L'ENERGIE solaire présente les qualités suivantes: durabilité, abondance, diversité, propreté, sûreté, "gratuité", décentralisation, universalité. Elle n'a contre elle que sa dilution et sa variabilité. Ces critères opposés à ceux du pétrole, du charbon, du nucléaire, entraînent la conception d'un autre mode de société.
Après quelques milliards d'années de
bons et loyaux services, le Soleil vient d'être promu au rang d'énergie
nouvelle. Aurait-on oublié que depuis toujours les habitants de
la planète Terre ont vécu de l'énergie solaire, transformée
au besoin en nourriture, en combustible et en force motrice hydraulique,
éolienne ou animale?
Avec la révolution industrielle, commencée
il y a environ 150 ans, l'exploitation des ressources fossiles a permis
à l'homme d'accéder au confort, puis au gaspillage énergétique.
Mais cette période exceptionnelle dans l'histoire de l'humanité
n'aura duré que quelques siècles au plus, l'équivalent
dans la vie d'un octogénaire, du quart d'heure de folie pendant
lequel il aura dilapidé les richesses amassées par ses ancêtres.
Ainsi la disparition accélérée de notre capital énergétique
nous oblige-t-elle à revenir à une saine gestion de l'énergie.
Il s'agit, désormais, de réapprendre à vivre sur les
intérêts du capital Soleil, pratiquement inépuisable
mais intouchable. Pour continuer sa route au delà du vingtième
siècle, l'humanité doit réorienter le progrès
vers une meilleure utilisation de l'énergie solaire. Nous nous proposons
ici d'en examiner brièvement les principaux aspects.
ABONDANCE DE L'ENERGIE SOLAIRE
Sachant qu'un plan d'un mètre carré
placé perpendiculairement aux rayons du Soleil reçoit de
celui-ci environ 1360 watts en dehors de l'atmosphère, on peut calculer
que le Soleil envoie en permanence 170 000 milliards de kilowatts à
la Terre, dont elle réfléchit environ 60000 vers l'espace.
La population humaine actuelle dispose donc, avec le Soleil, d'une puissance
installée de plus de 20 mégawatts par personne en moyenne.
Certes, la densité de cette énergie varie notablement d'un
point à l'autre du globe, mais le fait que les Esquimaux ont pu
s'en contenter suggère que tous le pourraient en s'organisant autrement
(1) (2).
Si l'on en croit les bilans officiels, la France consommerait annuellement
en énergies diverses, environ 200 mégateps (l'équivalent
de 200 millions de tonnes de pétrole). Plus de 90 % de ces énergies
sont extraites de la Terre (pétrole, charbon, gaz naturel, uranium).
L'énergie solaire, qui n'est citée que sous sa forme hydraulique,
ne contribuerait que pour une petite part à notre consommation.
Mais ces bilans sont dressés par le Ministère
de l'Industrie, qui ne prend en compte que les énergies commerciales.
Si c'était le ministère de l'Agriculture qui faisait ces
estimations, on ne pourrait plus faire semblant d'ignorer les quelque 48
000 mégateps par an d'énergie solaire qui assurent le fonctionnement
de 30 millions d'hectares de cultures et de pâturages,et de 14 millions
d'hectares de forêts. Quant aux 12000 mégateps qui tombent
annuellement à côté des terres agricoles, ils n'ont,
pour l'instant, pas d'autres usages que de nous éclairer pendant
le jour et d'assurer le chauffage de base de notre environnement naturel
que nous complétons, en hiver, par les énergies d'appoint
citées précédemment. Finalement, si l'on dresse le
bilan dans le monde physique (réel) et non plus dans le monde économique
(artificiel), on constate que ce sont les énergies non-solaires
qui représentent une partie minuscule de notre bilan énergétique.
