Gabriel DUPUY
Professeur à l'Uni. de Paris X
Recherches dans le cadre du groupe "Géographies de l'automobile et aménagement des territoires"
Auteur de "La dépendance automobile"
Eurêka N° 53 (février? 2000), page 11
    LE PARC MONDIAL compte près de 700 millions de voitures et va exploser à court terme avec l'arrivée sur le marché des prescripteurs des pays émergents et des rurbains des pays développés. Face à une dépendance qui ne cesse de s'accentuer la recherche d'alternatives à la civilisation de la voiture à marche forcée, s'affirmera comme une réelle nécessité.
    Nous trouvons actuellement face à une situation de dépendance sociale vis-à-vis de l'automobile. De quoi s'agit-il ? Lorsqu'un individu se pose la question de son mode de transport, les possibilités offertes par la voiture en terme de confort, de sensation de liberté, de gestion des horaires et des itinéraires sont telles que pour lui le choix va s'imposer. Et il se portera d'autant plus facilement vers l'automobile que, justement du fait du nombre déjà très important de conducteurs, les réseaux de transport en commun s'étiolent à mesure que s’améliorent le réseau routier, les temps de parcours en voiture ou les parkings.
    Ce phénomène est appelé à se développer dans les années à venir, en particulier en raison de la mondialisation en cours. En Europe par exemple, on ne va bientôt plus raisonner en terme d'Etats, mais les conducteurs vont au contraire former un énorme ensemble, un "club européen" dont l'effet d'entraînement sur de nouveaux automobilistes potentiels sera d'autant plus fort. Il sera également de plus en plus facile de conduire à l'étranger. Ainsi, un Français peut aujourd'hui sans difficultés rouler aux Etats-Unis avec son permis, ce qui n'était pas le cas il y a encore quelques années.
    Enfin, l'effet d'emballement sera d'autant plus fort que les habitants des pays en voie de développement marquent un fort désir d'accéder, eux aussi, au club. Ainsi, en Turquie, au Brésil, en Argentine et au Mexique, l'acquisition d'une voiture est affichée comme la première priorité pour les ménages dès que les revenus le permettent. D'où les recherches menées par les constructeurs pour mettre au point des véhicules de bonne qualité d'un prix inférieur à 6’000 dollars. Autre exemple l'Inde, qui semblait relativement à l'abri de l'invasion automobile car le train y est très développé, se tourne de plus en plus vers ce moyen de transport. Face à ce constat, et même s'il ne s'agit pas de rejeter en bloc l'automobile, nos sociétés doivent mener une réflexion sur son impact, et trouver des solutions pour maitriser l'effet de la dépendance.
    En effet, l'automobile telle que nous la vivons actuellement a un prix, et représente certains risques. On peut évoquer les menaces que font peser les rejets de gaz à effet de serre sur le climat de la planète. Mais aussi le coût humain énorme de l'automobile, qui est de 885’000 morts par an à l'échelle mondiale, et qui touche de plein fouet les pays du tiers-monde. Or, les politiques gouvernementales sont inadaptées pour mettre un frein et réguler la croissance actuelle du parc et du trafic automobile. A côté d'un effort soutenu un France (mais pas dans d'autres pays) pour maintenir le transport collectif, elles proposent essentiellement deux moyens d'action. C'est, d'une part, l'augmentation de la taxation, au travers des carburants, vignettes et péages, mais dont on a montré qu'elle était inefficace à moins d'être très lourde, donc trop pesante et inacceptable. D'autre part, on évoque un aménagement urbanistique ambitieux qui supprimerait le besoin de se déplacer en voiture, à travers la création, dans les villes, de zones où emplois, loisirs et magasins serient à portée de main. Cela semble peu réaliste, en particulier du fait de la très longue durée et des coûts colossaux, chiffrés en milliers de milliards de francs, nécessaires pour généraliser de tels équipements. Actuellement, on se contente de créer des "sanctuaires" sans voitures, dans les centres historiques ou dans des parcs naturels, ce qui ne règle rien du point de vue de la dépendance.

