Octobre 2024 •

Pas de chèque en blanc pour EDF en République tchèque pour la construction de réacteurs EPR 1200

En visite officielle le 5 mars 2024, le président de la République était venu jouer au VRP de l’atome lors de la rencontre avec son homologue tchèque. Résumé avec Euractiv : « EDF est en lice pour obtenir le contrat de construction d’un nouveau réacteur nucléaire pour la centrale de Dukovany, en République tchèque. Toutefois, la candidature de l’énergéticien français est condition-née à la bonne gestion financière et temporelle [Sic].

La République tchèque souhaite se doter de quatre nouveaux réacteurs, en plus des six dont le pays dispose déjà. Pour le premier des quatre, deux constructeurs sont en compétition : le français et premier énergéticien d’Europe EDF, et le sud-coréen KHNP, filiale de KEPC ». EDF propose le réacteur de papier EPR 1200 (dérivé de l’EPR 2) et la Corée le réacteur APR 1000 qui a obtenu la certification pour le marché européen.

« Le président français Emmanuel Macron était à Prague mardi (5 mars) pour appuyer la candidature de l’entreprise française, qui exploite le plus grand réseau de centrales nucléaires d’Europe, pour la construction de l’un de ces réacteurs sur la centrale de Dukovany — possiblement en lice pour trois autres.

(...)

Emmanuel Macron a notamment insisté sur le fait que la République tchèque devrait privilégier les partenaires européens plutôt que les entreprises non européennes, américaines ou sud-coréennes, qui sont également intéressées par l’appel d’offres.

Cependant, dans ses projets en cours sur des réacteurs de 3ème génération (EPR 2), EDF fait face à d’importants retards et à des dépassements de coûts, des problèmes que Prague souhaite éviter.

Si la République tchèque décide d’opter pour EDF, comment s’assurera-t-elle que la même chose ne se produira pas dans le cas de Dukovany ? » [Euractiv, 7/03/24].

C’était la question piège car il n’y a aucune assurance qu’EDF respecte les coûts et les délais de construction d’un nouveau réacteur nucléaire. L’expérience démontre le contraire. C’est ce qu’ont conclu les tchèques.

APR 1000 Vs EPR 1200

Quelques précisions avec la SFEN :

« Dukovany : la République tchèque s’oriente vers le Coréen KHNP pour ses nouveaux réacteurs

La République tchèque a sélectionné Korea Hydro & Nuclear Power (KHNP) pour des négociations exclusives en vue de la construction de deux réacteurs à Dukovany, préférant ainsi l’APR 1000 coréen à l’EPR 1200 d’EDF. Sur cette décision planent des incertitudes. En particulier, Westinghouse pourrait bloquer l’industriel coréen arguant que l’export de l’APR 1000 nécessite un feu vert préalable des États-Unis.

En finale face à EDF, c’est le dossier du coréen KHNP qui a été préféré par les autorités tchèques pour entrer en négociations exclusives en vue de construire deux réacteurs sur la centrale de Dukovany. Les deux APR 1000 de l’opérateur asiatique ont été préférés en phase finale face aux deux EPR 1200 (une variante de l’EPR) portés par EDF ».

« L’enjeu économique » a probablement fait pencher la balance du côté asiatique : « L’offre coréenne s’appuie sur un prix fixe d’environ 200 milliards de couronnes tchèques par unité, soit un peu moins de 8 milliards d’euros. Ce modèle de commercialisation n’est pas habituel sur le marché et pourrait exposer à des difficultés comme celles rencontrées par Areva en Finlande avec le projet Olkiluoto » [SFEN, 19/07/24].

La Corée a pourtant prouvé sa capacité à construire quatre réacteurs en une douzaine d’années aux Émirats Arabes Unis avec un contrat à prix fixe. D’après les informations de la World nuclear association, pour « quatre réacteurs APR1400, à construire sur un seul site. La valeur du contrat pour la construction, la mise en service et les charges de combustible pour quatre unités était d'environ 20,4 milliards de dollars, avec un pourcentage élevé du contrat offert sous un arrangement à prix fixe ». Avec les frais de financement, le coût total des quatre réacteurs de la centrale de Barakah s’élève à « 24,4 milliards de dollars » [WNA, 2/04/24].

