Mai 2024 •

Chine - SMR en exploitation :
HTR-PM Centrale de Shidao Bay-1 (ou Shidaowan-1)

Dans un premier temps, la Chine a développé un réacteur expérimental à haute température refroidi au gaz (HTR-10) à lit de boulets de 10 MWth (2,5 MWe) à l'Institut de technologie nucléaire et des énergies nouvelles (INET) de l'université de Tsinghua. La construction de ce mini réacteur a débuté en 1995 et il a divergé en 2000.

Selon l’AIEA, « La deuxième étape du développement des HTR en Chine a commencé en 2001 avec le lancement du projet de module de réacteur à haute température refroidi au gaz et à lit de boulets (HTR-PM) » [AIEA, 2022].

Circuit primaire du HTR-PM

A gauche, la cuve avec le lit de boulets de combustible à l’intérieur. A droite, le générateur de vapeur et le circulateur d’hélium à son sommet

aris.iaea.org/PDF/HTR-PM.pdf

Shidaowan est une centrale prototype équipée d’une paire de réacteurs (neutrons thermiques) à haute température utilisant du graphite comme modérateur et de l’hélium comme caloporteur (HTGR). C’est un modèle dit "avancé" de 4ème génération. D’une puissance thermique unitaire de 250 MWth, les générateurs de vapeur (un seul par réacteur) alimentent une turbine commune de 210 MWe brut (200 MWe net – Rendement 40%). Un schéma du circuit primaire est présenté ci-après.

Quelques précisions sur le combustible utilisé avec World nuclear news : « Chaque réacteur est chargé de plus de 400 000 éléments combustibles sphériques ("boulets"), chacun d'un diamètre de 60 mm et contenant 7 g de combustible enrichi à 8,5%. Chaque boulet est recouvert d'une couche externe de graphite et contient quelques 12 000 particules de combustible recouvertes de quatre couches de céramique dispersées dans une matrice de graphite » [WNN, 6/12/23]. C’est ce que l’on appelle le combustible TRISO (Cf. page 14).

Voici quelques infos tirées de Nuclear Reactor Systems (EDF Sciences, 2016) sur ce combustible.

Atouts : « Le haut rendement et les hautes températures qu’il permet, sa robustesse mécanique et thermique, sa très forte inertie thermique, et sa stabilité chimique du fait du refroidissement à l’hélium, (...) sa compatibilité avec tous les cycles de combustibles, sa faisabilité démontrée et le fait que les limites furent poussées très loin via le programme NERVA [concept de moteur de fusée], son intérêt remarquable dans les applications non électrogènes ».

Faiblesses : « Sa faible densité de puissance, et donc la nécessité d’atteindre des tailles de chaudières très conséquentes, avec un impact très à la hausse sur le coût de la chaudronnerie et du génie civil (certains projets abandonnaient en conséquence l’enceinte de confinement),

Sa sûreté, étant donné qu’exclure en totalité ou quasi-totalité le risque de fusion (en tout cas jusqu’à une certaine puissance) ne suffit pas à garantir la maîtrise de tous les risques : par exemple, une arrivée d’eau provenant du circuit secondaire [141 bar] était susceptible de provoquer une très forte corrosion des structures, une brutale montée de réactivité de la réaction en chaîne, ou une vaporisation rapide au contact du combustible brûlant et donc d’une très importante surpression dans le circuit [primaire – 70 bar], potentiellement dommageable pour son intégrité » [blog Dose Équivalent Banana].

Planning

Retour dans l’empire du Milieu. La centrale de Shidaowan-1 a été « raccordée au réseau en décembre 2021 » [AIEA, 2022].

En décembre 2023, World nuclear news indique que « L'administration nationale chinoise de l'énergie a annoncé que la première centrale nucléaire à réacteur modulaire à haute température refroidie au gaz au monde est entrée en service commercial » [WNN, 6/12/23]. Avec 10 années de retard sur le calendrier prévu...

