Le démantèlement "tranquillement durable" des installations nucléaires
Beaucoup d’Installations nucléaires de base (INB) sont en démantèlement en France et beaucoup d’autres seront à démanteler dans les décennies à venir. De petites installations ont certes été déclassées de la liste des INB avec toutefois des restrictions d’usage applicables aux sites et sols contaminés pour certaines d’entre-elle (Cf. page 7). Le retour à l’herbe n’est pas forcément réalisable à l’issu du démantèlement complet.
Carte des installations définitivement arrêtées
ou en cours de démantèlement
Source, ASN
La stratégie de démantèlement immédiat, pourtant inscrite dans la loi, se heurte aux contraintes budgétaires des exploitants pour les grosses installations. Les coûts associés aux démantèlements explosent. Les délais de réalisation s’étirent à n’en plus finir avec, pour certaines INB, des prévisions de déclassement au siècle prochain...
Notion de « démantèlement » avec un « Dossier pédagogique » de l’ASN
« Le terme de démantèlement couvre l’ensemble des activités, techniques et administratives, réalisées après l’arrêt définitif d’une installation nucléaire, afin d’atteindre un état final prédéfini où la totalité des substances dangereuses et radioactives a été évacuée de l’installation ».
« À la fin de l’année 2023, 36 installations sont définitivement arrêtées ou en cours de démantèlement en France, soit environ un quart des INB [Installation nucléaire de base]. Ces installations sont très variées (réacteurs électronucléaires, réacteurs de recherche, installations du « cycle du combustible », installations support, etc.) et les enjeux du démantèlement diffèrent d’une installation à l’autre. Ces enjeux sont cependant tous liés à la quantité importante de déchets à gérer pendant le démantèlement et aux conditions d’intervention au plus près de zones contaminées ou activées » [ASN, Dossier pédagogique].
Dresser une liste des installations à la retraite n’est pas aisé. Si l’ASN en dénombre 36 à fin-2023, l’État indiquait en 2020 que « 51 installations nucléaires civiles [était] actuellement à l’arrêt en France (36 du CEA, 9 d’EDF et 6 d’Orano) », sans compter les deux tranches de Fessenheim [Rapport ministériel, mars 2020].
De son côté, l’IRSN présente une carte de France interactive avec la liste des INB arrêtées définitivement, en démantèlement et déclassées :
« Réacteurs de production d'électricité (10) ;
Usines de procédés du cycle du combustible (22) ;
Réacteurs et installations de recherche (27) », soit 59 installations au total mais certaines ont été déclassées de la liste des INB [IRSN – umap].
Nous tenterons d’y voir plus clair un peu plus loin dans cette Gazette.
Communiqué de presse (imaginaire) d’EDF
Ralentissement du processus de déconstruction des centrales de première génération.
En allongeant la durée de déconstruction des centrales sur plus d’un siècle, l'entreprise prouve son incapacité à gérer efficacement l’ensemble de la chaîne nucléaire. Avec ce nouveau programme, l’entreprise démontre son inaptitude technique à mener les opérations de déconstruction et à gérer les déchets associés.
Le Groupe EDF tient à remercier les générations futures qui auront à assurer le fardeau de la déconstruction de nos (très) chers réacteurs
Les installations nucléaires sont très disparates tant en termes de dimensions que d’activités radioactives résiduelles. Ces disparités vont avoir un fort impact sur la gestion des déchets, les charges financières et les durées de démantèlement. Il n’y rien de comparable entre démanteler le réacteur expérimental Ulysse (CEA - Saclay), l’usine George Besse 1 (ex Eurodif - Tricastin) qui assurait l’enrichissement de l’uranium par diffusion gazeuse ou un réacteur EDF de première génération de type UNGG (Uranium naturel graphite-gaz).
Définitivement arrêté en 2007, « Ulysse a été déclassé en 2022 » [ASN, 16/05/24] : ce petit réacteur expérimental de 0,1 MWth implanté à Saclay n’est plus une installation nucléaire.
Son démantèlement complet a généré « 226 tonnes de déchets » radioactifs (TFA) [Orano, 22/06/20].
Pour le démantèlement de l’usine Eurodif, ce sont « 260 000 tonnes de ferrailles contaminées » qu’il va falloir gérer, soit l’équivalent de la masse de 26 tours Eiffel... radioactives [CEA, 2011].
Mise à l’arrêt en 2012, un rapport ministériel (mars 2020) indique que le démantèlement d’Eurodif « devrait prendre une trentaine d’années et s’achever vers 2050 » [economie.gouv.fr] avec une prévision de déclassement en « 2052 » selon la Cour des comptes [CComptes, 2020].
