Budgets, plannings, stratégie... :
tout diverge (dérive), même l’EPR de Flamanville !
Couacs qu’on nous en dise !
EDITORIAL
Encore que les tenants de la filière nucléaire essaient de se faire discrets et sont plutôt silencieux sur ces diverses déconvenues …
Couac 1 : nous avions jugé opportun de consacrer la Gazette Nucléaire n° 302 aux SMR (que l’on a renom-mée de manière humoristique, encore que, Small Mythical Reactor). On pensait être à peu près à jour. Loupé ! EDF, qui en était à l’avant-projet détaillé de son projet Nuward est contraint de modifier le design de son SMR pour cause de difficultés techniques. Si cette décision semble avoir été prise dans l’optique d’éviter ou limiter les retards et les dépasse-ments de budget, EDF n’a commu-niqué aucune information sur l’impact de cette décision sur le calendrier final, ni sur d’éventuelles modifica-tions des caractéristiques techniques du réacteur qui serait éventuellement commercialisé (Cf. page 4).
Couac 2 : fusion nucléaire. Des mal-façons sont à l’origine d’un nouveau retard pour le chantier du futur réacteur ITER situé à Cadarache. Résultat, autant de dépassements de budgets.
L’organisation ITER a annoncé ce 3 juillet une augmentation des coûts de 5 milliards d’euros. Le coût total du projet, initialement annoncé à 5 milliards d’euros, est désormais estimé autour de 25 milliards, un montant encore variable à la hausse selon que l’on considère ou non les contributions en nature des diffé-rentes parties prenantes. Et pour le premier plasma initialement planifié pour 2025, il faudra attendre au moins 2033, soit 8 ans de retard (Cf. page 2).
Couac 3 : la Corée, sauf veto de Westinghouse, pourrait l’emporter pour construire des réacteurs nucléaires en République Tchèque. La République tchèque vient de trancher pour le choix de ses nou-veaux réacteurs nucléaires. Le Sud-Coréen KHNP (avec son APR 1000) a été préféré à l’énergéticien français EDF (avec son réacteur EPR 1200) pour une paire de réacteurs au sein de la centrale de Dukovany dans le sud du pays. Le Président de la République s’était déplacé à plusieurs reprises en République tchèque pour appuyer l’offre d’EDF. Peine perdue (Cf. page 6).
Couac 4 : le coût des futurs réacteurs nucléaires EPR 2 en France commence à exploser ? La rumeur circulait déjà depuis quelques mois : le prix des six nouveaux EPR2 va augmenter.
Désormais,
c’est l’ancien ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui a
confirmé les faits. Il serait question d’une augmentation de 51,7
à 67,4 milliards, soit une hausse de plus de 30% par rapport à la
dernière estimation, et
supérieure
à 100% par rapport à l’estimation initiale de 2016 réalisée par
EDF (Cf. page 8). Un couac
qu’il en coûte ?
Mais au fait où en est-on de la mise en service de l’EPR à Flamanville ? Difficile de faire un point précis, les informations étant rares, les réunions de CLI initialement prévues mensuel-lement au cours de cette phase de mise en service étant sujettes à annulation ou report. Toutefois, avec l’autorisation de divergence accordée par l’ASN, la première réaction en chaîne a eu lieu le 3 septembre (Cf. page 16).
Couac n, Couac n+1, Couac n+2 …
On laisse libre cours à votre imagination pour compléter. A moins que le décret n° 2024-323 du 8 avril 2024 autorisant la création du fichier dit ODIINUC ne vienne restreindre cette faculté d’analyses et d’actions à l’encontre du nucléaire (Cf. page 21).
Mais, qu’à cela ne tienne, le chef de l’État et certaines composantes politiques continuent de s’entêter malgré tous ces signaux alarmants ! Ainsi, la France a transmis début juillet son PNIEC (Plan National Intégré Energie Carbone) à la Commission Européenne. Dans ce PNIEC, elle refuse toujours de se fixer un objectif d’énergies renouvelables, préférant défendre le concept d’énergie décarbonée, ce qui lui permet d’inclure le nucléaire. En effet, la France, avec une coalition de pays pronucléaires (Bulgarie, Croatie, Finlande, Hongrie, République Tchèque, Roumanie, Slovénie, Slovaquie et Suède), réunis sous l’Alliance du nucléaire, bataille à Bruxelles pour obtenir une directive « bas carbone » prenant en compte le nucléaire à l’horizon 2040, en rempla-cement de la directive « énergies renouvelables ».
Entre la Hongrie de Victor Orban, la République Tchèque qui contrac-tualise avec la Corée du Sud et non un partenaire européen, … la France se retrouve à la tête d’une « sacrée » alliance de pays fiables et amis… On est rassurés.
Enfin, ce numéro 303 inaugure une nouvelle rubrique d’expression d’organisations de nature scientifique partenaires et amies du GSIEN. Comme nous, elles sont engagées de longue date dans l’information et le contrôle indépendants des acteurs de la filière. En cette période de relance forcenée de la filière nucléaire, les chroniques qu’y développeront en toute liberté l’ACRO, la CRIIRAD, Global Chance et l’AMFPGN témoignent de la volonté de renforcer la coopération entre nos organisa-tions et montrent toute la pertinence et la nécessité d’une contre-expertise indépendante (Cf. page 16 et suivantes).
Bonne lecture de cette nouvelle Gazette Nucléaire n° 303 que nous avons souhaité « généraliste » en abordant des sujets tant techniques que financiers ou politiques. Et merci aux divers-es rédacteurs-trices.
Marc DENIS - Président
Monique SENE - Présidente honoraire