1000+ scientifiques contre un nouveau programme nucléaire
EDITORIAL
C’est officiel, la France a prévu de se lancer à corps perdu dans une nouvelle aventure atomique avec la construction de réacteurs à eau sous pression (REP) de type EPR 2, un modèle dérivé de l’EPR de Flamanville qui a pourtant montré les limites d’EDF dans sa capacité à construire d’aussi monumentales installations tant en termes de délais, de coût et de qualités de conception et de réalisation.
Dès le 9 novembre 2021, le Président de la République annonce la couleur : « Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays »1. En février de l’année suivante, le Patron annonce que six EPR seront construits dans un premier temps et que huit autres sont en option.
Le lancement d’un nouveau program-me inquiétait fortement Jean-Claude, notre regretté Président du GSIEN. Il a alors activé la relance de l’Appel des 400 publié par Le Monde le 11 février 1975 (Cf. encart) en opposition au Plan Messmer de l’époque. Et c’est en juin 2023 que ce nouvel appel voit le jour : « A l'initiative de membres du GSIEN et de Global Chance, de médecins, d'enseignantes et d'enseignants, d'in-génieures et d'ingénieurs, d'uni-versitaires et de chercheurs, est lancé cet appel à refuser tout nouveau programme nucléaire, imposé et qui engagerait l'avenir de notre pays sur le très long terme » (Cf. page 3).
Trois sites ont déjà été choisis pour accueillir une paire d’EPR 2 : Penly, Gravelines et Bugey. La seule construction de ces réacteurs va coûter un bras (Cf. page 7). Sans compter les investissements colla-téraux à réaliser pour retraiter les combustibles irradiés de ces nouveaux réacteurs si la France poursuit la voie du retraitement. Mises en service en 1986, les usines de La Hague sont à bout de souffle. Il va falloir les démanteler et en construire une nouvelle (1 ou 2 bras), si on y arrive. L’installation de Rokkasho-Mura au Japon, usine "sœur" de La Hague dont la construction a débuté en 1993, a vu sa date de mise en service repoussée 26 fois... Son démarrage serait envisagé pour 2024, après un investissement de 90 milliards d’euros2.
Un autre bras sera nécessaire pour mener à bien la rénovation des vétustes réacteurs actuels afin de prolonger leur durée de fonction-nement dans l’attente de la mise en service des EPR 2. Et encore un autre bras pour démanteler toutes les installations déjà arrêtées défini-tivement, en exploitation, en construction et en projet.
La gestion des déchets radioactifs à vie longue va sérieusement corser l’addition. Ces déchets, les « plus emmerdants » comme dirait Raymond, sont toujours entreposés sur les sites de production. Il est envisagé d’aller les cacher dans les entrailles de la terre, au Centre industriel de stockage géologique (CIGEO). La demande d'autorisation de création vient d’être déposée et elle va être instruite par l’ASN avec l’appui de l’IRSN (si cette dernière survit aux assauts du gouvernement). S’il aboutit, ce stockage pharaonique devrait nous coûter un énième bras. Mais c’est sans compter le stockage des déchets de nouveaux réacteurs. Le projet CIGEO est en effet dimen-sionné pour le parc actuel avec Flamanville 3. Il va donc être néces-saire de redéfinir la taille du stockage.
A moins de faire appel à une Divinité dotée de multiples bras, on ne voit pas comment la nation endettée (121% du PIB soit plus de 3000 Md€) pourrait supporter un tel fardeau.
Source, Pinterest
Pour tous ces chantiers nucléaires, l’estimation des coût initiaux est grossièrement sous-estimée afin de ne pas effaroucher les élus qui prennent les décisions. Mais qui décide dans un pays où le nucléaire a été érigé en dogme sans possible remise en cause ? A priori, c’est le Patron dont on pourrait penser que la bande dessinée de Monsieur Jancovici, « Le monde sans fin », est devenue le livre de chevet. Nous publions dans ce numéro un critique salutaire de cette BD réalisée par un ancien ingénieur d’EDF...
