Menaces sur la qualité de l'air, plages insalubres, pollution de la nappe phréatique par les engrais, accumulation de déchets non-recyclables, absence de véritable politique régionale... Claude Raffestin* dresse un bilan sans concession et ne dissimule pas son inquiétude
Aujourd'hui, en été 1990, quel est l'état de l'environnement du bassin lémanique?
Le bassin lémanique représente un cercle
d'un rayon de 50km autour de Thonon. Dans ce périmètre, il
y a une énorme accumulation de population. Et il faut encore y ajouter
les organes exosomatiques: machines, voitures, appareils, instruments divers.
Cela représente une charge énorme sur le plan de l'environnement.
Si vous prenez un habitant du bassin lémanique en 1950, sa charge
était probablement quatre fois moins grande qu'en 1990. Sa première
influence est sur l'air. Nous rejetons dans l'atmosphère tout un
ensemble de choses, entre autres bien sûr du CO². Mais on rejette
aussi des hydrocarbures, des oxydes de soufre, bref quantités de
choses, à travers le chauffage et les voitures en particulier. Il
n'y a pas de doute que l'air du bassin lémanique s'est dégradé
au fil des années. C'est en tout cas l'élément le
plus spectaculairement touché. Les médecins vous diront qu'il
y a davantage de bronchites et que les enfants souffrent plus fréquemment
de maladies respiratoires. Il y a un rapport incontestable entre les maladies
pulmonaires et la pollution de l'air. De sorte que l'air - contrairement
à sa définition première - n'est plus un bien libre
du seul fait que la population dispose de moins en moins d'air pur. C'est
alarmant. Et cela participe à l'explosion des coûts de la
santé. Avant le chauffage, c'est la voiture - dont le taux de motorisation
est parmi les plus élevés d'Europe - qui constitue l'agent
principal de pollution.
Les autorités font-elles le nécessaire pour améliorer
la situation?
Les autorités soumettent les véhicules
à des contrôles fréquents, et vous avez les tests anti-pollution.
Mais elles pourraient avoir également une conception urbaine des
transport qui nous amènerait à choisir plus souvent le transport
en commun que le transport individuel. Ce qu'il faut envisager à
Genève, c'est un système comme le R.E.R. qui vient d'être
mis en place à Zurich:
raccorder la Praille aux Eaux-Vives, avec une traversée de la
rade (NdYR: une telle traversée est-elle vraiment toujours souhaitable,
voire souhaitée, en 1999?!). En ce qui concerne le chauffage, en
revanche on peut dire que les autorités font vraiment le nécessaire.
Le développement des catalyseurs va-t-il entraîner
des conséquences positives à moyen terme?
Il est évident que le catalyseur permet déjà,
pour les voitures qui en sont équipées, de diminuer sensiblement
la pollution. Mais n'oubliez pas qu'avec le catalyseur vous vous retrouvez
avec un problème de pollution différé, parce qu'il
faut se débarrasser du catalyseur après usage. Et là,
il faut faire attention. Une solution technologique à l'environnement
est toujours une solution moyennement bonne: parce que vous avez toujours
à régler un autre problème de manière différente.
Vous ne pouvez pas régler la pollution par les seuls moyens technologiques.
Il faut aussi et surtout changer les comportements. D'autant plus que la
fabrication des catalyseurs entraîne un déséquilibre
dans l'environnement, puisqu'elle nécessite de l'énergie
et des matières premières. Idem pour les déchets contrairement
à ce que beaucoup de gens pensent On ne fait que les transformer
ou les déplacer.
Quel est l'état du Léman aujourd'hui ?
Grâce aux usines d'épuration des eaux,
je crois qu'on a presque réglé le plus gros au niveau des
agglomérations. Il en va malheureusement tout autrement pour la
pollution provoquée par le ruissellement et l'infiltration des eaux
de l'agriculture qui rejoignent le Léman. Ces eaux sont chargées
de produits, tels les phosphates, qui en affectent la qualité et
le goût. Il en va de même de "l"eau-loisir": certaines plages
sont fortement polluées. L'eau de consommation me préoccupe
particulièrement. N'oubliez pas que nous avons besoin d'un nombre
considérable de litres d'eau par jour et par habitant. La pollution
agricole est l'une des principales responsables. Elle est d'autant plus
sournoise qu'elle est diffuse. Sur ce point, les autorités, hormis
les stations d'épuration, émettent des recommandations via
les stations agricoles fédérales. Le problème, c'est
le contrôle. On ne peut pas mettre derrière chaque agriculteur
un agronome contrôleur! Là aussi, on ne peut qu'apprendre
aux gens à se passer de certains produits. C'est un problème
complexe. Parce qu'en amont, les industries qui fabriquent des engrais
ont intérêt à ce qu'on utilise leurs produits. Donc,
malgré les recommandations, il peut y avoir des contradictions entre
ce qui est souhaitable et ce qui est recommandé par le fabricant.
Venons-en maintenant à la terre. Qu'est-ce qui la pollue
le plus?
Il y a bien sûr l'engrais chimique, mais il
y aussi certaines pratiques culturales. Par exemple, quand vous vous promenez
dans la campagne, vous constatez à partir de l'automne qu'il y a
beaucoup de champs qui n'ont aucune couverture végétale parce
qu'ils sont en attente d'être ensemencés. Or, le vent et l'eau
sont d'importants facteurs d'érosion du sol, qui l'appauvrissent
considérablement. Le sol n'est pas seulement composé d'éléments
morts, mais aussi d'êtres vivants: verres de terre, micro-organismes.
Dans un champ, vous pouvez avoir facilement une tonne ou une tonne et demie
de micro-organismes, des éléments qui font un micro-labourage
apportant de l'azote. Si vous utilisez certains engrais, ils tuent ces
micro-organismes, et votre sol meurt. Et plus votre sol est mort, plus
vous mettez de l'engrais... On peut très bien imaginer avoir d'ici
quarante ans des zones entières qui seront inutilisables. Et surtout
il faudrait éviter d'avoir des sols nus. Au Moyen-Age, au 19ème
siècle, les cultures dérobées - haricots, lentilles
- permettaient d'avoir une couverture végétale qui empêchait
l'érosion. Si, par exemple, on abandonnait la vigne dans le bassin
lémanique, il faudrait de nombreuses années avant que le
sol sur lequel il y avait cette vigne soit utilisable pour autre chose
parce qu'il est chargé de produits chimiques.
