Octobre 2024 •

Essais d’endurance des diesels de secours de Flamanville 3
Leur fiabilité n’a pas été démontrée mais elle est considérée acceptable, par l’IRSN

« La lettre EPR Flamanville 3 » n° 68, le fanzine de ce réacteur, fait un « Zoom sur... Les moteurs diesels de l’EPR Flamanville 3 ». Il est rappelé que « Les moteurs diesels jouent un rôle primordial pour la sûreté d’un site nucléaire puisqu’ils assurent le fonctionnement des installations et des matériels de sûreté en toute circons-tance » et « qu’en toute situation, les moteurs diesels sont capables de prendre le relais pour assurer l’alimentation électrique des installations ».

« L’EPR de Flamanville 3 est composé de quatre moteurs diesels principaux [7,2 MW] et deux moteurs diesels d’ultime secours [2,5 MW] » [EDF, 26/08/19].

En mai 2023, l’IRSN rend compte des « Essai d’endurance des groupes électrogènes de secours principaux avec un critère de sûreté non respecté » : « L’objet du présent avis est d’analyser les causes des aléas rencontrés par EDF lors des essais d’endurance des groupes électrogènes et en particulier, pour l’IRSN, le non-respect d’un critère de sûreté de type S (Paramètre et valeurs de référence associées à ces paramètres (valeurs, plages, états…) dont le non-respect compromet l'aptitude de tout ou partie d'une fonction de sûreté, à assurer sa mission telle que définie dans les études du Rapport de Sûreté) ».

L’essai d’endurance consiste à tester les diesels de secours « à marche stable durant huit jours, qui fait partie de la procédure des essais contractuels du CST (Cahier des spécifications techniques) préalables à la réception provisoire, permet de s’assurer que les groupes électrogènes principaux (LHP, LHQ, LHR et LHS) présentent les performances attendues dans le temps. Cet essai d’endurance est affecté du critère de sûreté de type S suivant : Le groupe fonctionne normalement sans défaut pendant 8 jours consécutifs à charge stable d’au moins 0,5*Pn dont 4 jours de fonctionnement à puissance Pn » (Puissance nominale).

Lors des essais, aucun des quatre groupes électrogènes n’a rempli sa mission de sûreté de fonctionner pendant 8 jours consécutifs sans défaut...

Résumé des défauts survenus : « L’IRSN a analysé tous les résultats de l’essai d’endurance des quatre groupes électrogènes principaux. L’essai des groupes LHP, LHQ et LHS, a mis en lumière des défauts divers qui ont conduit à l’interruption, soit volontaire, soit automatique (...), de l’essai. Les défauts du groupe LHP (fusion d’une gaine de câble de 10 kV), du groupe LHQ (deux séries de variation incontrôlée de puissance et un flexible de carburant endommagé à la suite d’activités de soudures à proximité) et du groupe LHS (apparition d’alarmes de température à la suite d’un dysfonctionnement de capteurs) qui ne sont pas de même nature, ont amené EDF à intervenir pour les corriger. En outre, une gaine d’un câble d’une phase de 10 kV a été retrouvée fondue dans un coffret électrique appartenant à ce dernier groupe électrogène. Enfin, les groupes LHQ et LHS n’ont jamais fonctionné trois jours consécutifs à 100% Pn durant cet essai d’endurance.

(...)

L’ensemble de ces essais a mis en évidence plusieurs défauts dont l’un mettant en cause directement le fonctionnement du moteur du groupe électrogène LHP. L’IRSN considère que les requalifications réalisées à la suite des diverses réparations des défauts rencontrés ne sont pas suffisantes pour s’assurer de la disponibilité et de la fiabilité de ces groupes électrogènes principaux avec un niveau de confiance acceptable ».

La « Position d’EDF » est plus tranchée comme l’explique l’IRSN : « Pour EDF, les essais sont concluants et le critères S a été respecté pour les quatre groupes électro-gènes testés ».

