1975 •

L'appel des 400
Février 1975

L’appel des scientifiques, dont 200 physiciens nucléaires, fut publié dans Le Monde du 11 février 1975 :

« Un petit historique pour mieux se situer en 2013 » de Monique Sené a été publié dans la Gazette 270 (novembre 2013).


APPEL DE SCIENTIFIQUES
A PROPOS DU PROGRAMME NUCLEAIRE FRANÇAIS

Le gouvernement français, après avoir favorisé sans retenue l'utilisation du pétrole comme source d'énergie, envisage devant l'augmentation du prix de ce pétrole, d'accroître considérablement la production d'électricité d'origine nucléaire.

On prévoit donc 170 réacteurs d'ici à l'an 2000. Pour commencer, de l'ordre de 80 centrales sont en cours de construction ou en projet sur une vingtaine de sites répartis sur tout le territoire. Ces centrales (1000 MW) seront du type uranium enrichi-eau légère, technique mal connue à ces puissances. On prévoit aussi la cons­truction de quelques centrales surrégénératrices, technique mal dominée.

Nous chercheurs, ingénieurs, techniciens, pensons qu'il s'agit d'une décision irréfléchie dont les conséquences risquent d'être graves.

Les risques encourus sont de plusieurs sortes :

  • ceux liés à la sécurité des centrales (fuite possible. les accidents sont peu probables, ils peuvent être effroyables) ;
  • ceux liés à la pollution thermique (climat, écologie) ;
  • ceux liés au transport, au stockage et au vol éventuel des produits radioactifs (en particulier le problème des déchets est traité avec légèreté)

Il est inquiétant de voir l'EDF éluder toute question, méconnaître toute compétence autre que celle des techniciens officiellement habilités.

Il est inquiétant que ceux qui poussent ces projets soient en même temps juges et parties.

Il est inquiétant de savoir que, pour un programme ainsi accéléré, l'examen de la sécurité est confié à un organisme public mis en récession, le Commissariat à l'Energie Atomique, qui peut donc difficilement l'assumer.

Il est inquiétant que la sécurité à long terme soit dépendante de la vigilance sans défaut de quelques-uns (une erreur est toujours possible, un sabotage aussi, leurs conséquences ne peuvent être calculées).

Les enquêtes d'utilité publique fragmentent les problèmes, escamotent des points importants (transport, déchets, démantèlement de centrales usagées) indissolublement liés à l'ensemble. Systématiquement on minimise les risques, on cache les conséquences possibles, on rassure. Pourtant les divergences entre les études, les incertitudes des rapports officiels montrent bien que les risques existent. Même quand il y a des solu­tions, l'absence d'une législation claire, d'un contrôle indépendant, l'intervention des critères de rentabilité financière, permettent toutes les négligences.

D'autre part, en dépit des affirmations officielles, une telle politique n'assurera pas notre indépendance :

  • il n'y a pas tellement d'uranium en France ;
  • l'usine d'enrichissement qui ne produira qu'à partir de 1982 sera extrêmement vulnérable.

Par ailleurs, quoi qu'on en dise, peu de recherches sérieuses sont entreprises pour trouver de nouvelles sources d'énergie, pour diversifier celles existantes et diminuer le gaspillage.

ous pensons donc que la politique actuellement menée ne tient compte ni des vrais intérêts de la population ni de ceux des générations futures, et qu'elle qualifie de scientifique un choix politique.

Il faut qu'un vrai débat s'instaure et non ce semblant de consultation fait dans la précipitation.

Nous appelons la population à refuser l'installation de ces centrales tant qu'elle n'aura pas une claire conscience des risques et des conséquences.

Nous appelons les scientifiques (chercheurs, ingénieurs, médecins, professeurs, techniciens...) à soutenir cet appel et à contribuer, par tous les moyens, à éclairer l'opinion.

Cet appel est signé par des scientifiques de tous grades et de toutes spécialités.

Nous demandons aux personnes souhaitant signer cet appel, de contribuer, si elles le peuvent, aux frais de diffusion de ce texte sous forme d'annonces dans les journaux nationaux et régionaux (jusqu'à une demi-journée de salaire, par exemple).

Les signatures et les chèques sont à adresser (dans l'attente de l'ouverture d'un compte et d'une boite postale) à M. ou Mme Sené, Laboratoire de physique corpusculaire au Collège de France, Place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 05.

Nom Spécialité Ville Signature