Mais les délais de construction ont dû aussi plomber l’offre française. La consultation du site PRIS (Power reactors information system) de l’AIEA permet de voir que la construction de réacteurs de type APR ou OPR coréens est mieux maîtrisée que celle d’un EPR, hormis en Chine peut-être (Cf. Tableau page suivante). Par ailleurs, l’EPR 1200 est en retard sur son concurrent coréen au niveau de la certification du réacteur comme l’indique La Tribune : « Interrogé par l'agence Reuters, Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre Énergie et Climat de l'Institut français des relations internationales (Ifri) » pointe que « l'un des principaux risques résidera dans la capacité d'EDF à faire certifier l'EPR 1200, qu'il n'a jamais construit - en s'assurant que les autorités de sûreté n'exigeront pas des adaptations coûteuses de ce modèle » [La Tribune, 30/04/24].

De son côté, l’APR 1000 coréen a reçu la certification pour l’Europe comme l’explique les suisses de Nuclear Forum :

« Le 2 mars 2023, KHNP a informé que la conception standard de l’APR 1000 avait obtenu la certification pour le marché européen. Ainsi, l’installation satisfait les exigences de sécurité et de puissance en vigueur en Europe. La certification par l’association EUR est une étape décisive afin de «garantir l’avantage concurrentiel des centrales nucléaires sud-coréennes sur le marché européen» et « atteste du plus haut niveau technologique en termes de sécurité, de rentabilité et de faisabilité ». L’APR 1000 est un réacteur à eau sous pression de la classe des 1000 MWe de la génération III+.

(...)

L’APR 1000 a été développé par une coentreprise sud-coréenne en collaboration avec l’industrie nucléaire (KHNP, Kepco Nuclear Fuel et Doosan Enerbility) « conformément aux exigences de sécurité techno-logiques fixées par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) [et renforcée après Fukushima] et de l’Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d'Europe de l'Ouest (Wenra) ». La demande de certification EUR avait été déposée en novembre 2019.

Comparaison des durées de construction entre des réacteurs

de type OPR ou APR sud-coréens et l’EPR français

Pays

Centrale

Type

Puissance nette

Construction

1er divergence

Date de début

Durée

Corée

Shin-Kori 1

OPR 1000

998 MWe

16/06/2006

Environ 5 ans

15/07/2010

Shin-Kori 2

995 MWe

05/06/2007

27/12/2011

Shin-Wolsong 1

950 MWe

20/11/2007

06/01/2012

Shin-Wolsong 2

950 MWe

23/09/2008

08/02/2015

Shin-Hanul 1

APR 1400

1340 MWe

10/07/2012

Environ 10 ans

22/05/2022

Shin-Hanul 2

1340 MWe

19/06/2013

6/12/2023

Émirats Arabes Unis

Barakah 1

1310 MWe

19/07/2012

Environ 8 ans

31/07/2020

Barakah 2

1310 MWe

15/04/2013

27/08/2021

Barakah 3

1310 MWe

24/09/2014

22/09/2022

Barakah 4

1310 MWe

30/07/2015

1/03/2024

France

Flamanville 3

EPR

1630 MWe

03/12/2007

17 ans

3/09/2024

Finlande

Olkiluoto 3

1600 MWe

12/08/2005

16 ans

21/12/2021

Chine

Taishan 1

1660 MWe

18/11/2009

Environ 9 ans

06/06/2018

Taishan 2

1660 MWe

15/04/2010

28/05/2019

Source : https://pris.iaea.org/PRIS/CountryStatistics/CountryStatisticsLandingPage.aspx

D'après KHNP, les procédures d'appel d’offres pour la construction de nouvelles centrales nucléaires dans des pays européens tels que la Pologne, la République tchèque et la Slovénie présupposent que le type [modèle] bénéficie d’une certification EUR.