« Les fortes contraintes d’exploitation qu’induit la réalisation de ces essais rendent difficile leur répétition dès lors que le réacteur est en service. Ainsi, la reprise de ces essais d’endurance, dès lors qu’elle est reconnue comme nécessaire, est à mener au plus tôt. Le Rapport définitif de sûreté, indique que « les groupes électrogènes peuvent fonctionner 72 heures à pleine charge, sans appoint en fluides, afin de couvrir les besoins électriques des actionneurs secourus lors d’un MDTE (Manque de tensions externes - durée de 24 heures) et pour permettre l’approvisionnement des fluides nécessaires à l’alimentation des diesels principaux lors d’un MDTE long terme ». Par conséquent, afin de renfoncer la confiance dans la fiabilité des groupes électrogènes principaux, l’IRSN estime nécessaire qu’EDF réalise un nouvel essai d’endurance de chacun des quatre groupes électrogènes principaux LHP, LHQ, LHR et LHS, avant la mise en service du réacteur EPR de Flamanville. Il devra s’agir d’un essai de fonctionnement à marche stable à 100 % de puissance nominale pendant trois jours consécutifs ».

MDTE : Manque de tensions externes

Archive GSIEN

Conclusion de l’IRSN : « Au vu des résultats et des précisions techniques transmises concernant les essais d’endurance des groupes électrogènes de secours, ainsi que des informations récentes relatives au mauvais montage d’un injecteur, l’IRSN considère que les aléas survenus sur les groupes électro-gènes ne permettent pas de considérer que ceux-ci ont un niveau de fiabilité satisfaisant. À ce titre, une fois l’ensemble des aléas techniques traités, l’IRSN recommande qu’un essai complémentaire d’endurance soit réalisé au plus tôt pour chacun des groupes électrogènes avant la mise en service du réacteur EPR de Flamanville, afin de garantir leur aptitude à assurer leur mission en cas de situation accidentelle » [Avis IRSN N° 2023-0064, 4/05/23].

Avec tous les aléas survenus aucun des groupes n’a fonctionné huit jours consécutifs sans défaut et deux d’entre eux n’ont même pas fonctionné trois jours consécutifs à la puissance nominale.

L’IRSN estime nécessaire de réaliser de nouveaux tests avec « un essai de fonctionnement à marche stable à 100% de puissance nominale pendant trois jours con-sécutifs » pour chaque diesel principal mais aussi l’essai contractuel d’endurance de « 8 jours consécutifs » de la procédure du Cahier des spécifications techniques permettant de s’assurer que les groupes électrogènes présentent les performances attendues dans le temps. Ce qui semble logique compte-tenu du manque de fiabilité rencontré lors des premiers essais

Les moteurs diesels sont sollicités en cas de Manque de tensions externes (MDTE), lors de la perte du réseau électrique par exemple. D’après le Rapport de sûreté du réacteur, un MDTE longue durée pourrait durer « 15 jours » (en cas de séisme) comme on peut le voir dans le fac-simile ci-dessous.

En février 2024, l’IRSN fait le point sur le sujet dans son avis « Analyse du bilan des essais de fonctionnement des groupes électrogènes de secours (« diesels principaux ») et d’ultime secours du réacteur EPR de Flamanville, ainsi que de l’écart survenu sur le groupe électrogène d’ultime secours ». On imagine y trouver le compte-rendu d’essais d’endurance (8 jours consécutifs) pour les quatre groupes et de fonctionnement d’a minima trois jours consécutifs pour au moins les deux groupes (LHQ et LHS) qui n’avaient pas réussi au premier essai. Il n’en a rien été. Dans son avis, l’IRSN rappelle le « manque de fiabilité, révélé par un nombre élevé de reprises des procédures d’essais de démarrage » des groupes électrogènes et explique que « Ces diesels principaux auraient dû faire l’objet d’une qualification en usine via un essai d’endurance sur un prototype, mais EDF a fait le choix de ne pas le réaliser, et lui a substitué la valorisation des heures de fonctionnement de diesels similaires. Or ceux-ci utilisent comme carburant du fioul lourd, dont ses caractéristiques mécaniques (notamment la viscosité) diffèrent fortement de celles du GNR employé sur les quatre groupes diesels principaux de l’EPR ». Sur les essais de qualification en endurance, l’IRSN estime « que leur non-réalisation n’est pas une pratique acceptable ».