Des défis technologiques (et financiers) restent à surmonter pour démanteler les cœurs des réacteurs de la filière UNGG : dans les années 1970, les "experts" nous expliquaient que des robots seraient mis au point avant la fin de leur exploitation pour les démanteler. Trente années après l’arrêt définitif du dernier réacteur de cette filière (Bugey 1), les robots sont toujours à l’étude...
Un rapport d’audit sur les installations à l’arrêt d’EDF diffusé par le gouvernement en 2021 souligne la « Problématique des travaux de démantèlement en téléopération » : « Les échanges entre experts et l’exploitation du retour d’expérience national et international montrent que l’utilisation industrielle de ces technologies n’est pas mature à date, lorsqu’elles sont appliquées aux opérations non-répétitives, dans un environnement non totalement défini et changeant au cours des opérations comme le démantèlement ou la reprise de déchets. L’étude bibliographique et le retour d’expérience montre en particulier une faible fiabilité et la nécessité d’une maintenance très fréquente des outils, conduisant à des taux de disponibilité limités et par conséquence des productivités totales limitées » [Rapport d'audit, 2021].
Comme l’indique EDF dans un « Résumé non technique » (2019) disponible sur le site de l’ASN, le démantèlement de la filière UNGG s’étendra au-delà de 2100... s’il n’y a pas d’aléas.
EDF, juillet 2019 - Lien ASN
En 2016, EDF présentait pourtant à l’ANCCLI sa « Stratégie de déconstruction » avec « Deux objectifs :
ne pas reporter sur les générations futures le poids des opérations de déconstruction,
s’appuyer sur l’expérience des salariés ayant participé à l’exploitation des centrales concernées » [ANCCLI/EDF, avril 2016].
Étapes de démantèlement
« Dès lors qu’une INB est définitivement arrêtée, celle-ci change de vocation : le décret d’autorisation de création spécifie en effet les conditions de fonctionnement de l’installation. Par ailleurs, les opérations de démantèlement impliquent une évolution des risques présentés par l’installation. Par conséquent, ces opérations ne peuvent être réalisées dans le cadre fixé par le décret d’autorisation de création.
Conformément aux dispositions de l’article L. 593-28 du code l’environnement, le démantèlement d’une installation nucléaire de base est prescrit par un nouveau décret, pris après avis de l’ASN. Ce décret fixe, entre autres, les principales étapes du démantèlement, la date de fin du démantèlement et l’état final à atteindre ».
« La phase de démantèlement, succédant à l’arrêt définitif de l’installation [est] encadrée par le décret de démantèlement (DEM) » [ASN, Dossier pédagogique].
Dans un dossier de presse sur « La déconstruction des centrales nucléaires de première génération » (octobre 2007), EDF listait les différentes phases succédant à l’arrêt définitif d’un réacteur nucléaire. Ces trois phases correspondent aux Niveaux de démantèlement définis par l’AIEA en 1980.
« Des opérations en trois étapes-clés
La durée et la complexité des opérations de déconstruction peuvent varier d’une installation nucléaire à l’autre, en fonction de la nature des opérations à réaliser.
• La mise à l’arrêt définitif (phase 1)
La première phase comprend le déchargement du combustible, la vidange de tous les circuits (99,9 % de la radioactivité présente sur le site est éliminée), puis la mise à l’arrêt définitif (démontage d’installations non- nucléaires définitivement mises hors service).
• Le démantèlement partiel (phase 2)
La seconde phase comprend le démontage des équipements et de tous les bâtiments (à l’exception du bâtiment réacteur), le conditionnement et l’évacuation de l’ensemble des déchets vers les centres de stockage agréés et la mise sous surveillance du bâtiment réacteur.
Ces deux premières phases de déconstruction sont effectuées au cours des 10 années qui suivent l’arrêt de la production d’électricité.
Une période d’attente peut s’avérer nécessaire à l’issue de ces premières phases pour permettre la décroissance radioactive des matériaux irradiés restant dans le bâtiment réacteur.
• Le démantèlement total (phase 3)
Cette dernière phase comprend le démontage complet du bâtiment réacteur, ainsi que des matériaux et équipements encore radioactifs et l’évacuation des déchets générés.
Elle dure environ 10 ans.
A l’issue de cette troisième phase, la surveillance du site n’est plus nécessaire ; il peut être réutilisé » [EDF, octobre 2007 – Document d’archive du GSIEN consultable sur le site International panel on fissile materials (IPFM)].
