un écrouissage de la Zone affectées thermiquement (ZAT) : c’est un des facteur influençant la CSC. Un défaut de soudage ou la présence d’une soudure réparée peut contribuer à l’apparition et au développement de fissures. Les contraintes résiduelles de soudage viennent s’ajouter aux contraintes mécaniques.
Chimie du fluide primaire
EDF a réalisé des investigations sur la qualité de l’eau du circuit primaire sur des tranches témoins de chacun des paliers. Aucune pollution (chlorure, fluorure, sulfate) n’a été relevée et le conditionnement chimique (bore, lithium, teneur en hydrogène) a été respecté hormis quelques dépassements ponctuels.
Les experts se sont alors penchés sur la teneur en oxygène dissous (DO) qui, selon l’IRSN, « est un paramètre d’ordre 1 pilotant le risque de CSC des aciers inoxydables » selon le « REX des réacteurs à eau bouillante. Le fluide primaire des REP (réacteurs à eau pressurisée, cas des réacteurs en France) est désaéré en fonctionnement. Néanmoins, des entrées d’oxygène sont possibles. Les principales sources d’entrées d’oxygène dans le CPP :
▪ Arrêt du réacteur et ouverture du CPP
▪ Les eaux d’appoints, injectées normalement dans le circuit primaire en cours de fonctionnement » (REA-Eau, REA-bore, alimentation des joints GMPP).
« L’oxygène est majoritairement consommé dans le cœur sous l’effet du rayonnement neutronique et de la radiolyse induite ». Cependant, l’IRSN signale la possibilité d’avoir une « arrivée de fluide non désaéré au niveau des piquages RIS » avec « des valeurs significatives de DO dans les zones concernées par la CSC ». Cela pourrait avoir un « effet sur l’amorçage de fissures ». « En juillet 2022, l’industrie américaine a publié des courbes de vitesse de propagation de fissures de CSC » d’où il ressort que le « DO favorise l’amorçage de fissures dans des matériaux qui n’auraient pas fissuré sans DO ». Conclusion de l’IRSN : « Il y a un effet aggravant possible de l’oxygène dissous injecté par les eaux d’appoints » [ANCCLI, 10/11/22].
Sensibilité des circuits auxiliaires à le CSC
Les circuits RIS et RRA ont été classées par EDF en fonction de leur sensibilité supposée à la corrosion. État des lieux avec EDF en juillet 2022 : « Dans l’état actuel de nos connaissances, l’analyse des résultats de l’ensemble des expertises confirme le caractère prépondérant de la géométrie des lignes et nous permet de retenir un classement en différentes familles rappelées ci-dessous :
- des lignes peu ou très peu sensibles à l’apparition de la CSC sur les réacteurs de 900 MW (32 réacteurs) et les réacteurs de 1300 MW de type « P4 » (8 réacteurs) ;
- des lignes du circuit RIS des réacteurs de 1300 MW de type « P’4 » (12 réacteurs) et des circuits RIS et RRA des réacteurs N4 (4 réacteurs) sensibles ou fortement sensibles au phénomène de CSC » [EDF, 27/07/22].
Une année plus tard, EDF fait le point lors du webinaire ANCCLI du 4 juillet 2023 : « Les expertises et analyses réalisées permettent, dans l’état actuel de nos con-naissances, de classer les lignes selon leur sensibilité au risque d’apparition de défauts de corrosion sous contrainte :
- Lignes fortement sensibles : N4 RIS BF
- Lignes sensibles : N4 RRA aspiration, P’4 RIS BF
- Lignes peu sensibles : P4 RIS BF, CPY RRA aspiration
- Lignes non sensibles : CPY RIS BF, BUG RIS BF et RRA aspiration, P4 RRA (BC et BF), P’4 RRA (BC et BF) » [ANCCLI, 4/07/23].