Évolution et problèmes rencontrés sur les assemblages combustible
En 2001, Monsieur Berthet, l’ancien Chef du département combustible du Service études et projets thermiques et nucléaires (SEPTEN) d’EDF a été interviewé afin de « capitaliser l’expérience et le savoir-faire technique du spécialiste » sur le « Management des activités physique des cœurs et combustibles ». La lecture de cette note est très enrichissante.
Historique des produits combustibles
« La première génération d’assemblages, chargés pour la première fois en 1977, a été nommé AGI (Assemblage à grille inconel) pour être différenciée de l’AFA (Assemblage FRAMATOME Avancé ou Advanced fuel Assembly), lorsque ce dernier a été créé en 1984.
La version pour les tranches 900 MW a été appelée AFA, alors que pour les tranches 1300 MW, la version s’est d’abord appelée XL (eXtra Long) suivant la dénomination américaine. En effet, sa longueur est de 14 pieds, au lieu de 12 pieds pour les tranches 900 MW.
En 1992, a été créée une deuxième génération d’assemblages, dite AFA deuxième génération :
AFA 2G pour les 900 MW
AFA 2GL pour les 1300 MW.
L’essentiel de la modification réside dans le passage des grilles en Zircaloy », en remplacement de l’Inconel utilisé sur la première génération d’assemblage.
Rôle des grilles en Zircaloy : « les grilles ont deux fonctions :
Thermohydraulique : il s’agit d’améliorer le mélange, grâce à un meilleur écoulement de l’eau, qui doit être laminaire et non turbulent. Des ailettes sont installées sur les grilles.
Mécanique : la grille maintient les crayons et ne doit pas se déformer aux séismes.
Les grilles, initialement en Inconel, ont été passée en Zircaloy, pour des raisons neutroniques et de radioprotection ».
« L’AFA 2G a progressivement été chargé dans les réacteurs.
Au bout d’un certain temps, nous nous sommes aperçus que la chute des grappes de contrôle était parfois plus longue que prévue. Nous avons même constaté quelques blocages.
Un phénomène empêchait donc le glissement des grappes. Malgré une conception visant à minimiser les déformations, celles-ci sont inéluctables.
Elles n’étaient pas plus importantes qu’auparavant, mais au lieu de déformations en arc qui ne prêtent pas à conséquence, nous avons également observé des déformations en "s" et, surtout, nous avons observé des ovalisations locales en partie basse des assemblages ».
Les causes de ces déformations sont diverses. L’une d’elles pourrait être liée à la présence ou non de certaines impuretés comme le souffre : « il semblerait que la disparition de cette impureté a impacté les propriétés mécaniques des tubes-guides qui supportent l’assemblage.
Les déformations constatées sur les assemblages ont entraîné le développement d’une troisième génération de combustibles (AFA 3G) » [Berthet, 2001]. L’AFA 3G a progressivement été introduit dans les tous réacteurs au début des années 2000.
Le Zircaloy est également le matériau de gainage historique des combustibles utilisés dans les REP français hormis sur le prototype (Chooz A) où le combustible des premières gestions disposait d’un gainage en acier inoxydable. L’acier étant perméable au tritium, cela occasionnait des rejets de tritium faramineux compte-tenu de la faible puissance de ce réacteur (305 MWe). Un SMR avant l’heure... Chooz A est définitivement à l’arrêt depuis 1991 et son démantèlement n’est toujours pas achevé trente-deux années plus tard.
Monsieur Proglio a raison : le nucléaire est une industrie de cycle très long... Sans évoquer les déchets radioactifs à vie longue qui subsisteront bien après que notre civilisation se soit consumée, le démantèlement de Chooz A illustre parfaitement la longueur du cycle et l’optimisme des séides du nucléaire dans la tenue des calendriers de grands chantiers (Cf. page 28).
