The Nikkei weekly, Tokyo
Que faire du gaz carbonique,
principal gaz à effet de serre soupçonné de réchauffer
la planète? La division matériel aérospatial
de Shimadzu, en collaboration avec l'Institut de recherche sur les nouvelles
technologies pour la Terre (Kyoto), vient de mettre au point une technique
de recyclage prometteuse. Elle consiste a décomposer le gaz carbonique
(CO2 ou dioxyde de carbone) pour en extraire le carbone, qui
peut ensuite être utilisé pour fabriquer des électrodes
de batteries, des élastomères et des encres.
De nombreuses techniques sont actuellement développées
pour fixer le CO2 dispersé dans l'atmosphère ou
pour en limiter les émissions. Le procédé de Shimadzu
non seulement fixe le gaz, mais permet aussi de le recycler, en le faisant
réagir avec de l'hydrogène. L'intérêt d'utiliser
ce gaz comme agent de décomposition du dioxyde de carbone est double
: tout d'abord, l'hydrogène est hautement réactif; ensuite,
il conduit, au cours de la réaction, à la (seule) production
d'eau.
Toutefois, le probléme consistait a trouver
une source d'hydrogéne bon marché. La décomposition
de l'eau est la méthode la plus courante, mais elle est relativement
coûteuse. Dans un premier temps, Shimadzu avait donc envisagé
d'utiliser du méthane obtenu à partir de gaz naturel. Mais,
pour des questions de rentabilité, il a finalement été
décidé d'utiliser l'hydrogène émis par des
déchets organiques. C'est là l'une des principales originalités
du procédé, qui traite en synergie deux nuisances environnementales:
les émissions de CO2 et la production de
déchets organiques.
Au Japon, l'industrie des pâtes et papiers
et les entreprises agroalimentaires produisent à elles seules environ
7 millions de tonnes de déchets organiques par an. La plus grande
partie est incinérée, dégageant du CO2
dans l'atmosphére. 1 % du volume total de dioxyde de carbone est
rejeté par le Japon chaque année", précise Saburo
Kato, membre de l'équipe travaillant sur le projet Shimadzu, qui
tente de passer au stade des applications pratiques.
Voici les trois étapes du processus
1. Tout d'abord, les déchets organiques sont décomposés
par des bactéries anaérobies [qui se développent en
l'absence d'oxygène], pour fournir du méthane et du CO2.
2. Ensuite, un catalyseur au nickel-cobalt décompose le méthane
en carbone et en hydrogène.
3. Enfin, l'hydrogène produit est mis en réaction avec
le CO2 provenant de la première étape, ce qui
produit à nouveau du carbone, ainsi que de l'eau. Intérêt
de cette méthode: l'énergie thermique dégagée
par la décomposition du CO2 est réutilisée pour accélérer
la décomposition du méthane.
La division matériel aérospatial de Shimadzu, qui s'intéresse tout particulièrement aux milieux clos (telles les stations orbitales), n'en est pas à sa première tentative en ce domaine. En l'occurrence, elle s'était déjà attaquée au recyclage du CO2 exhalé par l'équipage des véhicules spatiaux en le faisant réagir avec de l'hydrogène, afin de produire à nouveau de l'oxygène. « Après tout, la Terre peut être considérée comme un espace clos, et un tel savoir-faire peut s 'appliquer aux technologies de l'environnement et de l'énergie», explique Saburo Kato. Mais, chez Shimadza, ce projet ne faisait pas l'unanimité. Pourtant, la direction a donné son feu vert, constituant une équipe pluridisciplinaire de spécialistes en mécanique, électronique, électricité, physique, fermentation et biologie.
Dans le but de passer rapidement à des applications pratiques, l'équipe a fait largement appel à des experts extérieurs, notamment étasuniens. Au mois de septembre 1998, les chercheurs ont déterminé quel type de catalyseur interviendrait dans les différentes étapes du processus. Choix déterminant, car l'efficacité de ces composants est primordiale. «C'est une famille de catalyseurs prometteuse», note Saburo Kato. Les chercheurs ont déjà choisi le catalyseur de la décomposition du dioxyde de carbone et ils travaillent à la mise au point de celui qui intervient dans la décomposition du méthane. «Si nous parvenons à mettre au point un catalyseur à haute performance, nous pourrons réduire la taille de l'enceinte de décomposition et donc la quantité de chaleur irradiée. Ce qui permettra également de produire davantage d'hydrogène», explique l'un des ingénieurs. Pour l'instant, le processus ne fournit encore que quelques grammes de carbone par cycle de traitement. Mais il serait possible, en phase industrielle, de traiter quotidiennement 10 tonnes de déchets organiques, pour en extraire quelque 5 tonnes de carbone et 10 tonnes d'eau.
A la décharge, le CO2 !
«Au fait, les décharges, c'est une façon comme
une autre de stocker le carbone dans les déchets au lieu de le rejeter
dans l'atmosphère sous forme de gaz carbonique CO2!»
Voilà ce que des experts étasuniens
tentent de faire valider afin de faciliter le respect par leur pays des
accords de Kyoto sur la limitation des émissions de CO2.
Il y a ainsi 28 millions de tonnes de carbone "séquestrées",
l'équivalent de 2 % des émissions de CO2 issues
des combustibles fossiles, soulignent-ils dans l'hebdomadaire New Scientist.
Bref, multipliez les décharges, c'est bon pour l'environnement !