SMR 2 : Jimmy
Selon la publication du 27/11/2023 du Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), « La société JIMMY ENERGY SAS (JIMMY), fondée le 26 novembre 2021, ambitionne de développer, commercialiser et exploiter un microréacteur innovant à spectre thermique de 4ème génération à haute température d’environ 15 MW thermique, pour la production de chaleur industrielle décarbonée à 600°C » [info.gouv.fr].
Il s’agirait d’un microréacteur à neutron thermique (HTR) refroidi à l’hélium et modéré au graphite de « 10 à 20 MWth ». Un combustible spécifique serait utilisé, de type TRISO (Cf. encadrés) avec un enrichissement de « 19,5% ». Le taux de combustion atteindrait « 110 GWj/t », un taux bien plus élevé que celui des REP traditionnels (environ 45 GWj/t) [AIEA, 2022]. Ces taux importants d’enrichissement et de combustion permettraient un fonctionnement à 10 MW pendant 20 ans ou 10 ans à 20 MW. Rappelons que la France ne dispose pas de capacité industrielle de production d’un tel combustible.
C’est quoi le combustible TRISO ? Définition avec le CEA : « le combustible se présente sous forme de particules sphériques de quelques centaines de microns de diamètre, constituées de noyaux d’oxyde d’uranium (UO2) mais éventuellement de carbure (UC) ou d’oxycarbure (UCO) d’enrichissement inférieur à 20 %, voire contenant également du plutonium (UPuO2 ou 100 % PuO2 ) revêtus de couches de céramiques denses en pyrocarbone (PyC) et en carbure de silicium (SiC). (...) Ces particules sont ensuite mélangées à de la poudre de graphite » [CEA, 2008].
Pour situer « les nouveaux enjeux » des « réacteurs innovants », l’ASN prend « Exemple du cas Jimmy ». « 1 projet de réacteurs, 3 projets d’installations nucléaires de base :
un réacteur,
un atelier de montage,
une usine de fabrication du combustible » [HCTISN/ASN, 28/03/24].
Déchets et rejets
Comment serait géré le combustible irradié ? Quelques infos avec l’AIEA : « Les calculs et la modélisation montrent que le combustible usé d'un réacteur Jimmy se refroidit passivement et ne nécessite pas de stockage temporaire sur site dans une piscine de combustible usé.
Afin de simplifier la conception et l'exploitation, et de maximiser la sécurité, il n'y aura pas de rechargement en combustible. Après une durée de vie de 10 à 20 ans (en fonction de la puissance nominale choisie par le client), la cuve entière est extraite du générateur et remplacée ». La cuve contiendrait alors des produits de fission (de l’ordre de 70 kg) et des transuraniens mais aussi des produits d’activation du graphite du combustible TRISO et de l’acier de la cuve. Sans manutention de combustible sur site, la cuve et tous les déchets la remplissant ferait un bien encombrant colis, de l’ordre de 98 m3 de volume (« 5 m de hauteur » pour « 5 m de diamètre »). Que faire d’un tel "colis" radioactif ? « Jimmy a une stratégie à long terme pour favoriser le recyclage du combustible entre ses systèmes » [AIEA, 2022].
La stratégie marketing consistant en l’annonce d’un recyclage de combustible TRISO est une chose, développer une usine spécifique de traitement d’une multitude de microparticules de combustible noyées dans une matrice en graphite en est une autre. D’autant que la proportion de combustible est faible en regard du graphite activé comme l’a remarqué le CEA à propos du TRISO : « le ratio massique matériaux de structure/UO2 est proche de 24, soit environ 80 fois supérieur à celui du combustible EPR, par exemple » [CEA, 2008]. Mais que faire de ce graphite activé avec des radioéléments à vie longue ? Aucun exutoire n’existe en France pour les déchets de graphite des réacteurs de 1er génération (UNGG). C’est l’argument employé par EDF pour justifier le renvoi du démantèlement de ces réacteurs aux calendes grecques. Et comme vu plus haut, l’ASN évoque le développement d’une solution de stockage définitif.
Alors à court terme, au bout de 10 ou 20 ans, des solutions d’entreposage temporaire seraient nécessaires pour la gestion du combustible usé comme l’a indiqué l’ASN. Entreposerait-on la cuve-déchets sur place, en créant une nouvelle INB dans l’environnement industriel ? Pour l’AIEA, la gestion des déchets radioactifs de Jimmy serait très simple : « En fin de vie, le réacteur produit des déchets qui peuvent être collectés et éliminés (« disposed ») conformément à la réglementation en vigueur, en s'appuyant sur les infrastructures françaises de gestion des déchets existantes avec un minimum d'adaptations ». Cependant, les infrastructures existantes en France ne permettent pas le stockage des combustibles irradiés pas plus que des déchets de graphite activé. Même si des infrastructures étaient construites, il faudrait charger la cuve-déchets dans un convoi exceptionnel qui sillonnerait le territoire jusqu’à un éventuel site de stockage . Il va falloir imaginer un minimum d'adaptations pour faire circuler un convoi radioactif de 5 m de largeur (sans les protections biologiques !) ; et produire un solide dossier de sûreté ce qui pourrait prendre un certain temps. L’entreposage sur site deviendrait inévitable.
