SMR 2 (rien)
Voici un point rapide sur les projets français plus ou moins chimériques de réacteurs dits avancés (AMR) ou de 4ème génération. Surnommés par Raymond "SMR 2", en termes de développement ils sont loin d’être avancés.
Le 13 juin 2023, le Gouvernement annonce « un plan ambitieux sur le nucléaire de demain » : « Dans le cadre des investissements du plan France 2030, la filière nucléaire bénéficie de 1,2 milliard d’euros de fonds publics » [economie.gouv.fr]. Sur cette dotation, le projet Nuward se taille la part du lion avec 550 M€ déjà attribués en 2022 comme on l’a vu précédemment.
Cet investissement de 1,2 milliards d’euros pour soutenir l’aventure Nuward (dit de Génération 3+) et pas moins de onze projets de réacteur de 4ème génération (SMR 2) peut sembler conséquent mais, comme l’expliquait le CEA en 2007, il doit être mis « en regard du coût de développement d’une nouvelle filière (1 G€ de R&D + 1 G€ de démonstrateur) », soit deux milliards d’Euros2007 [Clefs CEA n°55 - 2007].
Cette estimation date de 2007, cette même année où le coût de l’EPR de Flamanville était affiché à 3,3 milliards d'euros...
Dans le dossier de presse du 21 mars 2024, le Gouvernement fait le point des projets sélectionnés en plus de Nuward :
« Huit premiers projets désignés lauréats et soutenus à hauteur de 102,1 millions d’euros par l’État :
Le projet « XAMR (eXtrasmall Advanced Modular Reactor) », porté par la start-up Naarea SA, et le projet « Newcleo - LFR-30 (Lead Fast Reactor 30 MWe) », porté par la start-up Newcleo SA, ont été désignés lauréats dès le 9 juin 2023.
Six projets ont été désignés lauréats le 27 novembre 2023 : le projet GTA porté par la start-up Jimmy Energy SAS, le projet ONE porté par la société Otrera Nuclear Energy, le projet RF1 porté par Renaissance fusion, ainsi que les projets Calogena, Blue Capsule et Hexana respectivement portés par les entreprises des mêmes noms.
(...)
Indicateurs de maturité du développement d’un réacteur nucléaire
6 : en fonctionnement
5 : construction
4 : en cours d’autorisation (licencing)
3 : conception détaillée (detailed design)
2 : conception préliminaire (basic design)
1 : étude de concept (conceptual design)
Trois nouveaux projets désignés lauréats en janvier et février 2024 à hauteur de 27,8 millions d’euros par l’État :
Trois projets ont été désignés lauréats : le projet Stellarium porté par la start-up Stellaria, le projet Proxima porté par la société Thorizon et le projet Taranis porté par la startup éponyme. Les trois projets sont soutenus par un appui technique du CEA ».
Sans oublier la formation aux métiers du nucléaire : « dans le cadre du dispositif « Compétences et métiers d’avenir » pour le développement des compétences dans le nucléaire pour un montant d’aide de 42 millions d’euros ».
Plus quelques miettes pour l’IRSN : « Un soutien de 9 M€ a été accordé par France 2030 au projet « Passive Systems Thermohydraulic Investigations for Safety (PASTIS) », porté par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui a pour objectif de développer une plateforme expérimentale, destinée à acquérir les connaissances nécessaires à l’expertise des systèmes de sûreté passifs, dont l’utilisation est notamment envisagée dans la plupart des concepts de SMR ».
Lors de la réunion plénière du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) du 28 mars 2024, Philippe DUPUY, chef de la Mission réacteurs innovants (MRI) de l’ASN, fait le point sur les « 9 projets suivis par la MRI ». « Calogena, Otrera, Hexana, Blue Capsule, Thorizon, Stellaria » sont dans la phase d’ébauche : l’ASN ne mentionne qu’une « Présentation du projet et de la société ». « Jimmy, Naarea, Newcleo » en sont au stade de la « Revue préparatoire » du « Conceptual design » ou études de concept, la première phase du développement d’un nouveau réacteur (Cf. Indicateurs ci-contre). L’ASN ne donne aucune information sur les deux autres lauréat Taranis et Proxima [HCTISN/ASN, 28/03/24].
