Russie - SMR en construction :
BREST-OD-300 - Complexe énergétique de démonstration pilote de Seversk
Brest-OD-300 est un projet de réacteur avancé à métal (plomb) liquide et ayant un spectre de neutrons rapides (LMFR). Développé depuis 1995, il a une puissance électrique nette de 300 MWe pour 700 MWth (rendement 42,6%).
Tableau de bord BREST-OD-300
NEA/OECD, 2024
Origine de la filière de réacteurs russes à métal liquide : « Avec les sous-marins de la classe ALPHA, les Russes ont montré la voie pour ce type de filière ». Explications trouvées dans un vieil article de Charles Fribourg, à l’époque directeur technique de Technicatome : « Les Russes ont fait fonctionner avec succès une flotte de 7 sous-marins de la classe ALPHA aux performances impressionnantes. (...) Recherchant la performance, ils ont équipé ces sous-marins d'un réacteur épithermique [neutron rapide] réfrigéré par l'eutectique Bismuth/Plomb.
L'utilisation d'un métal liquide, dont les performances en termes d'échange thermique sont excellentes, permet de produire une vapeur à une température très élevée, sans nécessiter d'enceinte primaire sous forte pression ».
(...)
Compte tenu de leurs performances remarquables en vitesse, en immersion et de leur taille réduite, ces sous-marins sont certainement les plus performants jamais construits. Toutefois un bon nombre de difficultés sont apparues, notamment en entretien (Il est préférable en exploitation de maintenir liquide l'eutectique Bi/Pb, ceci implique une sujétion importante lors du retour à quai des sous-marins de façon à prévenir le gel intempestif de l'eutectique (maintien critique du réacteur ?? ou chauffage d'appoint ??)) [inis.iaea.org].
Des performances remarquables toutefois tempérées par l’IRSN dans le « Panorama des filières de réacteurs de quatrième génération (GEN IV) » à propos des « des sous-marins de classe Alpha de l’ex-Union soviétique » : « trois d’entre eux ont subi une « avarie » sérieuse, dont une fusion partielle dans l’un des cas » [IRSN, 2012].
Revenons à terre. Comme Rosatom l’explique, le réacteur s’insère dans le « Pilot-demonstration energy complex (PDEC) » : « Le complexe énergétique de démonstra-tion pilote a pour but de démontrer pour la première fois au monde le fonctionnement stable d'un groupe complet d'installations qui assurent un cycle du comb-ustible nucléaire fermé ». « L'installation se compose d'une usine de retraitement du combustible usé à nitrure mixte uranium-plutonium et d'une usine de fabrication-refabrication. L'usine de fabrication-refabrication fabrique des assemblages combustibles de démarrage à partir de matériaux hors site et, à terme, du combustible nucléaire à partir de produits retraités » sur site [Rosatom, 2020]. Le PDEC fait partie de l’immense Combinat chimique de Sibérie de Rosatom (Cf. encadré).
Kombinat chimique de Sibérie
Anciennement appelé Tomsk-7, il « est implanté dans la ville fermée de Seversk, dans l’oblast de Tomsk.
Seversk est l’une des 42 entités territoriales administratives fermées de la fédération de Russie. Ville d’environ 110 000 habitants comportant des restrictions d'accès, de déplacement et de résidence, elle est entièrement tournée vers son complexe nucléaire.
L’activité a débuté en 1953 par la séparation isotopique, pour des applications militaires. Le Combinat chimique de Sibérie est aujourd’hui le seul complexe regroupant en un même lieu l’ensemble des activités radiochimiques liées à l’enrichissement de l’uranium (qu’il s’agisse d’uranium naturel ou de retraitement) : la purification, la conversion (en hexafluorure d’uranium), la séparation isotopique. Le combinat comportait également cinq réacteurs, aujourd’hui fermés ».
Avec ce projet, les russes espèrent atteindre le Graal de l’énergie nucléaire : la fermeture du cycle. L’idée fait rêver les nucléocrate depuis la nuit des temps atomiques. Le Système international d'information nucléaire (INIS) de l’AIEA présente l’approche conceptuelle du réacteur. Dans ce document, Rosatom évoque la « Reproduction intégrale du combustible dans le cœur » avec un « coefficient de reproduction du cœur (...) de ~ 1,05 » [inis.iaea.org, 2021].
Le cœur sera composé de 20,8 tonnes d’un combustible nouveau, le « mononitrure d'uranium et de plutonium (PuN-UN) » avec un enrichissement en plutonium « ~13,5% ». Il sera fabriqué et retraité sur site [aris.iaea.org/PDF/BREST-OD-300.pdf].