La conception de l’APR 1000 avait obtenu l'évaluation de conformité provisoire EUR, qui comprend 53 exigences fondamentales, en janvier 2020. KHNP a achevé l’examen principal de la certification à l’issue d’une courte période de 22 mois. La présentation de documents techniques de grande qualité permettant l’examen de la conception standard, ainsi que des réponses pertinentes apportées par KHNP, ont rendu possible cette rapidité d’exécution. L’entreprise a ainsi répondu avec succès à plus de 5000 exigences imposées par l’organisation EUR dans 20 secteurs. KHNP avait déjà obtenu la certification EUR en 2017 pour la conception européenne de son réacteur à eau sous pression du type APR 1400 de la génération III, et l’entreprise possédait donc déjà une expérience des normes européennes » [Nuclear Forum, 3/03/23].

L’APR 1000 est un projet de réacteur de 2815 MWth avec deux boucles de refroidissement (un générateur de vapeur et deux pompes primaires par boucle). La base de données ARIS (Advanced reactors information system) de l’AIEA livre quelques informations sur le réacteur coréen : « L'Advanced Power Reactor 1000 MWe (APR 1000) est un réacteur à eau pressurisée (PWR) évolutif qui a été développé à partir de la conception éprouvée de l'OPR 1000, l'Optimum Power Reactor 1000 MWe. La conception est basée sur l'expérience accumulée lors du développement, de la construction et de l'exploitation de l'OPR 1000, le premier réacteur à eau pressurisée (REP) standard de la République de Corée. L'APR 1000 utilise également une technologie de pointe éprouvée et intègre un certain nombre de caractéristiques de conception avancées de l'APR 1400 afin de répondre aux besoins du service public en matière d'objectifs économiques et d'amélioration de la sécurité de la centrale ».

[https://aris.iaea.org/PDF/APR1000.pdf]

L’EPR 1200 est un projet de réacteur REP de 3300 MWth à trois boucles de refroidissement (un générateur de vapeur et une pompe primaire par boucle) issue du projet EPR 2 qui est loin d’avoir obtenu sa propre licence d’exploitation comme le rappelle Le Monde : « Tout projet de construction d’EPR 2 devra notamment recevoir l’autorisation de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) au terme d’un processus assez long. "Le réacteur EPR 2 est un réacteur dérivé de l’EPR, qui présente plusieurs évolutions significatives par rapport à ce dernier et qui nécessite un nouveau “licensing” (concession de licence)", souligne-t-on à l’ASN » [Le Monde, 10/02/2022].

Dans un avis « relatif aux options de sûreté du projet de réacteur EPR 1200 », l’ASN évoque les « options de conception » : « La conception du projet de réacteur EPR 1200 est en grande partie fondée sur celle du projet de réacteur EPR 2, sur laquelle l’Autorité de sûreté nucléaire a émis l’avis du 16 juillet 2019 susvisé. EDF a reconduit, pour le projet de réacteur EPR 1200, des options de conception favorables concernant l’architecture des systèmes supports, notamment la présence d’une source froide diversifiée et indépendante de la source froide principale et de systèmes de sauvegarde et supports dédiés aux accidents avec fusion du cœur. L’Autorité de sûreté nucléaire considère que la reconduction de ces options de conception pour le projet de réacteur EPR 1200 est satisfaisante.

La conception du projet de réacteur EPR 1200 réutilise au maximum la conception et les équipements du projet de réacteur EPR 2, dont la puissance est significativement supérieure. L’Autorité de sûreté nucléaire considère que ce choix de conception est, globalement, de nature à renforcer les marges de sûreté. L’Autorité de sûreté nucléaire souligne que les études d’accidents et les études de conception détaillée permettront de quantifier ces marges et, le cas échéant, d’adapter la conception du réacteur » [ASN, 10/11/22].

Le montant de l’offre d’EDF pour la construction d’EPR 1200 en république tchèque n’a pas été révélé. Il est peu probable qu’EDF ait pu s’aligner sur l’offre coréenne, d’autant plus que le devis des projets d’EPR 2 en France s’envole déjà.

Tchèque et mat...

SFEN Rhône Ain-Loire, 19/01/22