On pourra objecter à cette façon de
voir que, puisque la nature a besoin de l'énorme puissance installée
solaire pour satisfaire les non moins énormes besoins thermiques
d'une planète plongée dans un espace au zéro absolu,
on ne doit considérercomme ressource consommable que l'infime proportion
d'énergie solaire qui n'est pas déjà employée
à cet usage. Cet argument serait valable si l'énergie solaire,
comme l'énergie géothermique, nous parvenait directement
sous forme de chaleur. Mais il n'en est rien, la quantité s'accompagne
ici de la qualité.
Le Soleil nous envoie son énergie sous forme
de rayonnement électromagnétique: un peu d'ultraviolet et,
surtout, en quantités sensiblement égales, de la lumière
et de l'infrarouge proche. Il s'agit là d'une énergie noble,
c'est-à-dire utilisable pour de multiples usages. De sorte que l'énorme
part d'énergie solaire qui, pour l'instant ne fait que réchauffer
la Terre, pourrait servir à satisfaire nos divers besoins énergétiques
sans abandonner pour autant son rôle traditionnel dans la nature,
puisqu'à l'utilisation, toute énergie se dégrade finalement
en chaleur.
Quatre grandes voies sont possibles pour utiliser
l'énergie solaire
- on peut la consommer telle quelle pour l'éclairage
- on peut la transformer en énergie biochimique: photosynthèse
- électrique: effet photovoltaïque
- thermique: simple absorption avec dégradation en chaleur
Dans ce dernier cas, les techniques pourront varier notablement selon
le niveau de température désiré.
Le Soleil est d'abord une grosse lampe. Il
ne parait pas inutile de rappeler cette évidence à une époque
où l'on oublie qu'une fenêtre est un capteur solaire qui transmet
d'ailleurs, à l'intérieur du bâtiment, une énergie
beaucoup plus précieuse que celle d'un capteur à eau chaude
puisque pour chaque unité d'énergie utile produite par une
lampe incandescente, il nous faut en dépenser cent fois plus au
départ dans une centrale électrique.
Utiliser l'énergie solaire dans l'habitat
,ce sera donc, en premier lieu, profiter au maximum de l'éclairage
naturel, en donnant aux parois transparentes (ou translucides) les dimensions
et les orientations les plus efficaces. Cela ne signifie naturellement
pas qu'après avoir oublié de percer des fenêtres dans
certains immeubles, on doive tomber dans l'excès inverse et remplacer
systématiquement les murs par des vitrages, car il faudrait alors
faire face aux énormes problèmes thermiques qui ont amené
sur le marché des verres impudiquement baptisés "anti-solaires".
Le plus modeste des brins d'herbe possède
le pouvoir de capter une partie de l'énergie solaire qu'il reçoit
et de s'en servir pour construire des molécules organiques à
partir de deux composés très courants sans valeur énergétique:
le gaz carbonique et l'eau. Cette photosynthèse fournit aux hommes,
depuis toujours, leur nourriture et la totalité de leurs combustibles,
fossiles ou non, en même temps que l'oxygène nécessaire
à leur emploi. Cette transformation permet la constitution de stocks
capables de se conserver plusieurs années sans autres pertes (bois,
pétrole, charbon...). Grâce à l'immensité des
capteurs naturels, la photosynthèse produit chaque année,
sur la Terre, une "biomasse" représentant dix fois environ notre
consommation totale d'énergies fossiles, mais dont on ne sait actuellement
que récupérer une petite partie.
Ainsi l'agriculture, productrice d'aliments et de
matières premières traditionnelles (coton, lin, bois de construction...)
pourrait développer une troisième voie: la production de
combustibles et de carburants solaires à partir de plantes: toute
substance végétale constitue une ressource hydro-carbonée
que l'on peut soit brûler après séchage au soleil,
soit transformer en méthane par décomposition anaéoro-bie
(sans air) ou en alcool, par fermentation et distillation. En France, l'Institut
National des Recherches Agronomiques estime que la seule récupération
des pailles, tiges de maïs et autres déchets agricoles inutilisées,
pourrait fournir annuellement l'équivalent de cinq millions de tonnes
de pétrole, de quoi assurer l'autonomie énergétique
de l'ensemble du matériel agricole (tracteurs, moissonneuses...).
