RÉSEAU SOL(ID)AIRE DES ÉNERGIES !
DOSSIER ÉCOLOGIE DE LA REVUE CAMPUS
Université de Genève

No 5, JUIN-JUILLET 1990
Écologie: Alerte !

    SOMMAIRE
Editorial
Bassin lémanique: alerte!
  L'hydrogène, combustible propre
Récupération des déchets: Genève bouge !
   L'eau: une question de vie ou de mort
  Énergie solaire: une promesse qui réchauffe
Aménager l'espace urbain: un choix hybride
  Le come-back de Michel Serre


Editorial
Écologie: un autre regard
    On connaît la prudence des universitaires qui, soucieux de ne pas amalgamer science et politique se gardent de déclarations tonitruantes. Or voici qu'en matière d'environnement d'aucuns non seulement élèvent la voix, mais poussent un véritable appel de détresse. Ainsi Bernard Giovannini, vice-recteur, dans son discours du Dies academicus: «Des civilisations entières ont disparu à cause des désastres écologiques: la Mésopotamie, pour des questions de gestion de l'eau, la civilisation maya pour des questions d'agriculture. Notre époque se distingue cependant des précédentes par un fait nouveau: l'homme aujourd'hui, par ses activités, par son attitude, par le nombre, menace sérieusement l'équilibre global de la planète et pourrait, si on ne prend pas à temps les mesures nécessaires, mettre en danger l'habitabilité même de la terre».
    La situation est grave. Son caractère alarmant n'est désormais plus une question d'appréciation. Le cortège de chiffres précis qui se confirment d'un pays, d'une université, d'un laboratoire à l'autre de la planète, l'attestent impitoyablement.
    Dans ce dossier cependant, nous avons tenu pour acquise la dangerosité de cette situation. Pour privilégier une autre urgence: celle de la nécessité d'un autre regard sur notre environnement. Comme l'écrit Riccardo Mariani à propos de l'urbanisme, ce dernier ne saurait plus se réduire à l'arbitrage des intérêts et des besoins particuliers et collectifs. Il implique, en matière d'écologie plus que nul part ailleurs, un esprit de solidarité à développer. C'est dire que, devant la menace planétaire qui n'a plus rien de commun avec les guerres ou les catastrophes "passagères", les politiques ont une nouvelle attitude à apprendre: celle de la fermeté contre l'art du compromis.
    Mais aussi, en amont de tous les processus qui polluent notre environnement,  il revient aux citoyens que nous sommes de changer nos habitudes. Dans son article sur l'état de l'eau, Jean-Bernard Lachavanne montre sans complaisance combien les mesures officielles d'assainissement provoquent du même coup un effet pervers: celui de la déresponsabilisation de l'individu. Et Claude Raffestin souligne qu'avec les catalyseurs de voitures, l'on se retrouve face à un problème de pollution différé, puisqu'il s'agit ensuite de se débarrasser dudit catalyseur. Bref, à quelque échelon de la chaîne écologique, s'impose la loi des vases communicants. Une action artificielle sur l'environnement entraînera invariablement une réaction de celui-ci. Il en va comme de la médecine: soigner, c'est endiguer la maladie; prévenir, c'est favoriser la santé.
    Une telle révolution dans nos habitudes d'enfants gâtés ne se fait pas en un jour. Les scientifiques l'ont compris. Leur mission, désormais, va bien au-delà de la publication de leurs résultats. Cela constitue, pour eux aussi, un changement de comportement. Voire d'autocritique. L'article de Jacques Grinevald salue la redécouverte d'un précurseur en la matière, Michel Serre trop longtemps snobé; pour lequel, comme disait Denis de Rougemont, le souci écologique, loin d'être une mode, est une nécessité vitale face à l'agression industrielle.
Serge Bimpage

Bassin lémanique: alerte !
Entretien réalisé par Serge Bimpage et Turhan Boysan

Menaces sur la qualité de l'air, plages insalubres, pollution de la nappe phréatique par les engrais, accumulation de déchets non-recyclables, absence de véritable politique régionale... Claude Raffestin* dresse un bilan sans concession et ne dissimule pas son inquiétude (entretien réalisé par Serge Bimpage et Turhan Boysan)


