CONTROVERSES SUR LA PILE
A COMBUSTIBLE
Le remplacement du pétrole par l'hydrogène
continue à susciter un débat sur
ses effets environnementaux
LE MONDE, mai 2004
Une publication franco-britannique contredit des
travaux américains publiés en 2003, selon lesquels une telle
transition présenterait un danger pour la couche d'ozone stratosphérique
http://www.agu.org/pubs/crossref/2004/2003GL019224.shtml
http://www.sciencemag.org/cgi/content/abstract/300/5626/1740
À échéance de quelques décennies,
la raréfaction des combustibles fossiles, comme leur impact sur
le climat, devrait contraindre les industriels à trouver des alternatives
énergétiques au pétrole, au charbon et au gaz naturel.
L'hydrogène, par le biais de la pile à
combustible - qui produit de l'électricité et de l'eau à
partir d'hydrogène et d'oxygène - est l'alternative autour
de laquelle le plus large consensus s'est formé.
Cependant, l'impact climatique d'une économie
fondée sur cette alternative énergétique demeure l'objet
de débats.
Selon une étude franco-britannique récemment
publiée par la Geophysical Research Letters, une telle "économie
hydrogène" aurait peu d'impact sur les équilibres chimiques
de l'atmosphère terrestre. S'ils ne heurtent pas le consensus qui
s'est créé autour de l'hydrogène comme alternative
énergétique au pétrole, ces résultats contredisent
des travaux précédemment menés par des chercheurs
américains (Le Monde du 16 juin 2003).
En juin 2003, la revue Science a rendu publiques
les conclusions d'une simulation menée par des chercheurs du Jet
Propulsion Laboratory et du California Institute of Technology, selon lesquels
le remplacement des énergies fossiles par l'hydrogène dégraderait
de manière importante la couche d'ozone stratosphérique.
Le principe de la pile à combustible n'était
pas mis en cause. Mais vu les imperfections des technologies de production
et d'acheminement des gaz légers, les auteurs de l'étude
supposaient une déperdition de 10 % à 20 % de l'hydrogène
utilisé en remplacement des énergies fossiles. Les quantités
d'hydrogène ainsi relâchées dans l'atmosphère
représenteraient alors entre 60 et 120 millions de tonnes.
Selon les auteurs de l'étude publiée
par Science, de tels apports bouleverseraient les équilibres chimiques
des hautes couches de l'atmosphère, contribuant à une augmentation
de la concentration de la vapeur d'eau stratosphérique et au refroidissement
des plus hautes régions du ciel terrestre. D'où des réactions
de transformation de composés bromés et chlorés inactifs,
en molécules néfastes pour l'ozone.
La publication de ces travaux a provoqué
une polémique. La revue Science a publié, en octobre 2003,
plusieurs correspondances de scientifiques appelant à considérer
les résultats de cette simulation avec prudence et critiquant l'hypothèse
d'un taux de fuite compris entre 10 % et 20 %.
"IMPACT TRÈS LIMITÉ"
Les travaux menés par Nicola Warwick, chercheur
au Centre des sciences de l'atmosphère de l'université de
Cambridge (Royaume-Uni) et publiés par la Geophysical Research Letters
viennent renforcer ces critiques. "Nos conclusions nous amènent
à penser qu'un passage à -l'économie hydrogène''
n'aurait qu'un impact très limité sur la couche d'ozone,
explique Slimane Bekki, chercheur au service d'aéronomie du CNRS
(Institut Pierre-Simon-Laplace et université Paris-VI), coauteur
de ces travaux. Dans tous les cas, celui-ci serait bien inférieur
à ce qu'il a été dans les deux dernières décennies."
Dans le plus pessimiste des cas de figure étudiés,
le taux de fuite de l'hydrogène a été fixé
à 12 % - une valeur du même ordre que les 10 % à 20
% supposés par la précédente étude. "Même
dans cette configuration extrême, nous obtenons une augmentation
de la quantité de vapeur d'eau stratosphérique environ deux
fois moindre que ne le disent les résultats de la précédente
étude-publiée par Science-, explique M. Bekki.Cela aboutit
à une influence très faible sur la couche d'ozone stratosphérique
polaire."
Le scénario le plus optimiste des chercheurs
fixe le taux de fuite de l'hydrogène à environ 5 % et intègre
la disparition des émissions dues à la combustion des énergies
fossiles (CO2, CH4, hydrocarbures et oxydes d'azote), paramètre
qui n'avait pas été pris en compte dans la simulation publiée
par Science. "Si l'on veut prévoir l'impact environnemental d'un
passage à l'économie hydrogène, dit M. Bekki, il est
légitime de tenir compte des paramètres liés à
la disparition ou en tout cas à une forte réduction des émissions
de gaz liés à la combustion des sources d'énergie
fossiles."De telles hypothèses aboutissent également à
un impact mineur sur la stratosphère. Mais elles ne sont pas, elles
non plus, absolument réalistes car la production industrielle d'hydrogène
- gaz qui n'existe pas à l'état naturel - est également
productrice de CO2.
Stéphane Foucart