On peut transformer le rayonnement solaire en
électricité Soit dans une centrale thermique, comme on
le verra plus loin, soit directement par l'emploi de photopiles. Le principe
de fonctionnement d'une photopile est assez complexe. Souvent réalisées
à base de silicium, les photopiles ont des rendements d'environ
13 % actuellement (certaines cellules expérimentales arrivent à
dépasser 30 %). Bien que le silicium abonde dans la nature, la réalisation
des photopiles exige pour ce matériau un tel degré de pureté
que leur coût reste élevé. Toutefois, depuis 1970,
il a été divisé par deux tous les cinq ans (3). Le
développement actuel des applications photovoltaïques se fait
au rythme de 30 % par an.
Lorsqu'un objet qui n'est ni une plante, ni une
photopile, absorbe de l'énergie lumineuse, celle-ci ne peut que
se transformer en chaleur. Cette dégradation d'une énergie
noble en énergie thermique s'effectue spontanément, ce qui
ne veut pas dire qu'on ne doive pas l'aider si l'on désire obtenir
ainsi de bons résultats.
Pour atteindre des températures élevées,
on peut utiliser des concentrateurs, c'est-à-dire envoyer sur une
cible, au moyen de dispositifs optiques appropriés, beaucoup plus
d'énergie qu'elle n'en recevrait en étant simplement exposée
au soleil. La rotation de la Terre impose à ce type d'appareils
de modifier leur orientation au cours de la journée, ce qui pose
des problèmes d'automatisation. L'exemple le plus connu de concentrateur
est le four d'Odeillo, dans les Pyrénées Orientales, où
des miroirs plans mobiles renvoient des rayons solaires sur un réflecteur
en forme de parabololde qui peut chauffer une cible, placée en son
foyer, à plusieurs milliers de degrés. C'est le principe
des centrales thermiques solaires. Malgré leur propreté,
elles ne sont guère souhaitables à grande échelle
puisqu'elles nécessitent encore une distribution de l'électricité
par des lignes à haute tension. Les applications décentralisées
de la chaleur solaire s'avèrent donc beaucoup plus intéressantes,
par exemple l'obtention de force motrice pour le pompage de l'eau ou la
réfrigération, la distillation de l'eau pour les pays où
l'eau potable est rare, la cuisson des aliments pour éviter de brûler
le bois dans les pays pauvres (Sahel, Inde, Pakistan...), le chauffage
de l'eau sanitaire, des piscines, des serres, et surtout des locaux.
Dans le bâtiment, on distingue:
- les systèmes dits "passifs" ou le bâtiment lui-même
joue le rôle de capteur grâce à la conception architecturale
(larges baies vitrées au sud, isolées la nuit et en hiver,
avant-toit protecteur en été, éventuellement serre,
masse thermique importante et isolation soignée);
- les systèmes dits "actifs" qui font appel à des capteurs
à eau ou à air, placés généralement
en façade ou en toiture. Comme ces capteurs ont un rendement d'autant
meilleur qu'ils fonctionnent à des températures moins élevées,
il y a tout intérêt à faire circuler l'eau dans un
plancher chauffant dont la grande surface d'échange compense le
faible niveau de température utilisé. On aboutit ainsi à
une conception du chauffage beaucoup plus logique que celle qui consiste
à employer des flammes ou des résistances électriques
portées à 800oC et plus, pour obtenir finalement une température
de 20oC dans le local chauffé.
LES variations, en un lieu donné, du flux
solaire, tantôt nul, tantôt surabondant, compliquent notablement
son utilisation. Il convient de distinguer deux types de variations : les
unes liées au mouvement apparent du Soleil provoquent les modulations
diurne et annuelle, parfaitement prévisibles à partir des
données astronomiques; les autres, dues aux circonstances météorologiques,
ont un caractère beaucoup plus aléatoire. Pour régulariser
la disponibilité de l'énergie solaire, s'impose une solution
évidente sinon facile à mettre en oeuvre: le stockage.