Il existe d’autres solutions, qui pourraient dessiner une autre façon d’utiliser la voiture dans nos sociétés de demain. J'en vois trois principales. La première serait de diversifier les types de véhicules, ce qui créerait plusieurs types d'automobilistes différents, éventuellement aux permis distincts; on pourait ainsi avoir des véhicules roulant à l’électricité dont la vitesse serait limitée à 50 kilomètres à l'heure, d'autres fonctionnant à l'essence mais dont les moteurs seraient bridés, d'autres enfin identiques à ceux d'aujourd'hui, mais pour lesquels le permis serait plus cher et le plus long à obtenir. On sent actuellement les prémices de cette diversification. Ainsi, les constructeurs travaillent sur des véhicules intermédiaires entre auto et moto, mais rechignent à se lancer, car le risque commercial est très élevé: pourquoi arrêter de fabriquer des voitures standards, dont ils savent qu'elles se vendront toujours? Il manque peut-être des incitations fiscales et réglementaires de la part des gouvernements pour amorcer le mouvement.

Le deuxième mode d'action concerne le réseau routier. Actuellement, on élargit systétmatiquement les routes existantes pour répondre à l'augmentation du trafic, ce qui ne fait finalemient que générer un trafic encore supérieur. Il faudrait au contraire lutter contre la concentration des véhicules sur d'énormes troncs communs, et réaliser de nouvelles routes, plus nombreuses et moins rapides, pour fragmenter les flux de circulation.

Les places de stationnement sont le troisième levier d'action pour réguler le parc automobile. On sait actuellement qu’un nouveau véhicule, dans une grande métropole, génère sept places de parkings supplémentaires. En limitant ces dernières, on réduirait indirectement le nombre de véhicules en ne facilitant pas leur utilisation dans toutes les situations. Les Anglais commencent à emprunter cette voie, puisque les collectivités ou les entreprises vont être taxées pour les places de parking gratuites qu'elles offrent. Aux Pays-Bas et en Allemagne, le débat sur ces solutions d'avenir est déjà sur la place publique. Même si elles ne sont pas simples à mettre en application, elles méritent d’être débattues dans notre société, en particulier par des politiques qui ont pris la mesure du problème. C'est la condition pour que la présence de l'automobile dans notre société soit compatible, demain, avec notre qualité de vie.

Encarts:
CROISSANCE EXPONENTIELLE DU PARC MONDIAL
    Si personne parmi les constructeurs ne se risque à faire de prévisions pour l'avenir, on connaît bien en revanche la situation actuelle concernant le nombre de véhicules à travers le monde, En 1998, il y avait sur terre 681 millions de véhicules contre 647 millions deux ans seulement auparavant... En pôle position, les Etats-Unis, avec près de 210 millions de voitures, sont loin devant le Japon, avec 70 millions. La France arrive au 7ème rang, avec 32 millions de véhicules au 1er janvier 1999; il y en avait 12 millions de moins en 1980.

DES ROUTES QUI REGULENT LEUR FLUX
    Tandis que continue de progresser le parc automobile européen, l'idée de faire circuler des voitures "instrumentées" sur des routes "automatisées" suit également son chemin, En phase d'industrialisatinn, le régulateur de vitesse Adaptative Cruise Control (ACC), a pour fonction de réguler la distance séparant un véhicule de celui qui le précède au moyen d’un radar placé à l'avant du véhicule. Actif pour le moment à des vitesses comprises entre 50km/h et 160 km/h, ACC est destiné essentiellement aux autoroutes et aux voies express. Il permettra de décharger l'automobiliste de la tâche de régulation permanente de sa vitesse en fonction de celle des véhicules situées devant lui.
    La voiture pourra aussi se connecter à des systèmes placés le long de l'autoroute grâce notamment, au système français Aida (Application pour l'information des autoroutes). Testé actuellement en grandeur réelle, il consiste à ofrir à l’automobiliste, à travers un boîtier embarqué, des indications sur la distance jusqu’à la sortie souhaitée et l’heure d’arrivée estimée. En Europe, le projet Marta vise à coordonner les expériences qui sont menées dans sept pays de l'Union en matière de systèmes emnbarqués et au sol et à les rendre compatibles.
    Trois grandes régions du monde totalisent à elles seules 80% des ventes de véhicules pour l’année 1998.
1. Amérique du Nord (Mexique, Etats-Unis, Canada): 34,5 %.
2. Europe occidentale: 31,2%
3. Asie (Corée, Japon):13,55 %
4. L’Afrique, quant à elle, ne représentait que 1,1 % de ces ventes.
(Source: CCFA)Propos recueillis par Pedro Lima