Aujourd'hui, en été 1990, quel est l'état de l'environnement du bassin lémanique?
    Le bassin lémanique représente un cercle d'un rayon de 50 km autour de Thonon. Dans ce périmètre, il y a une énorme accumulation de population. Et il faut encore y ajouter les organes exosomatiques: machines, voitures, appareils, instruments divers. Cela représente une charge énorme sur le plan de l'environnement. Si vous prenez un habitant du bassin lémanique en 1950, sa charge était probablement quatre fois moins grande qu'en 1990. Sa première influence est sur l'air. Nous rejetons dans l'atmosphère tout un ensemble de choses, entre autres bien sûr du CO2. Mais on rejette aussi des hydrocarbures, des oxydes de soufre, bref quantités de choses, à travers le chauffage et les voitures en particulier. Il n'y a pas de doute que l'air du bassin lémanique s'est dégradé au fil des années. C'est en tout cas l'élément le plus spectaculairement touché. Les médecins vous diront qu'il y a davantage de bronchites et que les enfants souffrent plus fréquemment de maladies respiratoires. Il y a un rapport incontestable entre les maladies pulmonaires et la pollution de l'air. De sorte que l'air - contrairement à sa définition première - n'est plus un bien libre du seul fait que la population dispose de moins en moins d'air pur. C'est alarmant. Et cela participe à l'explosion des coûts de la santé. Avant le chauffage, c'est la voiture - dont le taux de motorisation est parmi les plus élevés d'Europe - qui constitue l'agent principal de pollution.
Les autorités font-elles le nécessaire pour améliorer la situation?
    Les autorités soumettent les véhicules à des contrôles fréquents, et vous avez les tests anti-pollution. Mais elles pourraient avoir également une conception urbaine des transport qui nous amènerait à choisir plus souvent le transport en commun que le transport individuel. Ce qu'il faut envisager à Genève, c'est un système comme le R.E.R. qui vient d'être mis en place à Zurich:
raccorder la Praille aux Eaux-Vives, avec une traversée de la rade (NdYR: une telle traversée est-elle vraiment toujours souhaitable, voire souhaitée, en 1999?!). En ce qui concerne le chauffage, en revanche on peut dire que les autorités font vraiment le nécessaire.
Le développement des catalyseurs va-t-il entraîner des conséquences positives à moyen terme?
    Il est évident que le catalyseur permet déjà, pour les voitures qui en sont équipées, de diminuer sensiblement la pollution. Mais n'oubliez pas qu'avec le catalyseur vous vous retrouvez avec un problème de pollution différé, parce qu'il faut se débarrasser du catalyseur après usage. Et là, il  faut faire attention. Une solution technologique à l'environnement est toujours une solution moyennement bonne: parce que vous avez toujours à régler un autre problème de manière différente. Vous ne pouvez pas régler la pollution par les seuls moyens technologiques. Il faut aussi et surtout changer les comportements. D'autant plus que la fabrication des catalyseurs entraîne un déséquilibre dans l'environnement, puisqu'elle nécessite de l'énergie et des matières premières. Idem pour les déchets contrairement à ce que beaucoup de gens pensent On ne fait que les transformer ou les déplacer.
Quel est l'état du Léman aujourd'hui ?
    Grâce aux usines d'épuration des eaux, je crois qu'on a presque réglé le plus gros au niveau des agglomérations. Il en va malheureusement tout autrement pour la pollution provoquée par le ruissellement et l'infiltration des eaux de l'agriculture qui rejoignent le Léman. Ces eaux sont chargées de produits, tels les phosphates, qui en affectent la qualité et le goût. Il en va de même de "l"eau-loisir": certaines plages sont fortement polluées. L'eau de consommation me préoccupe particulièrement. N'oubliez pas que nous avons besoin d'un nombre considérable de litres d'eau par jour et par habitant. La pollution agricole est l'une des principales responsables. Elle est d'autant plus sournoise qu'elle est diffuse. Sur ce point, les autorités, hormis les stations d'épuration, émettent des recommandations via les stations agricoles fédérales. Le problème, c'est le contrôle. On ne peut pas mettre derrière chaque agriculteur un agronome contrôleur! Là aussi, on ne peut qu'apprendre aux gens à se passer de certains produits. C'est un problème complexe. Parce qu'en amont, les industries qui fabriquent des engrais ont intérêt à ce qu'on utilise leurs produits. Donc, malgré les recommandations, il peut y avoir des contradictions entre ce qui est souhaitable et ce qui est recommandé par le fabricant.
Venons-en maintenant à la terre. Qu'est-ce qui la pollue le plus?
    Il y a bien sûr l'engrais chimique, mais il y aussi certaines pratiques culturales. Par exemple, quand vous vous promenez dans la campagne, vous constatez à partir de l'automne qu'il y a beaucoup de champs qui n'ont aucune couverture végétale parce qu'ils sont en attente d'être ensemencés. Or, le vent et l'eau sont d'importants facteurs d'érosion du sol, qui l'appauvrissent considérablement. Le sol n'est pas seulement composé d'éléments morts, mais aussi d'êtres vivants: verres de terre, micro-organismes. Dans un champ, vous pouvez avoir facilement une tonne ou une tonne et demie de micro-organismes, des éléments qui font un micro-labourage apportant de l'azote. Si vous utilisez certains engrais, ils tuent ces micro-organismes, et votre sol meurt. Et plus votre sol est mort, plus vous mettez de l'engrais... On peut très bien imaginer avoir d'ici quarante ans des zones entières qui seront inutilisables. Et surtout il faudrait éviter d'avoir des sols nus. Au Moyen-Age, au 19ème siècle, les cultures dérobées - haricots, lentilles - permettaient d'avoir une couverture végétale qui empêchait l'érosion. Si, par exemple, on abandonnait la vigne dans le bassin lémanique, il faudrait de nombreuses années avant que le sol sur lequel il y avait cette vigne soit utilisable pour autre chose parce qu'il est chargé de produits chimiques.
Passons aux déchets dont on parlait tout à l'heure. Leur élimination dans le bassin lémanique est-elle un facteur d'inquiétude?
    Certainement. En 1950, un habitant devait produire peut-être 150 kilos de déchets par an; aujourd'hui, un habitant n'est pas loin de quatre cents kilos. Et ces déchets ne sont pas tous considérés de la même manière. Vous avez les déchets qui ne sont pas dangereux en soi parce qu'il peuvent être transformés, des déchets organiques qu'on peut transformer en compost. Et puis les déchets qui ne sont pas utilisables: le plastique. On peut le déformer, le dégrader, mais le problème de ces déchets est très grave, parce que nos usine de traitement ne peuvent plus suivre. On essaie de récupérer ce qu'on peut. Mais l'incinération des déchets nonrécupérables pose d'énormes problèmes. La fumée contient probablement, à partir d'une certaine température, de la dioxine qui peut détruire les plantes environnantes.
    Donc, il faut trouver d'autres soutions. Les Italiens ont proposé un système original, vi-sant à créér des mines de déchets. A un moment donné, quand on saura les réutiliser, on pourra puiser dans ces mines. Mais ce qu'il faudrait faire avant tout, c'est séparer et trier les déchets. Sinon, on va être enseveli par les déchets. Il y a un très belle image d'ltalo Calvino qui montre que les villes se construisent sur des déchets. C'est un problème de société. Il faut travailler en amont, trouver des méthodes de conditionnement qui utilisent moins de produits d'emballage. La chose la plus folle qu'on puisse observer, entre le 15 et le 25 décembre, c'est la quantité de papier consommée. On vous emballe votre cadeau dans un carton, puis ensuite dans un papier et le cadeau dans un sac en plastique... Moi même, j'y succombe. Le fait d'être homme, c'est d'avoir aussi ses contradictions. Mais j'ai changé mes habitudes; il y a des produits que je n'achète plus parce que j'estime qu'ils sont trop dommageables pour l'environnement. Il faut s'efforcer de réfléchir à ce qu'on fait et à la manière de se comporter.