Passons aux déchets dont on parlait tout à l'heure.
Leur élimination dans le bassin lémanique est-elle un facteur
d'inquiétude?
Certainement. En 1950, un habitant devait produire
peut-être 150 kilos de déchets par an; aujourd'hui, un habitant
n'est pas loin de quatre cents kilos. Et ces déchets ne sont pas
tous considérés de la même manière. Vous avez
les déchets qui ne sont pas dangereux en soi parce qu'il peuvent
être transformés, des déchets organiques qu'on peut
transformer en compost. Et puis les déchets qui ne sont pas utilisables:
le plastique. On peut le déformer, le dégrader, mais le problème
de ces déchets est très grave, parce que nos usine de traitement
ne peuvent plus suivre. On essaie de récupérer ce qu'on peut.
Mais l'incinération des déchets nonrécupérables
pose d'énormes problèmes. La fumée contient probablement,
à partir d'une certaine température, de la dioxine qui peut
détruire les plantes environnantes.
Donc, il faut trouver d'autres soutions. Les Italiens
ont proposé un système original, vi-sant à créér
des mines de déchets. A un moment donné, quand on saura les
réutiliser, on pourra puiser dans ces mines. Mais ce qu'il faudrait
faire avant tout, c'est séparer et trier les déchets. Sinon,
on va être enseveli par les déchets. Il y a un très
belle image d'ltalo Calvino qui montre que les villes se construisent sur
des déchets. C'est un problème de société.
Il faut travailler en amont, trouver des méthodes de conditionnement
qui utilisent moins de produits d'emballage. La chose la plus folle qu'on
puisse observer, entre le 15 et le 25 décembre, c'est la quantité
de papier consommée. On vous emballe votre cadeau dans un carton,
puis ensuite dans un papier et le cadeau dans un sac en plastique... Moi
même, j'y succombe. Le fait d'être homme, c'est d'avoir aussi
ses contradictions. Mais j'ai changé mes habitudes; il y a des produits
que je n'achète plus parce que j'estime qu'ils sont trop dommageables
pour l'environnement. Il faut s'efforcer de réfléchir à
ce qu'on fait et à la manière de se comporter.
Ne pensez-vous pas qu'on doive déplorer un manque de concertation
entre la France et la Suisse: on observe de profondes diparités
sur le plan de l'épuration des eaux usées, du recyclage des
déchets...
Les problèmes se posent notamment sur le
plan de l'information. Lors d'une fuite dans une citerne à Annemasse,
nous n'avons été prévenus que très tardivement.
Il faudrait mettre sur pied un système d'alarme qui soit immédiatement
opérationnel en cas d'accident écologique. Il taut aussi
créer chez les gens une responsabilité personnelle. Et, pour
assurer le développement des stations d'épuration, on pourrait
prêter des fonds à faible taux d'intérêt pour
les communes moins riches. On se gargarise, à Genève, des
"relations régionales", mais aucun réseau effectif n'a été
créé.
* directeur du Centre universitaire d'écologie humaine et des sciences de l'environnement
Le dernier numéro de la revue «Cadmos»
vient de paraître. Entièrement consacré au thème
de l'environnement («Menaces sur la planète et responsabilité
humaine»), il présente en 120 pages plusieurs contributions
originales qui abordent la problématique écologique sous
un aspect plusridisciplinaire. On pourra ainsi découvrir les textes
de:
- Denis de Rougemont: "Un autre modèle de civilisation", un
texte inédit de 1979;
- Bernard Giovannini: «Les menaces sur la planète»,
traitant de l'effet de serre, la diminution de la couche d'ozone, la menace
radioactive et la pollution de l'eau;
- Pierre Lehmann: "Gala et les prétentions scientifiques de
l'homme", présentant une hypothèse scientifique originale;
- Ernst-Utrich Von Weizsacker et Alexander Juras: "La politique européenne
de l'environnement», avec le point sur les mesures entreprises par
les Communautés européennes;
- Orlo Giarini: "Sur les chemins du Club de Rome: des limites de la
croissance aux limites de la certitude», introduisant le nouveau
rapport du Club de Rome;
- André Danzin: "Techniques de l'information et comportements
nouveaux de l'homme», sur les métamorphoses technologiques
et l'évolution de la communication à l'échelle planétaire;
- Jean-Marie Thévoz et Eric Fuchs: "Génie génétique
et responsabilité humaine», une réflexion sur l'éthique
face à la l'expérimentation scientifique;
- et Matthias Finger: "La réflexion et les mouvements écologiques
en Europe», un bilan des années quatre-vingt.
«Cadmos», cahier trimestriel du Centre europeen de la culture,
No 49, printemps 1990.
Pour de nombreuses personnes, l'eau est un corps
incolore, inodore et insipide. Cette définition, apprise à
l'école primaire, laisse une impression de banalité que les
commodités d'utilisation dans nos régions ont fortement renforcée.
En réalité, l'eau est une substance tout à fait extraordinaire,
par ses caractéristiques propres mais aussi par le rôle multiple
qu'elle joue dans la marche du monde. Elle est le sang de la terre. Elle
participe à l'épanouissement de notre bien-être et
au développement de notre société, mais elle est tellement
omniprésente que nous en oublions son importance.
En fait, rien ne serait possible sans elle. Substance
extraordinaire, elle l'est car beaucoup de ses propriétés
physiques et chimiques constituent des exceptions aux règles générales.
Lorsqu'elle gèle et devient solide, elle augmente de volume au lieu
de diminuer comme le font la plupart des autres substances et la portion
solidifiée est plus légère que la portion restée
liquide. L'eau est également capable d'absorber ou de libérer
plus de chaleur que la plupart des substances courantes. Avec la complicité
de la température, l'eau détermine les climats, donc la répartition
des plantes et des animaux sur la terre, modèle la face de la planète,
fait lever les récoltes.
