Mai 2024 •

Dossier SMR

Depuis quelques temps, les médias diffusent quantité d’articles dithyrambiques sur les projets Small modular reactor, les soi-disant petits réacteurs nucléaires dits modulaires, nouvelles coqueluches du monde atomique.

Le terme petit peut s’accorder avec la faible puissance de ses réacteurs (< 300 MWe) par rapport aux réacteurs de puissance en exploitation. Par contre, il faut reconnaître qu’ils ne sont pas si petits que cela au vu de leurs dimensions ou de l’emprise au sol des installations. Les informations disponibles des projets les plus avancés révèlent des coûts de construction élevés voire extravagants: small reactor ne rime pas avec small price.

Les premiers prototypes construits ne sont pas non plus modulaires en l’absence d’usines dédiées de fabrication de modules.

L’acronyme SMR pourrait être remplacé par LMR : Large modulable reactor de faible puissance.

Certains réacteurs de nouvelle génération affichent de meilleurs rendements que les réacteurs traditionnels à eau sous pression mais ce n’est pas le cas du projet français Nuward. Si ce projet devait aboutir, Nuward génèrerait plus de déchets nucléaires par kilowattheure produit que son grand frère EPR.

La notion de modularité est au cœur du concept des SMR qui seraient conçus pour être assemblés en modules transportables et transposables. Cette approche modulaire permettrait une construction plus rapide et moins coûteuse, les modules pouvant être préfabriqués en usine, ce qui réduirait les délais de construction sur site et les coûts associés. Mais, comme le fait remarquer Nuclear engineering international, « Il reste à démontrer que les économies d'échelle qui ont conduit à l'augmentation de la taille des centrales nucléaires peuvent être compensées par les économies de série que l'on attend d'une production à la chaîne - en supposant que les carnets de commande soient remplis et que ces chaînes de production soient occupées. Mais pour combien des 80 modèles de SMR en cours de développement y aura-t-il un marché suffisamment important pour alimenter une ligne de production en usine ? » [neimagazine.com, 29/11/23].

Les SMR sont souvent présentés comme une solution d’avenir pour répondre aux besoins croissants en énergie dans le monde. Cependant, il est important de ne pas se laisser aveugler par les promesses annoncées : la mariée n’est pas aussi belle que sur les produits de communication.

L'un des principaux arguments en faveur des SMR est leur taille réduite, qui permettrait une plus grande flexibilité dans leur déploiement. Ils pourraient être installés dans des zones industrielles existantes ou sur des sites isolés. Mais attention, le mot small peut cacher une vaste installation comme nous le verrons par la suite. Cependant, même si la réduction de taille n’est pas si flagrante en regard de la baisse de puissance, les préoccupations en termes de sûreté ne peuvent pas être évacuées. De conception, les SMR affichent une puissance moindre que les réacteurs traditionnels, mais cela ne signifie pas nécessairement qu'ils seraient moins dangereux en cas d'accident. Dans un rapport publié par le Sénat fin 2023, Philippe Dupuy, responsable de la mission réacteurs innovants à l'ASN a déclaré devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) : « les enjeux ne dépendent pas uniquement de la taille du réacteur : ce n’est pas parce qu’un réacteur est plus petit ou moins puissant qu’il contient une quantité de matières radioactives moins importante. En effet, contrairement aux réacteurs REP qui sont rechargés à peu près tous les ans ou tous les deux ans, certains de ces réacteurs innovants sont chargés une première fois et ont une durée de vie, avec un même cœur, de vingt ans. Leur inventaire initial est donc considérable. En résumé, la puissance n’est pas l’enjeu intrinsèque en matière de sûreté » [senat.fr].

Un autre point à prendre en compte est le coût des SMR. Bien que certains affirment qu'ils sont plus abordables que les réacteurs traditionnels, les premières réalisations montrent le contraire. Il est de plus important de se méfier des estimations optimistes (et irréalistes) comme en témoigne l’histoire de l’industrie nucléaire de ces vingt dernières années (Cf. tableau ci-dessous). Le tableau permet de connaître les ordres de grandeurs des coûts (et des délais) de construction des réacteurs de puissance de différents pays afin de pouvoir établir des comparaisons avec les projets de SMR des même pays.