Un article de Nuclear Energy and Technology (NUCET) de l’an dernier donne des précisions sur les masses de plutonium : « 2,67 t » dans le cœur initial et entre « 4,8 t » et « 7,2 t » dans le cœur irradié en fonction du taux de combustion [NUCET, 8/03/23]. Mais le cycle sera-t-il aussi fermé qu’annoncé ?
En 2015, une présentation du projet par Rosatom auprès de l’AIEA révèle un cycle bancal : « La fermeture du cycle du combustible dans le respect de l'environnement serait obtenue grâce à l'utilisation de technologies spécifiques de recyclage et de refabrication du combustible qui ne nécessitent qu'un traitement relativement grossier du combustible usé afin d'en retirer les produits de fission, l'ajout d'uranium appauvri (ou naturel) au mélange de combustible traité (U-Pu-actinides mineurs), la nitration et la fabrication d'un nouveau combustible » [nucleus.iaea.org, 2015]. Car il faut bien compenser la masse du combustible fissionné correspondant à la masse des produits de fission retirés du combustible irradié additionnée de la masse convertie en énergie. Si le process fonctionne, certes il y aura une économie de combustible avec le recyclage du plutonium produit mais il faudra de toute manière alimenter le réacteur avec de l’uranium extérieur au système. L’industrie nucléaire possède un stock d’uranium appauvri issu de l’enrichissement de l’uranium nécessaire aux centrales traditionnelles. L’utilisation de ce stock pourrait donner un temps l’illusion d’un bouclage du cycle. Mais si cette filière devait se développer, le recours a de l’uranium naturel deviendrait incontournable comme le suggère Rosatom dans sa présentation (Cf. ci-dessous).
Schéma de base de la régénération du combustible de BREST-OD-300
Lors du retraitement grossier du combustible irradié, les actinides mineurs (AM) seraient laissés dans le combustible. Les produits de fission (FP) seraient retirés et remplacés par ajout (« Adding ») d’uranium naturel ou appauvri (« depleted ») pour donner un combustible réutilisable dénommé « "fresh" fuel » ; on peut noter l’emploi de guillemets pour qualifier de "frais" un combustible chargé en actinides...
La fermeture du cycle est un mythe. Tout au plus, cette technologie pourrait réduire le coût du combustible qui, d’après le CEA, a un « impact limité » sur le prix du kWh des vieilles centrales REP : « l’uranium naturel n’entre que pour une faible part dans le coût de production de l’énergie (5 à 7%) » [CEA, 2014]. Une possible économie de combustible mais à quel prix ?
Coûts
A Seversk, « La construction de l'usine pilote de combustible nitrure [PuN-UN] a débuté en mars 2014 en vue d'une mise en service en 2017-18, à temps pour produire du combustible pour le premier réacteur BREST-300, dont la mise en service est désormais prévue vers 2024 ». World nuclear association indique que l’usine pilote, « d'une valeur de 20 milliards de roubles [260 M$], aura une capacité de 5 tonnes par an de combustible usé provenant du BREST-300 », [WNA, 2021].
Selon l’agence Tass, « la construction d'un module de retraitement du combustible irradié devrait commencer d'ici 2024 ». « Le coût du projet de construction [du réacteur] BREST-OD-300, (...) est estimé à environ 100 milliards de roubles (1,3 milliard de dollars), a déclaré à TASS le directeur de recherche [du projet] Proryv [« Прорыв » - la Percée], Evgueni Adamov » [Tass, 8/06/21].
Mais l’année suivante, cité par Nuclear Engineering International, Sergey Kotov, le directeur général du Combinat chimique de Sibérie a refait l’addition : « Le coût [du réacteur] est actuellement estimé à 113,7 milliards de roubles (1,94 milliard de dollars). La mise en service de toutes les installations de PDEC est prévue pour 2029, et les investissements totaux de Rosatom dans le développement du complexe sont estimés à 211,3 milliards de roubles (contre une estimation initiale de 188 milliards de roubles) ». Au taux de change utilisé par Tass, la somme de 211,3 milliards de roubles correspond à 3,6 milliards de dollars. Soit, rapportée à la puissance du réacteur, un coût de construction du complexe de 12 000 $/kWe (50% plus cher que le coût overnight de l’EPR de Flamanville 3...). Une sacré percée !
Le boss du Combinat, Sergey Kotov, explique que « Le réacteur devait être mis en service en 2023, mais il a subi quelques retards » [neimagazine, 15/06/22], comme c’est bizarre.
Planning
Il y a douze ans, l’IRSN indiquait avec une certaine prudence « le démarrage » de BREST-OD-300 « vers 2020 » [IRSN, 2012].
D’après l’AIEA, la construction du réacteur « a débuté en juin 2021 et devrait s'achever en 2026 » [AIEA, 2022]. Peut-être.
Dans sa Newsletter de mai dernier, Rosatom réécrit l’histoire de la construction : les « travaux se déroulent conformément au calendrier prévu. Le complexe énergétique de démonstration pilote devrait être mis en service dans son intégralité en 2030 » [Rosatom, mai 2023]...