Ne pensez-vous pas qu'on doive déplorer un manque de concertation entre la France et la Suisse: on observe de profondes diparités sur le plan de l'épuration des eaux usées, du recyclage des déchets...
    Les problèmes se posent notamment sur le plan de l'information. Lors d'une fuite dans une citerne à Annemasse, nous n'avons été prévenus que très tardivement. Il faudrait mettre sur pied un système d'alarme qui soit immédiatement opérationnel en cas d'accident écologique. Il taut aussi créer chez les gens une responsabilité personnelle. Et, pour assurer le développement des stations d'épuration, on pourrait prêter des fonds à faible taux d'intérêt pour les communes moins riches. On se gargarise, à Genève, des "relations régionales", mais aucun réseau effectif n'a été créé.

* directeur du Centre universitaire d'écologie humaine et des sciences de l'environnement


Récupération des déchets: Genève bouge!
    «Le traitement des déchets coûte cher et, malgré des techniques de p/us en p/us sophistiquées, n 'apporte pas de solution comp/ète: i/ restera toujours /es résidus de /'incinération, soit /es mâchefers, et /es résidus de filtres ou de /avages de fumées... à déposer dans des décharges adéquates «, explique Christian Grobet, chef du Département des travaux publics. Pourtant, bien que de nombreux produits soient récupérables (compostage des déchets alimentaires et végétaux, recyclage du papier, du verre et du métal), leur majorité finit encore dans les poubelles de la République: à l'heure actuelle, un quart seulement du verre et du papier sont effectivement retraités.
    L'administration a donc mis sur pied une expérience-pilote au Nant-de-Châtillon, qui concerne les habitants des Avanchets et des communes d'Onex et de Bernex. Elle produit des résultats encourageants, puisque 35 à 40% de la population a participé au programme de récupération des déchets organiques. Le D.T.P. a ainsi décidé d'accroître la capacité de traitement de l'installation, et le Conseil d'Etat présentera prochainement une loi spécifique devant le Grand Conseil. Dans un autre domaine, le même département organise déjà, en collaboration avec les pharmaciens et les droguistes, la récupération des déchets toxiques ménagers, essentiellement des médicaments dont l'incinération est particulièrement nuisible à l'environnement. Quant aux mâchefers (résidus de l'incinération des ordures), dont l'usine des Cheneviers produit annuellement quelque 40.000 tonnes, ils sont désormais récupérés et constituent un matériau d'appoint pour le génie civil: remblayage après la pose de collecteurs d'égouts, fondation des chaussées, constructions de routes et de chemins torestiers. Enfin, les piles, qui constituent des déchets fortement polluants par leur apport en mercure et en cadmium, sont stockées depuis deux ans en attendant d'être éliminées dans une future usine zurichoise pour laquelle Cenève apportera une contribution financière."A la veille de l'an 2000, Genève est ainsi en passe de devenir un canton d'avant-garde en matière de récupération... Mais n'est-ce pas là le prix à payer par une société prospère, si elle ne veut pas se laisser engloutir par les déchets?», estime M. Grobet, qui entend développerdes structures adéquates aux niveaux des communes et du canton: lieux de récolte généralisés, création de groupes de travail et de sites spécialement aménagés pour entreposer des résidus particuliers (plastiques, batteries, etc). D'ailleurs, on peut déjà manifester un certain optimisme, puisque la quantité d'ordures diminue sensiblement: on dénombrait 71.765 tonnes de déchets pour les six premiers mois de 1988, et 71.488 pour la même période de l'année suivante...
Turban Boysan
"Campus" révèle son écobilan
Bigre. Beaux joueurs, nous avons livré «Campus» à la moulinette écologique. Bilan impitoyable. Si nous produisions votre magazine préféré sur papier recyclé, nous économiserions à coup sûr:
- plus de 2 kilos de bois par kilo de papier (remplacé par 1,1 kilo de vieux papier).
Nous utiliserions:
- quarante fois moins d'eau
- pas de chlore
- pas de soude
- cinq fois moins de substances auxiliaires (colle, produits chimiques etc.)
Quant à la charge sur l'environnement, le spécialiste nous affirme qu'elle serait trois tois moindre sur l'air et quinze fois moindre sur l'eau.
    Plus culpabilisant encore, du fait que seuls 40% environ du papier est recyclé en Suisse, à peu près mille kilos de papier par numéro de "Campus» sont jetés dans les poubelles genevoises...
 
Campus en chiffres

     L'impression des quelques 6500 exemplaires de Campus, composés de 52 pages en moyenne, sur paier blanc de 90g/m2, nécessite 8 kilos d'encre. En considérant qu'une livraison de Campus pèse 1700 kilos, le bilan écologique de la production nécessaire de papier de cellulose sulfatée blanchie s'établit comme suit:
     503.200 litres d'eau, 108,8 kilos de chlore, 20,4 kilos de soude (NAOH), 3.638 kilos de bois et 357 kilos de matières diverses.
     Charge environnementale: 2 milliards de M3 d'air sont touchés ainsi que 13 millions de litres d'eau et la quantité totale de déchets en bout de parcours se monte à 109 kilos (déchets de production).