Toujours l’AIEA : « De par sa conception, le réacteur Jimmy ne produit aucun déchet en fonctionnement normal. La seule source possible de déchets serait les fuites de la boucle d'hélium, qui est filtrée et stockée » [AIEA, 2022].
Comme nous le verrons avec des réacteurs chinois de la même technologie (Cf. page 20 à 23), les fuites de la boucle d'hélium sont sources d’importants rejets radioactifs dans l’environnement : « D'après l'expérience des centrales HTR et des grandes installations dans lesquelles de l'hélium a été manipulé, environ 50 % à 100 % de l'inventaire d'hélium fuit chaque année » [JRC, 2017].
Les fuites d’hélium étant inévitables compte-tenu de la très faible masse volumique de cet élément, Jimmy produirait et stockerait des déchets radioactifs issus de la filtration de la boucle hélium en fonctionnement normal. L’exploitation du réacteur s’accompagnerait de rejets radioactifs gazeux dont il n’est nulle part fait mention dans la communication faite autour du projet Jimmy.
Planning
Bien que le tableau de bord du projet Jimmy que vient de publier l’OCDE ne révèle que des germes de développement (Cf. ci-dessous), Antoine Guyot, co-fondateur de Jimmy, est extrêmement optimiste. Il « a répondu aux questions des Techniques de l’Ingénieur » fin 2023 : « Le démarrage du chantier [de construction] est prévu pour début 2026 et doit prendre fin la même année » [Techniques de l’ingénieur, 11/12/23].
Tableau de bord Jimmy
NEA/OECD, 2024
Sur le site Internet de Jimmy, c’est déjà demain : « Jimmy conçoit et exploite des générateurs thermiques pour fournir à ses clients de la chaleur décarbonée moins chère que celle obtenue avec des énergies fossiles. (...) Le générateur héberge un micro réacteur nucléaire ». La startup vante son produit comme « très sûr », qui « n'émet aucune fumée », qui « ne fait pas de bruit ». « Jimmy propose des prix sur-mesure et compétitifs par rapport aux autres sources de chaleur (gaz, biomasse, solaire thermique, etc.) ». Une « Amélioration de la qualité de l’air » est mise en avant malgré les rejets radioactifs importants inhérents au fonctionnement des réacteurs de cette technologie (Voir le tableau des rejets radioactifs de l’HTR-PM chinois page 22) [jimmy-energy.eu].
Sureté
En 2022, l’IRSN a publié un avis intitulé : « Analyse du projet de dossier d’options de sûreté [DOS] du réacteur HTR “Jimmy”». A l’évidence, la startup va devoir reprendre sa copie : « Les éléments fournis concernant le comportement attendu du réacteur et la défense en profondeur à l’égard des conditions de fonctionnement accidentelles devront être complétés lorsque Jimmy SAS aura progressé dans sa conception et que des études plus réalistes du réacteur
seront disponibles ».
Conclusion de l’IRSN : « A l’issue de cette première analyse non exhaustive du DOS, l’IRSN constate globalement que la démarche de sûreté déterministe proposée par Jimmy SAS est cohérente avec la pratique actuelle. Compte tenu de l’état préliminaire de la conception du réacteur Jimmy et de son caractère innovant, l’IRSN a identifié les sujets qui devraient être traités ou développés plus avant dans le DOS, avant d’entamer l’instruction proprement dite des options de sûreté. Il ressort de cette analyse que les principales options de sûreté sont abordées dans le DOS (cœur, barrières, principaux accidents, etc.) mais leur évaluation nécessiterait des éléments complémentaires de la part de Jimmy SAS. Pour cela, l’IRSN a noté que la conception du réacteur devait être approfondie ou parfois révisée, notamment pour ce qui concerne le cœur et les circuits primaires, afin de disposer des éléments requis pour démontrer la crédibilité et la faisabilité des options actuellement proposées.
Ainsi, la conception du cœur avec les performances recherchées en termes notamment de durée de vie n’apparaît pas encore aboutie ; il en est de même de la faisabilité technique du concept de mini-cuve. Pour ce qui concerne la sûreté passive, la démonstration du maintien de l’intégrité du combustible en cas de transitoires de perte de refroidissement ou d’accroissement de puissance non protégés reste à apporter. Jimmy SAS devra également présenter une première évaluation convaincante des conséquences radiologiques des accidents de dépressurisation. En effet, ces deux points sont fondamentaux pour le concept HTR de la quatrième génération.
Enfin, le concept Jimmy met en avant un principe de démantèlement complet et rapide des unités après leur temps de service. Sur ce point, il conviendrait que Jimmy SAS précise sa stratégie pour faciliter le démantèlement et les options envisagées pour la gestion des déchets, en particulier le graphite du cœur » [IRSN, 12/09/22].
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