Octobre 2024 •

Point sur le projet ITER
ITER director general promises ‘realistic’ project timeline
Wold nuclear news, 19/10/23

Le directeur général du réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), Pietro Barabaschi, a présenté les progrès accomplis et les problèmes rencontrés par le projet multinational dans le cadre du processus d’élaboration d’un calendrier révisé.

La fuite du temps – Salvador Dali

Plazzart

Il a ajouté qu’« il n’y a aucune chance que nous ayons le premier plasma en 2025 (le calendrier actuel fixé en 2016), mais franchement, je pense qu’il n’y avait aucune chance, même il y a trois ans », qu’il soit respecté.

(...)

Toutefois, des défis ont été posés par des composants inédits, comme le premier module complet du secteur de la chambre à vide qui a été introduit dans la fosse du tokamak en mai 2022, mais qui a dû être retiré après que « le soudage secteur à secteur des secteurs de la chambre à vide a été réévalué comme étant trop difficile à réaliser in situ, sur la base des non-conformités géométriques précédemment identifiées dans les assemblage sur le terrain » et qu’une fuite a également été identifiée dans la tuyauterie de refroidissement du bouclier thermique en raison d’une corrosion sous contrainte due au chlorure. Des contrats de réparation ont été attribués pour remédier à ces « non-conformités ».

D’autres questions doivent être prises en compte lors de l’élaboration du calendrier révisé du projet, a-t-il déclaré :

  • « Assurer l’alignement avec l’ASN, l’autorité française de sûreté nucléaire, en partie en mettant en œuvre une approche progressive de la démonstration de sûreté » – il ne pensait pas qu’il était raisonnable ou possible de faire une démonstration de sûreté maintenant pour montrer à l’autorité de régulation qu’ITER serait sûr à la fin de sa durée de vie.

  • Repenser la séquence de soudage de la chambre à vide.

  • « Un calendrier réaliste pour l’assemblage et la mise en service... le précédent n’était pas réaliste – la façon dont nous planifions est toujours agressive, mais elle ne doit pas être surréaliste ».

  • Début des essais de certaines bobines de champ toroïdal et poloïdal.

  • Passage du matériau de la première paroi du béryllium au tungstène et « ajustements de la portée du premier plasma, suivis de deux phases opérationnelles de DT [deutérium/tritium] ».

(...)

M. Barabaschi a déclaré qu’il y avait eu un « changement de culture » et qu’ils étaient conscients des problèmes rencontrés plutôt que de les balayer « sous le tapis » et que, globalement, « nous sommes sur la bonne voie ... nous sommes maintenant en train de préparer la nouvelle base de référence, ce ne sera pas une bonne nouvelle ... mais nous irons de l’avant et nous réussirons. J’en suis convaincu ».

Il a ajouté : « L’un des plus grands défis que nous ayons à relever dans le domaine de la fusion est que, tout au long de la construction d’ITER, beaucoup de connaissances ont été perdues – les connaissances sur ce qu’il faut pour intégrer une installation comme ITER, pour la concevoir à partir de zéro, ont été perdues. Je pense que nous devons reconstruire le savoir – le savoir est disponible quelque part, mais il n’est pas consolidé.

(...)

Les ingénieurs ne sont pas aussi doués que les scientifiques pour consolider l’information dans le domaine de la fusion « parce que les scientifiques publient beaucoup plus que les ingénieurs », a-t-il déclaré, ajoutant que l’absence de consolidation de l’information était « un problème très grave et que nous devions changer la culture – c’est quelque chose que nous allons faire à ITER, avec des difficultés, parce que nous devrons faire revenir à bord certains retraités, croyez-le ou non » pour y parvenir.

Commentaire GSIEN : l’an dernier, dans la Gazette n° 300, nous évoquions l’envol des coûts du projet (plus de 300% de surcoût à mi-construction) mais aussi le retard pris dans les travaux avec un report d’au moins cinq années pour le « premier plasma » qui ne surviendrait qu’en 2030. Pourtant, le site Internet d’ITER annonçait toujours le premier plasma pour 2025 tout en précisant que la calendrier était « en cours d’actualisation » [Gazette n° 300, Août 23].

En octobre 2023, Pietro Barabaschi promet un calendrier « réaliste » du projet (promises ‘realistic’ project timeline).