En ce qui concerne les produits de la photosynthèse,
aliments, combustibles et carburants solaires, ce problême est déjà
résolu par la nature elle-même. Pour certains usages de l'énergie
solaire, comme la réfrigération ou le pompage aux fins d'irrigation,
la demande se trouve en phase avec la fourniture d'énergie et le
stockage peut devenir superflu. Restent les cas plus difficiles de l'électricité
et de la chaleur solaires.
A grande échelle, existe la solution hydraulique
qui consiste à utiliser l'électricité excédentaire
pour pomper de l'eau qui en retombant peut faire tourner des turbines et
redonner environ 70% de l'électricité du départ. Cette
méthode est actuellement utilisée pour l'électricité
d'origine nucléaire, dont la production ne se module pas non plus
en fonction des besoins. A petite échelle, pour l'éclairage
domestique ou la voiture individuelle, on peut employer des accumulateurs.
Les futures stations-service seraient alors couvertes de photopiles et
l'on y échangerait les batteries déchargées contre
d'autres regonflées au soleil.
Pour la chaleur domestique, le stockage à
court terme s'effectue déjà dans le mur Trombe ou dans des
bidons d'eau qui restituent la nuit la chaleur emmagasinée pendant
le jour. Quelques maisons à grande cuve d'eau chaude ont été
réalisées au Danemark, en Allemagne, au Canada, pour des
stockages intersaisonniers. Pour un immeuble construit sur un site géologique
favorable, il est possible de stocker la chaleur de l'été
pour l'hiver en utilisant une nappe d'eau souterraine (héliogéothermie).
Le taux de récupération de la chaleur peut dépasser
70%.
ENFIN, UNE CENTRALE NUCLEAIRE OUI MARCHE !
LE Soleil, seule centrale nucléaire acceptée
par les écologistes, présente un bon nombre d'avantages par
rapport à nos centrales terrestres:
Il fonctionne grâce à la fusion nucléaire
et non la fission qui produit, comme on sait, des produits extrêmement
dangereux et durables.
Il est loin. Le radioactivité qu'il contient
se trouve à 150 millions de kilomètres de chez nous et les
quelques effluents dangereux qu'il nous envoie sont absorbés, en
grande partie, par la couche d'ozone qui entoure la Terre.
Il marche bien. Les sautes d'humeurs qu'il manifeste
périodiquement ne présentent pas, pour nous, de problèmes
de sécurité.
Son énergie parvient chez l'utilisateur sans
support matériel, ce qui permettrait, avec l'emploi généralisé
des photopiles, d'éviter le transport de l'électricité,
donc de supprimer les lignes à haute-tension avec leurs pertes d'énergie,
leur laideur dans les paysages et leurs dangers.
Cette énergie décentralisée
au niveau de l'utilisation ne pose pas de problèmes de pollution
thermique (sauf si on allait chercher dans l'espace, au moyen de satellites,
des rayons solaires non destinés à la Terre).
Les combustibles solaires, issus de la photosynthèse
actuelle, contrairement au charbon et au pétrole, ne contiennent
pas de soufre. Leur combustion ne produit, en plus de la chaleur, que de
l'eau et du gaz carbonique... des matières qui seront à nouveau
fixées lors d'un nouveau cycle. Il n'y a donc pas de déchets.
Parce qu'elle ne met pas en danger la survie de
la biosphère, l'énergie solaire doit donc être considérée
comme une énergie de haute qualité.
LES économistes qui déclarent l'énergie
solaire "non-compétitive" par rapport aux énergies sales
s'étonnent-ils que le saumon coûte plus cher que la morue?
Le principal handicap économique de l'énergie
solaire provient de ce qu'on la compare aux autres en quantités
égales, sans prendre en compte des différences de qualité
pourtant manifestes.
Par ailleurs, les rentabilités économiques
se discutent toujours en fonction de l'intérêt particulier
de l'investisseur et non de l'intérêt général.
S'il s'agit, par exemple, d'installer un chauffage solaire, le propriétaire
doit faire la totalité des investissements entre la source d'énergie
et sa maison: la dépense peut paraitre exorbitante par rapport au
prix de l'installation d'un chauffage électrique dont seuls les
radiateurs sont entièrement à la charge de l'utilisateur.
