Le vent devenant rentable, les fermes éoliennes
vont se multiplier. Mais certains projets soulèvent une vive opposition:
ils risquent de dégrader les lieux, et pas seulement d'un
point de vue esthétique.
Jusqu'au 22 juin dernier, le vent ne payait pas bien.
Produire 1 kWh délectricité éolierne coûte entre
30 et 35 centimes en moyenne (c'est ce qui ressort d'études menées
en France et en Grande-Bretagne). Revendre ce kWh à EDF permettait
d'encaisser environ 33 centimes. Le risque était minime, car l'opérateur
national est tenu de racheter leur production aux exploitants d'éoliennes,
mais les bénéfices l'étaient tout autant. Or voilà
que ce 22 juin le Journal officiel publie un arrêté du ministère
des Finances et du secrétariat d'Etat à l'Industrie fixant
le tarif de rachat par EDF à 55 centimes pour les cinq prochaines
années et à 48 centimes en moyenne pour les dix années
suivantes.
"La France fait comme l'Allemagne, explique Dominique
Jamme, chef des coûts de production de la CRE, la Commission pour
la rétulation de l'électricité (1). Pour développer
l'énergie éolienne, ce pays a en effet appliqué une
mesure d'obligation d'achat à un prix relativement important, de
l'ordre de 50 centimes." Bilan le vent fournit aujourd'hui 6113 MW
aux Allemands. Ce chiffre recouvre toutefois des situations disparates.
L'éolien représente 4 % de la consommation électrique
du Schleswig-Holstein, et 0,8 % de celle de la Basse-Saxe.
Sans être vraiment encombré, le marché français de l'éolien compte une vingtaine d'intervenants, qui ont multiplié, ces derniers mois, les projets d'implantation. Pas moins de cent soixante dossiers ont été déposés dans les seules Pyrénées-Orientales! Normal: au courant des négociations avec Bruxelles et des mesures tarifaires incitatives prises en Allemagne, ces différents acteurs avaient senti le vent tourner en leur faveur. Avec EDF dans le rôle du client "captif" pour quinze ans, un prix de rachat leur garantissant d'avance de confortables profits, et les subventions auxquelles ils peuvent prétendre auprès des collectivités locales, ils vont devenir les "rois du pétrole". EDF lui-même n'est pas à plaindre. Certes, il est contraint d'acheter à un prix prohibitif une énergie qu'il revend environ 31 centimes le kilowattheure, mais le surcoût lui est remboursé par un fonds de péréquation auquel participent tous les distributeurs français d'électricité. Alors il joue de bonne grâce son rôle de mécène obligé, en profite pour se faire une image d'électricien "propre", et investit lui aussi dans les fermes éoliennes.
Pour Jean-Michel Germa, qui dirige la Compagnie du vent (le principal conducteur de projets éoliens en France), la manne financière n'est pas forcément bienvenue «Des promoteurs peu scrupuleux se mettent à l'éolienne, proposent des mauvais sites d'implantation et génèrent des réactions de rejet »
«Je suis un vieux militant anti-nucléaire, raconte Jean-Paul Delette, porte-parole des Verts dans l'Hérault. Je suis pour les énergies renouvelables. Avec elles, pas de dioxyde de carbone, pas de danger pour les générations futures, pas de stockage de déchets. L'implantation d'éoliennes ne peut cependant pas se faire n'importe où, n'importe quand, n'importe comment.» Il a créé une association, Bon Vent, qui s'oppose à trois installations prévues dans le Larzac. Il ne cherche pas à protéger ses propres intérêts: «Je ne les verrai même pas d'où j'habite", dit-il. Mais des nuisances existent et il tient à les souligner.
Il accuse les éoliennes de faire du bruit. Les pales d'aujourd'hui sont pourtant bien plus discrètes que celles d'autrefois. Les petites éoliennes qui bordent les routes de Califomie font un épouvantable vacarme. Ce n'est pas le cas de ces mâts de 50 mètres, ou plus, qu'on installe en France. A 50 mètres du centre d'une éolienne émettant 100 décibels (dB), le niveau sonore se situe en général autour de 55 à 60 dB, soit le bruit d'un sèche-linge. A 200 mètres, il atteint 44 dB, ce qui correspond au bruit d'une salle à manger plutôt caaine. Deux éoliennes émettent 3 dB de plus qu'une seule; quatre éoliennes, 6 dB de plus qu'une seule. «Ces chifres ne sont que des moyennes, commente Jean-Paul Delette. Ce qui est particulièrement pénible, c'est le grincement des hélices qui tournent en l'absence de vent.» Car elles ne s'arrêtent jamais, même quand il n'y a plus le moindre souffle d'air (voir schéma). Néanmoins, les lois de l'urbanisme sont claires: pas d'habitations à moins de 400 mètres. Dans bien des cas, c'est suffisant.
Car l'impact des éoliennes sur le tertain peut être important, même si leur emprise au sol est faible. Construction des pistes d'accès, enfouissement des lignes électriques, installation des postes de transformation... Les mâts n'arrivent jamais seuls.
Dans le Languedoc-Roussillon, pour intégrer harmonieusement les éoliennes dans les milieux naturels et les paysages, la direction régionale de l'environnement a réalisé un schéma des zones d'implantation. Toutes les raisons pour lesquelles les éoliennes pouvaient être indésirables en un lieu donné ont été listées: proximité d'un monument historique, paysage caractéristique, présence d'un couloir migratoire, zone de refuge ou de nidification, habitat d'espèces protégées... Puis chaque lieu a été noté en fonction de ces éléments. Ce document sert de référence lors des nombreux combats entre préfets, associations et constructeurs. En Allemagne et au Danemark, on n'a pas toujours tenu compte de tout cela. Du coup, des associations intentent des procès parce qu'elles estiment qu'un site n'a pas été suffisamment préservé. Même l'agence danoise de l'énergie a attiré l'attention sur le fait que le développement à grande échelle de l'énergie éolienne pouvait avoir «un impact extrêmement négatif sur le paysage et l'environnement». Le pays tente désormais de développer les installations offshore. Des éoliennes en pleine mer voilà sans doute une solution qui pourrait réconcilier tout le monde. Le territoire français, par exemple, possède un gisement éolien de 75 millions de MWh sur terre, mais de 477 millions de MWh en mer. Plus que la consommation nationale d'électricité (457 MWh)! TotalFinaElf lance un projet de ce type en Belgique. En France, les premières bases éoliennes maritimes pourraient être construites au large de Brest. Mais de telles plates-formes coûtent plus cher que les parcs traditionnels, alors les candidats ne bousculent pas. A quand la prochaine mesure d'incitation gouvernementale?
(1) Cette autorité administrative indépendante, créée en 2000 à l'occasion de l'ouverture à la concurrence de 30 % du marché français de l'électricité, encadre le commerce de l'énergie électrique.