Historique des alliages de zirconium
Extraits d’une Note d’étude d’EDF : « Constitués très majoritairement de zirconium (~98%), les alliages de zirconium sont utilisés dans l’industrie nucléaire à cause de leur faible section de capture (0,18barn) et de leur transparence aux neutrons thermiques. Ces propriétés sont complétées par des caractéristiques mécaniques satisfaisantes jusqu’à 400°C (dans la gamme d’utilisation), et une bonne résistance à la corrosion généralisée dans l’eau et dans la vapeur d’eau sous pression. Le premier alliage de zirconium étain fut mis au point par les Américains dans les années 50 pour la construction d’un sous-marin à propulsion nucléaire. Mais sa tenue à la corrosion s’avéra moins bonne que prévue en fonctionnement. On découvre alors par hasard lors de la pollution d’un lingot Zr-Sn par de l’acier inoxydable 18-8 l’influence majeure des éléments d’addition (Fe, Cr, Ni) dans ce métal sur sa tenue à la corrosion et ses caractéristiques mécaniques. Le zircaloy 2 (Zy-2) est né. C’est un alliage du type Zr - 1,5%Sn – 0,10%Cr - 0,15%Fe – 0,05%Ni, encore utilisé sous une forme optimisée dans les REB (réacteurs à eau bouillante). La découverte de l’affinité du nickel pour l’hydrogène, conduisant à une hydruration défavorable pour la tenue de l’alliage dans les réacteurs REP, est la raison de l’évolution vers le zircaloy 4 (Zy-4) : sa composition chimique est identique au Zy-2 sans Ni considérée comme une impureté limitée à 50ppm, avec une augmentation de la teneur en Fe, pour ne pas dégrader la tenue à la corrosion. L’alliage actuellement [en 2009] utilisé dans la plupart des centrales REP EDF est le zircaloy 4 "optimisé" ou "bas étain" : La diminution de la teneur moyenne en étain à 1,3% (contre 1,5% à l’origine) permet d’améliorer d’une façon significative la tenue de l’alliage à la corrosion généralisée, surtout pour de forts taux de combustion (52 GWj/tU), sans modification sensible de ses caractéristiques mécaniques » [EDF, 2009].
Retour avec le spécialiste du SEPTEN sur les problèmes de corrosion : « Compte-tenu des conditions de fonction-nement, les gaines en Zircaloy sont sujettes à la corrosion. En effet, elles sont minces, 6/10 de mm d’épaisseur, et la puissance qui passe à travers l’assemblage est très importante (...). La puissance moyenne est de 180 W/cm. Les gaines sont donc portées à une température de 330°C extérieurs.
Cette corrosion ne créait pas de difficulté lorsque nous restions à un taux de combustion de 33 000 MW jour/tonne. Mais nous savions que des difficultés surgiraient au-delà, en particulier pour la constitution du dossier 52 000 MW jour/tonne.
La parade la plus simple a constitué à modifier légèrement les spécifications du produit, de manière à l’optimiser vis-à-vis des corrosions. Cela a abouti aux gaines "bas étain" qui étaient acceptables pour les objectifs de l’époque.
L’alliage de Zircaloy 4 est composé de 98% de zirconium. Les autres éléments sont le fer et le chrome qui joue un rôle très important pour la corrosion du matériau, et surtout l’étain qui favorise la fabricabilité du matériel. L’étain est toutefois l’ennemi principal pour le comportement à la corrosion » [Berthet, 2001].
Voici la recette plus complète du Zircaloy 4 d’après les données de Framatome : une touche d’étain (1,32% massique), un chouia de fer (0,22%), de chrome (0,12%) et d’oxygène (0,12%) sans oublier quelques impuretés de carbone (0,0146%) et de silicium (0,0099%). La présence de fer et de chrome dans l’alliage est réputée améliorer « la résistance à la corrosion » [Thèse J. Moryousef, 2021].
Nom de code, M5TM
En 1988, un nouvel alliage de zirconium a fait son apparition : le M5TM, développé par AREVA-NP. La recette a évolué : exit l’étain et le chrome et introduction de niobium (1%), toujours un peu d’oxygène, le fer étant réduit à la portion congrue (0,035%). Pour le CEA en 2012, c’était la panacée du gainage ou « le matériau le plus optimisé du point de vue de sa composition chimique et de son procédé de fabrication vis-à-vis des propriétés en service, en particulier la tenue à la corrosion » [Rapport CEA-R-6311, 2012].
Mais la nouvelle recette n’a pas tenu ses promesses à cause de soucis de fabrication. Sensé permettre une augmentation des taux de combustion et un allongement des campagnes, le M5TM a en fait réussi à augmenter le taux de ruptures de gaine et à réduire certaines campagnes de production comme à Nogent en 2002. Récit avec l’ASN : « Le premier cycle d'irradiation avec un cœur entièrement constitué d'assemblages utilisant l'alliage M5 comme matériau de gainage a commencé en début d'année dans le réacteur Nogent 2. L'alliage M5 présente notamment une meilleure tenue à la corrosion que les matériaux utilisés jusqu'à présent, dans la perspective d'une augmentation du taux de combustion des gestions de combustible à venir.