Les investissements nécessaires à l'extraction, la purification,
l'enrichissement de l'uranium, la construction des centrales, les pylônes,
les câbles, le contrôle de la pollution, la gestion des déchets
et maintenant des contaminations accidentelles, sont répartis, par
le jeu d'astucieuses tarifications, entre tous les consommateurs d'électricité
qui déboursent proportionnellement d'autant moins qu'ils consomment
plus. On voit donc qu'avant de déclarer une solution plus rentable
qu'une autre, il y a lieu de se poser la question : rentable pour qui?
La réponse peut différer notablement selon que l'on prend
en compte, ou non, l'intérêt de la société tout
entière.
Enfin, un aspect de l'énergie solaire semble
avoir échappé, jusqu'à présent, aux économistes,
à savoir son caractère foncièrement anti-inflationniste.
Alors que le charbon est de plus en plus profond, le pétrole de
plus en plus éloigné sous la mer, l'uranium de plus en plus
dilué dans ses minerais et coûtent donc de plus en plus cher,
au fur et à mesure de leur raréfaction, l'énergie
inépuisable du Soleil garantit ses prix encore pourquelques milliards
d'années.
A cause de la dilution de l'énergie solaire
(170 watts en moyenne par mètre carré de sol horizontal en
France), on lui a reproché de ne pouvoir couvrir les besoins de
nos grandes villes et des complexes industriels qui les accompagnenL Or
la population urbaine mondiale double tous les onze ans et, par suite des
phénomènes d'encombrement, chaque citadin consomme environ
dix fois plus d'énergie qu'un villageois.
Face à cette situation, on peut tenter de
nourrir la croissance exponentielle des centres consommateurs en installant
des centrales productrices d'énergie dans leur voisinage, à
un rythme accéléré. L'économiste y trouve son
compte, lui dont la satisfaction croît proportionnellement au produit
national brut, c'est-à-dire au volume de biens consommés.
Mais il n'en va pas de même pour le sociologue, au-quel la croissance
du monde artificiel apporte de sévères problème de
délinquance, de criminalité et de tensions sociales diverses.
Comme l'explique un biologiste fameux (4) "nul directeur de zoo n'envisagerait
d'entasser des animaux avec une densité de population comparable
à celle de nos villes modernes", point de vue confirmé
par les exodes hebdomadaires et annuels de nos citadins qui peuvent s'échapper
de leurs villes.
Donc, plutôt que de déclarer que l'énergie
solaire n'est pas adaptée aux villes, on peut dire que les concentrations
urbaines et industrielles modernes ne sont plus adaptées à
l'homme. La dilution de la ressource solaire devrait nous inciter à
la décentralisation et donc à la multiplication de petites
unités de production et de consommation, d'ailleurs seules capables
de stabiliser nos besoins énergétiques à un niveau
raisonnable.
La concentration actuelle est responsable de l'extension
du chômage. Le pétrole et l'uranium engendrent des industries
plus productives (au sens des économistes) c'est-à-dire dans
lesquelles un petit nombre de travailleurs suffit à assurer un profit
important. En Suisse, le développement de l'énergie nucléaire
a été décidé dans les années 50 quand
la main d'oeuvre manquait: "L'un des principaux arguments... fut que
les centrales nucléaires permettraient de supprimer des dizaines
de milliers d' emplois en accroissant l'automation" (5). Par contre,
le développement de l'énergie solaire, moins sophistiquée
et beaucoup plus accessible à un grand nombre d'artisans, favoriserait
la création sur place de nombreux emplois, notamment dans les domaines
du chauffage, de la sylviculture, de la valorisation décentralisée
des déchets agricoles et de la production de carburants solaires
(6). Une réponse possible à la désertification rurale
actuelle.