La vie est possible sans air pour certains organismes
microscopiques mais pas sans eau. Leau est le corps naturel qui constitue
la plus grande partie des êtres vivants: environ 66% du poids corporel
humain, 80% chez les champignons et jusqu'à 98% chez certains organismes
marins comme les méduses. Dans chaque individu, l'eau assure le
maintien des structures et des équilibres cellulaires; grâce
à ses capacités de solvant, elle permet la distribution et
le transit des sels minéraux, des gaz et des molécules organiques
solubles et, par conséquent, le transport des aliments et des déchets,
la synthèse de la matière et la croissance des individus.
L'eau intervient également dans de nombreux processus technologiques
comme source d'énergie mais aussi comme élément de
constitution et de fonctionnement. Leau est indispensable et pourtant l'eau
de qualité commence à manquer, même dans les pays où
elle constitue, ce que peu de gens réalisent à sa juste valeur,
l'une des principales richesses. Une attitude irresponsable a conduit l'homme
à utiliser l'eau comme le véhicule privilégié
de ses déchets.
Certes la pollution des eaux et la dégradation
des milieux aquatiques ne sont pas récentes. On retrouve des traces
de ces phénomènes déjà dans les textes anciens:
"Aaron
ayant touché les eaux, toutes les eaux qu, étaient dans le
fleuve furent changées en sang et le poisson qui était dans
le fleuve sentait mauvais à tel point que les Egyptiens ne purent
plus boire des eaux du fleuve". Toutefois la nature, grâce à
son pouvoir auto-épurateur, venait facilement à bout de ces
pollutions. Ce qui a changé, depuis les temps anciens, c'est l'ampleur
des phénomènes de pollution.
Une pollution multiforme
Autrefois localisées à proximité
des rejets des agglomérations, ces phénomènes se sont
étendus aujourd'hui à la plupart des eaux de surface (lacs,
rivières, fleuves) et souterraines (nappes phréatiques).
La nature de la pollution a également changé! A la pollution
organique d'origine essentiellement domestique et agricole, facilement
dégradable par les processus biologiques naturels, se sont ajoutés,
depuis l'avènement de l'ère industrielle, des pollutions
chimiques (métaux lourds, hydrocarbures, organochlorés) ainsi
qu'une quantité croissante de substances nouvelles fabriquées
par la chimie moderne, substances que la nature ne sait pas, ou mal, décomposer.
Ces substances dangereuses se concentrent à travers la chaîne
alimentaire et on les retrouve... jusque dans le lait maternel!
La pollution des eaux a pris une telle ampleur que
c'est l'ensemble des milieux aquatiques, et finalement l'homme lui-même,
qui sont menacés. En contaminant durablement les eaux, l'air et
le sol, ces substances font peser une menace inadmissible sur les générations
futures. Cette constatation nous interpelle et doit nous conduire à
une réflexion de fond sur notre manière de vivre certes,
mais aussi, et c'est là une question beaucoup plus délicate,
sur l'utilité réelle des produits que nous fabriquons et
que nous utilisons, sources de pollution multiples. Le plaisir ou le confort
que certains produits peuvent procurer justifient-ils les risques qu'ils
font encourir à long terme à la terre, à la faune
et finalement à l'homme?
Depuis les années 1950 envi-on, les collectivités
publiques tentent de lutter contre la pollution des eaux, mais les résultats
restent très médiocres. Des erreurs de conception de l'assainissement
des eaux usées domestiques et industrielles d'abord,
la trop grande lenteur dans la mise en oeuvre des moyens d'épuration,
les limites elles-mêmes des procédés utilisés
auxquelles s'ajoutent de nombreux problèmes d'exploitation diminuent
considérablement l'efficacité de la lutte contre la pollution.
Ainsi, malgré les quelques progrès enregistrés, la
plupart de nos rivières et de nos lacs sont dans un état
lamentable et nos réserves d'eau souterraines dangereusement menacées.
La mise en place du système d'assainissement,
dont l'utilité n'est bien entendu pas contestée, a eu par
ailleurs un effet pervers: celui de déresponsabiliser l'individu
vis-à-vis de ses propres déchets et des consé-quences
que ceux-ci peuvent avoir sur la qualité de l'environnement."L'Etat
s'en occupe. On paye des taxes pour cela! D'ailleurs, la technique toute
puissante parviendra bien à résoudre ce problème!"
Ce mythe trop répandu commence heureusement à vaciller. La
technique peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout. Elle ne pourra pas,
cela est sûr, résoudre tous les problèmes et pallier
toutes nos négligences.
La prévention coûte pourtant moins cher
Il est clair aujourd'hui que la stratégie
de lutte contre la pollution des eaux, axée principalement sur la
mise en place de mesures curatives pour dépolluer les eaux, ne parviendra
pas à réduire la pollution au-dessous d'un niveau acceptable
pour les rivières, les lacs et les nappes souterraines dans les
régions à forte pression humaine. Cette stratégie
doit donc être complétée par des mesures de type préventif
qui visent à lutter contre la pollution à la source. Eviter
de polluer les eaux est plus facile et coûte moins cher que de les
dépolluer.
Aussi, l'avenir d'une eau de qualité passe-t-il
de plus en plus, dans l'esprit des nombreux responsables des eaux, par
la gestion intégrée de cette ressource (approvisionnement,
utilisation, restitution, épuration), mais aussi par la redécouverte
par chaque individu de l'importance primordiale de cette substance. En
effet, la pollution des eaux n'est pas seulement l'affaire des spécialistes.
Ce principe est facile à énoncer,
mais la sensibilisation et la responsabilisation de l'individu vis-à-vis
des problèmes de l'eau et de l'environnement en général
est une affaire délicate. Elle touche sa façon de vivre et
plus encore les rapports complexes qu'il entretient avec la nature. Cette
prise de conscience nécessite à l'évidence une information
objective et bien vulgarisée, une véritable éducation
qui conduise à la remise en question et à l'action, bret,
qui amène l'individu à changer ses mauvaises habitudes.
Je pollue, tu pollues, nous polluons tous
et ce n'est qu'en modifiant notre comportement vis-à-vis de l'eau
que nous parviendrons à léguer aux générations
futures autre chose que des égouts à ciel ouvert et des cloaques.Il
est urgent de redéfnir les règles du jeu entre l'homme et
la nature.Il est temps, à l'image des civilisations qui nous ont
précédées, de reconnaitre pleinement le rôle
punficateur, salvateur et vivifiant de l'eau et d'agir en conséquence.
