Stratégie de contrôle et de longues réparations
« EDF prévoit de contrôler l’ensemble de ses réacteurs d’ici 2025, en priorisant le contrôle de ces zones les plus sensibles des réacteurs N4 et P’4. (...) L’ASN considère que cette stratégie répond à la nécessité de poursuivre les contrôles sur les lignes considérées comme les plus sensibles » [ASN, 27/07/22].
Compléments d’informations avec l’IRSN : « EDF s’est engagé à réaliser un état des lieux du risque de fissuration par CSC des lignes RIS et RRA pour l’ensemble de ses 56 réacteurs en exploitation à l’échéance de fin 2025.
(...)
À ce jour, la fissure de CSC la plus profonde (23 mm, soit environ 85 % de l’épaisseur de la tuyauterie) a été observée aux abords d’une soudure du circuit RIS du réacteur n° 1 de la centrale de Penly. (...) Il est à noter qu’EDF n’est pas en capacité industrielle de remplacer à court terme l’ensemble des lignes auxiliaires concernées par la fissuration par CSC de son parc. En outre, le principe d’optimisation et de justification de l’exposition radiologique des travailleurs conduit également à s’interroger sur l’opportunité d’un remplacement systématique d’une ligne auxiliaire comportant une petite indication associée à un défaut considéré comme potentiellement évolutif.
(...)
L’IRSN considère qu’en l’état des connaissances et des incertitudes qui caractérisent le présent dossier, il n’est pas possible de déterminer des valeurs enveloppes de cinétique de propagation de manière indiscutable. À cet égard, les résultats des contrôles en service pour le suivi d’indications permettront d’apporter des éléments quantifiés objectifs ».
Recommandation de l’IRSN : « En cas de maintien en l’état des indications identifiées lors des contrôles effectués au titre du traitement de la corrosion sous contrainte dans les lignes auxiliaires du circuit primaire principal des réacteurs du parc en exploitation, l’IRSN recommande que :
• EDF retienne une valeur de vitesse de propagation de 3 mm par an pour les indications aux abords des soudures réparées de profondeur supérieure ou égale à 5 mm, incertitudes comprises ;
• EDF retienne une valeur de vitesse de propagation de 1 mm par an pour les autres cas de soudures réparées ou non, y compris pour les indications classées en hauteur non mesurable ».
(...)
Dans le cadre du traitement du phénomène de fissuration par corrosion sous contrainte aux abords des soudures des tuyauteries auxiliaires du circuit primaire des réacteurs de son parc électronucléaire, EDF est amené à proposer le maintien en l’état, pour plusieurs cycles de fonctionnement, de défauts pouvant correspondre à ce mécanisme d’endommagement évolutif.
(...)
Dans le cadre de sa stratégie de remise en conformité des tuyauteries affectées par la CSC, EDF a fait le choix de remplacer à l’identique l’ensemble des lignes RIS et RRA des réacteurs de 1450 MWe et l’ensemble des lignes RIS des réacteurs de 1300 MWe du palier P’4. Pour l’IRSN, cette approche de remise en conformité est à privilégier autant que possible.
Pour le long terme, l’IRSN considère que ces efforts de recherche des causes profondes, de réparation et de surveillance en exploitation doivent se poursuivre, en particulier afin de disposer en priorité d’un niveau de confiance élevé dans la disponibilité des circuits de sauvegarde RIS de l’ensemble des réacteurs, compte tenu de l’importance de ce circuit pour assurer le refroidissement du cœur et la maîtrise de la réactivité en situation accidentelle » [IRSN, 12/05/23]
Lors du webinaire ANCCLI du 4 juillet 2023, EDF a présenté son « Adaptation du programme d’examens.
Intégration des soudures réparées dans le programme de contrôles :
- Définition, pour les soudures réparées, de catégories basées sur la sévérité de la réparation vis-à-vis de la corrosion sous contrainte.
- Catégorisation des soudures réparées de toutes les lignes RIS et RRA Branche Froide et Branche Chaude.
- Mise en place en mars 2023 d’une stratégie de contrôle des soudures réparées par ordre de priorité.
Transmission du programme de contrôles à l’ASN le 10/03/2023 :
Toutes les soudures réparées les plus sensibles seront contrôlées à fin 2023, excepté 3 soudures qui seront contrôlées au premier trimestre 2024.
90% des soudures réparées toutes catégories confondues seront contrôlées à fin 2024, le reliquat étant contrôlé en 2025 » [Webinaire ANCCLI, 4/07/23].
Suite à la découverte de fissures de plus en plus nombreuses et/ou profondes, l’électricien national s’est vite rendu à l’évidence qu’il lui faudrait engager des travaux de grande ampleur. Il a donc anticipé le remplacement massif de certaines portions de circuit par l’approvisionnement en tuyauteries et coudes de divers diamètres comme indiqué dans sa présentation lors d’une réunion du HCTSISN (Cf. encart Réparations) [HCTISN, 18/10/22].
Pour les tranches des paliers les plus récents (P’4 et N4), l’exploitant a décidé de remplacer à l’identique les portions de circuits où de nombreuses fissures ont été découvertes. Certaines de ces tranches n’ont pas fait l’objet de contrôles UTa mais les réparations ont tout de même été effectuées. En juillet 2023, EDF a fait le point sur les chantiers de réparations.
