Brève histoire des SMR en France
Douze SMR français sont aujourd’hui en exploitation. Ce sont les Installations nucléaires de base secrètes (INB-S) de la propulsion navale militaire.
Cinq sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) et le porte-avions Charles de Gaulle (2 réacteurs) sont basés dans la rade de Toulon. Quatre sous-marins nucléaires lanceur d'engins (SNLE) sont rattachés à la base sous-marine de l’île Longue dans la rade de Brest. Le douzième est un réacteur expérimental implanté à Cadarache : le Réacteur d’essai à terre (RES). Il « est représentatif des chaufferies nucléaires compactes qui propulsent les sous-marins français et le porte-avions Charles de Gaulle. Il permet de reproduire le fonctionnement des chaufferies embarquées, en éprouvant les matériels dans des conditions d'endurance encore plus contraignantes. (...) Le RES contribue également au maintien des compétences des équipes en charge de la propulsion nucléaire » [CEA, 31/10/18].
A l’origine était la bombe
« En 1942, le projet Manhattan devait créer une réaction en chaîne, une étape cruciale pour prouver qu'il serait possible de fabriquer une bombe atomique. Les scientifiques sont parvenus à cette réaction nucléaire entretenue, la première créée par l'homme, le 2 décembre 1942, dans un court de squash situé sous les gradins du Stagg Field de l'université de Chicago.
Surnommé "Chicago Pile-1", le premier réacteur nucléaire au monde a donné le coup d'envoi de l'ère atomique et a laissé un héritage complexe, notamment l'essor de l'énergie et des armes nucléaires ».
Bref historique du CEA trouvé dans le magazine Les défis du CEA de novembre 2018 :
« À l’origine était la propulsion nucléaire
La fission de l’uranium comme source d’énergie pour les sous-marins est en fait à la source des conceptions de la filière nucléaire électrogène, née en 1942 aux États-Unis [voir encadré ci-contre]. À partir de l’expérience acquise pour la propulsion navale a été imaginé le tout premier réacteur à eau pressurisée (REP), type de réacteur qu’utilise aujourd’hui EDF dans ses centrales. Le premier sous-marin à propulsion nucléaire, l’USS Nautilus, est mis en service en 1954. La France, quant à elle, décide dès 1953 de se doter d’un sous-marin nucléaire. Mais à l’époque, seuls les États-Unis disposent d’uranium enrichi. Ils vont accepter d’en fournir à la France à une seule condition : cet uranium ne pourra servir qu’à la conception de réacteurs à terre. Le CEA construit à Cadarache le PAT (pour Prototype à terre), un réacteur à eau pressurisée installé dans un tronçon de coque de sous-marin qui diverge pour la première fois en août 1964. En parallèle, l’usine d’enrichissement de Pierrelatte est achevée et produit de l’uranium enrichi quelques mois plus tard. La France peut donc concevoir son propre sous-marin nucléaire en toute indépendance. Le Redoutable, premier SNLE, prend la mer le 29 mars 1967. Suivront cinq autres SNLE (aujourd’hui à la retraite), les six SNA de type Rubis, la nouvelle génération de SNLE du type Le Triomphant (SNLE-NG), actuellement en service [en 2018] et, enfin, le porte-avions Charles de Gaulle.
(...)
Dans les SNLE de première génération, la chaufferie était dite « à boucle » : un circuit primaire conduisait l’eau chaude sous pression jusqu’à deux circuits secondaires qui comprenaient chacun un générateur de vapeur. C’est l’eau contenue dans ces derniers qui était transformée en vapeur et acheminée vers la turbine. Cette technologie, toujours utilisée par d’autres pays, n’a pas duré en France. Dans les années 1970, les ingénieurs de la jeune filiale du CEA, Technicatome (aujourd’hui TechnicAtome), mettent au point un nouveau concept de chaufferie nucléaire pour le moins astucieux : la chaufferie compacte. Le générateur de vapeur n’est plus déporté et relié à la cuve par une « boucle » mais tout simplement posé dessus, à la place du couvercle. Les gains en taille, en sûreté et en discrétion (moins de tuyaux, donc moins de bruit) sont considérables !
Cette chaufferie révolutionnaire, baptisée K48, va alors équiper tous les SNA, dont le premier du genre – Le Rubis – entre en service en 1983. « Grâce à cette technologie unique, la France dispose des plus petits sous-marins nucléaires au monde », signale Richard Lenain. Le concept sera ensuite amélioré pour donner les chaufferies K15, qui équipent actuellement les 4 SNLE et le Charles de Gaulle » [CEA, 2018].
K15
Selon la Marine nationale, les SNA de la classe Rubis sont progressivement remplacés par des sous-marins de nouvelle génération de la classe Suffren (ou Barracuda). Début 2024, trois anciens SNA de type Ruby et un de la classe Suffren sont en service actif. Ce dernier SNA mis en service est équipé d’un « réacteur à eau pressurisée Type K15 de 150 MWth »
D’après la Direction générale de l’armement du Ministère des armées, un second SNA (classe Suffren) a divergé en 2022 et, à l’été 2023, il a été « livré à la Marine nationale à Brest à l’issue d’une campagne d’essais de plusieurs mois » en mer [DGA, 10/08/23]. Il « doit encore effectuer un déploiement dit de longue durée pour permettre de tester ses capacités militaires avant son admission au service actif » prévue en 2024 [Capital, 10/08/23].
Dans un dossier de presse, le CEA donne quelques détails sur la réalisation de la chaufferie nucléaire, le SMR de type K15.
« Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
Est en charge de la maîtrise d’ouvrage des programmes de propulsion nucléaire. Au sein du CEA, la direction des Applications militaires pilote ces programmes et s’appuie sur TechnicAtome et Naval Group pour la maîtrise d’œuvre.
