Pour un "Kyoto" des déchets
Directeur du programme Ecodev
(*) du CNRS jusqu'en juin 2001 et coauteur d'un rapport du Plan sur l'avenir de
la filière étectrique nucléaire, Benjamin Dessus revient sur les préoccupations
environnementales apparues lors de la consultation de ses clients, en été 2001,
par EDF.
Benjamin Dessus
a cosigné en juillet 2001 avec Jean-Michel Charpin et René Pellat un rapport du
Commissariat général au Plan pour le Premier ministre, intitulé Etude
économique prospective sur la filière électrique nucléaire.
La consultation menée par EDF montre que le respect de l'environnement est devenu pour les usagers la mission la plus importante...
L'explication est probablement double. La prise de conscience des citoyens des problèmes d'environnement locaux est une chose relativement récente. Elle a été alimentée par les rapports sur les dangers que faisaient courir les polluants, en particulier ceux dus aux transports. On a commencé à faire une relation - vraie ou fausse, peu importe - entre certaines maladies (asthme, bronchiolites...) et la pollution. D'autre part, le phénomène de la mondialisation s'est imposé à nous, avec ses effets pervers. Cela a déclenché une prise de conscience des problèmes mondiaux, d'environnement en particulier. A Rio, par exemple, on s'est rendu compte que les vaches chinoises qui produisent du méthane en ruminant contribuent à l'effet de serre en même temps que les usines de voitures de Detroit. On a réalisé que tout le monde est impliqué dans le changement climatique.
Vous êtes coauteur d’un rapport sur l'avenir de la filière électrique nucléaire. A quelles conclusions ce travail vous a-t-il mené?
En termes d'environnement, à deux conclusions principales. J'ai d'abord découvert que ce qu'on nous racontait sur le retraitement - en particulier le ministère de l'Industrie, la Cogema, voire EDF, jusqu'à il y a peu de temps - est complètement dépassé. Le retraitement a toujours été vendu comme un excellent moyen de réduire significativement le problème des déchets, en particulier la masse finale des produits vraiment dangereux pour le long terme. Or; quand on fait le bilan du retraitement à la Hague jusqu'à la fin du parc existant, on s'aperçoit qu'au mieux, on va se retrouver, vers 2050, avec un stock de l'ordre de 500 tonnes de déchets plutonium et actinides mineurs. Si on n'avait rien fait, si on n'avait pas construit La Hague, la masse des déchets problématiques serait d'environ 570 tonnes. Une différence de l'ordre de 15%. Cela a été une surprise totale pour moi. On peut dès lors se poser la question est-ce que pour faire varier ce problème de 15%, cela vaut la peine de dépenser ce que l'on a dépensé à La Hague? Le débat existe.
Deuxième point majeur; quelles que soient les solutions que l'on choisit pour développer de nouveaux réacteurs moins producteurs de déchets, nous nous sommes aperçus qu'il faudra attendre 2120 voire 2130 pour enregistrer des progrès significatifs, en clair pour diviser par deux ou par trois ces fameuses 500 tonnes. Cela tient à ce que nous ne partons pas de zéro mais d'un parc donné. Du coup, en caricaturant à peine, on peut dire que si on se trompe, on en prend pour cent ans, et que si on ne se trompe pas, on n'en tirera les bénéfices que dans cent ans.
Mais le nucléaire fournit près de 81% de l'électricité consommée (FAUX! Produite !!) en France. Que faire pour en réduire dès maintenant les nuisances?
Le problème, c'est que les déchets nucléaires ne bénéficient pas de la même attitude de la communauté internationale que les rejets de gaz à effet de serre. Or si on veut défendre l'idée que le nucléaire pourrait devenir compatible avec le développement durable, il faut pouvoir dire quelque chose sur les déchets.
Pour certains écologistes, le nucléaire est définitivement diabolique et ne pourra jamais être compatible avec le développement durable. Moi, je dis: essayons de tracer un chemin vers ce développement durable en débattant démocratiquement de ses conditions. Sur l'effet de serre, la communauté internationale écoute les scientifiques qui font état du danger très probable qu'il y a à laisser s'accumuler le CO2 dans l'atmosphère. Ils entendent aussi ceux qui proposent de résoudre le problème en récupérant ce CO2 à la sortie des centrales et en le stockant au fond des puits de pétrole ou de l'océan et demandent de l'argent pour faire les recherches nécessaires. Devant ce danger et ces propositions de solutions à venir, la communauté internationale dit: en attendant d'en savoir plus, il faut essayer d'émettre moins de gaz à effets de serre (-5% d'ici 2010). Pour les déchets nucléaires, le schéma de base est analogue. Sauf qu'il n'existe pas de politique internationale faisant état d'un engagement de limitation des déchets. Il faudrait donc imaginer un Kyoto des déchets nucléaires qui poserait qu'en attendant d'en savoir plus, on se fixe une courbe de réduction des émissions de déchets.
Propos recueillis par Alexandre Fache
(*)Ecodev: programme de
recherche interdisciplinaire sur les technologies pour l'écodéveloppement
CCAS I N F OS No 22 1/71 Février 2002