Les promoteurs de l’atome sont invariablement optimistes sur les délais de livraison de leurs réacteurs. Dans la base de données ARIS, le « Rapport de situation 96 » décrit le HTR-PM. Extrait :

« La durée prévue de la construction du projet, depuis le premier béton jusqu'à la production d'électricité sur le réseau, est de 50 mois. Bien que la charge de travail liée au bâtiment, à la construction et à l'installation soit relativement claire et directe, le calendrier du projet laisse néanmoins certaines marges de temps pour tenir compte d'éventuelles incertitudes. Le plan actuel vise à alimenter le réseau électrique national en 2013 ».

[aris.iaea.org/PDF/HTR-PM.pdf]

Un planning difficile à tenir car « Le premier béton a été coulé fin 2012, marquant le début officiel de la construction de l'usine de démonstration » selon un article disponible sur le site de l’AIEA. « Parallèlement, une usine de production de combustible a été construite avec une capacité de production de 300 000 éléments combustibles sphériques par an », les boulets constitués de particules TRISO [Wang Haitao et al, 2014].

Mais les délais de constructions d’installations nucléaires s’allongent, en Chine comme ailleurs. En 2016, lors de la livraison de la cuve d’un des réacteurs de Shidaowan, World nuclear news indiquait avec encore un certain optimisme que « L'exploitation commerciale devrait débuter fin 2017 » [WNN, 15/03/16].

Tableau de bord HTR-PM
NEA/OECD, 2024

Coûts

Quant aux coûts de construction, même si la Chine ne communique pas aisément sur le sujet, on peut se faire une idée de leurs dérives. Tout d’abord, l’Institut français des relations internationales (IFRI) publie en mai 2019 une étude sur les SMR. Le coût de la centrale prototype de Shidaowan est estimé à « 4400 €/kWe », soit au taux de change utilisé par l’IFRI (1€=1,13$), près de 5000 $/kWe installé [IFRI, 2019].

Quatre années plus tard, un article de la World nuclear association évoque un « coût de 6000 $ par kW » électrique installé [WNA, Décembre 2023].

Lü Hua Quan, président de l'Institut de recherche nucléaire de l’exploitant (China Huaneng group) de la centrale a répondu aux questions de la Wolrd nuclear association :

« Quelles leçons et quels défis particuliers ont été tirés de la construction et de la mise en service du projet HTR-PM ?

Le projet HTR-PM est un projet de recherche. Les systèmes et équipements de l'îlot nucléaire ont posé certains problèmes, ce qui a entraîné un long cycle de construction et des coûts de construction élevés. Il sera nécessaire de résoudre ces problèmes pour que l'industrialisation des réacteurs à haute température refroidis au gaz soit couronnée de succès.

(...)

En outre, l'expérience acquise sera appliquée aux futures constructions afin d'optimiser la conception des équipe-ments et de réduire les coûts du projet. Le système auxiliaire sera partagé par plusieurs réacteurs afin de réduire le coût et la complexité du système. Nous adop-terons une conception modulaire » [WNA, 2022]. Les réacteurs de Shidaowan ne sont donc pas modulaires ?

Pourtant, dans maints rapports, articles, etc. sur le réacteur chinois, il est question de SMR ou d’AMR voire de « Modular pebble bed HTGR » comme dans la documentation de référence de l’AIEA [AIEA, 2022].

En fait, le "PM" de HTR-PM signifie « Pebble-bed Module » et non « Modular » comme le confirme le rapport de l’ARIS. Dans le futur, éven-tuellement, « Lorsque le marché le nécessitera, d'autres modules pourront être construits en série pour former une centrale nucléaire plus importante, d'une puissance appropriée. La con-ception de la centrale vise à la norma-lisation et à la modularisation ». A défaut de modulaires, les réacteurs de Shidaowan seraient donc modulables.

