Octobre 2024 •

Relance du nucléaire
Surprises : le devis des EPR 2 s’envole,
le pronostic calendrier de mise en service est repoussé.

En 2016, L’Usine nouvelle rapportait les propos de Xavier Ursat, directeur ingénierie et nouveau nucléaire chez EDF, lors d’une conférence de presse sur le projet d’EPR 2 (ou EPR NM). C’est « une version améliorée de l’EPR (...) qui aura une puissance équivalente mais qui ne coûtera plus que 5 milliards d’euros.(...)

2030 - C’est la date à laquelle EDF veut mettre en service les deux premiers EPR NM, sans pour autant qu’il [Xavier Ursat] n’ait précisé où. (...)

6 ans - C’est le temps de construction maximal que prévoit EDF pour l’EPR NM » [L'Usine Nouvelle, 17/11/16]. 5 milliards de 2016 (novembre) correspondent à 6 Md€ en septembre 2024 La construction de six réacteurs coûterait donc 36 Md€2024. La construction du premier réacteur aurait dû débuter cette année selon les pronostic d’EDF en 2016.

Mais nous direz-vous, il est de coutume chez EDF de faire des devis fantaisistes. Petit aparté avec le dérapage des estimations à la louche des coûts de construction du projet de six EPR 2. Résumé avec Agir pour l’environnement : « En juillet 2020, la Cour des comptes estimait le coût de 3 paires d’EPR 2 à 46 milliards d’euros », 46 Md€2018 soit 54 Mds€2024,hors frais financiers.

« En 2022, à l’occasion du débat public, le dossier du maître d’ouvrage (EDF) indiquait que "le coût total du programme de construction de trois paires de réacteurs EPR 2 en France proposées par EDF est de 51,7 milliards d’euros" » [Agir pour l’environnement, 5/03/24]. L’estimation faite en euros 2020 correspond à environ 59 Md€2024, près de 10 Md€ par réacteur hors frais financiers.

Suite du feuilleton avec Greenpeace : « En mai 2023, un deuxième marché portant sur l’audit du nouveau chiffrage réalisé par EDF sur le programme "nouveau nucléaire" a été attribué à Accuracy et NucAdvisor. La publication du rapport d’audit était attendue fin 2023, puis reportée au premier semestre 2024, avant d'être à nouveau reportée pour fin 2024, selon les réponses de la DGEC à nos questions. Entre-temps, le 4 mars 2024, Les Échos révélaient une hausse de 30% du coût du programme de construction de six réacteurs EPR 2, qui s’élèverait désormais à 67,4 Md€2020. Ni EDF, ni le gouvernement n’ont commenté ces nouveaux chiffres dans les jours suivants » [Greenpeace, mars 2024]. Convertis en euros 2024 la douloureuse s’établit à 77,3 Md€, soit 12,9 Md€2024 par réacteur... toujours hors frais financier.

Explications de ces glissements de coûts par le PDG d’EDF interviewé fin 2023 dans Usine Nouvelle : « Pour ce qui est des six EPR 2, l'énergéticien est en au stade de la conception détaillée » une phase de développement qui vient après la conception de base ou basic design. « "Dans tout ce qui définit les objets essentiels du réacteur, on est à 80-90% [de maturité, ndlr.] à ce stade. Nous entrons dans la phase de détail du schéma d’exécution", explique Luc Rémont. Or "le prix d’un objet industriel comme celui-ci dépend de l’objet que l’on construit, du temps que l’on y met et de la structure de financement. Il nous faut encore travailler un peu sur l’objet avec l’ensemble de la filière industrielle, beaucoup travailler sur le temps et sur la structure de financement".

Bref, avant de définir les modes de financement, faut-il encore savoir exactement combien cela va couter. EDF est encore moins prêt pour le petit réacteur modulaire Nuward, dont un premier exemplaire était demandé par le gouvernement pour 2030. "Le projet Nuward est dans un stade moins avancé que le projet EPR 2 sur la définition des objets à construire, a expliqué Luc Rémont. Nous ne serons pas prêts à le mettre en service en 2030, nous serons prêts à le construire en 2030." » [Usine Nouvelle, 10/11/23]. Rien n’est moins sûr.

Plombé avec l’EPR de Flamanville, englué en Grande Bretagne avec ses chantiers d’EPR, le groupe EDF fortement endetté sera-t-il en capacité technico-financière de faire aboutir la certification de l’EPR 2, celle de l’EPR 1200 et, en même temps, celle du SMR Nuward ? On peut légitimement s’interroger voire en douter.

A propos du développement de la conception (design) de l’EPR 2, dans une présentation à la Commission locale d’information nucléaire (CLIN) de Penly le 17 mai 2022, EDF indique : « Depuis fin 2017, la configuration technique EPR 2 a été développée et son basic design a été vérifié et validé dans le cadre de la production du Rapport Préliminaire de Sûreté » [Archive GSIEN]. Le basic design c’est la conception de base du réacteur.

Pourtant, en mai 2024, la SFEN donne cette information : « Après un travail commun entre la Délégation interministérielle au Nouveau nucléaire (DINN) et EDF, il a été décidé en février dernier de reporter de six mois la finalisation du Basic Design des futurs réacteurs » EPR 2 [SFEN, 29/04/24].

Nous avons quelques difficultés à cerner l’état d’avancement du projet de réacteurs. Fin 2023, il serait au stade de la conception détaillée, selon le PDG d’EDF, bien que la finalisation de la conception de base ait été reportée au 3ème trimestre 2024.

Après les révélations du surcoûts des EPR 2 par Les Échos, l’ancien ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, avait exhorté EDF à « tenir ses délais et ses coûts » [La Tribune, 6/03/24]. Un vœu pieux ?

C’est mal parti pour la tenue du budget, ça l’est aussi pour le respect du calendrier de démarrage des premiers EPR 2. On s’en serait douté, il a déjà glissé comme le signale L’Usine Nouvelle : « Devis qui enflent, plans non achevés, dérapages sur le chantier anglais... EDF accumule déjà les handicaps, au moment où le programme de Penly, en Normandie, doit commencer.

EDF a bien tenté de prévenir. Il y a peu de chance que le premier des nouveaux réacteurs nucléaires EPR 2 qu’il doit construire à Penly (Seine-Maritime) entre en service en 2035, comme souhaité par le gouvernement et annoncé au départ. Ce sera "d’ici à 2035-2037", au mieux, répète EDF. Si tout va bien... » [L’Usine Nouvelle, 21/04/24].

On notera la prudence d’EDF avec l’utilisation d’une fourchette de trois années pour le pronostic de démarrage d’un premier EPR 2. La fourchette sera-t-elle assez large ? Pas sûr, la SFEN évoquant la possibilité d’un « scénario dégradé en 2038 » « pour une mise en service de l’EPR 2 » [SFEN, 25/03/24]. Loin du pronostic de 2030 affichée par EDF en 2016...