Point sur les coriums de Fukushima
Informations trouvées dans une communication de C. Journeau (CEA) et D. Roulet (ONET) sur « Le corium de Fukushima Daiichi : formation, état actuel et R&D en vue de sa récupération » :
« Formation du corium
Dès la détection du séisme (des accélération allant jusqu’à 5,5 m/s2 ont été mesurées, soit légèrement plus que l’accélération correspondant au séisme de dimen-sionnement), les barres d’arrêt d’urgence ont été automatiquement insérées dans les cœurs des trois réacteurs en fonctionnement, entrainant l’arrêt de la réaction nucléaire. Néanmoins, il reste une puissance résiduelle due à la radioactivité du combustible irradié. Pour les tranches 2 et 3 dont la puissance thermique nominale est de 2381 MW, la puissance résiduelle répartie dans la centaine de tonne de combustible est de l’ordre de 170 MW lors de l’arrêt de la réaction en chaine, de 30 MW environ 1 h après et d’environ 3 MW un mois après. Un des objectifs majeurs de sûreté durant et après l’accident est d’évacuer cette puissance.
La chaleur résiduelle de la tranche 1 était évacuée par un échangeur (dit condenseur d’isolement) et le refroidis-sement était régulé en ouvrant et fermant la vanne du circuit menant à cet échangeur. La perte d’alimentation électrique s’est produite lorsque la vanne était fermée, ce qui fait qu’il n’y avait plus de sources froide. Il n’a pas été possible de rouvrir ces vannes. La température du circuit primaire a donc augmenté jusqu’à l’ouverture des soupapes. Au bout de quelques heures, le cœur a été dénoyé et a atteint une température de l’ordre de 1200°C à partir de laquelle la réaction exothermique d’oxydation du zirconium des gaines s’emballe, menant à la fusion du cœur et la formation de corium. Cette oxydation du zirconium par la vapeur d’eau génère aussi de l’hydrogène. La pression dans l’enceinte de confinement va augmenter à tel point que des fuites sont apparues. Alors que l’atmosphère de l’enceinte des réacteurs à eau bouillante est inertée, les fuites d’un gaz contenant une fraction significative d’hydrogène dans l’air du bâtiment réacteur a entrainé l’explosion hydrogène observée dans le bâtiment du réacteur 1, le 12 mars à 15:36, soit 25 heures après le séisme.
Les tranches 2 et 3 disposent d’un autre système de sauvegarde, le Reactor Core Isolation Cooling system (RCIC) : une pompe dont la force motrice est fournie, à l’aide d’une turbine, par la vapeur générée par l’accident, prélève l’eau dans un réservoir de l’enceinte de confinement et l’introduit à haute pression dans la cuve. Ce système a permis de retarder la fusion du cœur de quelques jours car il a continué à fonctionner même après l’épuisement de ses batteries servant à piloter le débit. Néanmoins, le refroidissement du cœur s’est arrêté avant la mise en place d’un refroidissement par injection d’eau depuis des camions disposant d’une motopompe. Ceci a entraîné la dégradation du cœur (moins étendue dans la tranche 2 que dans la tranche 3 et la formation de corium.
Lorsqu’un débit suffisant d’eau (de l’ordre de 10-20 m3 par heure) ne peut pas refroidir le corium, il va se relocaliser, d’abord au fond de la cuve du réacteur puis en cas de brèche de celle-ci, sur le radier en béton de l’enceinte de confinement. Des calculs ont été menés avec divers codes scénario afin de reproduire au mieux les quelques mesures relevées durant l’accident. Ils permettent entre autres d’estimer la nature et la répartition spatiale du corium. Le corium est un mélange présentant des hétérogénéités : la figure ci-dessous présente, par exemple, la configuration multicouche retenue dans la modélisation du code ASTEC : plusieurs couches de corium fondu existent du fait d’une ségrégation entre phases oxydes et métalliques immiscibles. Pour la tranche 1, la couche inférieure (Magma 1) correspondrait à 22 t d’un mélange constitué principalement de 72% d’acier, 14% d’uranium et 9% de zirconium. La couche centrale (Magma 2) de 61,5 t serait, quant à elle, principalement constituée de 48% d’oxyde d’uranium, 35% d’oxyde de zirconium et 16% d’acier oxydé. La couche supérieure (Magma 3) de 3 t serait, quant à elle, constituée d’un mélange partiellement oxydé d’acier, d’uranium et de zirconium. Les flux de chaleurs générés par la radioactivité vont entrainer un percement de la cuve et le versement du corium dans le puits de cuve » [Journeau/Roulet, 2019].
Configuration typique du corium en fond de cuve
Localisation du corium
Une fois échappés de la cuve du réacteur, explique B. Chareyron (CRIIRAD) « il est très important de comprendre où sont localisés ces coriums, quelle est leur nature physico-chimique et sous quelle forme ils se trouvent pour pouvoir mettre au point les technologies et plans d’action qui permettront de les retirer, de les reconditionner et de les transférer vers des installations de stockage à même de garantir leur confinement à très long terme.