TechnicAtome
Est en charge de la conception et de la réalisation des chaufferies nucléaires de propulsion, de leur système de soutien (outillages, formation) ainsi que de leur combustible (cœurs nucléaires).
Naval Group
Est en charge de la fabrication des capacités principales (cuve, générateur de vapeur, habillages internes de cuve) et de leur montage.
La construction modulaire permet de découpler le montage en atelier du chantier final d’intégration, en travaillant en parallèle sur plusieurs modules et en optimisant les temps de montage.
(...)
Une construction modulaire
La construction modulaire offre une meilleure maîtrise de la complexité et des facilités de construction, au plus près des compétences spécifiques nécessaires. Les différents sites spécialisés de Naval Group produisent des modules qui sont ensuite acheminés et assemblés à Cherbourg.
Chaque Barracuda est ainsi composé de 6 modules :
• appareil moteur (Nantes-Indret) ;
• manutention d'armes (Angoulême-Ruelle) ;
• module chaufferie complet (Nantes-Indret) ;
• berceau découplé Poste Central Navigation Opérations (Cherbourg) ;
• berceau auxiliaires (Cherbourg) ;
• berceau verticale électrique (Cherbourg).
(...)
Le site de Nantes-Indret a réalisé 18 chaufferies nucléaires embarquées dont 12 en service actif (6 sur sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, 4 sur SNA type Rubis et 2 à bord du porte-avions Charles de Gaulle) et 3 déjà réalisées pour Barracuda.
Tous les composants principaux de la chaufferie modulaire, une innovation Barracuda, sont intégrés dans un module représentant 9 capacités principales, dont la cuve, et 35 capacités auxiliaires à fabriquer. Au total, la chaufferie représente : 2 100 composants, 7 000 soudures à réaliser, 18 mois de montage, 350 tonnes » [CEA, 12/07/19].
K22
D’ores et déjà, la Marine nationale prévoit de se doter d’un nouveau porte-avions « appelé à remplacer le Charles de Gaulle à l’horizon 2038 : le porte-avions français de nouvelle génération (PA-NG) sera le plus grand bâtiment de guerre de l’histoire navale européenne et l’un des plus imposants au monde » [Mer et Marine, 3/05/21]. Ça en jette un max mais plus gros bateau se traduit par plus gros moteur.
Explications avec le blog Zone militaire : « Actuellement, la propulsion du porte-avions Charles de Gaulle (...) repose sur le réacteur nucléaire K-15, d’une puissance d’environ 150 mégawatts thermiques.(...)
Seulement, si deux réacteurs K-15 sont suffisants pour permettre au porte-avions Charles de Gaulle de naviguer à la vitesse de 27 nœuds, ce ne sera pas le cas pour son successeur, qui affichera un déplacement de l’ordre de 75 000 tonnes [contre 42 000 pour le CdG]. En outre, ce dernier aura des besoins en énergie beaucoup plus importants, notamment pour faire fonctionner les catapultes électromagnétiques [EMAL] dont il sera équipé. D’où la nécessité de mettre au point un nouveau type de chaufferie nucléaire, à savoir la K-22, laquelle aura une puissance de 220 à 230 mégawatts.
Évoquant ce sujet lors d’une audition parlementaire, en 2019, François Geleznikoff, alors directeur des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA), avait assuré que les chaufferies K-22 « restent dans un domaine pas trop éloigné des K-15 » et leur « conception peut [être] maîtrisée avec les moyens de simulation actuels et la technologie disponible ». Et d’insister : « Il n’y a donc pas de saut dans l’inconnu. Ce projet est ainsi l’occasion de concevoir une nouvelle chaufferie compacte tout en tenant les délais ».
(...)
Quoi qu’il en soit, la mise au point de la chaufferie K-22 va s’avérer « complexe », au point de « mobiliser autour de 300 personnels », rappelle M. Lejeune [député, rapporteur pour avis sur les crédits alloués à la dissuasion dans le projet de loi de finances 2022]. Et elle « soulève des enjeux technologiques et industriels importants : cœur plus gros, doublement du nombre de mécanis-mes, impact sur la mécanique des fluides », a-t-il fait observer, sans donner plus de précisions.
Comme l’a déjà précisé Loïc Rocard, le PDG de TechnicAtome, le K-22 sera le « plus gros réacteur compact » qui sera réalisé par son groupe. « Le défi technique est similaire à celui posé dans les années 1980 lorsqu’on a changé de classe de sous-marins, en passant de la classe des Rubis à celle des Triomphant, équipés de la chaufferie K15 », avait-il expliqué dans un entretien donné au quotidien Les Échos. Et le tout dans des contraintes de temps : l’avant-projet doit être terminé d’ici 2023/24 afin de pouvoir lancer la réalisation à partir de 2026, le lancement du PA-NG étant prévu, au mieux, pour 2036 » [opex360.com, 31/10/21].
Les délais de réalisation d’une telle embarcation sont très longs et notamment pour développer un nouveau réacteur.
Dans la fiche à propos des « chaufferies nucléaires du porte-avions », TechnicAtome date le début de la « Phase d’Avant-Projet Très Sommaire » à « Octobre 2018 » tout en estimant le « calendrier prévisionnel de livraison » à « 2038 » [TechnicAtome, 2021].
Sans attendre la commande officielle prévue vers 2025, dès le mois de juin 2021, « Framatome démarre les fabrications pour les chaufferies du porte-avions français de nouvelle génération (PA-NG) sur son site du Creusot avec une première pièce forgée de démonstration de plusieurs dizaines de tonnes » [Framatome, 10/06/21].
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