Densité surfacique de puissance
Selon l’AIEA, l’emprise au sol de BREST-OD-300 serait « 80 x 80 m » [AIEA, 2022], 6400 m2 soit moins d’un hectare. C’est en deçà de la réalité. Le chiffre de l’AIEA correspond au seul îlot nucléaire. Le site de BREST-OD-300 est bien plus vaste, de l’ordre de 40 hectares, localisé à Seversk (Sibérie), à près de 2900 km à l’est de Moscou. La densité surfacique de puissance de ce site de 300 MWe serait de 1333 m2/MWe, près de neuf fois plus que celle de la centrale du Tricastin.
Voir page suivante une vue satellite du chantier du Complexe énergétique de démonstration pilote (PDEC) avec une mesure de sa superficie ainsi que la représentation d’une maquette de l’ensemble des installations nécessaires au fonctionnement du réacteur.
Mensurations
L’AIEA donne les caractéristiques de la cuve de ce réacteur : « 17,5 m de hauteur et 26 m de diamètre » pour « 27 000 t » [AIEA, 2022]. Vingt-sept mille tonnes...
Dans un autre document de l’AIEA (INIS), une masse de « 11 800 t » est renseignée « y compris le béton » [inis.iaea.org, 2021]. Les informations de la masse de la cuve divergent entre les deux publications de l’AIEA mais on peut à l’évidence parler d’une cuve imposante. Il est vrai qu’elle intègre quatre générateurs de vapeur de 69 tonnes de masse unitaire et qu’elle fait office de bâtiment réacteur.
Explications avec Rosatom et « Vadim Lemekhov, concepteur en chef du réacteur BREST-OD-300 » : « Sa cuve n'est pas une structure entièrement métallique comme le VVER [REP de conception soviétique], mais une structure métal-béton avec des cavités métalliques pour accueillir l'équipement du circuit primaire. L'espace entre les cavités doit être progressivement rempli de béton pendant la construction. En outre, la cuve du BREST est plus grande, elle ne peut être livrée qu'en pièces détachées et l'assemblage final n'est possible que sur le site de construction du PDEC » [Rosatom, 17/01/24 – 12h16].
« L'enceinte de confinement est la partie extérieure de la cuve du réacteur » [Rosatom, 17/01/24 – 12h30].
Déchets et sûreté
Même s’il ne mettent pas en avant une prétendue "compact size" de leur réacteur, avec Nuclear Engineering International à la manœuvre, les russes ne font pas dans la dentelle en matière de communication : « Les experts de Rosatom s'attendent à ce que les technologies mises au point à PDEC améliorent qualitativement l'économie de l'énergie nucléaire grâce à l'utilisation répétée d'uranium naturel et de combustible nucléaire usagé, en réduisant les déchets radioactifs à zéro et en éliminant virtuellement les accidents hors conception » [neimagazine, 15/06/22]. Que les accidents soient théoriquement éliminés est une habitude de communication des exploitants nucléaires mais, pratiquement, cela n’a pas été toujours efficace pour les empêcher. Par contre, communiquer sur une réduction des déchets radioactifs à zéro alors que les produits de fissions seraient périodiquement extraits lors du retraitement grossier du combustible irradié est une prouesse.
La Russie a enfin trouvé La solution économique pour la gestion des déchets radioactifs : les enfouir dans les couches profondes de la communication.
Côté sûreté, les russes ont grande confiance en leur gros bébé BREST construit à 8 km du centre-ville de Seversk (environ 110 000 habitants). Dans le document de l’INIS, Rosatom évoque l’analyse d’un accident de réactivité et conclut en une « élimination de la fusion du combustible » avec pour cible « L'exigence de limiter l'impact à l'extérieur du site - en excluant le besoin d'évacuation et de réinstallation de la population » [inis.iaea.org, 2021].
Mais l’impact du Combinat chimique de Sibérie en exploitation depuis 1953 se fait depuis longtemps sentir comme l’a fait remarquer Jacky Bonnemains de l’ONG Robin des Bois : « Selon l’étude réalisée en 2007 par des universitaires français, suisses, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et l’école polytechnique de Tomsk, la contamination radiologique de l’environnement est au nord de la ville secrète et au-delà de son périmètre interdit comparable à celle qui est observée non seulement près de Tchernobyl mais aussi près de Mayak dans l’Oural et de Windscale au Royaume-Uni, deux sites atomiques historiques frappés dans les années 50 et 60 par des accidents nucléaires majeurs et peu documentés » [Robin des Bois, 2012].
Vue satellite du chantier du Complexe énergétique de démonstration pilote (PDEC) et
représentation d’une maquette de l’ensemble des installations prévues