La suite de l’analyse de l’IRSN est surprenante : « Après ana-lyse des résultats des essais de démarrage obtenus, l’IRSN considère que les quatre groupes électrogènes princi-paux de secours ont un niveau de fiabilité accepta-ble ». Malgré son endurance, l’Institut a-t-il dû avaler son chapeau ?

Dans sa conclusion, l’IRSN indique que « cette expertise a permis de déceler et de traiter des anomalies préjudiciables à la sûreté. En effet, l’analyse des résultats des essais de démarrage a mis en évidence des faible-sses dans la conception de ces diesels.

L’absence d’essais de qualification en usine a notamment amené EDF à réaliser plus de 150 reprises d’essais sur l’ensemble des groupes diesels principaux pour valider les critères de sûreté » [Avis IRSN N° 2024-00027, 20/02/24].

Mais que penser de l’« Exhaustivité et suffisance des essais de démarrage du réacteur » de Flamanville 3.

L’IRSN avait abordé le sujet en 2018.

« Selon EDF, l’analyse du retour d’expérience des précédents démarrages et des anomalies détectées sur les réacteurs du parc électronucléaire en fonctionnement ne met pas en évidence de plus-value importante des essais d’endurance de longue durée réalisés sur site sur les systèmes de sauvegarde. EDF a donc considéré que les programmes standards d’essais réalisés en usine étaient suffisants pour détecter les dysfonction-nements des équipements des systèmes de sauvegarde rarement sollicités en fonctionnement normal. Il a donc décidé de ne pas réaliser d’essais d’endurance de longue durée sur site à l’instar de ceux qui figuraient au programme des essais de démarrage des réacteurs de 1450 MWe du palier N4. Pour mémoire, pour les réacteurs de ce palier, (...) les groupes électrogènes de secours, ont été soumis à des essais d’endurance tête de série respectivement de 1500 heures et de 1000 heures de fonctionnement.

Dans son avis [2017-00335 du 24 octobre 2017], l’IRSN remet en cause l’analyse d’EDF et sa décision de ne pas réaliser d’essais d’endurance sur site sur la base de sa propre analyse du retour d’expérience (...).

L’IRSN relève tout d’abord que de nombreuses défaillances sur des équipements de sauvegarde ont été découvertes à l’occasion d’essais de fonctionnement de longue durée réalisés lors du premier démarrage des réacteurs du parc électro-nucléaire d’EDF ».

De nombreux exemples sont cités dans l’avis. Extraits :

  • « les essais d’endurance des groupes électrogènes de secours du réacteur n° 2 de 900 MWe du Bugey ont mis en évidence une mauvaise tenue mécanique des groupes qui a été confirmée sur les autres réacteurs de la centrale. Suite à ces difficultés répétées, une mise en conformité mécanique des groupes électrogènes de secours des réacteurs du palier 900 MWe CPY a été décidée ;

  • au cours des essais d’endurance du groupe électrogène de secours de la voie A du réacteur n° 1 de Flamanville, les boulons de fixation au sol de la tuyauterie de refoulement de la pompe de graissage se sont rompus et une fuite sur une tuyauterie d’alimentation en fioul est également apparue ; ces incidents étaient provoqués par des vibrations anormales dues au mauvais supportage des tuyauteries ;

  • les essais d’endurance réalisés sur un groupe électrogène de secours du réacteur n° 4 de Cattenom ont provoqué la fissuration de plusieurs culasses. Cette avarie était due à un défaut de fabrication, le lot concerné a été identifié et les culasses ont été remplacées ;

  • plusieurs anomalies ont été détectées lors de l’essai d’endurance du moteur du groupe électrogène de secours de la voie B du réacteur n° 2 de la centrale de Chooz, réalisé sur site. Les problèmes relevés concernaient notamment l’arrachement d’une prise de pression située sur la gaine d’échappement, la défail-lance d’un capteur de vitesse d’ancienne génération (conduisant au remplacement du modèle de capteur sur tous les groupes électrogènes du palier N4) et l’ouverture de soupapes de sécurité sur des cylindres (ces soupapes ont été supprimées à la suite de l’essai).