La situation semble particulièrement favorable à Genève, où des études très détaillées ont été réalisées. Et les coûts de production de l'électricité solaire ont déjà fortement diminué. Ne provoquant aucun effet sur l'environnement, le solaire pourrait devenir très compétitif au cours des prochaines décennies.
Des données de base peuvent être obtenues
à l'institut Suisse de Météorologie à Zurich
ou à Cointrin. Mesures, évaluations et modèles détaillés
peuvent être obtenus auprès du Groupe de physique appliquée
de l'Université. Les applications possibles à Genève
sont multiples: préparation d'eau chaude sanitaire (immeubles, centres
sportifs, hôtels), production de chaleur pour le chauffage à
distance (chauffage et eau chaude sanitaire), production de chaleur industrielle,
de préférence en été, avec le chauffage des
locaux en hiver. Dans tous ces cas les systèmes solaires constitueront
un appoint plus ou moins important.
Citons une étude approfondie de systèmes
solaires à Genève: le projet SOLARCAD où 1000 m²
de capteurs évacués produisent de la chaleur (80-1000°C)
pour un réseau de chauffage à distance, avec une efficacité
moyenne annuelle supérieure à 30%. Economie en mazout équivalent:
environ 50 tonnes par an. En fait ce projet avait été précédé
d'un projet-pilote réduit où l'efficacité annuelle
n'était que de 15%. L'examen attentif des diagrammes énergétiques
de ces divers projets montrent comment, en quelques années,
les pertes ont pu être réduites et l'efficacité
moyenne doublée, ce qui constitue un progrès significatif.
Les coûts ont diminué de trois fois en dix ans
Le prix de la chaleur solaire est d'autant plus
élevé que la température désirée est
haute. Nous nous restreignons, pour les indications qui suivent, aux conditions
climatiques et économiques genevoises actuelles. Pour des températures
inférieures à 50°C (produites par des capteurs plans)
ce prix est comparable à celui de la chaleur fournie par des systèmes
conventionnels (10 à 15 cts par kWh pour de systèmes à
mazout ou électriques). A 100°C (il faut alors des capteurs
évacués) ce prix est déjà plus que doublé.
A 200°C (avec des capteurs à focalisation) on dépasse
1 fr. par kWh.
Le prix de l'électricité solaire,
toujours en conditions genevoises, est actuellement de l'ordre de 1fr.
par kWh (il dépend bien sûr de la taille de l'installation).
Il était trois fois supérieur il y a dix ans et l'on pense
qu'il sera trois fois inférieur dans quinze ou vingt ans. Ceci implique
qu'à l'avenir la chaleur solaire à basse température
(inférieure à 100°C) justifiera encore l'utilisation
de capteurs plans et évacués, et que les capteurs à
focalisation, justifiés pour des températures supérieures,
seront supplantés pour des raisons de prix et de fiabilité
par du chauffage électrique d'origine photovoltaïque.
Possibilités à Genève
Pour le économies d'énergie, qui en
général incluent le recours à l'énergie solaire
passive, le potentiel est très important: 10-15% de l'énergie
des bâtiments (chaleur et électricité). Pour les systèmes
solaires actifs, en installant 1 m² de capteur par habitant, ce qui
constituerait un appoint déjà substantiel pour l'eau chaude
sanitaire, on économiserait 3.5% des combustibles consommés
en 1987. D'autres applications marginales (piscines, industries, etc...)
permettraient de relever encore un peu cette valeur. Cette contribution
est donc faible, elle pourrait être relativement plus importante
dans un contexte prononcé de rationalité énergétique.
Rappelons que le seul chauffage hivernal de bâtiments
est une application inadaptée et peu intéressante à
Genève des systèmes solaires actifs, il y a beaucoup plus
à faire pour les bâtiments en recourant aux économie
d'énergie.
Quant à l'électricité solaire,
on pourrait produire annuellement 1.2% de la consommation électrique
1987 en recouvrant deux mille immeubles de 50 m2 de panneaux (avec une
efficacité de 20%); une centrale de 0.4 km2 dans le Jura (efficacité
20%) permettrait de produire 6% de la consommation électrique de
1987. Si cette forme d'énergie est appelée à se généraliser,
on
pourrait faire encore davantage en utilisant de nombreuses surfaces inexploitées
(façades de bâtiments, parkings, dépôts, entrepôts,
autoroutes, lignes de train).
Si l'on considère la production d'électricité
à Genève, actuellement 36% de cette production est d'origine
indigène (soit moins de 7% de l'énergie primaire); on pourrait,
toujours en rapport à la consommation 1987, gagner 18% par un recours
accru à l'hydroélectrique et au traitement des déchêts,
gagner 10% avec le photovoltaïque, ce qui nous amène à
64%. Il ne serait alors pas exclu de pouvoir, tout au moins en moyenne
annuelle, couvrir la demande électrique par une production totalement
indigène, à condition de suivre une politique de rationalité
énergétique bien déterminée et volontariste.
Chaleur du sel, biomasse et autres alternatives restent limitées
mais ne sont pas à négliger pour autant.
Quelques chiffres pour le canton de Genève (1987):
Population: 380'000 hts
Surtace: 282 km²
Consommation d'énergie (primaire):
total: 40800 TJ/an
(TJ = 10.12J = 2.8x10.5kWh)
dont:
mazout: 43%
gaz: 10%
carburant: 28%
électricité: 19%
(considérée ici comme primaire)
L'urbanisme prend naissance lorsque se produit un
croisement entre diverses espèces issues de l'intelligence du corps
social (qu'il importe de ne pas confondre avec l'intelligence innée
de l'individu). Diverses formes d'organisation sociale, plus ou moins primitives,
plus ou moins évoluées, naissent de la communion de plusieurs
intelligences individuelles. L'une de ces formes d'organisation est l'administration
de la ville. Il faut cependant relever ici que cette administration urbaine
n'est pas, en tant que telle, ce que l'on nomme l'urbanisme, mais plutôt
une façon d'arbitrer des intérêts et des besoins particuliers
et collectifs. C'est pour cette raison que, même si la ville et son
administration ont toujours existé, l'urbanisme n'a, quant à
lui, pas toujours été présent.
