I / Le nucléaire, une énergie propre
    «Une centrale nucléaire n’émet rien ou presque (...), l’eau en aval d’une centrale est exactement la même qu’en amont (...), une augmentation de l’ordre de deux (ou même dix) fois le taux de la radioactivité naturelle semble parfaitement admissible »: de telles affirmations sont-elles une démarche scientifique?
    Au sujet de la radioactivité, je ne donnerai qu’un contre-exemple, en rapport avec la problématique du secret (et de la désinformation, voir § dédié):
    Pour la centrale de Marcoule, la COGEMA* affirme ainsi que «les rejets du site restent très inférieurs aux limites autorisées par les pouvoirs publics»; il en découle que si les rejets sont inférieurs aux limites autorisées, la pollution est légale. Prenons par exemple les émetteurs alpha; ce site a le «droit» de rejeter chaque année:
2500 TBq* de tritium, 150 TBq pour les radioéléments autres que le tritium, le strontium 90 et le césium 137, 6 TBq de strontium 90 et de césium 137, 0.15 TBq de radioéléments émetteurs alpha[6].
        MAIS, compte tenu de la très forte toxicité et des périodes très longues de ces radionucléides, les centrales n’ont pas le droit de rejeter ces produits dans l’environnement. Question: qui a pris la décision de donner cette autorisation à Marcoule? Pas de réponse, car les dossiers qui confèrent aux exploitants le droit de rejeter des produits radioactifs sont CONFIDENTIELS [7].
    Concernant maintenant les effluents autorisés non radioactifs (produits principalement par le détartrage en continu des échangeurs de chaleur), voici donc quelques précisions chiffrées (annuelles et pour 1995) détruisant l’affirmation du nucléaire propre, fournis par le GSIEN*:
- acide borique: 6300 kg par tranche plus un rejet exceptionnel (mais prévu) une fois par an de 315 kg pour nettoyage des réservoirs mais en cas de pilotage différent le rejet peut s'élever jusqu'à 10 fois plus soit 63000 kg/tranche/an; les rejets totaux pouvant s’élever à 66150 kg/tranche: moyenne réelle de 34000 kg mais le seuil de toxicité est atteint une fois par semaine pour les plantes sensibles; de plus en cas de rejet exceptionnel on atteint 4,6 ml sur 2h, la limite de toxicité étant de 4 mg/l.
- ammoniaque: en fonctionnement normal, 200 kg/tranche; la toxicité est atteinte à l’étiage.
- phosphates: estimés à 1200 kg/tranche et alors que la valeur guide pour la concentration maximale est de 0,7 mg/l, la concentration pouvant atteindre 150 mg/l au point de rejet, des problèmes sont à craindre entre le point de rejet et celui de dilution.
- EDTA (Ethylène diamine-tétracétique) pour la décontamination des matériaux: l’usage est limité à 25 kg/jour mais le rejet sur 2h peut être de 15 kg.
- sulfates: pour la centrale de Nogent sur Seine, l’arrêté préfectoral autorise 37,5 tonnes/JOUR et 5000 t/an. Il faut aussi ajouter des «rejets associés» d’anti-tartres organiques de 864 kg/jour et 52 t/an.
- hydrazine (réducteur NH2): rejet maximal des générateurs de vapeur de 4,5 kg mais il n’existe pas de réglementation...
- morpholine (anticorrosif, PH 9): 2 kg (avec pointe à 9 kg/jour et 1 tonne annuelle (toujours par tranche); au point de rejet, on dépasse le seuil de toxicité.
- métaux lourds, principalement Cu et Zn: moyennes semestrielles de 20 kg/j et 4000 kg/an pour le Cu et de 9 kg/j et 1800 t/an pour le Zn. Pour Nogent les limites sont dépassées de 48% pour le Cu et de 58% pour le Zn. Mais il est également intéressant de comparer ces chiffres avec les 135 kg/jour qui transitent à Rouen par toutes les autres industries... (Toujours GSIEN)
    Au sujet des rejets, radioactifs ou pas, j’aimerais transmettre une autre remarque du GSIEN: «le décalage qui existe entre les différentes autorisations délivrées et les rejets réels n’est pas l’indice d’une bonne gestion de l’environnement: quand EDF se glorifie de ne rejeter que 1% des limites autorisées, il souligne par là même que l’administration lui a accordé des autorisations de rejets 100 fois supérieures à ce dont il a (actuellement...) besoin! De telles autorisations, à l’évidence, n’assurent pas une bonne information des populations sur ce qui est réellement rejeté. En outre, elles risquent de rendre illusoire le contrôle des rejets par l’administration, un incident important qui conduirait à rejeter 10 fois l’activité normalement rejetée en un an restant largement à l’intérieur des limites autorisées»...
    Au sujet des doses dites faibles, l’auteur déclare (p. 211) «Pour l’instant, l’effet cancérogène à long terme n’a été démontré que pour des doses supérieures à 10 rems* reçus en une seule fois» , se permettant même d’affirmer (contre toute réalité....) que «les enfants nés de parents irradiés étaient parfaitement normaux»; il est certes juste de reconnaître que s’il sera toujours difficile de mettre en évidence les effets des faibles doses (temps d’apparition des effets très longs, impossibilité de distinguer les cancers); nous vivons cependant en atmosphère radioactive depuis... toujours et cette radioactivité contribue au taux de cancers dits ‘’naturels’’.
    Insistons donc ici sur le fait que si cette radioactivité "naturelle" est une constante géologique, elle est loin d’être mathématique, mais liée aux activités humaines: selon les données de l’UNSCEAR*, sur une moyenne mondiale, la dose induite par celle-ci a été multipliée par 28 depuis une trentaine d’années; l’origine en est l’explosion (dans tous les sens du mot!) de certaines activités minières, de fabrication d’engrais, de composés de terres rares, etc. (...). Et en 1985 est apparu une nouvelle part jusqu’alors négligée, le radon qui fait 40% de cette irradiation.
    Ce que je veux dire, c’est que si les scientifiques avaient laissé passer pendant 40 ans le plus gros des phénomènes, cela prouve qu’on ne cherche que ce que l’on a envie: la politique était de minimiser le nucléaire, désormais une autre est de maximiser la radioactivité dite naturelle... En France, en appliquant les règles de calcul de risque développées par le CIPR*, on atteint tous les ans pour les cancers ainsi induits, un nombre de morts comparable à celui des morts sur la route soit 8500 personnes[8]. Et je ne parle pas de la découverte d’un nombre grandissant de sites habités ou utilisés au-dessus d’anciennes décharges de produits radioactifs...
    «L’être humain vit donc en atmosphère radioactive mais la partie ajoutée est-elle supportable? Il semble bien que la réponse soit non, surtout après toutes les études menées sur les conséquences de Tchernobyl qui obligent à revoir les modèles et font toucher du doigt des effets mal connus: fragilité accrue, apparition précoce de tumeurs, etc,... » [9]

Annotations:
[6] CRII-RAD*, in "Etude radioécologique d’Avignon ", 1991
[7] Revue d’information du même laboratoire, juillet 1994
[8] "Stratégies énergétiques", p.62, actes d’un Colloque référencé en Annexe

[9] GSIEN, in Gazette nucléaire No 159/160 page 26