Principales dimensions du bâtiment réacteur d’une tranche de 900 MWe

Volume total de l’ouvrage : 77 560 m3

Hauteur totale : 65,63 m (56,63 m hors sol et 9 m pour la partie enterrée y compris avec l’épaisseur du radier).

Diamètre externe : 38,8 m.

Source : Conception, construction et exploitation des réacteurs nucléaires - Techniques de l’ingénieur – Costaz, 1997

Mensurations

Qu’en est-il de leur dimension : sont-ils réellement small ? On trouve des éléments de réponse dans une publication de 2017, « Considérations relatives à la sécurité du module HTR », du Joint Research Centre (JRC) de la Commission européenne. Avec une masse à vide de 800 t, la cuve d’un HTR-PM mesure « 25 m » de hauteur pour un diamètre intérieur de « 6 m » La faible densité du combustible dispersé dans « 540 t » de graphite explique une telle dimension de cuve pour une puissance modeste de 250 MWth. Le générateur de vapeur est également d’un bon calibre avec un « diamètre de 4 m » et une « hauteur de 20 m »[JRC, 2017].

A comparer aux caractéristiques d’une cuve d’un REP de 900 MWe (2700 MWth) retrouvée dans les archives du GSIEN : « hauteur totale 12,3 m », « diamètre interne 4 m », « masse 330 t » [EDF SEPTEN, 1998].

Dans un article paru dans Nuclear Engineering and Technology, on peut trouver quelques dimensions de l’îlot nucléaire de Shidaowan-1. Sur le schéma d’implan-tation, le bâtiment abritant les deux réacteurs mesure « 44,8 m » de longueur et « 34,5 m » de largeur. La coupe transversale du bâtiment réacteurs révèle une hauteur de « 44,1 m » au-dessus du sol et de « - 15,05 m » en sous-sol (Cf. page suivante) [Q. Guo et al, 2019]. La hauteur totale du bâtiment réacteurs est de 59,15 m (avec l’épaisseur du radier) et sa superficie de 1545,6 m2. Le volume total de l’ouvrage est 91 420 m3.Le volume du bâtiment réacteurs de la centrale de Shidaowan (200 MWe) est plus important que celui d’une tranche de 900 MWe qui ne fait que 77 560 m3 (Cf. ci-contre).

On comprend aisément que le HTR-PM n’a de small que sa puissance.

Présentation de l’îlot nucléaire de la centrale de démonstration de Shidaowan-1.
Deux réacteurs HTR-PM

Schéma d’implantation et coupe transversale

Q. Guo et al, 2019

Densité surfacique de puissance

L’emprise au sol (Plant footprint) de la centrale de Shidaowan est également conséquente si l’on en croit l’AIEA qui indique le chiffre de « 256 100 m2 », de l’ordre de 25 hectares [AIEA, 2022].

L’outil de mesure disponible sur Google Earth nous a permis de mesurer une aire de 112 000 m2 (11,2 ha) pour la centrale de 200 MWe. La densité surfacique de puissance est par conséquent de 560 m2/MWe net installé (Tricastin : 150 m2/MWe).

Fuites et rejets radioactifs

Les fuites du circuit primaire sont un des problèmes des réacteurs refroidis avec un gaz. On pourrait citer l’exemple des centrales UNGG (Uranium naturel graphite gaz) où le fluide primaire était du gaz carbonique (CO2). Elles ont fonctionné en France jusqu’au début des années 1990. Les tranches de Saint-Laurent A, par exemple, présentaient une fuite primaire moyenne quotidienne de 3,4 tonnes de CO2. Avec une pression d’environ 28 bar sur un inventaire de 200 t par réacteur, les « Appoints pendant la marche » étaient supérieurs à 1250 t par an et par réacteur (moyenne établie sur trois années), des appoints largement supérieurs à l’inventaire initial [EDF – Centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux – Rapports d’activité 1981/1982/1983 - Archive GSIEN].