L'urbanisme est un hybride qui naît, au coup
par coup, du croisement fertile de diverses "espèces": ce sont le
temps et le lieu qui favorisent le degré de fertilité et
la réussite même de ce croisement d'où naît l'hybride,
c'est-à-dire
l'urbanisme et sa qualité historique. L'hybride même - on
tant que tel - n'est pas toujours fertile. Souvent, il est incapable de
se reproduire une fois engendré et, même à la suite
d'un nouveau croisement, il reste néanmoins incapable de donner
naissance à do nouveaux hybrides. En d'autres termes, les acquisitions
de la nouvelle espèce de l'hybride n'évoluent pas nécessairement
dans le temps et ceci, même si elles s'accumulent. Dans ce cas, l'évolution
n'est pas continue, ni même très garantie.
L'urbanisme est donc un "hybride nouveau", né
dans une phase de l'histoire où la gestion de la ville - dans sa
dimension séculaire - se croise avec une série d'espèces
"puissantes", par exemple lorsque cette gestion fait face à un phénomène
social inconnu: la rébellion ouverte contre le pouvoir. Ensuite,
cette gestion devra affronter l'évolution du phénomène
même: le socialisme...
C'est ainsi que la gestion de la ville a, dans des
conditions déterminées de temps et de lieu, engendré
un urbanisme lorsqu'elle s'est trouvée au contact direct de phénomènes
tels que la misère, le choléra, une distribution inéquitable
- voire inhumaine - des richesses, une rébellion endémique,
la morale, le désir de justice, l'esprit de solidarité. Un
urbanisme, cela veut donc dire une certaine qualité historique de
milieu spatial - et donc social - ou, en d'autres termes, un hybride qui
s'affirme et évolue selon un cycle "prévisible" pour se stabiliser
enfin lors d'une phase plus ou moins longue d'existence statique ou proche
de l'inertie.
Construire les villes: un art immémorial
Dans la phase d'inertie, l'évolution de la
gestion de la ville et du territoire se superpose à l'hybride jusqu'à
en devenir le synonyme et jusqu'à ce que les nouvelles espèces
produisent un second hybride au cours d'un nouveau croisement. Dans cette
optique, il nous est possible de lire le passé et de voir quand,
où et comment ce phénomène s'est manifesté.
Par rapport à ce que nous avons appris jusqu'ici, à travers
la sélection d'événements historiques, nous notons
que le phénomène auquel nous faisons allusion ne se présente
pas avec un courant continu et progressif, mais avec un courant qui, dérivant
de concepts darwiniens, peut être défini comme une "évolution
à l'équilibre ponctué".
La "ville", ou selon un vieux dicton, l'art de construire
les villes, existe depuis des temps immémoriaux. Cette ville est
un principe créé par les hommes pour vivre ensemble selon
des règles définies, de degré plus ou moins évolué.
Pour observer historiquement les événements qui concernent
la ville, nous avons depuis longtemps adopté des critères
de jugement et, parfois, des systèmes de référence
pour faciliter une attribution plus correcte des valeurs. Il est néanmoins
évident que ces systèmes et critères ne sont ni objectifs
ni finalisés, et ne sont pas plus neutres ou universels.
Le concept même de "critère" et de
"systèrne" implique un choix idéologique qui introduit fatalement
une "action" dynamique de la critique elle-même. En d'autres termes,
une "aspiration" a changé dans le caractère et la logique
de la critique, qui tend à agir sur le passé et donc le futur
du système même. Dans ce sens, l'on peut affirmer que l'analyse
contient souvent un embryon d'un projet, c'est-à-dire de la situation
à venir Cela n'empêche cependant pas que l'analyse puisse,
dans certains cas, coïncider avec le projet, mais seulement dans des
circonstances particulièrement dramatiques et donc non-systématiques,
donc en cas d'urgence spécifique. En substance, l'observation et
la description du phénomène ne coïncident pas nécessairement
avec la définition du même phénomène dans sa
dimension plus évoluée ou réformée et projetée
dans le temps à venir.
Considérons un cas particulier: quelques lignes géométriques, droites ou courbes. Ici, le champ de lecture est pour ainsi dire illimité: si nous pouvons lire chaque signe propre, les mouvements, les éventuelles tractures ou la linéarité, mais tout appartient à un monde fantastique et absolument personnel. Si nous enfermons ces lignes dans un système, par exemple deux axes cartésiens qui indiquent différentes valeurs (à savoir les axes d'un diagramme), nous pouvons - par hypothèses successives - tenter de déchiffrer le sens spécifique de ces signes, aussi tortueux soient-ils. Autrement dit, si le "cas" en question était un hybride, seul l'examen des diverses espèces qui l'ont produit nous permettrait de comprendre les phases successives de sa pénétration et de sa stabilisation sur le territoire.
L'aménagement du territoire s'est considérablement développé au cours du XXe siècle. L'exemple de Genève l'illustre de façon inquiétante. L'auteur suggère une nouvelle approche du problème.
L'aménagement vise, par voie rationnelle,
à distribuer, équilibrer, dynamiser les activités
humaines dans l'espace et le temps, selon un projet de société
s'exprimant particulièrement par la voie économique et politique.
Le couplage des différentes fonctions de la société,
soutenu par l'énergie et la technologie utilisées, a favorisé
une emprise de plus on plus vaste et diversifiée sur l'espace planétaire:
L'environnement naturel a été considérablement
modifié par l'application de la logique du fonctionnement des sociétés,
issue des codes et pratiques propres à l'espèce humaine on
tant que système culturel, hors du fatum biologique et physico-chimique.
Cette transformation récente de la planète, propre à
l'homme, suite à la biologisation de la terre pendant plusieurs
milliards d'années, nous a apporté de nombreux bienfaits,
mais a aussi provoqué des effets pervers: disparition des espèces
végétales et animales, modifications négatives des
biocénoses, déboisement, eutrophisation, érosion,
pollution, effet de serre accentué, diminution de l'ozone stratosphérique,
catastrophes diverses.
Que fait-on de l'environnement naturel?