Au vu d'une importante montée d'activité dans le fluide primaire au cours du second semestre 2002, révélatrice de ruptures de gaines, EDF a été amené à anticiper l'arrêt du réacteur initialement prévu pour avril 2003. Pendant cet arrêt qui s'est achevé en janvier 2003, l'ASN a demandé à EDF de procéder à des examens approfondis des crayons non étanches. Ces examens ont révélé 39 ruptures de gaines réparties sur 23 assemblages. Parmi les 23 assemblages affectés, 22 étaient au stade de leur troisième cycle d'irradiation et 1 au stade de son premier cycle. Les ruptures de gaines des assemblages de troisième cycle ont été attribuées à l'usure vibratoire en pied d'assemblage, alors que les deux ruptures de gaines apparues sur l'assemblage de premier cycle l'ont été à un défaut de fabrication et à l'action d'un corps migrant.
Compte tenu de ces difficultés et d'un défaut constaté au cycle précédent et attribué à un problème de fabrication, l'ASN a demandé à EDF, par courrier DGSNR/SD2 n°108/2003 du 8 février 2003, d'approfondir certaines questions sur le matériau de gainage M5, et a indiqué qu'une extension de son utilisation ne lui paraissait dans l'intervalle pas opportune » [ASN, 5/03/2003].
Global Chance a fait le point des autres problèmes rencontrés avec le M5TM : « Le bilan dressé en 2004 fait apparaître un taux de défaillance des crayons en alliage M5 quatre à cinq fois supérieur à celui des crayons en Zircaloy-4 [IRSN 2010].
En 2006, des pertes d’étanchéité continuant à se produire, l’ASN a estimé qu’il était nécessaire d’adopter une démarche prudente quant à l’introduction d’assemblages de combustible à gainage en alliage M5 [IRSN 2010].
En juillet 2010, l’IRSN note que du combustible à gainage en alliage M5 est encore présent dans 24 réacteurs : 17 réacteurs de 900 MW, trois réacteurs de 1300 MW et les quatre réacteurs de 1450 MW [IRSN 2010].
Au cours de cette période 2003-2009, ce sont 119 assemblages inétanches qui ont été détectés parmi les 2.800 assemblages (4,25%) déchargés des tranches du parc EDF [IRSN 2011].
EDF décide en 2006 de ne plus charger que des assemblages Westinghouse (en Zircaloy-4), munis d’une grille complémentaire en pied d’assemblage [IRSN 2011], afin de limiter les vibrations et les usures qu’elles entraînent » [J.C. Zerbib, 2021]. Du combustible américain pour "l’indépendance" énergétique française !
Pendant la décennie suivante, les problèmes de fabrication qui avaient engendré toutes ces inétanchéités du gainage, ou ruptures de gaine, semblaient avoir été résolus. Le « retour d’expérience du comportement du combustible » a fait l’objet d’une réunion du Groupe permanent d’experts pour les réacteurs nucléaires (GPR) de l’ASN le 7 juillet 2022. Extraits : « Sur la période 2010-2019, les principales évolutions en matière de conception et de fabrication de combustible ont concerné, pour les assemblages de combustible conçus par Framatome » à « la généralisation du gainage M5, moins sensible à la corrosion et l’abandon progressif du gainage Zy-4 ». Mais en même temps, l’ASN a constaté un « nombre important d’évènement anormaux résultant de phénomènes parfois nouveaux et inattendus, l’ASN estime qu’il convient qu’EDF reste vigilante vis-à-vis du comportement du combustible en réacteur, comme l’illustre des évènements récents :
- l’endommagement de la grille inférieure de maintien des assemblages de combustible de conception Westinghouse dans plusieurs réacteurs ;
- la corrosion accélérée du matériau M5 de gainage des crayons de combustible ;
- les dépôts de corrosion de type « CRUD » [Cf. paragraphe suivant] sur les gaines de crayons de combustible de réacteurs ayant procédé au remplacement d’un générateur de vapeur » [ASN, 19/12/22].