     La rédaction de "Campus» se rassure en se disant que c'est là le tribut à payer pour que les lecteurs aient envie de lire sur un beau papier blanc notre dossier sur l'environnement. Il est vrai que la formule recyclée ne serait - toujours de l'avis du spécialiste - pas moins chère. Qu'il existe des écologistes abhorant le papier recyclé. Et qu'enfin le bois que nous utilisons constitue tout de même, jusqu'à preuve du contraire, une ressource renouvelable.

Serge Bimpage
(collaboration Gonzague
Pillet, Ecosys S.A, Carouge)

Encadré

    Le dernier numéro de la revue «Cadmos» vient de paraître. Entièrement consacré au thème de l'environnement («Menaces sur la planète et responsabilité humaine»), il présente en 120 pages plusieurs contributions originales qui abordent la problématique écologique sous un aspect plusridisciplinaire. On pourra ainsi découvrir les textes de:
- Denis de Rougemont: "Un autre modèle de civilisation", un texte inédit de 1979;
- Bernard Giovannini: «Les menaces sur la planète», traitant de l'effet de serre, la diminution de la couche d'ozone, la menace radioactive et la pollution de l'eau;
- Pierre Lehmann: "Gaïa et les prétentions scientifiques de l'homme", présentant une hypothèse scientifique originale;
- Ernst-Utrich Von Weizsacker et Alexander Juras: "La politique européenne de l'environnement», avec le point sur les mesures entreprises par les Communautés européennes;
- Orlo Giarini: "Sur les chemins du Club de Rome: des limites de la croissance aux limites de la certitude», introduisant le nouveau rapport du Club de Rome;
- André Danzin: "Techniques de l'information et comportements nouveaux de l'homme», sur les métamorphoses technologiques et l'évolution de la communication à l'échelle planétaire;
- Jean-Marie Thévoz et Eric Fuchs: "Génie génétique et responsabilité humaine», une réflexion sur l'éthique face à la l'expérimentation scientifique;
- et Matthias Finger: "La réflexion et les mouvements écologiques en Europe», un bilan des années quatre-vingt.

«Cadmos», cahier trimestriel du Centre europeen de la culture, No 49, printemps 1990.


L'eau: une question de vie ou de mort
    Pour de nombreuses personnes, l'eau est un corps incolore, inodore et insipide. Cette définition, apprise à l'école primaire, laisse une impression de banalité que les commodités d'utilisation dans nos régions ont fortement renforcée. En réalité, l'eau est une substance tout à fait extraordinaire, par ses caractéristiques propres mais aussi par le rôle multiple qu'elle joue dans la marche du monde. Elle est le sang de la terre. Elle participe à l'épanouissement de notre bien-être et au développement de notre société, mais elle est tellement omniprésente que nous en oublions son importance.
    En fait, rien ne serait possible sans elle. Substance extraordinaire, elle l'est car beaucoup de ses propriétés physiques et chimiques constituent des exceptions aux règles générales. Lorsqu'elle gèle et devient solide, elle augmente de volume au lieu de diminuer comme le font la plupart des autres substances et la portion solidifiée est plus légère que la portion restée liquide. L'eau est également capable d'absorber ou de libérer plus de chaleur que la plupart des substances courantes. Avec la complicité de la température, l'eau détermine les climats, donc la répartition des plantes et des animaux sur la terre, modèle la face de la planète, fait lever les récoltes.
    La vie est possible sans air pour certains organismes microscopiques mais pas sans eau. Leau est le corps naturel qui constitue la plus grande partie des êtres vivants: environ 66% du poids corporel humain, 80% chez les champignons et jusqu'à 98% chez certains organismes marins comme les méduses. Dans chaque individu, l'eau assure le maintien des structures et des équilibres cellulaires; grâce à ses capacités de solvant, elle permet la distribution et le transit des sels minéraux, des gaz et des molécules organiques solubles et, par conséquent, le transport des aliments et des déchets, la synthèse de la matière et la croissance des individus. L'eau intervient également dans de nombreux processus technologiques comme source d'énergie mais aussi comme élément de constitution et de fonctionnement. Leau est indispensable et pourtant l'eau de qualité commence à manquer, même dans les pays où elle constitue, ce que peu de gens réalisent à sa juste valeur, l'une des principales richesses. Une attitude irresponsable a conduit l'homme à utiliser l'eau comme le véhicule privilégié de ses déchets.
    Certes la pollution des eaux et la dégradation des milieux aquatiques ne sont pas récentes. On retrouve des traces de ces phénomènes déjà dans les textes anciens: "Aaron ayant touché les eaux, toutes les eaux qu, étaient dans le fleuve furent changées en sang et le poisson qui était dans le fleuve sentait mauvais à tel point que les Egyptiens ne purent plus boire des eaux du fleuve". Toutefois la nature, grâce à son pouvoir auto-épurateur, venait facilement à bout de ces pollutions. Ce qui a changé, depuis les temps anciens, c'est l'ampleur des phénomènes de pollution.