« Chantiers de remplacement préventif [et curatif...] :
• N4 (RIS BF et RRA BC) : chantiers soldés sur tous les réacteurs N4 (CIV1, CIV2, CHZB1, CHZB2)
• 1300 MW – P’4 (RIS BF):
• Chantiers soldés : PEN1, PEN2, CAT2, CAT3, GOL1, GOL2, NOG2
• Chantiers en cours : CAT1, BEL2
• Chantiers à venir : BEL1, NOG1, CAT4 » [Webinaire ANCCLI, 4/07/23].
Dispositions transitoires
Les contrôles des circuits identifiés (RIS et RRA) comme sensibles à la CSC vont s’étaler jusqu’en 2025 selon le planning d’EDF. Les réacteurs a priori moins sensibles à la corrosion seront contrôlés au fil des arrêts de tranches à venir. En effet, EDF n’est pas en capacité technique de contrôler tous ses réacteurs en même temps, et surtout, le pays est trop dépendant de l’atome pour stopper tous ses réacteurs. Fatalement, il est probable que dans les années qui viennent des fissures soient détectées sur les tranches laissées actuellement en fonctionnement comme on pourra en détecter par la suite sur les tranches réparées à l’identique. Afin de limiter le risque lié à la présence de fissures sur les circuits de sauvegarde, des dispositions transitoires ont été définies par EDF.
L’IRSN détaille dans son avis n° 2022-00138 les trois « mesures compensatoires » mises en application afin de « détecter de manière anticipée les fuites du circuit primaire qui seraient générées par une propagation éventuelle de défauts initié par la CSC » sur l’ensemble des tranches. Le GSIEN est avide de découvrir comment on fait pour détecter une fuite avant qu’elle ne se soit produite. Les ingénieurs d’EDF auraient-ils conçu un engin révolution-naire défiant les lois de la physique ?
Voyons ces fameuses mesures compensatoires :
1 - Le suivi renforcé du bilan de fuites primaires : le circuit primaire est le siège de fuites qui sont quantifiées quotidiennement par l’exploitant. La première disposition ne fait que rajouter « un seuil correspondant à une variation du débit de fuite » primaire par rapport au débit mesuré la veille. Le circuit primaire fuit quotidiennement (moyenne 36,8 l/h en 2013 – Source EDF), si le débit augmente à cause d’une « fuite sur une tuyauterie du circuit RIS ou RRA », la détection se fera par conséquent a posteriori.
2 - Surveillance réalisée par le système détection incendie : « En cas d’aggravation d’une fissure de CSC sur une tuyauterie du circuit RIS ou RRA conduisant à une fuite de fluide primaire, l’exposition d’un détecteur ou d’une sonde thermostatique du système de détection incendie (JDT) à la vapeur, consécutive à cette fuite de fluide primaire, pourrait générer une alarme en salle de commande ». Pas plus d’anticipation dans cette mesure que dans la précédente : une alarme avertira l’exploitant en salle de commande uniquement si un détecteur incendie se met en alarme à cause de la vapeur générée par une fuite.
3 - Disposition pour limiter et diminuer les risques d’occurrence d’injection de sécurité intempestive : les Règles générales d’exploitation imposent de réaliser « des essais périodiques (EP) de certains capteurs intervenant dans un signal » du système de protection du réacteur. « Une défaillance fortuite d’un (...) capteur conduirait à un ordre d’injection de sécurité intempestif » et « conduirait à un choc thermique ». En effet, l’injection de sécurité se fait par l’intermédiaire des pompes RIS qui puisent l’eau de refroidissement dans la bâche PTR contenant de l’eau froide (et borée) pour l’injecter dans le circuit primaire principal « dont la température est de l’ordre de 300°C ». La mesure prévoit donc de « privilégier la réalisation des essais de ces capteurs lorsque la température du circuit primaire est inférieure à 120°C, valeur en deçà de laquelle EDF considère comme faible la sollicitation mécanique d’une éventuelle fissure de CSC » [IRSN, 06/07/22].
Aucune détection de fuite anticipée dans cette disposition, juste une prescription afin de limiter le choc froid en cas d’injection RIS intempestive. Mais en cas de besoin, lors d’un accident par exemple, il faudra bien injecter à chaud. Le choc thermique viendra ajouter des contraintes supplémentaires aux tuyauteries du RIS potentiellement fragilisées par la corrosion sous contrainte.
Vous l’aurez compris, et nous en sommes forts dépités, aucune de ces mesures ne va permettre de détecter de manière anticipée les fuites du circuit primaire. Mais c’est ce qui a été insufflé aux élus de la nation. En effet, le président de l’ASN a indiqué aux parlementaires de l’OPECST que les études « tendraient à démontrer qu’EDF serait capable de maîtriser et replier le réacteur dans un état sûr », grâce à la « détection de fuites avant rupture » [Public Sénat, 17/05/22].
Lors du webinaire organisé par l’ANCCLI le 10 novembre 2022, l’IRSN évoquera plus prudemment « la détection précoce de fuites primaires » dans le cadre des mesures compensatoires mises en œuvre [ANCCLI-IRSN, 10/11/22].