Interrogé par L’Express en juillet 2024, le boss d’ITER « prévoit notamment un retard de huit ans pour la première étape scientifique cruciale, la production du premier plasma de matière, indispensable à la fusion. Initialement prévue pour 2025, cette étape est reportée à au moins 2033 ». Quant au surcoût, estimé à la louche, il « devrait atteindre environ 5 milliards d’euros, a-t-il précisé, pour un coût total déjà engagé estimé entre 20 et 40 milliards d’euros » [L’Express, 3/07/24].

En septembre 2024, comme on peut le voir avec la copie d’écran ci-contre, le site Internet d’ITER mentionnait encore le premier plasma pour 2025... [Iter.org]. Dix mois n’auront pas suffi pour la gestation d’un calendrier réaliste.

« Multipliant les revers, le méga projet de fusion nucléaire ITER veut prendre un nouveau départ » : c’est le titre d’un article paru dans La Tribune en octobre dernier. S’exprimant devant les parlementaires, Pietro Barabaschi s’est exprimé avec franchise : « Je dois avouer que le projet se trouve dans une situation très difficile ». Il a évoqué des « pertes significatives de compétences internes dans des domaines clés », mais aussi la « perte de confiance importante envers l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) », la « qualité insuffisante de certains composants » ainsi qu’un « manque de motivation du personnel en raison d’objectifs inatteignables »... En clair, « Nous sommes à la limite de ce que l’humain sait faire ».

Le directeur général adjoint et scientifique en chef du programme ITER, Alain Bécoulet, « a profité de cette crise pour prendre une autre décision majeure : ITER se passera du béryllium, qui devait être utilisé pour recouvrir une partie des parois de la chambre à vide du tokamak, la surface qui sera la plus proche du plasma thermo-nucléaire. Ce métal présente plusieurs défauts : il est peu abondant sur Terre et est surtout très toxique. ITER utilisera donc uniquement du tungstène » [La Tribune, 30/10/23].

Rappelons que l’utilisation de béryllium aurait généré des produits de fission et des transuraniens, sous l’effet des neutrons de la réaction de fusion, du fait de la présence de trace d’uranium dans le béryllium (Cf. Gazette n° 300).

En même temps, « La Russie achève les essais sur les premiers panneaux muraux d’ITER » selon Wolrd nuclear news (janvier 2024) : « La fabrication et les essais des premiers prototypes de panneaux muraux destinés à la machine de fusion du réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) ont été menés à bien, indique la société JSC NIIEFA, basée à Saint-Pétersbourg, qui fait partie de la société nucléaire d’État russe Rosatom. (...) Ces composants hautement technologiques sont constitués de tuiles de béryllium liées à un alliage de cuivre et à de l’acier inoxydable 316L (N) » [WNN, 11/01/24]. Peut-être aurait-il fallu informer Rosatom de l’abandon du béryllium !


Courrier des lecteurs

et complément d’informations sur ITER, merci Alban

J’ai lu avec attention le dernier numéro de la Gazette consacré à la fusion et ITER. J’ai bien apprécié le dossier qui explique bien la conception et les faiblesses d’ITER.

A mon sens cependant n’est mentionné qu’un type de problème, celui de la maîtrise des réactions de fusion (en particulier le problème des instabilités plasma) mais évacue deux autres, non moins importants, et qui ne seront pas traités par ITER :  

la production massive du tritium (supposée être produite en continu à partir de couvertures en lithium pour les futures machines) ;

la tenue des matériaux des enceintes de confinement. En effet, on ne sait pas faire aujourd’hui les matériaux devant résister aux flux de neutrons très énergétiques de 14 MeV : sous leur impact, ceux-ci cassent les atomes en produisant des bulles d’hélium. ITER n’étudiera pas la tenue de ses matériaux sous irradiation forte et prolongée puisqu’elle ne produira que quelques bouffées de neutrons vers la fin de son exploitation. Alors qu’un prototype industriel futur devra encaisser de l’ordre de 150 dpa (nombre moyen de déplacements par atome subis par le matériau soumis au flux de neutrons), ITER ne dépassera pas quelques dpa (1 à 3 dpa).

Bien que datant de 2019, on peut également signaler un autre livre intéressant « Soleil trompeur, ITER ou le fantasme de l’énergie illimitée » d’Isabelle Bourboulon : on découvre dans cette enquête les motivations politico-financières qui ont prévalu au lancement du projet, les aberrations techniques qui sont ignorées, et l’on comprend que les prétentions infinies de la technoscience – ici, celle d’une « énergie illimitée » - sont totalement inadaptées au défi du dérèglement climatique.

https ://basta.media/ITER-cadarache-grand-projet-GPII-reacteur-fusion-nucleaire-Provence