Estimation 2020 du coût overnight de construction des tranches REP récentes

Type

Pays

Tranche

Construction

Puissance nette

(MWe)

Budget initial ($/kWe)

Coût overnight ($/kWe)

Début

Durée

Estimée

Réalisée

AP 1000

Chine

Sanmen 1, 2

2009

5

9

2x1000

2044

3154

USA

Vogtle 3, 4

2013

4

10/11*

2x1117

4300

8600

APR 1400

Corée

Shin Kori 3, 4

2008

5

8/10

2x1340

1828

2410

EPR

Finlande

Olkiluoto 3

2005

5

16

1630

2020

> 5723

France

Flamanville 3

2007

5

15* (17)

1600

1886

8620*

Chine

Taishan 1, 2

2009

4,5

9

2x1660

1960

3222

VVER 1200

Russie

Novovoronezh II

2008

4

8/10

2x1114

2244

**

* Estimation

** Absence de donnée

https://www.oecd-nea.org/upload/docs/application/pdf/2020-12/egc-2020_2020-12-09_18-26-46_781.pdf

Le coût overnight représente, de manière symbolique, les coûts de la construction d’une tranche en une nuit sans prendre en compte les coûts de financement.

Les coûts d'investissement se composent du coût overnight et des coûts de financement (par exemple, les intérêts pendant la construction).

Sous le terme générique SMR se cache une multitude de projets avec pour la plupart d’hypothétiques réalisations lointaines. Nous ne pouvons que constater une prolifération de concepts de SMR comme le révèlent les publications de l’AIEA sur le sujet. « Actuellement [2018], plus de 50 modèles de SMR sont en cours de développement » [AIEA, 2018].

En 2022, « Plus de quatre-vingts (80) modèles de SMR sont en cours de développement et de déploiement à différents stades dans 18 États membres » [AIEA, 2022].

Mais, tempère l’IRSN, « Selon la technologie utilisée, des travaux de recherche et développement importants peuvent être nécessaires pour concevoir et démontrer la sûreté des réacteurs » [IRSN, 5/04/23].

Le ministère des finances allemand a publié un rapport en 2022 sur les SMR. On peut y lire que « Même s'ils s'appuient sur des processus physiques (conception du réacteur) bien connus, de nombreux SMR apportent des innovations en matière de conception, de matériaux et de fabrication. Ces innovations doivent faire l'objet d'une analyse approfondie, leur niveau de sécurité doit être vérifié et accepté par les autorités de régulation. Les questions technologiques ne devraient pas constituer un défi important, du moins pour les réacteurs à eau légère [REP] (...). Néanmoins, l'absence ou l'inachèvement de la conception détaillée et de l'ingénierie pour (probablement) tous les SMRs pourrait entraîner des difficultés » [bmk.gv.at].

Sur les plus de 80 projets envisagés, seuls quelques-uns basés sur la vieille technologie REP (PWR en anglais) qui a fait ses preuves avec les réacteurs de la propulsion navale sont matures comme en Russie (KLT-40S) mais coûteux. Hormis une paire de réacteurs chinois en exploitation commerciale (HTR-PM) et un réacteur russe en construction (BREST-OD-300), la plupart des autres projets, dits SMR de 4ème génération (AMR, MMR, etc.), n’en sont qu’au stade du concept. Cependant, pour tous ces projets, il existe une incertitude significative quant à leur viabilité commerciale comme le montre l’exemple du projet Nuscale aux Etats-Unis (Cf. page 28).

Bien que l’investissement dans les SMR soit un pari risqué, la France va investir « environ 1 Md€ de fonds publics en soutien à l’innovation » dans le cadre du programme « France 2030 pour le nucléaire » [France 2030, 27/11/23]. Ces investissements visent à soutenir en premier lieu le projet Nuward d’EDF (deux REP de 170 MWe, Cf. page 7) mais également plusieurs autres projets bien plus hasardeux avec de nombreux défis technologiques à relever.

La publication 2022 de l’AIEA « Advances in Small Modular Reactor Technology Developments » [AIEA, 2022] sera notre fil conducteur tout au long de cette Gazette. On y trouve les principales caractéristiques techniques des projets de SMR.

Nous avons étudié quelques modèles de SMR et un autre document nous a été bien utile : « The NEA Small Modular Reactor - Dashboard: Second Edition » [NEA/OECD, 2024]. Dans cette édition de 2024, l’Agence de l’énergie nucléaire (NEA) et l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ont établi un tableau de bord (« dashboard ») de la plupart des SMR. Ces tableaux de bord permettent d’évaluer leur état d’avancement à partir de six critères :

  • « Licensing » (octroi de licence),

  • « Siting » (site d’implantation),

  • « Financing » (financement),

  • « Supply chain » (chaîne d’approvisionnement),

  • « Engagement »,

  • « Fuel » (combustible)

Retrouver la définition des critères d'évaluation en page 181 du rapport AEN/OCDE [NEA/OECD, 2024].

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