D’après l’IRSN, « les analyses réalisées par EDF, tout d’abord sur le réacteur n° 2 du CNPE de Chooz B, puis sur le réacteur n° 3 du CNPE de Cattenom, ont permis d’attribuer ce phénomène » de corrosion accélérée d’un gainage moins sensible à la corrosion « à une origine intrinsèque liée à la fabrication des gaines de combustible en alliage M5 incriminées (leur faible teneur en fer) et à l’occurrence d’un régime d’ébullition nucléée favo-risant l’apparition d’un milieu oxydant en partie haute des assemblages. Les conditions de fonctionnement des réacteurs du palier N4 [1500 MWe] sont à cet égard plus propices à la formation d’ébullition nucléée que celles des réacteurs du palier 1300 MWe » [IRSN, 16/12/22]. Le régime d’ébullition nucléée est développé page 17.
Les réacteurs, c’est comme les mômes : petits réacteurs, petits problèmes ; grands réacteurs, grands problèmes. Et les très grands réacteurs ?
CRUD et corrosion
M. Ferrer (CEA Cadarache) fait le point sur les « Dépôt de produits de corrosion sur les crayons combustibles des REP en régime d’ébullition nucléée : les composants du circuit primaire des réacteurs à eau pressurisée (REP) sont soumis à une corrosion généralisée du fait des conditions physico-chimiques du fluide primaire. Elle entraine un relâchement d’espèces métalliques sous forme ionique et particulaire dans le fluide primaire (principalement Ni, Fe, Cr). Les particules vont se déposer et les ions précipiter sur l’ensemble des surfaces du circuit primaire du fait de la convection du fluide. En particulier, un dépôt appelé « crud » va se former sur les crayons combustible et ainsi s’activer sous l’effet du flux neutronique ambiant. (...)
En fonctionnement normal l’activité volumique des produits de corrosion dans le fluide est de l’ordre de 10 MBq.t-1 (principalement 58Co, 60Co, 51Cr), avec une augmentation visible en fin de certains cycles de fonctionnement. Cette montée d’activité serait due à un phénomène d’ébullition nucléée localisé sur les parties chaudes de certains assemblages de combustible. En effet, l’ébullition est connue pour accélérer la croissance des dépôts particulaires et ioniques sur les surfaces chauffantes. L’épaisseur de dépôt augmentant, le flux d’érosion devient plus important impliquant donc une concentration en particules activées plus importante dans le fluide » [Ferrer, 22/03/13]. On peut rappeler que le phénomène d’ébullition au contact des gaines du combustible favorise l’oxydation du zirconium ce qui fragilise un peu plus le gainage.
Avis de M. Berthet sur le phénomène de corrosion-desquamation : « l’oxydation crée une barrière thermique qui augmente la température de la partie interne restée saine. Un effet d’entraînement se crée alors car la température accroît la tendance à l’oxydation.
Par la suite, si une partie de la zone oxydée se détache [desquamation], une zone froide se crée brutalement à l’emplacement correspondant, favorisant une réaction chimique qui produit de l’hydrogène vers l’intérieur de la gaine. Cet hydrogène diffuse ensuite vers les zones froides où il se concentre.
Les hydrures, connus pour fragiliser le matériau, sont donc plus abondants dans les zones de desquamation.
(...)
La desquamation des gaines entraîne la libération dans le circuit primaire de divers produits de corrosion qui vont s’irradier [s’activer] en passant dans le cœur.
Ce phénomène est très ennuyeux pour la radioprotection car ces produits vont se concentrer en quelques points du circuit et vont participer de façon importante au bilan des doses reçues par le personnel lors des opérations de maintenance.
Le circuit lui-même génère des produits de corrosion, essentiellement du nickel-chrome issu des tuyauteries. Ces produits s’enrichissent plus ou moins en bore, présent sous forme d’acide borique dans l’eau du circuit primaire. Le bore est utilisé pour contrôler la réactivité grâce à son pouvoir d’absorption des neutrons.
Les produits de corrosion peuvent alors, entre autres, se redéposer sur les piégeages présents sur le combustible.
Dans ce cas, le bore empoisonne localement certaines parties du combustible, ce qui induit plus de puissance sur les autres côtés. Ce phénomène perturbe la forme axiale du flux [de neutron] » [Berthet, 2001].
Notes
Berthet, 2001 - Management des activité Physique des Cœurs et Combustibles - Recueil d’expérience de M. Berthet - EDF SEPTEN, 20/12/2001
EDF, 2009 - Synthèse des résultats d’examens de texture des différents composants en alliage de zirconium destinés aux assemblages de combustible AREVA et WESTING-HOUSE livrés à EDF - EDF SEPTEN, 28/07/2009