En 2007, 22 années après l’arrêt définitif des réacteurs de Brennilis et Chinon A2, EDF affirme que le temps nécessaire au démantèlement d’une centrale nucléaire de première génération est estimé à environ 20 ans (2x10 ans). Lorsqu’une INB est démantelée, ce n’est pas pour autant que le site peut être réutilisé. En effet, il faut qu’il ait été au préalable déclassé :
« Décision de déclassement
Le déclassement consiste à retirer une installation de la liste des INB, ce qui suppose que l’installation n’est plus, dès lors, soumise au régime juridique et administratif des INB. Le déclassement a lieu après la fin des opérations de démantèlement, sur la base d’un dossier présentant l’état final de l’installation. En tant que de besoin, des restrictions d’usage peuvent être instaurées si certaines pollutions n’ont pas pu être retirées. La mission de l’ASN s’arrête » [ASN, Dossier pédagogique].
Élimination de la radioactivité
versus
dispersion et dissimulation
La radioactivité ne s’élimine pas. On peut la cacher dans des centres d’entreposage ou de stockage nucléaires, on peut en rejeter dans l’environnement et, si elle disparait alors comme par magie du bilan déchets de l’installation, c’est pour être dispersée dans la nature. On réussit même, en toute discrétion, à en disséminer dans les déchets conventionnels.
Seul le temps permet une diminution progressive de la radioactivité, plus ou moins significative à l’échelle humaine, en fonction de la période radioactive des isotopes présents dans les déchets ou les rejets radioactifs.
Tiré du glossaire du Guide d'élaboration des études déchets nucléaires publié en 2001 par l’ASN :
« ÉLIMINATION (loi du 15/07/1975) l’élimination des déchets comporte les opérations de collecte, transport, stockage, tri et traitements nécessaires à la récupération des éléments et matériaux réutilisables ». L’ASN fait aussi référence aux « dépôts ou au rejet dans le milieu naturel (...) dans des conditions propres à éviter les nuisances » [ASN, 4/09/01 - Lien AIEA].
Lors d’un « Petit déjeuner de presse » (juin 2006), le CEA faisait le point sur « L’assainissement et le démantèlement au CEA » : « Assainissement – démantèlement : de quoi s’agit-il ?
Les installations nucléaires ont une durée d’exploitation limitée: la fin de vie d'une installation nucléaire peut être entraînée par l’achèvement des programmes expérimentaux prévus dans l’installation, l’obsolescence des matériels et procédés, des considérations d’ordre économique (optimisation de moyens, coût de maintenance) ou de sûreté et sécurité (évolution de la réglementation).
A l’issue de leur période d’exploitation, les installations nucléaires de base (INB) font l’objet d’opérations d’assainissement et de transformations qui permettront leur arrêt définitif puis leur démantèlement.
En ce qui concerne le CEA, la variété des recherches conduit à des installations pour la plupart « uniques » dans leur principe. En pratique, la présence de radioactivité est donc différente d’un type d’installation à l’autre :
• Dans un réacteur nucléaire, elle est majoritairement contenue dans les éléments combustibles, et dans une moindre mesure, dans les structures proches du cœur
soumises à l’activation neutronique.
• Dans un laboratoire, elle est contenue dans des boîtes à gants ou des enceintes protégées de dimensions modestes.
• Dans une usine de retraitement, elle est présente dans des dizaines voire des centaines de kilomètres de tuyauterie et de multiples cuves.
• Dans un accélérateur, la seule radioactivité qui subsiste est celle de l’activation des structures proches du faisceau.
L’assainissement et le démantèlement d’une installation répondent à des objectifs différents et requièrent des techniques spécifiques.
L’assainissement consiste à éliminer :
- les substances dangereuses : matières radioactives, produits chimiques ;
- les équipements légers : mobilier de laboratoire, petites boîtes à gants, appareils d’analyse - la radioactivité sur certaines parties ou certains équipements de l’installation ;
Le démantèlement consiste à :
- démonter et évacuer les gros équipements ;
- éliminer la radioactivité dans tous les locaux de l’installation - éventuellement reconvertir tout ou partie de l’installation.
Dans les deux cas, les déchets radioactifs issus des opérations sont acheminés vers les filières d’évacuation de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) », quand elles existent... [CEA, 6/06/2006 - Document d’archive du GSIEN consultable sur le site de l’AIEA].
Contexte réglementaire – Infos de l’ASN lors du Séminaire ANCCLI du 16 juin 2014.
« Avant 1990 : pas de réglementation spécifique au démantèlement.
En 1990, modification du décret du 11 décembre 1963 :
Les phases du démantèlement sont considérées comme des modifications des INB ;
Aboutir à un déclassement peut nécessiter plusieurs décrets.
2006, loi « Transparence et sécurité nucléaire » et loi « déchets » :
Un seul décret couvrant l’ensemble du projet de démantèlement ;
Procédure dédiée, avec enquête publique systématique ;
Sécurisation du financement des charges de démantèlement.
2007, Décret relatif aux INB n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 modifié :
Article 37 : dossier de demande de MAD DEM [Mise à l’arrêt définitif Démantèlement] ;
Article 40 : déclassement » [ANCCLI, 16/06/14].