Octobre 2024 • Dr Patrice RICHARD - CNRS, co-président AMFPGM

Chronique des organismes scientifiques indépendants d’information et de contrôle
Contributions de l’Association des Médecins Français pour la Prévention de la Guerre Nucléaire


Armes nucléaires tactiques et stratégiques : quelle différence ?
Dr Patrice RICHARD, chargé de recherche au CNRS et co-président de l’AMFPGM

A cette question nous craignons de répondre qu’il n’y en a pas trop, autrement dit l’emploi d’une arme tactique pourrait causer autant (ou presque) de ravages qu’une arme stratégique genre Hiroshima. Alors, craignons !

Qu’en est-il exactement ?

On entend généralement affirmer que les armes tactiques seraient dans une gamme de puissance située entre 0,300 kilotonne et 100 kilotonnes ce qui veut dire l’équivalent de 300 tonnes de TNT à 100 000 tonnes de TNT, soit entre 90 fois moins qu’Hiroshima et 10 fois plus qu’Hiroshima et, selon ceux qui en parlent, ce seraient des armes de moindre puissance que les armes stratégiques permettant donc d’utiliser des armes plus puissantes que les armes conventionnelles sans avoir les inconvénients des armes nucléaires stratégiques. C’est peut-être vrai pour les armes situées dans la zone inférieure de la gamme de puissance. Mais l’examen de la zone supérieure de la gamme de puissance citée ci-dessus montre que le haut de cette gamme de puissance est certainement trop fort. En fait, le haut de gamme est si puissant que ça peut dépasser Hiroshima de 10 fois ; et si c’est ça une arme tactique, cela laisse perplexe quant à la prétendue relative réduction de puissance de ce type d’armes. En cas d’utilisation sur les champs de bataille, les constructions non militaires, villes et villages seront rasées et en cas de combats proches des villes il ne restera pas une pierre sur une autre sans compter les morts. Et n’oublions pas la dispersion de l’explosif nucléaire non explosé qui arrosera tout l’espace environnant de particules radioactives.

En réalité, la question de base est : comment provoquer une explosion nucléaire avec une quantité plus faible d’explosif, Uranium 235 ou Plutonium 239, alors que, depuis toujours, on évoque le concept de « masse critique », ce qui signifie qu’il existe une quantité minimale d’explosif en dessous de laquelle rien ne se passe ? D’un point de vue scientifique et technique, il ne faut pas raisonner en masse critique, mais en densité critique.

Explication : l’explosion est provoquée par des neutrons émis par l’atome d’uranium ou de plutonium et qui vont percuter d’autres atomes lesquels cassés (c’est la fission) vont émettre d’autres neutrons qui vont ainsi percuter d’autres atomes et entraîner une réaction en chaîne au cours de laquelle de plus en plus d’atomes seront percutés par les neutrons et ainsi de suite. Dès lors, la réaction s’emballe car la fission dégage énormément d’énergie, et c’est l’explosion qui va être colossale (E=MC2). Mais il faut savoir que cette explosion est si puissante qu’elle disperse en même temps en quelques millisecondes une partie de l’explosif, celui qui n’a pas encore eu le temps d’exploser. Ce qui a fait qu’à Hiroshima moins de 300 g d’explosif sont entrés en réaction. Ce qui n’était pas prévu du tout.

Ceci permet de percevoir combien le contrôle de la force d’explosion est délicat, et l’on peut craindre que ça explose toujours plus fort que prévu. Dans ce cas qu’en serait-t-il d’une guerre où tout le monde se jetterait à la figure des ‘’armes tactiques’’ ? Rappelons que, lors de la program-mation de la bombe d’Hiroshima, les constructeurs craignaient que ça n’explose pas ; or, on a vu ce que plusieurs dizaines de kilos mis dans la bombe ont causé comme morts et destructions, sachant que seuls moins de 300 g avaient explosés, le reste étant dispersé.

Mais quand ces armes ont-elles été testées et où ?

Il y a plus grave, c’est qu’au-delà des considérations sur les puissances, avec ce flou qui en résulte, on banalise le concept d’utilisation des armes nucléaires. Les partisans clament que ces bombes n’entrent pas dans le cadre des différents traités concernant les bombes stratégiques. C’est un contournement flagrant des traités. Cela fait plus de 30 ans que la France dépense des milliards d’euros en expérimentant un Laser Méga Joules (LMJ) pour essayer de faire exploser SANS SUCCES quelques grammes de plutonium, en bafouant le Traité de Non-Prolifération (TNP) dont la France est partenaire.

Jusqu’à maintenant, l’horreur de cette guerre entraînait de la part des peuples de la planète un rejet puissant de cette réalité, mais maintenant que cela se banalise avec de petites bombes prétendument « plus faibles », serait-il possible de penser que le nucléaire, en tant qu’arme, devienne une chose avec laquelle on pourrait vivre sans peur ? Il faudrait donc constituer un nouveau type d’arsenal d’armes, et probablement de nouveaux vecteurs ? Le chantage aux armes tactiques de courte portée a fait long feu, alors la RUSSIE a ouvert un autre front : Vladimir Poutine relancera la production d'armes nucléaires à portée intermédiaire si les États-Unis déploient des missiles en Europe [Le Figaro avec AFP - Publié le 28/07/2024].

Le Kremlin avait déjà averti en juillet que les capitales européennes deviendraient des cibles légitimes pour la Russie en cas de déploiement de missiles américains sur le continent. D’où l’idée d’utiliser les fusées en question jusqu’à 5 000 km, face donc aux M51 de la France.

Quelle aubaine pour les industriels de l’armement, les faucons et les vrais !


Missile balistique M51

Source, The Defense Post