Limites budgétaires et revirements stratégiques
Essayons de comprendre les raisons de l’allongement des délais de démantèlement immédiat voire de leurs renvois aux calendes grecques.
Pour le CEA c’est clairement affiché comme on l’a vu plus haut : le contexte budgétaire contraint ne permet pas de mener de front le démantèlement de l’ensemble des installations définitivement arrêtées.
Les contraintes budgétaires et les problèmes techniques impliquent des reports de la fin des démantèlements. Prenons l’exemple du site CEA de Fontenay-aux-Roses où étaient implantées cinq INB. Les décrets de démantèlement de ces installations, regroupées en deux INB (n° 165 et 166), ont été publiés en 2006. Cependant, les travaux ont démarré au cours de la décennie précédente comme l’explique l’Usine Nouvelle : « les opérations, qui ont démarré en 1995, devraient s'achever vers 2018. « Nous n'aurons pas de retard sur le calendrier fixé même si nous avons certains glissements de six ou huit mois sur certaines opérations », affirme Roger Genet, directeur du centre de Fontenay-aux-Roses et directeur adjoint à la direction des sciences du vivant du CEA » [Usine Nouvelle, 12/12/08].
En 2022, le CEA de Fontenay-aux-Roses ne communique plus sur un glissement de quelques mois et indique sobrement que « La fin des opérations d’assainissement et de démantèlement est prévue à l’horizon 2057 », soit avec 39 années de retard sur le planning initial [CEA, 10/02/22].
Pour ORANO, on peut envisager que le contexte économique engendré par la gestion calamiteuse de l’entreprise dénommée à l’époque Areva y soit pour quelque chose. Retour en 2015 avec Le Point : « EDF-Areva, l'épilogue d'un désastre français - En 2001 naissait Areva, champion mondial du nucléaire. Aujourd'hui en faillite virtuelle, le groupe est démantelé. L'État paiera les pots cassés. (...) En 2014, le groupe a perdu 4,8 milliards d'euros, plus de la moitié de son chiffre d'affaires ! Sa dette (5,8 milliards d'euros) est supérieure au chiffre d'affaires du nouvel Areva » [Le Point, 30/07/15]. Merci Madame Lauvergeon.
La vente à perte d’un EPR à la Finlande et les investissements en Afrique dans des mines d’uranium qui ne valaient pas un franc CFA (affaire URAMIN) ont précipité la chute du champion mondial.
Après une nouvelle « perte de 2,03 milliards d'euros en 2015 » [Le Figaro, 26/02/16], Areva est exsangue.
L’entreprise sera restructurée à partir de 2016 et démantelée en 2018 accompagnée d’un plan de sauvetage à hauteur de « 4,5 milliards d’euros » [Les Echos, 12/07/17].
Quand Areva élabore sa stratégie en 2016, il n’est nulle part fait référence à un démantèlement immédiat. Elle n’en a pas les moyens financiers.
Pour EDF, à l’impossibilité technique à démanteler ses réacteurs UNGG pourrait aussi s’ajouter l’impossibilité financière de mener de front l’ensemble de la déconstruction des réacteurs de première génération.
En effet, lors du changement de stratégie en 2016, EDF est engluée dans les surcoûts liés à la construction de l’EPR de Flamanville. L’électricien doit également faire face à un investissement massif dans la maintenance de l’outil de production : « EDF a regroupé l’ensemble des investissements de maintenance prévus sur la période 2014 à 2025 sous la terminologie de « Grand Carénage ». Ce projet industriel vise à améliorer la sûreté des centrales nucléaires, en particulier à la suite de la catastrophe de Fukushima, à redresser les performances d’exploitation après une période de dégradation de la disponibilité des centrales et à rendre possible la prolongation de l’exploitation du parc au-delà de 40 ans, durée pour laquelle les centrales ont été conçues à l’origine » [CComptes, 2016].
EDF, 2011 (Archive GSIEN)
Ce graphique extrait d’un document interne d’EDF présenté lors de la réunion « Plénière des Chimiste » en « Octobre 2011 » donne une estimation des coûts d’investissement, en euros de 2009, hors dépenses de démantèlement et de gestion des déchets nucléaires. Converties en euros de 2024, cela donne :
108 Md€ d’investissement initial ;
90 Md€ de maintenance (2005-2035) ;
231 Md€ pour un éventuel renouvellement du parc.
La montagne de dépenses estimées pour le renouvel-lement du parc a été à l’époque sous-évaluée compte-tenu du devis initial de l’EPR 2 (ou EPR NM) envisagé pour le renouvellement. En effet, selon EDF en 2016, ce nouveau réacteur ne devait coûter que 5 Md€ en euros courants (soit 6 Md€2024) [Cf. Gazette n° 303]. Avec une enveloppe de 231 Md€2024, il y aurait eu de quoi construire 38 ou 39 réacteurs de 1650 MWe soit un parc de 63,5 GWe équivalent à la puissance initialement installée (63,1 GWe) avec les réacteurs dits de seconde génération.
Le rapport de la Cour des comptes publié en février 2020 montre l’évolution et s’attarde sur la flambée des coûts entre 2012 et 2018 : en euros de 2018, le devis global a quasiment doublé tandis que celui des réacteurs de la filière UNGG a été multiplié par trois ! (Cf. graphique ci-contre et Tableau 11 page 19 pour le détail des évolutions de devis dans le temps).
En 2015, le conseil d’administration EDF a validé le rachat de « 100% du capital d’Areva NP », la branche réacteur (Framatome) du groupe Areva pour une montant de « 2,5 Md€ ». Avec un « endettement financier net » de « 37 395 M€ » au 31/12/2015 [EDF – Résultats annuels 2015], calculette en main, l’entreprise a jugé opportun de changer de stratégie en renvoyant au-delà de 2060 le démantèlement de ses réacteurs UNGG (hormis Chinon A2).
EDF n’a pas plus que le CEA et ORANO (ex-Areva) les moyens de financer le démantèlement complet de toutes ses installations définitivement arrêtées.
Évolution des coûts des projets de démantèlement (devis à terminaison) des principales installations d’EDF en cours de démantèlement (en M€2018)
Après ces digressions financières, place à la douloureuse...