Une pollution multiforme
    Autrefois localisées à proximité des rejets des agglomérations, ces phénomènes se sont étendus aujourd'hui à la plupart des eaux de surface (lacs, rivières, fleuves) et souterraines (nappes phréatiques). La nature de la pollution a également changé! A la pollution organique d'origine essentiellement domestique et agricole, facilement dégradable par les processus biologiques naturels, se sont ajoutés, depuis l'avènement de l'ère industrielle, des pollutions chimiques (métaux lourds, hydrocarbures, organochlorés) ainsi qu'une quantité croissante de substances nouvelles fabriquées par la chimie moderne, substances que la nature ne sait pas, ou mal, décomposer. Ces substances dangereuses se concentrent à travers la chaîne alimentaire et on les retrouve... jusque dans le lait maternel!

    La pollution des eaux a pris une telle ampleur que c'est l'ensemble des milieux aquatiques, et finalement l'homme lui-même, qui sont menacés. En contaminant durablement les eaux, l'air et le sol, ces substances font peser une menace inadmissible sur les générations futures. Cette constatation nous interpelle et doit nous conduire à une réflexion de fond sur notre manière de vivre certes, mais aussi, et c'est là une question beaucoup plus délicate, sur l'utilité réelle des produits que nous fabriquons et que nous utilisons, sources de pollution multiples. Le plaisir ou le confort que certains produits peuvent procurer justifient-ils les risques qu'ils font encourir à long terme à la terre, à la faune et finalement à l'homme?
    Depuis les années 1950 environ, les collectivités publiques tentent de lutter contre la pollution des eaux, mais les résultats restent très médiocres. Des erreurs de conception de l'assainissement des eaux usées domestiques  et  industrielles d'abord, la trop grande lenteur dans la mise en oeuvre des moyens d'épuration, les limites elles-mêmes des procédés utilisés auxquelles s'ajoutent de nombreux problèmes d'exploitation diminuent considérablement l'efficacité de la lutte contre la pollution. Ainsi, malgré les quelques progrès enregistrés, la plupart de nos rivières et de nos lacs sont dans un état lamentable et nos réserves d'eau souterraines dangereusement menacées.
    La mise en place du système d'assainissement, dont l'utilité n'est bien entendu pas contestée, a eu par ailleurs un effet pervers: celui de déresponsabiliser l'individu  vis-à-vis de ses propres déchets et des consé-quences que ceux-ci peuvent avoir sur la qualité de l'environnement."L'Etat s'en occupe. On paye des taxes pour cela! D'ailleurs, la technique toute puissante parviendra bien à résoudre ce problème!" Ce mythe trop répandu commence heureusement à vaciller. La technique peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout. Elle ne pourra pas, cela est sûr, résoudre tous les problèmes et pallier toutes nos négligences.

La prévention coûte pourtant moins cher
    Il est clair aujourd'hui que la stratégie de lutte contre la pollution des eaux, axée principalement sur la mise en place de mesures curatives pour dépolluer les eaux, ne parviendra pas à réduire la pollution au-dessous d'un niveau acceptable pour les rivières, les lacs et les nappes souterraines dans les régions à forte pression humaine. Cette stratégie doit donc être complétée par des mesures de type préventif qui visent à lutter contre la pollution à la source. Eviter de polluer les eaux est plus facile et coûte moins cher que de les dépolluer.
    Aussi, l'avenir d'une eau de qualité passe-t-il de plus en plus, dans l'esprit des nombreux responsables des eaux, par la gestion intégrée de cette ressource (approvisionnement, utilisation, restitution, épuration), mais aussi par la redécouverte par chaque individu de l'importance primordiale de cette substance. En effet, la pollution des eaux n'est pas seulement l'affaire des spécialistes.
    Ce principe est facile à énoncer, mais la sensibilisation et la responsabilisation de l'individu vis-à-vis des problèmes de l'eau et de l'environnement en général est une affaire délicate. Elle touche sa façon de vivre et plus encore les rapports complexes qu'il entretient avec la nature. Cette prise de conscience nécessite à l'évidence une information objective et bien vulgarisée, une véritable éducation qui conduise à la remise en question et à l'action, bret, qui amène l'individu à changer ses mauvaises habitudes.
    Je pollue, tu pollues, nous polluons tous et ce n'est qu'en modifiant notre comportement vis-à-vis de l'eau que nous parviendrons à léguer aux générations futures autre chose que des égouts à ciel ouvert et des cloaques.Il est urgent de redéfnir les règles du jeu entre l'homme et la nature.Il est temps, à l'image des civilisations qui nous ont précédées, de reconnaitre pleinement le rôle punficateur, salvateur et vivifiant de l'eau et d'agir en conséquence.

Jean-Bernard Lachavanne
privat-docent, Faculté des sciences.
(Introduction à l'ouvrage: «L'eau aujourd'hui», édité par la Société suisse pour la protection de l'environnement, Georg, Genève, 1990)

Energie solaire: une promesse qui réchauffe
La situation semble particulièrement favorable à Genève, où des études très détaillées ont été réalisées. Et les coûts de production de l'électricité solaire ont déjà fortement diminué. Ne provoquant aucun effet sur l'environnement, le solaire pourrait devenir très compétitif au cours des prochaines décennies.

