D / - Conclusions du commentateur
XI) La problématique de l’énergie
(problématique "générale"...)
L’énergie et plus exactement l’accès à
l’énergie prend sans doute certain, une part majeure dans les grands
domaines d’intérêt universel - principalement l’augmentation
de la pauvreté et de la malnutrition, la croissance de la population,
l’épuisement des ressources naturelles, l’industrialisation accélérée
et la dégradation de l’environnement, mais est-il pertinent de vouloir
réduire au nucléaire qui est une technologie compliquée
certes, mais sans commune mesure avec les complexités de ces domaines,
la science qui les a justement dans ses champs d’études? Au risque
d’une dangereuse banalisation du nucléaire, en voulant nous faire
croire que le nucléaire n’est qu’une façon parmi d’autres
de chauffer de l’eau!
«Le choc dit pétrolier du début
des années 70 a certainement masqué la crise nucléaire:
les différents programmes sont venus s’échouer par vagues
successives dès la décennie 70 et au cours de la décennie
80, tout d’abord aux USA, puis progressivement dans le reste du monde à
économie de marché et depuis peu dans les pays de l’Est;
dès 67-68, toutes les centrales commerciales vont connaître
des retards, des défauts de construction et des coûts supérieurs
jusqu’à 2 fois le prix initialement avancé. Le nucléaire
est (a été?!) en somme un vrai "laboratoire": en matière
de risques, de problèmes de démocratie des choix industriels,
d’imbrication du politique, du social et du biologique, dans l’économique
et en matière de rapports entre les nations. La crise du nucléaire
semble plutôt atteindre à la dimension d’une crise de civilisation:
cette technologie est moins à considérer comme sans avenir,
voire comme repoussoir que comme précurseur des questions et problèmes
qu’affrontent notre civilisation»[40] (et bien
sûr... les générations futures!).
Sans me prétendre exhaustif, j’ai tâché
de répondre aux points les plus litigieux, sources de polémique;
pourtant il ne me semble finalement pas qu’il faille être pour ou
contre le nucléaire pour ‘’seulement des raisons écologiques’’,
mais plutôt dévoiler certains obstacles... cachés,
osons le dire: la dérive des coûts, sa production hyper-compliquée
en milieux hostiles ou "simplement" au Tiers Monde, les controverses dues
moins aux problèmes débattus qu’aux différences des
mentalités, des valeurs[41], des modes d’organisation
voire d’épaisseurs historiques d’un état à l’autre...
Mais malgré tout, pourquoi ne parle-t-on presque pas encore du monumental
"clean up" des sites nucléaires contaminés? Rien que pour
les zones militaires américaines, son coût est désormais
estimé entre 150 et 400 milliards de dollars pour les 30 années
à venir. Et petite ‘’cerise sur le gâteau’’, le problème
curieusement occulté de la consommation d’eau plus élevée
à cause de la différence de rendement, alors qu’en France
par exemple, EDF en est déjà le plus gros consommateur!
Alors? «Le nucléaire (pourrait) donc
se prévaloir de tant de qualités sans aucun défaut
et nous serions quasiment les seuls au monde à persister dans cette
voie? Décidément, la terre entière n’est peuplée
que d’imbéciles» [42]. Une chose curieuse
et ‘’bien sûr’’ passée sous silence: alors qu’il affirme et
répète ‘’notre’’ suprématie en matière de nucléaire,
il n’y a aucune centrale française classée dans les 10 premières
centrales en matière de taux d’utilisation et donc de fiabilité[43]!
Comment ne pas se souvenir de cette phrase de Roosevelt: «On peut
tromper tout le monde quelque temps mais on ne peut tromper tout le monde
tout le temps»!
L’écologie aurait besoin du nucléaire?
Il semble que ce soit plutôt celui-ci qui nécessite au contraire
celle-là pour résoudre les problèmes que cette technologie
a générés, problèmes qui découlent
souvent plus de ses trop grands succès (apparents) que de ses échecs!
N’est-il pas temps de «proclamer haut et fort qu’on ne peut avoir
la prétention de changer la planète sans oser bousculer quelques
credo phobiques»[44], un temps qui est donc celui
de s’éloigner radicalement des idées généralement
admises et autres comportements qui en découlent: à Rio,
pour certains, y aller a été un engagement majeur. Mais pour
d’autres, disons le Président Bush, pour ne pas dire les occidentaux,
l’essentiel était que leur style de vie ne soit pas négocié;
en face, le mode de vie de la plupart des autres humains (les trois
quart de la population de la planète!) et la vie elle-même
sont renégociés tous les jours... Il est impossible de
ne pas y déceler la notion de culture, de cultures, dans toutes
ses acceptions: mais la principale ressource d’économie d’énergie
n’est-elle pas d’ordre culturel? [45]
Il faut malheureusement savoir s’arrêter...
Je le ferai d'abord sous forme de questions personnelles quoique universelles
et bien dans le même domaine des mythes à détruire:
si l’on ‘’accélère’’ sans cesse, que se passera-t-il s’il
n’y a pas de... frein? La pollution extérieure ne serait-elle pas
pour partie la projection au dehors d’une certaine pollution intérieure?
Le monde actuel est "fou"; s’y sentir bien est-il vraiment une preuve de
bonne santé mentale?! Ne faudra-t-il pas réapprendre à
être pessimiste pour pouvoir être optimiste?
Ensuite, mon titre parlait de tentative: en
voici une ultime, celle de paraphraser André Gide[46]:
«Nous avons regardé les choses de haut? Sachons Nous regarder
maintenant humblement»: en effet, comment croire pouvoir changer
les choses si l’on n’accepte pas de vouloir changer soi-même?
Ainsi la boucle est bouclée avec ma question
introductive... Et à ceux qui penseraient qu’il s’agit là
de pure éthique, je répondrai que l’économie
étant produite par la vie d’humains, tout problème économique
est un problème éthique...
Annotations:
[40] Michel Damian, chercheur à l’IEPE*, in "Le
développement soutenable, la dernière chance pour l’énergie
nucléaire? " et "Nucléaire: les leçons ambiguës
de l’histoire "
[41] Un responsable de l’Institut du Management d’EDF déclare
sur la page Internet de ce site: «le taux de chômage 3 ou
4 fois moindre au Japon comme aux USA ne compte-t-il pas plus que les jugements
moraux?», ce qui ne l’empêche pas de reconnaître
plus loin: «...scandales, krachs et corruptions diverses qui vont
de pair avec une symbiose trop forte entre Etat et industrie»!
Comment ne pas faire appel ici à... Montesquieu: «Si je
savais quelque chose qui fût utile à ma patrie et nuisible
à l’Europe ou qui fût utile à l’Europe et nuisible
à l’humanité, je la considérerais comme un crime»
[42] Perline, op. cit., p. 79
[43] Bulletin ASE/UCS No 2/98 p. 86
[44] Yves-Bruno Civel, rédacteur en chef de Systèmes
Solaires, in éditorial du No 116 - 12/1996
[45] INESTENE, op. cit. p. 21
[46] «Que l'important soit dans ton regard,
pas dans la chose regardée»!
FIN
Genève le 7 mars 1998
(Ste Félicité!)
Email: Yves.Renaud@cern.ch