Une prise de conscience s'est progressivement manifestée
et des dispositions prises par les autorités, tant pour la pollution
que pour l'organisation de l'espace. Parmi celles-ci la désignation
des parties du territoire qui peuvent se prêter à différents
types de constructions, à l'agriculture et la sylviculture, la viticulture,
les sites et paysages de valeur, les zones de délassement et loisirs,
celles présentant une fonction écologique marquante, les
surfaces menacées par les forces naturelles ou par des nuisances.
L'état et le développement souhaités pour ces différents
secteurs sont définis dans le cadre d'une politique générale
du territoire.
Dans cette optique, l'environnement co-produit par
l'homme et la planète est considéré comme un facteur,
une contrainte, situé en aval du projet de société;
en conséquence il doit essentiellement être subordonné
à l'espèce humaine (droit d'user et d'abuser). Ainsi, on
ne trouve pas, dans les plans directeurs de l'aménagement, un chapitre
consacré uniquement à la problématique de l'environnement
naturel, élément semi-autonome ayant ses propres lois (logique
biologique: fonctionnement cellulaire; logique écologique: fonctionnement
de la biosphère; logique physico-chimique planétaire (climat,
érosion) et s'organisant à l'échelon terrestre, régional
et local).
Seule une approche de l'aménagement intégrant
ces échelles de l'espace et ces logiques de fonctionnement peut
permettre d'assurer, à long terme, une meilleure viabilité
tant des sociétés que de l'espèce humaine sur la planète.
L'évidence de multiples ennuis sérieux dans les cent à
trois cents ans à venir devrait favoriser la mise en place progressive
d'une nouvelle conception. Sinon l'environnement sera de plus on plus une
image déformée de l'impact des projets de société
qui mettront en place des "feedbacks" planétaires restreignant nos
libertés, puis nous éliminant.
Des enveloppes de viabilité
Si, comme le dit Claude Raffestin (1983), toute
politique d'aménagement du territoire ne peut éviter une
tension perpétuelle entre valeur d'usage et valeur d'échange,
entre norme et pratique, entre contenu et position, celle-là étant
utile dans la réalisation d'un projet de civilisation, il est aussi
vrai que ce dernier ne peut échapper à long terme, sous peine
de tensions mortelles, à la nécessité d'une subordination
partielle, sur terre on tout cas, à un minimum de contraintes intrinsèques
à la planète.
Ainsi nous sommes tous faits de cellules (10¹²),
lesquelles ont une certaine sensibilité à l'environnement
et diverses exigences absolues (oxygène, nourriture, eau, température,
etc.); nous vivons d'échanges écologiques (oxygène
photosynthétique et respiratoire, nourriture végétale
et carnée, recyclage biogéochimique; ralentissement de l'érosion)
obligatoires. La quantité de matière minérale et son
accessibilité étant limitées, de même que la
surface photosynthétique (plantes vertes) et le flux lumineux, il
en résulte que la biomasse planétaire est aussi limitée
(on conséquence la production d'oxygène et la capacité
de recyclage de la manière minérale et organique sont limitées).
Il en est de même pour l'espèce humaine;
l'estimation fondée sur différentes approches (oxygène,
nourriture, énergie, surfaces écologiques et urbaines, etc.)
donne une valeur limite viable située entre 10¹° et 10E¹¹
habitants (probablement plus près de la première valeur que
de la deuxième).
Les êtres vivants sont très sensibles
à la température et ne peuvent vivre que dans des plages
très étroites de variation; la régulation planétaire
de la température et la disponibilité en eau sont capitales
(équilibre énergétique: terre-radiations solaires;
cycle de l'eau:
océan, atmosphère, biosphère, terre ferme). L'énergie,
à travers les vicissitudes de ses transformations successibles,
finit en chaleur (augmentation de l'entropie); le flux qui peut être
éliminé dans l'espace, hors de la planète, sans changement
notable de l'état planétaire et du vivant est limité.
En
conséquence la quantité annuelle d'énergie que la
société peut utiliser sur terre a une limite au-delà
de laquelle la viabilité planétaire est mise en cause.
L'emploi de carburants fossiles et la pollution atmosphérique actuels
font que le seuil de risque est en train d'être dépassé
(CO², CH4, NOx, O3, etc.: effet de serre amplifié). L'utilisation
de ressources renouvelables (hydraulique, solaire, vent, marée,
etc.) et géothermiques ne présente pas ce genre d'inconvénients.
Sans
effets de serre, des quantités plus élevées, dix à
cinquante fois, que la moyenne mondiale actuelle, pourraient être
employées sans ennuis majeurs. L'énergie atomique ne
serait pas à rejeter dans son principe, pour autant que des procédés
avantageux soient découverts (problème des déchets
et de sécurité de l'installation).
La viabilité des projets de société
passe donc par une population mondiale et un emploi de l'énergie
stabilisés dans un proche avenir; elle demande aussi un meilleur
emploi de l'eau douce (le flux annuel sur terre n'est que le 0,003% de
la masse totale dont les 97% sont salés) et une intégration
des flux de l'agrosphère et de la technosphère dans
l'écosystème général (contrôle
de la pollution chimique et physique). Si présentement on peut
se disputer sur l'échéance et la valeur exacte des seuils
limites, il est difficile de contester ces principes issus du fonctionnement
du vivant et de la planète.
Connaissant les enveloppes de viabilité planétaire,
il est possible d'examiner les particularités régionales
et locales et ainsi orienter les choix optimaux dans ces sous-ensembles.
Les conséquences sur les codes socioculturels et l'économie
sont variées. Cette dernière a un rôle clef dans l'aménagement
du territoire. Il est nécessaire de la reconnecter à la réalité
physique (entropie) et biologique, de la moduler (incitation, subvention,
taxe) vers des innovations qui contribueront à changer notre manière
de produire et de consommer (Pillet et Odum, 1987), à la fois écologique
et économique.
Genève: des lambeaux de forêts
Observons la situation générale écologique
de ce canton fortement urbanisé (zones de constructions: 32% de
la surface, contre 5% pour la Suisse) et économiquement très
développé (prépondérance du secteur tertiaire).
La zone agricole, importante pour la végétation, occupe les
48% du canton (50% on Suisse) et les bois et forêts environ 10% (26%
pour la Suisse).