    Des données de base peuvent être obtenues à l'institut Suisse de Météorologie à Zurich ou à Cointrin. Mesures, évaluations et modèles détaillés peuvent être obtenus auprès du Groupe de physique appliquée de l'Université. Les applications possibles à Genève sont multiples: préparation d'eau chaude sanitaire (immeubles, centres sportifs, hôtels), production de chaleur pour le chauffage à distance (chauffage et eau chaude sanitaire), production de chaleur industrielle, de préférence en été, avec le chauffage des locaux en hiver. Dans tous ces cas les systèmes solaires constitueront un appoint plus ou moins important.
    Citons une étude approfondie de systèmes solaires à Genève: le projet SOLARCAD où 1000 m² de capteurs évacués produisent de la chaleur (80-1000°C) pour un réseau de chauffage à distance, avec une efficacité moyenne annuelle supérieure à 30%. Economie en mazout équivalent: environ 50 tonnes par an. En fait ce projet avait été précédé d'un projet-pilote réduit où l'efficacité annuelle n'était que de 15%. L'examen attentif des diagrammes énergétiques de ces divers projets  montrent  comment,  en quelques années, les pertes ont pu être réduites et l'efficacité moyenne doublée, ce qui constitue un progrès significatif.
Les coûts ont diminué de trois fois en dix ans
    Le prix de la chaleur solaire est d'autant plus élevé que la température désirée est haute. Nous nous restreignons, pour les indications qui suivent, aux conditions climatiques et économiques genevoises actuelles. Pour des températures inférieures à 50°C (produites par des capteurs plans) ce prix est comparable à celui de la chaleur fournie par des systèmes conventionnels (10 à 15 cts par kWh pour de systèmes à mazout ou électriques). A 100°C (il faut alors des capteurs évacués) ce prix est déjà plus que doublé. A 200°C (avec des capteurs à focalisation) on dépasse 1 fr. par kWh.
    Le prix de l'électricité solaire, toujours en conditions genevoises, est actuellement de l'ordre de 1fr. par kWh (il dépend bien sûr de la taille de l'installation). Il était trois fois supérieur il y a dix ans et l'on pense qu'il sera trois fois inférieur dans quinze ou vingt ans. Ceci implique qu'à l'avenir la chaleur solaire à basse température (inférieure à 100°C) justifiera encore l'utilisation de capteurs plans et évacués, et que les capteurs à focalisation, justifiés pour des températures supérieures, seront supplantés pour des raisons de prix et de fiabilité par du chauffage électrique d'origine photovoltaïque.


(cliquer sur l'image pour taille MAXI)
   Si l'on tenait compte dans le prix des énergies traditionnelles des coûts externes ou sociaux (épuisement des ressources, prospection, pollution et environnement, santé, accidents, sécurité, contrôles, autres aspects économiques), cela reviendrait au moins à doubler leur prix (les modifications climatiques liées au CO² n'étant par exemple pas prises en compte parce qu'inquantifiables). La chaleur solaire serait alors moins chère aujourd'hui que la chaleur conventionnelle et l'électricité solaire serait moins chère au siècle prochain que l'électricité conventionnelle.
    Les économies d'énergie et l'énergie solaire passive sont, elles, directement rentables, tout au moins dans un premier stade, étant donné que plus on avance dans la rationalité énergétique, plus difficiles et moins rentables sont les mesures.
Possibilités à Genève
    Pour le économies d'énergie, qui en général incluent le recours à l'énergie solaire passive, le potentiel est très important: 10-15% de l'énergie des bâtiments (chaleur et électricité). Pour les systèmes solaires actifs, en installant 1 m² de capteur par habitant, ce qui constituerait un appoint déjà substantiel pour l'eau chaude sanitaire, on économiserait 3.5% des combustibles consommés en 1987. D'autres applications marginales (piscines, industries, etc...) permettraient de relever encore un peu cette valeur. Cette contribution est donc faible, elle pourrait être relativement plus importante dans un contexte prononcé de rationalité énergétique.
    Rappelons que le seul chauffage hivernal de bâtiments est une application inadaptée et peu intéressante à Genève des systèmes solaires actifs, il y a beaucoup plus à faire pour les bâtiments en recourant aux économie d'énergie.
    Quant à l'électricité solaire, on pourrait produire annuellement 1.2% de la consommation électrique 1987 en recouvrant deux mille immeubles de 50 m2 de panneaux (avec une efficacité de 20%); une centrale de 0.4 km2 dans le Jura (efficacité 20%) permettrait de produire 6% de la consommation électrique de 1987. Si cette forme d'énergie est appelée à se généraliser, on pourrait faire encore davantage en utilisant de nombreuses surfaces inexploitées (façades de bâtiments, parkings, dépôts, entrepôts, autoroutes, lignes de train).
    Si l'on considère la production d'électricité à Genève, actuellement 36% de cette production est d'origine indigène (soit moins de 7% de l'énergie primaire); on pourrait, toujours en rapport à la consommation 1987, gagner 18% par un recours accru à l'hydroélectrique et au traitement des déchêts, gagner 10% avec le photovoltaïque, ce qui nous amène à 64%. Il ne serait alors pas exclu de pouvoir, tout au moins en moyenne annuelle, couvrir la demande électrique par une production totalement indigène, à condition de suivre une politique de rationalité énergétique bien déterminée et volontariste. Chaleur du sel, biomasse et autres alternatives restent limitées mais ne sont pas à négliger pour autant.
Quelques chiffres pour le canton de Genève (1987):
Population: 380'000 hts
Surtace: 282 km²
Consommation d'énergie (primaire):
total: 40800 TJ/an
(TJ =  10.12J =  2.8x10.5kWh)
dont:
mazout:   43%
gaz: 10%
carburant: 28%
électricité: 19%
(considérée ici comme primaire)
Olivier Guisan
professeur, Faculté des sciences