Des simulations informatiques effectuées en 2011 par TEPCO suggéraient que le corium du réacteur N° 1 avait traversé la première cuve métallique et commencé à s’enfoncer dans la dalle béton qui recouvre la paroi en acier du PCV (Primary Containment Vessel).
TEPCO a confirmé, fin mars 2015, que pratiquement tout le combustible du réacteur N° 1 avait bien fondu et ne se trouvait plus dans la première cuve (RPV : Reactor Pressure Vessel). Ce diagnostic a été réalisé en effectuant une « radiographie » au moyen de rayonnements cosmiques appelés muons. Pour l’instant, il n’est toutefois pas possible de localiser avec précision le corium.
En ce qui concerne le cœur du réacteur N°2, sur la base de « radiographies » effectuées également avec des muons, une équipe de l’université de Nagoya avait conclu que plus de 70% du cœur avait probablement fondu. Pour le réacteur 3, il était estimé que 63% du cœur avait fondu.
Les schémas publiés par TEPCO en janvier 2024 pour les réacteurs 1 et 2 mettent bien en évidence la fusion du cœur mais ils sont trompeurs, car la localisation exacte des corium n’est pas connue en réalité.
(...)
Préciser la localisation des coriums est un véritable défi, comme l’est la tentative de retirer ne serait-ce qu’un seul échantillon. Les niveaux de radiation sont en certains endroits tellement élevés qu’ils délivreraient une dose mortelle en quelques instants et qu’ils nuisent même au bon fonctionnement de systèmes robotisés. TEPCO indique par exemple un niveau de radiation de 70 Gray par heure à l’intérieur du PCV [Enceinte de confinement primaire] du réacteur 2.
L’essai de prélèvement d’un seul échantillon de corium du réacteur N° 2 pour pouvoir en effectuer l’analyse, a été reporté pour la 3ème fois en ce début d’année 2024. La mise au point du bras robotisé qui sera assigné à cette tâche s’avère complexe. Quant au réacteur 1, un drone a été utilisé en février 2024 pour examiner les débris mais la seconde journée d’exploration a été annulée du fait de la défaillance du robot qui contribuait à la transmission des données.
Pour le démantèlement, ce ne sont pas quelques grammes de cette matière hautement radioactive qui devront être récupérés, mais de l’ordre de 880 tonnes » [CriiRad, 22/04/24].
Fukushima 福島第一
Le corium du réacteur 1 (2022)
Le corium du réacteur 2
(2018)
Source, fukushima-blog.com
Échantillonnage du corium
En août 2024, un essai de récupération d’un échantillon de corium dans le réacteur 2 est de nouveau entrepris : « Une sonde, équipée d'un bras robotique, doit être envoyée à l'intérieur d'un réacteur en panne [Sic]. Elle devrait mettre environ une semaine pour atteindre les débris radioactifs et réapparaître 4 semaines plus tard avec un échantillon » de quelques grammes de corium [Sciences et Avenir, 23/08/24].
Un long voyage rapidement suspendu, le bras robotique ayant rencontré un problème.
La Tokyo Electric Power Company (TEPCO), l’opérateur de Fukushima, « prévoyait de connecter entre eux cinq éléments de tuyauterie [bras robotique], numérotés de 1 à 5 et mesurant chacun 1,5 mètre de long. Or, les éléments ont été fixés dans le désordre : "[Numéro] 2, 3, 4, 1 et 5", a admis Tepco, qui a décidé d’inter-rompre l’essai. "Nous cherchons à comprendre pourquoi il y a eu une erreur dans la mise en place de la canalisation", a expliqué l’entreprise, qui n’a pas indiqué de nouvelle date de reprise de l’essai » [Le Monde, 22/08/24].
Mi-septembre, TEPCO va de nouveau tenter d’effectuer un prélèvement de quelques grammes de corium. Cet échantillon devrait permettre une caractérisation de la matière prélevée afin, selon la communication officielle, de préparer le retrait des coriums. Ces derniers n’étant pas homogènes, la caractérisation de l’échantillon donnera quelques renseignements sur 0,00000034% des coriums de Fukushima (3 g sur 880 t). Un tout petit pas vers un éventuel démantèlement... Lors de l’accident de Three Mile Island en 1979 (fusion d’environ 50% du cœur de TMI-2), d’importantes variations de composition du corium ont été constatées tant en oxyde d’uranium (UO2) qu’en oxyde de zirconium (ZrO2). Un document du Laboratoire national de l’Idaho (USA) indique que « Les concentrations relatives variaient considérablement (UO2 62-82% en masse, ZrO2 18-53% en masse) » dans le corium et les débris de combustible de TMI-2 [INL, 2022].
Dans un rapport du CEA de 2008, C. Journeau fait remarquer « qu’il n’y a pas de corium standard mais une large gamme de compositions dépendant de la centrale, mais aussi du scénario (oxydation du zirconium, quantité de matériaux de structures fondus, quantité de béton ablaté, potentiel d’oxygène…) » [CEA, 2008].
La route du démantèlement de Fukushima sera longue et tortueuse.
***
38 ans après Tchernobyl, la catastrophe continue... Bibliographie à dimension historique sur Infonucléaire, 2024