Un rapport parlementaire de décembre 2023 montre « la diversité des approches technologiques retenues pour concevoir des réacteurs nucléaires de nouvelle génération ». Par exemple, « NAAREA et STELLARIA misent sur des réacteurs à sels fondus, HEXANA se concentre sur les réacteurs refroidis au sodium, héritiers directs d'Astrid, tandis que NEWCLEO se tourne vers les réacteurs refroidis au plomb. Ces réacteurs se distinguent aussi par leur puissance, allant de 80 mégawatts thermiques à plusieurs centaines de mégawatts ».
Astrid, c’est l’ex-futur successeur de feu Superphénix : « Astrid était un projet de réacteur refroidi au sodium de 800 mégawatts électriques - préfigurant un réacteur de production dépassant 1000 mégawatts - qui prenait la suite des réacteurs expérimentaux Rapsodie et Phénix, ainsi que du réacteur de puissance Superphénix, de 1200 mégawatts électriques, qui a été arrêté en 1997, bien qu'il ait atteint, comme cela a été rappelé lors de l'audition, un taux de disponibilité de 96 % en 1996 » [senat.fr]. Il semble que l’abandon de la filière des réacteurs refroidis au sodium ne soit toujours pas digéré.
Nous ne savons pas qui a enfumé les parlementaires avec ce boniment sur le taux de disponibilité de Superphénix qui aurait soi-disant atteint 96%. Le site « PRIS (Power reactor information system) » de l’AIEA, qui collecte les statistiques de production de l’ensemble des réacteurs mondiaux et qui fait référence, indique un taux de disponibilité de « 32,6% » en 1996. Durant la vie du réacteur, le taux de disponibilité cumulée n’a été que de « 9,2% » pour un taux de charge de « 7,9% » [pris.iaea.org]. De quoi justifier amplement sa fermeture définitive.
Superphénix aurait été fermé pour faire plaisir aux écolos à en croire certains. Rien n’est plus faux. Surnommé Super-Fuitix par le GSIEN, ce réacteur de 1242 MWe brut a passé bien plus de temps à l’arrêt qu’en production. Pendant sa durée de vie, l’énergie cumulée produite a été de 7,2 TWh net (« 7 484,72 GWe brut » [CEA, 2019]), un peu supérieure aux 7,1 GWe de production annuelle nette de Tricastin 2 en 2022 (« 7074,48 GWe » [pris.iaea.org]. La centrale de Superphénix n’était ni suffisamment industrielle, ni économique et n’a pas répondu au cahier des charges. EDF ne désirait vraisemblablement plus exploiter à perte une telle "bouzine".
Revenons aux AMR. Les exemples développés à l’étranger montrent un chemin long (et coûteux) entre le concept et la mise en service d’un prototype de démonstration. Ces faits n’empêchent pas certaines startup françaises porteuses de projet de réacteur innovant d’afficher d’extravagants courts délais de développement dans leur communication, sans chiffrer les coûts de leur projet. De tels délais de réalisation sont d’autant moins convaincants que pour tous les réacteurs innovants les enjeux sont énormes comme le fait remarquer l’ASN. « Un cycle du combustible [serait] à créer pour chaque filière » :
« Les projets de réacteurs impliquent de disposer de capacité de production de leurs combustibles spécifiques ».
« Nécessité de développer à court terme des solutions d’entreposage temporaire de leurs combustibles usés/déchets en attendant le développement d’une solution de stockage définitif ».
« Aucun emballage de transport existant n’est agréé pour ces nouveaux combustibles » [HCTISN/ASN, 28/03/24].
Les informations techniques disponibles pour les filières innovantes sont succinctes mais regardons tout de même la communication faites autour de deux de ces projets de réacteurs qui seraient pilotés à distance, sans présence humaine sur site pendant leur exploitation...