"Le vide est mère de toute
matière" , lance-t-il avec une certaine jubilation. A l'état
parfait, "il contient une quantité gigantesque de particules
par cm3... et tout autant d'antiparticules" . D'où
une somme nulle qui conduit à cette apparente absence de matière
que nous nommons... le vide. De quoi contester la définition du
dictionnaire pour lequel, depuis le XIVe siècle, ce dernier est
un "espace qui n'est pas occupé par de la matière"
. C'était compter sans l'antimatière et sans la célèbre
formule E = mc2, qu'Albert Einstein a déduit de la relativité
restreinte il y a cent ans, en 1905.
Pourquoi inverser cette formule en produisant de la matière à partir du vide? Pour Gérard Mourou, les applications iront de la création d'une nouvelle microélectronique relativiste à l'étude du Big Bang et à la possibilité de simuler des trous noirs. Ce qu'il nomme la "lumière extrême" permet de développer la protonthérapie, capable d'attaquer des tumeurs sans détériorer les cellules environnantes, une "pharmacologie nucléaire" et la possibilité de contrôler la radioactivité d'un matériau avec un simple bouton. Sans parler de la fabrication d'accélérateurs extrêmement compacts pouvant concurrencer les gigantesques installations du CERN de Genève. La maîtrise de la lumière est donc loin d'avoir atteint ses limites. Le LOA travaille avec le laser, l'un des aboutissements les plus spectaculaires des découvertes qui ont valu à Albert d'Einstein le prix Nobel en 1921. Gérard Mourou a joué un rôle majeur dans l'augmentation de la puissance de ce rayon de lumière cohérente obtenu pour la première fois en 1960. En 1985, il a mis au point une méthode baptisée chirped pulse amplification (CPA) (Le Monde du 8 juin 1990). "Du jour au lendemain, nous avons fabriqué une source qui tenait sur une table et dont l'intensité égalait celle d'installations de la taille d'un terrain de football" , explique Gérard Mourou. VAGUE DÉFERLANTE
|
"Jusqu'à une certaine valeur de l'intensité,
la composante magnétique de l'onde incidente reste négligeable
par rapport à sa composante électrique, explique Gérard
Mourou. Mais à partir de 1018 W/cm2, elle
exerce une pression sur l'électron." Ce dernier, jusque-là
soumis à une simple "houle", se trouve soudain emporté
par une vague déferlante qui l'entraîne jusqu'à lui
faire atteindre sa propre vitesse, c'est-à-dire celle de la lumière.
On entre alors dans l'optique non linéaire relativiste. Les électrons
arrachés transforment leurs atomes en ions qui "tentent de retenir
les électrons, ce qui crée un champ électrique continu,
c'est-à-dire électrostatique, d'une intensité considérable"
. On transforme ainsi le champ électrique alternatif de l'onde lumineuse
incidente en champ électrique continu.
Ce phénomène "extraordinaire" engendre un champ titanesque de 2 teravolts par mètre (1012 V/m). "Le CERN sur un mètre..." , résume Gérard Mourou. A 1023 W/cm2, le champ électrostatique atteindra 0,6 petavolt par mètre (1015 V/m)... A titre de comparaison, le Stanford Linear Accelerator Center (SLAC) accélère les particules jusqu'à 50 giga-électronvolts (GeV) sur 3 km. "En théorie, nous pourrons faire de même sur une distance de l'ordre du diamètre d'un cheveu" , assure le chercheur. En son temps, Enrico Fermi (1901-1954) estimait que, pour atteindre le petavolt, l'accélérateur devrait faire le tour de la Terre. "Les électrons poussés par la lumière finissent par tirer les ions derrière eux", poursuit M. Mourou. Désormais, la barque entraîne son ancre. La lumière initiale a engendré un faisceau d'électrons et d'ions. Le LOA est parvenu à accélérer des électrons jusqu'à des énergies de 150 méga-électronvolts (MeV) sur des distances de quelques dizaines de microns. Il compte d'abord pousser jusqu'au GeV, et "beaucoup plus loin ensuite" . MINI-BIG BANG
|