Bien
évidemment, la relance du nucléaire a été décidée dans le
cénacle restreint du pouvoir, loin
du cadre démocratique. Les apôtres
de l’atome
conseillers en énergie du Président ne lisent manifestement pas la
Gazette nucléaire. Si c’était le cas, la décision de construire
de nouveaux réacteurs sur le modèle du désastre technico-financier
de Flamanville 3 n’aurait pas été prise.
En 2020, « le gouvernement avait cependant renvoyé sa décision sur la construction de nouveaux réacteurs après la mise en service de l’EPR de Flamanville 3 »3. Ce qui semblait logique car le retour d’expérience de la construction de ce réacteur révèle ce qu’il ne faut surtout pas faire : se précipiter dans la construction et tenter coûte-que-coûte de respecter des délais chimériques. Le chan-tier de Flamanville 3 a été lancé avant la finalisation de tous les plans de réalisation et de toutes les études de sûreté. Cette course au planning a, entre autres exemples, permis la mise en place d’une cuve de réacteur de qualité douteuse ; constat de Monsieur Proglio, l’ancien patron d’EDF : « on ne sait plus faire des cuves »4. Une cuve qui a tout de même été installée à Flamanville.
A n’en pas douter, l’empressement actuel dans le lancement d’un nouveau programme de réacteurs atomiques va conduire à de semblables dérives.
Il est à noter que le choix de l’orientation énergétique du pays s’est fait avant l’examen de la loi de programmation sur l'énergie et le climat : « Curieuse façon de concevoir la fabrique de la loi que de vous assurer, avant même que la stratégie générale de politique énergétique soit établie, que rien ne viendra perturber votre dessein »5.
Un vernis démocratique a tout de même été apposé : la Commission nationale du débat public (CNDP) a organisé un débat public sur le programme de construction de six réacteurs EPR 2. Synthèse avec Médiapart : « Ce que nous apprend le grand débat inutile sur le nucléaire - Les conclusions d’un vaste débat national sur la relance d’un programme nucléaire ont été dévoilées mercredi 26 avril. La portée est toute relative car le gouvernement a déjà tranché »6. Certes, mais la portée symbolique des conclusions de l’ersatz de débat se trouve dans la date choisie de sa publication : pile-poil le jour de l’anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl. On ne sait pas si cette date a été fixée à dessein par les technocrates qui conseillent (si mal) le Patron. Mais d’aucun pourrait y trouver un mauvais présage...
Source, Reporterre
Si les élus ont majoritairement voté la loi de relance du nucléaire, par contre, la fusion controversée de l’IRSN et de l’ASN, a été démocratiquement retoquée par le Sénat et l’Assemblée nationale pourtant majoritairement pronucléaire. Elle ressurgit pourtant par l’intermédiaire d’un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Le risque du grand chamboule-tout imposé par le Président à nos organismes de sûreté et de radioprotection est de museler l’ASN, en même temps que l’IRSN. Le GSIEN, Global Chance et d’autres associations ont diffusé une tribune le 22 septembre 2023 : « Pour un IRSN indépendant » (Cf. page 4).
Laissons la conclusion à Monique avec ce court extrait de la Gazette de juillet 2003, toujours d’actualité : « Notre position n'a pas changé : nous avons un rôle d'aiguillon, nous essayons de suivre les dossiers mais nous n'avons pas les moyens de faire des études complètes. Nous récla-mons l'accès aux dossiers de l'IRSN car si on les muselle, adieu la sûreté »7.
Une nouvelle page s’est tournée. Après avoir pris la présidence par intérim suite au décès de Jean-Claude, je laisse les clés du camion à Marc Denis nouvellement élu à la suite de l’assemblée générale du 30 septembre dernier.
Bonne lecture
Monique et Michel
Notes :
4 - Henri Proglio - 24 juillet 2023