L'impossible «voiture propre»
Il n'existe pas plus de "voiture propre" que de tortionnaire humaniste. Du pillage des ressources naturelles à la production de milliards de tonnes de déchets, des millions de morts à l'édification d'un univers déshumanisé, le terme voiture propre est un non-sens.
Avant même d'avoir fait son premier kilomètre, une automobile aura généré une part importante de sa pollution. Chaque nouvelle voiture demande pour sa construction 300.000 litres d'eau. L'édification d'un véhicule, " propre " ou non, exige 20 fois plus de matières premières que son poids propre, soit 30 tonnes pour produire une voiture de 1,5 tonnes1. A l'autre bout de la chaîne, ce sont deux millions de véhicules particuliers légers qui sont jetés annuellement en France, soit, entre autres, 280.000 tonnes de vieux pneus, 30.000 tonnes de résidus de batteries et 400.000 tonnes de déchets industriels spéciaux2. Même si une partie de plus en plus large de ces déchets est recyclée, leur transformation entraîne à leur tour de nouvelles pollutions.

Dotée d'un parc nucléaire surdimensionné, la France cherche à promouvoir la voiture électrique sous le label "voiture propre". Pourtant, celle-ci présente un écobilan largement inférieur à un véhicule classique, à moteur thermique embarqué. D'après l'ADEME3, la voiture électrique nécessite 62% d'énergie en plus pour le même rendement. L'énergie est produite hors du véhicule. Elle doit donc être transportée, puis stockée, ce qui engendre à chaque étape d'importantes déperditions. Les batteries (plomb, caldium...) nécessaires à ce stockage sont elles-mêmes hautement nocives et produisent des déchets à durée de vie infinie. Un des rares avantages du véhicule électrique est le faible niveau de nuisance sonore à faible vitesse. A partir de 60 km/h ce gain disparaît, les bruits de frottement l'emportant sur ceux du moteur.

La "voiture écologique", qui ne consomme que trois litres au 100 km, rend la conduite automobile meilleur marché et est donc plus attrayante. Le nombre de voitures sur les routes et le nombre de km parcourus augmentent par conséquent. Il s'agit du même effet pervers que pour les véhicules neufs: l'automobiliste recourt plus facilement à une automobile en bon état, surtout si elle bénéficie d'un label environnemental. Son déplacement ne se reportera alors pas sur un mode véritablement alternatif (marche à pied, vélo, transport en commun...). De plus, si les véhicules neufs émettent moins de C02, ces gains sont souvent annulées par l'arrivée de la climatisation en série, gros dévoreur d'énergie et producteur de polluants hautement toxiques (CFC...).

La pollution atmosphérique, le pillage des ressources naturelles non-renouvelables, et les déchets ne constituent qu'une partie des nuisances de la "voiture propre". Le bruit, les millions de morts, de blessés, avec leur cortège de traumatismes physiques et psychiques, l'insécurité, le stress, le bétonnage et la déshumanisation de notre cadre de vie demeurent. Même mue par un moteur au jus de pommes bio, l'automobile resterait la principale source de nuisances écologiques et sociales de nos civilisations. La pollution atmosphérique ne fait que nous la rendre plus visible.

L'obsession de la recherche d'une solution technique aux nuisances générées par l'automobile est symptomatique de l'idéologie dominante. Les apôtres du progrès voudraient qu'au nom du réalisme, nous fassions une croix sur notre rêve humaniste d'un monde sans voiture. Non seulement une approche véritablement rationnelle exige exactement l'inverse, mais, nous le savons, la seule réponse crédible à la crise écologique est culturelle, philosophique, politique. Les réponses techniques, si elles sont importantes, demeurent secondaires. Le problème n'est pas de construire des voitures propres, mais d'arrêter d'en produire. Le discours des défenseurs de "l'automobile écologique" rejoint en fait celui des promoteurs du "développement durable" ou de la "croissance soutenable". Il consiste à repeindre en vert un système basé sur deux croyances irrationnelles: le caractère infini des ressources planétaires et la capacité illimitée de la biosphère à absorber notre expansion. Une attitude culturellement contre-productive, car elle cautionne un système fondamentalement destructif. A l'image de la voiture propre vantée par EDF elle présentera un écobilan négatif.

Vincent Cheynet
Références:
1 - T&E Bulletin - no 89 - Juin 2000.
2 - L'auto ou la ville - no 2 -Avril96.
3 - Agence de l'environnement et de la Maîtnse de l'Energie.