L'INDEPENDANCE énergétique est comme
la san-té: quand on en parle, c'est qu'on l'a perdue. Nos grands-parents
ignoraient le mot mais pratiquaient la chose en brûlant, pour se
chauffer, le bois issu de leur sol et de leur soleil. Le progrès
nous a apporté le pétrole des pays lointains, mais le prix
du confort est élevé: non seulement nos radiateurs et nos
voitures, mais toute notre économie, se trouvent maintenant sous
la dépendance des fournisseurs pétroliers. De même
l'uranium provient, pour une bonne part, de nos anciennes colonies: la
démocratisation de ces pays pourrait marquer la fin du pillage des
ressources.
Ne serait-il pas temps de redécouvrir l'énergie
solaire en tant que ressource de chaque pays, de chaque région?
Les Etats centralisateurs n'aiment guère mettre en avant une énergie
décentralisée, capable de favoriser l'indépendance
des régions qui n'ont à leurs yeux, que trop tendance à
rechercher leur autonomie. Pourtant faut il s'obstiner à vouloir
résoudre depuis Paris et de la même manière les problèmes
énergétiques de régions aussi différentes que
la Bretagne et la Corse ?
Du temps où l'humanité savait fonctionner
exclusivement à l'énergie solaire, les pays riches étaient
les pays riches en soleil. L'écart entre tous n'était pas
grand. Avec l'avènement des énergies fossiles, a commencé
à se creuser le fossé entre ce que l'on appelle maintenant
le Nord et le Sud. Le charbon a longtemps assuré la richesse britannique
et sa domination coloniale, puis le pétrole, la domination des Etats-Unis.
En oubliant de développer les applications de l'énergie solaire,
le progrès a dérapé.
Aujourd'hui "le potentiel scientifique et technique mondial, consacré
pour moitié aux recherches spatiales, militaires et nucléaires,
est utilisé pour développer des techniques qui ne peuvent
pas intéresser les habitants des pays pauvres, c'est-à-dire
la grande majorité de l'humanité" (7). C'est donc en
renonçant à singer nos erreurs et en développant une
technologie simple et accessible à de nombreux travailleurs que
les pays du Tiers-Monde peuvent espérer secouer leur actuelle dépendance.
L'énergie solaire, très abondante chez eux, semble tout indiquée
pour jouer ce rôle libérateur.
De même, chez nous, le solaire doit sortir,
au vu de ses énormes possibilités, de l'image marginale et
amusante de gadget soigneusement entretenue par nos économistes
et dont le chauffe-eau solaire, son symbole, pousse comme une verrue sur
le toit des pavillons de banlieue.
L'énergie solaire ne doit pas être
une énergie que l'on rajoute, mais une énergie qui remplace,
avec tout ce que cela comporte comme changements en profondeur, non seulement
dans nos techniques mais aussi dans nos modes de vie. Après l'accident
de Tchernobyl, la majorité des populations se prononcent contre
le nucléaire mais restent résignées parce qu'elles
ne voient pas d'alternatives possibles. Il appartient à tous, ingénieurs,
architectes, thermiciens, plombiers, mais aussi urbanistes, sociologues,
économistes, législateurs... et consommateurs, de repenser
à la base les problèmes énergétiques en fonction
de nos vrais besoins. L'énergie solaire doit nous aider à
passer de cette société de gaspillage résigné
à une autre plus indépendante, décentralisée
et responsable, où chacun aura son mot à dire sur l'énergie
et son travail à faire.
(1) Groupe de Bellerive - "Projet Alter: esquisse d'un avernr
énergétique pour la France axé sur le potentiel renouvelable"
- Ed. Syros 1978.
(2) Amis de la Terre - "Tout Solaire" - Ed. Pauvert 1978.
(3) P.R. Wolfe - "Photovoltaics, the road to maturity" - Proceedings
of the first WorId Renewable Energy Congress - Reading University, 1990.
(4) D. Morris - "The human Zoo" Ed. J. Cape - 1969
(5) D. de Rougemont - "Sur l'Etat de l'union en Europe" (1979)
(6) C. Norrnan - "Technologies for Mass Employment" - Economic
Impact - 1979.
(7) H Singer - New lntemationalist - 1973