La publication du JRC évoque les rejets radioactifs gazeux et les fuites du fluide primaire de la centrale de Shidao-wan : « Les isotopes activés par les neutrons, comme l'argon (41Ar), contribuent très faiblement à la radioactivité formée pendant l'exploitation, principalement à l'intérieur du bâtiment du réacteur. Ces impuretés sont rejetées par le système de ventilation.

Les fuites d'hélium du système primaire peuvent également contenir de très petites quantités d'activité gazeuse.

D'après l'expérience des centrales HTR et des grandes installations dans lesquelles de l'hélium a été manipulé, environ 50 % à 100 % de l'inventaire d'hélium fuit chaque année. Là encore, ce rejet de radioactivité est très faible.

Les rejets lors des inspections, de la maintenance et des réparations requièrent une attention particulière » [JRC, 2017].

Le JRC a publié une « Estimation des rejets annuels d'isotopes radioactifs provenant d'une centrale de modules HTR ». Nous avons comparé l’activité radioactive estimée de ces rejets avec celle déclarée sur le site du Tricastin par EDF en 2022. Il n’y a pas photo... L’activité estimée des rejets gazeux des deux small réacteurs "avancés" de Shidaowan (200 MWe) est bien plus importante que celle rejetée par les quatre vieux réacteurs de grosse puissance du Tricastin (3660 MWe). En 2022, les rejets radioactifs liquides de Tricastin sont plus importants que ceux estimés de Shidaowan mais, ramenée à une puissance installée équivalente (Eq. TRI 200 MWe), ils restent inférieurs à ceux-ci (Cf. tableau ci-dessous).

Comparaison de l’activité radioactive déclarée dans les rejets du site du Tricastin (4x915 MWe) en 2022

et de celle estimée annuellement par le fonctionnement de la centrale de Shidaowan (2x100 MWe)

Centrale

Rejets gazeux (GBq)

Rejets liquides (GBq)

Gaz rares

Tritium

14C

Iodes

Tritium

14C, Iodes et Autres

Tricastin

1370

1120

516

0,016

37 500

64,3

Shidaowan

74 000

3700

890

0,022

3700

9,2

Eq. Tricastin 200 MWe

74,9

61,2

28,2

0,0009

2044

3,5

Sources : JRC, 2017 et EDF, 2023

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On peut juger les rejets radioactifs des REP trop importants mais ils paraissent bien small en regard de ceux de réacteurs "avancés" de type HTGR.

Énergie produite par Shidaowan 1

Sur le site PRIS de l’AIEA, on peut consulter les données concernant cette centrale. La première connexion sur le réseau électrique chinois est indiquée à la date du « 14 décembre 2021 ». Durant ces derniers jours de l’année 2021, le temps annuel en ligne sur le réseau est renseigné à hauteur de « 432 heures ». La puissance nette de la centrale est de « 200 MWe ». Si l’on en croit les chiffres de l’AIEA, avec « 86,4 GWh » d’énergie électrique fournie sur le réseau (« Electricity supplied »), Shidaowan 1 aurait fonctionné en continu et à la puissance nominale durant ces derniers jours de 2021 (200x432=86 400 MWh) [pris.iaea.org], ce qui semble pour le moins insolite pour le démarrage d’un prototype avancé...

Ce chiffre de l’AIEA semble d’autant plus déconcertant que le maître d’œuvre de la centrale, la China National Nuclear Co. (CNNC), date le raccordement au réseau (« connected to the grid ») au « 20 décembre 2021 » [CNNC, 20/12/21].

Pour l’année 2022, l’AIEA ne fournit aucune donnée pour les réacteurs HTR-PM de Shidaowan en Chine. Aucune production d'électricité n'a été estimée.

A l’heure où nous bouclons ce numéro de la Gazette, les données de l’année 2023 ne sont pas encore publiées sur le site Internet PRIS de l’AIEA.