Aménager l'espace urbain: un choix hybride
     L'urbanisme n'est pas seulement une technique d'organisation physique de la ville, mais aussi une idée de vie appliquée à la Cité, un modèle de comportement pour l'homme et la société et, sommes toutes, un «hybride nouveau»
    L'urbanisme prend naissance lorsque se produit un croisement entre diverses espèces issues de l'intelligence du corps social (qu'il importe de ne pas confondre avec l'intelligence innée de l'individu). Diverses formes d'organisation sociale, plus ou moins primitives, plus ou moins évoluées, naissent de la communion de plusieurs intelligences individuelles. L'une de ces formes d'organisation est l'administration de la ville. Il faut cependant relever ici que cette administration urbaine n'est pas, en tant que telle, ce que l'on nomme l'urbanisme, mais plutôt une façon d'arbitrer des intérêts et des besoins particuliers et collectifs. C'est pour cette raison que, même si la ville et son administration ont toujours existé, l'urbanisme n'a, quant à lui, pas toujours été présent.
    L'urbanisme est un hybride qui naît, au coup par coup, du croisement fertile de diverses "espèces": ce sont le temps et le lieu qui favorisent le degré de fertilité et la réussite même de ce croisement d'où naît l'hybride, c'est-à-dire l'urbanisme et sa qualité historique. L'hybride même - on tant que tel - n'est pas toujours fertile. Souvent, il est incapable de se reproduire une fois engendré et, même à la suite d'un nouveau croisement, il reste néanmoins incapable de donner naissance à do nouveaux hybrides. En d'autres termes, les acquisitions de la nouvelle espèce de l'hybride n'évoluent pas nécessairement dans le temps et ceci, même si elles s'accumulent. Dans ce cas, l'évolution n'est pas continue, ni même très garantie.
    L'urbanisme est donc un "hybride nouveau", né dans une phase de l'histoire où la gestion de la ville - dans sa dimension séculaire - se croise avec une série d'espèces "puissantes", par exemple lorsque cette gestion fait face à un phénomène social inconnu: la rébellion ouverte contre le pouvoir. Ensuite, cette gestion devra affronter l'évolution du phénomène même: le socialisme...
    C'est ainsi que la gestion de la ville a, dans des conditions déterminées de temps et de lieu, engendré un urbanisme lorsqu'elle s'est trouvée au contact direct de phénomènes tels que la misère, le choléra, une distribution inéquitable - voire inhumaine - des richesses, une rébellion endémique, la morale, le désir de justice, l'esprit de solidarité. Un urbanisme, cela veut donc dire une certaine qualité historique de milieu spatial - et donc social - ou, en d'autres termes, un hybride qui s'affirme et évolue selon un cycle "prévisible" pour se stabiliser enfin lors d'une phase plus ou moins longue d'existence statique ou proche de l'inertie.

Construire les villes: un art immémorial
    Dans la phase d'inertie, l'évolution de la gestion de la ville et du territoire se superpose à l'hybride jusqu'à en devenir le synonyme et jusqu'à ce que les nouvelles espèces produisent un second hybride au cours d'un nouveau croisement. Dans cette optique, il nous est possible de lire le passé et de voir quand, où et comment ce phénomène s'est manifesté.

Par rapport à ce que nous avons appris jusqu'ici, à travers la sélection d'événements historiques, nous notons que le phénomène auquel nous faisons allusion ne se présente pas avec un courant continu et progressif, mais avec un courant qui, dérivant de concepts darwiniens, peut être défini comme une "évolution à l'équilibre ponctué".
    La "ville", ou selon un vieux dicton, l'art de construire les villes, existe depuis des temps immémoriaux. Cette ville est un principe créé par les hommes pour vivre ensemble selon des règles définies, de degré plus ou moins évolué. Pour observer historiquement les événements qui concernent la ville, nous avons depuis longtemps adopté des critères de jugement et, parfois, des systèmes de référence pour faciliter une attribution plus correcte des valeurs. Il est néanmoins évident que ces systèmes et critères ne sont ni objectifs ni finalisés, et ne sont pas plus neutres ou universels.
    Le concept même de "critère" et de "systèrne" implique un choix idéologique qui introduit fatalement une "action" dynamique de la critique elle-même. En d'autres termes, une "aspiration" a changé dans le caractère et la logique de la critique, qui tend à agir sur le passé et donc le futur du système même. Dans ce sens, l'on peut affirmer que l'analyse contient souvent un embryon d'un projet, c'est-à-dire de la situation à venir Cela n'empêche cependant pas que l'analyse puisse, dans certains cas, coïncider avec le projet, mais seulement dans des circonstances particulièrement dramatiques et donc non-systématiques, donc en cas d'urgence spécifique. En substance, l'observation et la description du phénomène ne coïncident pas nécessairement avec la définition du même phénomène dans sa dimension plus évoluée ou réformée et projetée dans le temps à venir.

Considérons un cas particulier: quelques lignes géométriques, droites ou courbes. Ici, le champ de lecture est pour ainsi dire illimité: si nous pouvons lire chaque signe propre, les mouvements, les éventuelles tractures ou la linéarité, mais tout appartient à un monde fantastique et absolument personnel. Si nous enfermons ces lignes dans un système, par exemple deux axes cartésiens qui indiquent différentes valeurs (à savoir les axes d'un diagramme), nous pouvons - par hypothèses successives - tenter de déchiffrer le sens spécifique de ces signes, aussi tortueux soient-ils. Autrement dit, si le "cas" en question était un hybride, seul l'examen des diverses espèces qui l'ont produit nous permettrait de comprendre les phases successives de sa pénétration et de sa stabilisation sur le territoire.

Riccardo Mariani
professeur à l'Ecole d'architecture

La nouvelle donne écologique
    L'aménagement du territoire s'est considérablement développé au cours du XXe siècle. L'exemple de Genève l'illustre de façon inquiétante. L'auteur suggère une nouvelle approche du problème.
 
