Décembre 2024 • Dr Abraham BEHAR

Chronique des organismes scientifiques indépendants d’information et de contrôle

Contribution de l’Association des Médecins Français pour la Prévention de la Guerre Nucléaire
Le démantèlement des vieilles centrales nucléaires,
c’est aussi un casse-tête pour les radiobiologistes !

Dans le roman feuilleton du démantèlement de la vieille centrale des MONTS D’ARRÉE, un événement est venu impacter notre monde des radiobiologistes :

Le démantèlement complet « engendre un nouveau type de déchets radioactifs, faiblement ou moyennement actifs, mais à très grande durée de vie (dits FMA vie longue). Le stockage de ces déchets doit être temporairement assuré par l'Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés (ICEDA), installation EDF en exploitation dans la centrale nucléaire du Bugey depuis l'automne 2020 (source ANDRA) » [Wikipédia - Site nucléaire de Brennilis (1)].

Brusquement cette résurgence pose, pour les acteurs sur place, et au-delà pour nous tous, la question d’un possible « Effet cocktail » de ce mélange de radio nucléides ».

C’est quoi au juste un effet cocktail en radioprotection ?

En médecine, cet effet existe pour une certaine forme de surdité : les sujets entendent tout à fait bien les sons d’une conversation normale, mais si elle a lieu dans un brouha-ha, brusquement, ces patients n’entendent plus rien.

Le problème ici, soulevé aussi pour les mélanges de toxi-ques chimiques, a pour officiellement la solution suivante :

L’OMS considère que les valeurs guides comportent a priori un facteur d’incertitude suffisamment important, permettant de s’abstraire d’interactions potentielles. Sauf indication contraire, on considère généralement que les effets sont additifs (2)

LES RADIONUCLÉIDES AGISSENT ILS EN BANDE OU SEULEMENT EN LOUP SOLITAIRE ?

En fait, les deux !

Pendant de longues années, faute de capacité d’analyse, la radio biologie a minutieusement décrits les effets sur les humains au cas par cas, par exemple l’iode 131 et la thyroïde ; le strontium 90 et les os.

Les choses se brouillent dans d’autres cas, par exemple, le césium 137 est d’une part un « potassium like » et donc se répand dans toutes les cellules, et d’autre part : Des études chez l'homme ont rapporté que le 137Cs induit une atteinte du système immunitaire, des malforma--tions congénitales ainsi que des troubles neurologi-ques. Il semblerait aussi que les enfants soient plus sensibles aux effets toxiques du 137Cs que les adultes.

En 2017, l’IRSN lance une bombe, il y aurait bien à la fois les effets en solitaire des radionucléides, mais en plus une action en bande, différente et supplémentaire en cas de mélanges des radio toxiques ! (3)

Voici l’essentiel des doutes et aussi des données en faveur d’un supplément d’effets pour ce type de pollution en « cocktail » :

« Il existe très peu d’études combinant plusieurs radionucléides que ce soit en cas d’exposition aiguë ou chronique. La commission internationale de protection radiologique (CIPR) considère l’additivité simple des doses pour la gestion des expositions. Cependant, cette considération ne prend pas en compte plusieurs aspects liés à la problématique des contaminations internes et à la complexité des systèmes biologiques. Le premier aspect non pris en compte est la toxicité chimique de certains nucléides. En effet, même si le strontium et le césium sont considérés comme très faiblement chimio toxiques, il existe cependant des descriptions d’effets biologiques indésirables de ces nucléides.).

D’où la conclusion de l’IRSN :

Il est donc indispensable que, en situation post-accidentelle, cette dimension de multi-pollution radiologique et chimique soit maintenant étudiée, que ce soit pour les aspects de biocinétique et de bioaccumulation ou pour les effets sanitaire. Si l’étude expérimentale des effets sanitaires d’une exposition en situation de pollution multiple reste relativement simple à mettre en œuvre, la multiplicité des contaminants rend l’attribution d’un effet particulier spécifiquement à un polluant donné très difficile, d’autant plus que chacun des polluants peut avoir un mécanisme d’action différent, avec des effets d’interactions importants. Dans ce contexte, il semble intéressant d’utiliser notamment des méthodes d’analyse de masse (méthodes « omiques »), qui puissent permettre à la fois de donner une indication des effets biologiques globaux (4), mais aussi une identification des principales voies physiologiques et métaboliques impactées par une telle multi-pollution. Dans un second temps, cette approche peut être complétée par des analyses ciblées de métabolites qui permettront de mieux comprendre les mécanismes d’apparition de ces effets sanitaires. Mais quelles que soient les méthodes d’analyse utilisées, les modèles expérimentaux utilisés en radio toxicologie doivent maintenant impérativement évoluer vers des études de multi-pollution. »

L’IRSN a effectivement commencé des études sur cette situation complexe. Mais aujourd’hui, aucune chance d’avoir des résultats… car il n’y a plus d’IRSN !!!

BIBLIOGRAPHIE

1. Wikipédia - Site nucléaire de Brennilis « https://fr.wikipedia.org/wiki/Site_nucléaire_de_Brennilis - cite_ref-14 »

2. V. RENAUD-SALIS’, F. MENETRIER, A. LEUDET, A. FLURY-HERARD, Évaluation de la toxicité chimique des radionucléides a vie longue sur la base des directives de qualité pour l’eau de boisson fixées par l’OMS, Radioprotection 2002 Vol. 37, no 4, pages 427 à 441

3. S. Musilli, K. Tack et J.-M. Bertho * Co-contaminations radiologiques et chimiques en situation post-accidentelle : données récentes et perspectives, Radioprotection 2017, 52(3), 177–187

4. Grison S, Fave G, Maillot M, et al. 2013. Metabolomics identifies a biological response to chronic low-dose natural uranium contamination in urine samples, Metabolomics 9: 1168–1180.