Une référence, pour situer l'action
humaine actuelle, est de comparer l'état présent à
celui qui aurait existé si l'homme n'existait pas et que la biocénese
genevoise eût atteint son état d'équilibre naturel
(climax). Il ne s'agit pas de rêver à cette situation, mais
d'apprécier jusqu'où il est possible d'aller dans la réduction
de la nature, en ayant en mémoire les quatre logiques et les trois
échelles d'observation citées précédemment.
Il ne reste plus que 10% environ de la biomasse
potentielle (baisse de la diversité, de la complexité de
l'écosystème, de la capacité de re-yclage, de la production
d'oxygène, etc.). Des lambeaux de forêts s'accrochent aux
cours d'eau et le reste est écartelé aux quatre coins du
canton, débordant hors des frontières. L'impact humain est
donc important (60 tonnes environ de biosphère fraîche par
habitant contre 400 tonnes à l'échelle suisse et 5000 au
niveau mondial).
Nous devons importer une part essentielle de la
nourriture et du fourrage, de l'oxygène et de l'énergie (en
majorité de sources non renouvelables). Celle-ci correspond à
près des 2% de l'énergie solaire au sol. Alors même
que nous ne représentons que quelques pour mille de la biomasse
locale, nous manipulons beaucoup plus d'énergie que celle mise en
jeu dans les échanges écologiques du canton. Nous avons atteint
la dimension de la nature vivante, raison peur laquelle il faut intégrer
sa logique dans nos projets d'aménagement et agir aussi bien localement
qu'à l'extérieur du canton. Beaucoup de problèmes
n'ont de solution que par un co-développement de la région,
en particulier la gestion de la nature.
Une autre façon d'apprécier la
situation locale est d'étendre à l'ensemble du globe les
données genevoises. Le calcul montre que l'on aboutirait à
une impasse (population, énergie non renouvelable, eau douce).
Malgré l'imprécision des mesures, il est évident que
l'on s'approche de limites au-delà desquelles il n'y a pas de réelle
viabilité pour l'homme. Il faut donc repenser l'aménagement
dans une perspective à la fois mondiale, régionale et locale
incluant les conséquences de la logique biologique et planétaire.
Le réchauffement de la planète menace l'équilibre de la biosphère. Causes et remèdes sont à chercher dans notre «excroissance» industrielle. Mais aussi dans notre rigidité intellectuelle..
Depuis des années, Michel Serre enseigne un
nouveau mode de penser, une nouvelle manière de percevoir notre
appartenance au monde Il nous aide à réactiver nos
«cinq sens», au-delà des catégories établies
par la funeste partition, dans notre civilisation urbaine et militaro-industrielle,
entre culture scientifique et culture littéraire. Ce faisant, nous
franchissons un nouveau «passage Nord-Ouest» entre le continent
des sciences dites exactes et celui des sciences dites humaines; nous redécouvrons
une mer à la fois nouvelle et très ancienne, patiente et
pacifique. Nous retrouvons, en passant du mythe à l'hypothèse
scientifique, le monde, au vieux sens du terme, cette Terre-Mère,
la Biosphère, que les anciens Grecs, et de nos jours James Lovelock
et Lynn Margulis, nomment Gaïa.
Dans son dernier livre, «Le contrat naturel«,
Michel Serre poursuit, à sa manière cette quête de
Gaïa, commencée voici des années, en navigateur solitaire,
dans l'indifférence générale. Depuis peu, son oeuvre
devenant de plus en plus visible, avec déjà une vingtaine
de livres publiés, ce philosophe qui enseigne une autre histoire
des sciences et de techniques, une autre façon de «faire de
l'histoire», sort de l'ombre. Son tort? Il n'était pas «discipliné»!
Sa récente élection à l'Académie
française témoigne avec éclat de ce qu'il faut bien
appeler l'effet de Serre (!). Il est grand temps de le prendre au sérieux,
dans toutes nos disciplines dites académiques.
En parlant de l'effet de Serre, on ne peut s'empêcher
de penser à cette question d'une brûlante actualité,
née avec l'industrialisation, et que la grande presse, depuis la
conférence mondiale de Toronto - «l'Atmosphère en évolution:
implications pour la sécurité du globe»
- en juin 1988, nomme «effet de serre», alors qu'il s'agit
plus précisément d'une dérive d'origine anthropique,
thermo-industrielle, de l'effet de serre de la biosphère.
Qu'est-ce que cela veut dire? Et bien, c'est encore
Serre, philosophe de la «révolution carnotienne», qui
nous apprend à le comprendre: en relisant Sadi Carnot et Joseph
Fourier, héros éponymes de cette révolution scientifique
qui traduit, d'une manière fulgurante et longtemps incomprise, la
technologie, la théorie physique, la géographie, l'écologie
et la cosmologie de notre monde thermo-industriel.
Les pionniers de la thermodynamique
Tout commence, symboliquement, en 1824, à
Paris, en pleine bataille romantique. Cette année-là, Sadi
Carnot (1796-1832) publie ses fameuses Réflexions sur/a puissance
motrice du feu et sur les machines propres à développer cette
puissance, acte de naissance, avant la lettre, de la Thermodynamique,
cette nouvelle science de l'énergie et de l'entropie; et Joseph
Fourier (1786-1830), dont la célèbre Théorie analytique
de la chaleur se démarque également du paradigme newtonien
de la science classique, publie son troisième mémoire sur
«la chaleur de la Terre»,intitulé «Remarques
générales sur les températures du globe terrestre
et des espaces planétaires», premier texte scientifique
où se trouve fondée l'analogie météorologique
entre atmosphère du globe terraqué et le vitrage d'une serre
chaude, métaphore dont Fourier attribue l'origine à l'ingéniosité
d'une expérience du «célèbre voyageur M. de
Saussure». L'idée fera son chemin, au même rythme que
l'industrialisation de la planète...
Avec Carnot et Fourier, avec la révolution
industrielle et la nouvelle philosophie naturelle de la chaleur, en pratique
et en théorie, l'homme n'est plus séparé du monde,
et le monde n'est plus insensible au développement d'Homo sapiens,
qui est avant tout Homo faber, en occurrence agent naturel, force
géomorphologique et biogéo-chimique: la civilisation industrielle
se compare aux autres forces de la nature. Illustré par la fameuse
"courbe de Keeling" mesurant, depuis le début de l'ère industrielle,
l'accroissement accéléré de la concentration du C0²
dans l'atmosphère (avec de remarquables variations saisonnières
liées au métabolisme de la planète), l'impact de notre
développement économique sur la Biosphère surpasse
aujourd'hui celui du volcanisme! La révolution industrielle?