(...)

En outre, l’IRSN souligne que des défaillances d’équipements (ou des événements précurseurs de défaillance) ont été constatées après un fonctionnement plus ou moins prolongé dans des conditions de fonctionnement rarement rencontrées en fonctionnement normal mais qui pourraient l’être en cas d’incident ou d’accident » [Avis IRSN N° 2018-00208, 24/07/18].

Les groupes électrogènes de secours de Flamanville 3 présentent des faiblesses dans la conception et, a priori, aucun n’a réussi les test d’endurance de huit jours consécutifs sans défaut ni en usine, ni sur site. Que doit-on en conclure quant à leur fiabilité ? Pourront-ils fonctionner en toute circonstance ainsi qu’en toute situation afin d’alimenter les auxiliaires de sauvegarde ? Les essais de faible durée réalisés ne viendront pas renforcer la confiance dans leur fiabilité. Ni les récents incidents survenus concernant leur disponibilité.

Dans un avis d’incident, l’ASN indique que « Le 22 mai 2024, EDF a déclaré à l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) un événement significatif relatif à l’indisponibilité des groupes électrogènes de secours du réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville 3. Après des demandes de compléments formulées par l’ASN et une nouvelle analyse par EDF, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES » Résumé : « Entre le 10 mars et le 15 mai 2024, plusieurs essais périodiques et relevés de paramètres ont été réalisés sur les quatre sources électriques internes sans détecter le non-respect d’un critère de sûreté défini dans les règles générales d’exploitation (RGE). Le critère concerné correspond à un niveau minimal d’eau dans une cuve d’un circuit de réfrigération permettant le bon fonctionnement des groupes électrogènes de secours à moteur diesel. Cette situation a conduit à mettre en service le réacteur avec trois sources électriques internes indisponibles au sens des RGE. Dès la détection de l’événement le 15 mai 2024, l’exploitant a procédé à un appoint des trois cuves concernées » [ASN, 24/06/24].

Rebelotte en juillet avec de nouveaux incidents « classé au niveau 1 de l’échelle INES » : « Le 26 juillet 2024, EDF a déclaré à l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) un événement significatif relatif à l’indisponibilité simultanée de deux groupes électrogènes de secours du réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville 3. (...) Le 16 juillet 2024, lors de la mise en œuvre d’une modification du contrôle-commande des groupes électrogènes de secours, un agent a détecté que la mise en configuration du contrôle-commande, pour pouvoir réaliser l’intervention, avait généré l’indisponibilité du groupe électrogène alimentant les matériels en application des STE. A l’issue des travaux, les groupes électrogènes de secours ont été remis dans leur configuration normale d’exploitation. Après analyse, il a identifié qu’une situation similaire avait été rencontrée le 5 juillet lors de la modification d’un autre groupe électrogène de secours sans que l’écart ait été détecté. Une modification de la mise en configuration de l’installation a été réalisée pour pouvoir réaliser les travaux sur les deux derniers groupes à modifier » [ASN, 30/07/24].

Et dix de der fin juillet selon les « Informations réglementaires » d’EDF sur l’EPR de Flamanville 3 : « 26/07/2024 - Déclaration d’un événement significatif sûreté (ESS) suite à une indisponibilité de deux groupes électrogènes (Diesels).

Du 15 au 17 juillet des travaux programmés sur un groupe électrogène (Diesel) ont été réalisés. Lors de ces travaux un dispositif palliatif a été mis en œuvre pour permettre l’alimentation de secours en cas de manque de tension sur le réseau. Vers la fin de l’opération, un contrôle en salle de commande a mis en évidence l’insuffisance de ce dispositif palliatif rendant indisponible deux des quatre groupes électrogènes principaux ». Cet incident a été « déclaré au niveau 1 de l’échelle INES » [EDF, 6/08/24].

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