Une éruption ther-moindustrielle!
Au moment où triomphe le Capital, hélas,
on perd la terre, source de la richesse chez les physiocrates. L'économie
politique du XIXe siècle, soeur de la mécanique industrielle,
impose le travail, le rendement, la marchandise, l'utilité, le profit,
la productivité, et oublie le monde, le met littéralement
hors "circuit", au moment même où la nature de l'économie
se métamorphose en transformant irrévocablement l'économie
de la nature, c'est-à-dire en altérant, par notre "métabolisme
industriel", les grands cycles biogéochimiques de la
biosphère, pour parler comme Vladimir Vernadsky (1863-1945), le
véritable père, méconnu, de cette science de la biosphère
qu'est l'écologie globale.
Le métabolisme de la biosphère
C'est bien l'ensemble du globe dont il s'agit désormais,
non plus seulement de "la face de la terre", des terres que les hommes
se partagent, et se disputent généralement, mais bien de
la terre, en tant que planète, maison commune de tous les
êtres humains, de toutes les espèces vivantes, unique "planète
vivante" du système solaire, quasi miraculeuse avec son étonnante
enveloppe atmosphérique, en grande partie créée par
nos ancêtres bactériens, océan d'air, comme disait
Torricelli, indivisible et en circulation perpétuelle, membrane
protectrice (avec son écran d'ozone) de cette étrange "cellule"
dans le cosmos, véritable système circulatoire de ce vaste
organisme qu'on nomme, à la suite du livre de Vernadsky, La Biosphère.
Il nous reste à comprendre le "métabolisme"
de notre bioéconomie industrielle, à l'échelle de
la géophysiologie (J. Lovelock). Le pillage des ressources
naturelles, la destruction des forêts, la contamination radio-active,
le rejet par milliards de tonnes de gaz à effet de serre, ne sont
que des manifestations de notre négligence de la biosphère;
d'où la crise planétaire imminente qui nous oblige d'urgence
à connecter, en théorie et en pratique: économie,
écologie et thermodynamique, comme l'enseigne depuis plus de vingt
ans Nicholas Ceorgescu-Roegen, l'auteur de The Entropy Law and the Economic
Process (Harvard University Press, 1971).
Le renforcement de l'effet de serre, le réchauffement
du globe (dont il sera question au mois de novembre, à Cenève,
avec la deuxième Conférence mondiale sur le climat, qui examinera
le rapport du Croupe d'experts intergouvernemental pour l'étude
du changement climatique), est une conséquence thermo-dynamique
de notre excroissance occidentale; c'est bien la "surchauffe de la croissance»
(François Meyer).
Comment juger la valeur d'un paysage
Seules les études d'impact permettent
d'évaluer l'effet de tout aménagement sur son environnement.
L'exemple de Plan-les-Ouates.
Lourde est la responsabilté des organes compétents
aux niveaux fédéral, cantonal et communal ainsi que celles
des autorités appelées à donner en dernière
instance leur autorisation aux projets. C'est pourquoi l'Etude d'impact
sur l'environnement (EIE) est un instrument important de la protection
préventive d'un paysage, à condition d'être appliquée
de manière cohérente.
Le but de l'étude d'impact en matiere N+P
est d'eISblir tes effets d"'ects et indirects d'un projet sur les données
naturelles, les utilisa-tions et fonctions réciproques entre le"
différents facteurs precttês, les hans elle PS-trirnoine culturel.
0'est pourquoi une étude d~mpect N+P doit avoir Pour Objectif, d'une
part, l'être humain et, d'autre part, le reste du monde environnent
animé ou inanimé (milieu véalI. La conjugaison de
tous les éle-manIa inventorles dans l'étude N+P, asso-clés
aux différentes études accompées tant au niveau du
sol, de l'eau, de l'air, de lana ture et du brut constitue l'er'aemble
du tisaq paysager, dont chaque particulasté dait être prise
an compte.
Au lieu-dit du vallon des Vaulx sur la commune de
Plan-les Ouates, nous avons analysé l'intégration du projet
autoroutier et plus particulièrement son secteur en tranchée
ouverte - cette étude a été menée par le bureau
Ecosys S.A. avec lequel nous collaborons - en tenant compte du relief dont
il a été indispensable d'en découper les sur faces.
Cependant, l'influence du périmètre environnant, c'est-à-dire
celui se trouvant à l'extérieur du site proprement dit, a
été également considèrée.
Les moyens de description d'un site supposent obligatoirement
des points de vue. La manière dont ils sont choisis n'est pas indifférente,
puisqu'ils se concentrent sur un certain nombre de lieux: habitation, chemin,
route, promenades, etc. Dans ce cas nous avons choisi sept points de vue.
Il faut donc déterminer en priorité ceux qui ont un intérêt
manifeste et permettent effectivement à des spectateurs d'avoir
une perception du milieu. Cependant ceci ne signifie pas qu'un paysage
qui ne serait pas fréquenté présente moins d'intérêt
ou d'attrait. Sa qualité première pourrait résulter
précisément de l'absence de construction, de traces de l'occupation
humaine, de son isolement. Les points de vue ne constituant que les reférences
à partir desquelles le paysage est vu.
A partir de l'instant ou le site a été
cadré, un inventaire des fonctions du payasipe a été
entrepris afin d'en retenir toutes les structures. La technique employée
s'est faite sous la forme d'une matrice, avec d'un côté les
fonctions du paysage et de l'autre, les différents points de vue.
L'analyse du site a permis d'identifier le caractère particulier
des structures relevées et d'exprimer ce qui fait sa richesse. La
comparaison avec l'état futur qui prend en compte la voie projetée
a mis an évidence les modifications du paysage dues au projet. Ainsi
les impacts du projet ont été décrits de manière
à mettre an évidence les modifications que va subir la paysage,
les changements que vont percevoir les riverains dans leur manière
de vivre et d'utiliser un site: de plus, un plan de mesures de protection
a été proposé afin d'éliminer ou d'atténuer
les impacts négatifs relevés sur le site.