  L'aménagement vise, par voie rationnelle, à distribuer, équilibrer, dynamiser les activités humaines dans l'espace et le temps, selon un projet de société s'exprimant particulièrement par la voie économique et politique. Le couplage des différentes fonctions de la société, soutenu par l'énergie et la technologie utilisées, a favorisé une emprise de plus on plus vaste et diversifiée sur l'espace planétaire:
    L'environnement naturel a été considérablement modifié par l'application de la logique du fonctionnement des sociétés, issue des codes et pratiques propres à l'espèce humaine on tant que système culturel, hors du fatum biologique et physico-chimique. Cette transformation récente de la planète, propre à l'homme, suite à la biologisation de la terre pendant plusieurs milliards d'années, nous a apporté de nombreux bienfaits, mais a aussi provoqué des effets pervers: disparition des espèces végétales et animales, modifications négatives des biocénoses, déboisement, eutrophisation, érosion, pollution, effet de serre accentué, diminution de l'ozone stratosphérique,  catastrophes diverses.

Que fait-on de l'environnement naturel?
    Une prise de conscience s'est progressivement manifestée et des dispositions prises par les autorités, tant pour la pollution que pour l'organisation de l'espace. Parmi celles-ci la désignation des parties du territoire qui peuvent se prêter à différents types de constructions, à l'agriculture et la sylviculture, la viticulture, les sites et paysages de valeur, les zones de délassement et loisirs, celles présentant une fonction écologique marquante, les surfaces menacées par les forces naturelles ou par des nuisances. L'état et le développement souhaités pour ces différents secteurs sont définis dans le cadre d'une politique générale du territoire.
    Dans cette optique, l'environnement co-produit par l'homme et la planète est considéré comme un facteur, une contrainte, situé en aval du projet de société; en conséquence il doit essentiellement être subordonné à l'espèce humaine (droit d'user et d'abuser). Ainsi, on ne trouve pas, dans les plans directeurs de l'aménagement, un chapitre consacré uniquement à la problématique de l'environnement naturel, élément semi-autonome ayant ses propres lois (logique biologique: fonctionnement cellulaire; logique écologique: fonctionnement de la biosphère; logique physico-chimique planétaire (climat, érosion) et s'organisant à l'échelon terrestre, régional et local).
    Seule une approche de l'aménagement intégrant ces échelles de l'espace et ces logiques de fonctionnement peut permettre d'assurer, à long terme, une meilleure viabilité tant des sociétés que de l'espèce humaine sur la planète. L'évidence de multiples ennuis sérieux dans les cent à trois cents ans à venir devrait favoriser la mise en place progressive d'une nouvelle conception. Sinon l'environnement sera de plus on plus une image déformée de l'impact des projets de société qui mettront en place des "feedbacks" planétaires restreignant nos libertés, puis nous éliminant.
Des enveloppes de viabilité
    Si, comme le dit Claude Raffestin (1983), toute politique d'aménagement du territoire ne peut éviter une tension perpétuelle entre valeur d'usage et valeur d'échange, entre norme et pratique, entre contenu et position, celle-là étant utile dans la réalisation d'un projet de civilisation, il est aussi vrai que ce dernier ne peut échapper à long terme, sous peine de tensions mortelles, à la nécessité d'une subordination partielle, sur terre on tout cas, à un minimum de contraintes intrinsèques à la planète.
    Ainsi nous sommes tous faits de cellules (10¹²), lesquelles ont une certaine sensibilité à l'environnement et diverses exigences absolues (oxygène, nourriture, eau, température, etc.); nous vivons d'échanges écologiques (oxygène photosynthétique et respiratoire, nourriture végétale et carnée, recyclage biogéochimique; ralentissement de l'érosion) obligatoires. La quantité de matière minérale et son accessibilité étant limitées, de même que la surface photosynthétique (plantes vertes) et le flux lumineux, il en résulte que la biomasse planétaire est aussi limitée (on conséquence la production d'oxygène et la capacité de recyclage de la manière minérale et organique sont limitées).
    Il en est de même pour l'espèce humaine; l'estimation fondée sur différentes approches (oxygène, nourriture, énergie, surfaces écologiques et urbaines, etc.) donne une valeur limite viable située entre 10¹° et 10E¹¹ habitants (probablement plus près de la première valeur que de la deuxième).
    Les êtres vivants sont très sensibles à la température et ne peuvent vivre que dans des plages très étroites de variation; la régulation planétaire de la température et la disponibilité en eau sont capitales (équilibre énergétique: terre-radiations solaires; cycle de l'eau: océan, atmosphère, biosphère, terre ferme). L'énergie, à travers les vicissitudes de ses transformations successibles, finit en chaleur (augmentation de l'entropie); le flux qui peut être éliminé dans l'espace, hors de la planète, sans changement notable de l'état planétaire et du vivant est limité.

En conséquence la quantité annuelle d'énergie que la société peut utiliser sur terre a une limite au-delà de laquelle la viabilité planétaire est mise en cause. L'emploi de carburants fossiles et la pollution atmosphérique actuels font que le seuil de risque est en train d'être dépassé (CO², CH4, NOx, O3, etc.: effet de serre amplifié). L'utilisation de ressources renouvelables (hydraulique, solaire, vent, marée, etc.) et géothermiques ne présente pas ce genre d'inconvénients. Sans effets de serre, des quantités plus élevées, dix à cinquante fois, que la moyenne mondiale actuelle, pourraient être employées sans ennuis majeurs. L'énergie atomique ne serait pas à rejeter dans son principe, pour autant que des procédés avantageux soient découverts (problème des déchets et de sécurité de l'installation).
    La viabilité des projets de société passe donc par une population mondiale et un emploi de l'énergie stabilisés dans un proche avenir; elle demande aussi un meilleur emploi de l'eau douce (le flux annuel sur terre n'est que le 0,003% de la masse totale dont les 97% sont salés) et une intégration des flux de l'agrosphère et de la technosphère dans  l'écosystème  général (contrôle de la pollution chimique et physique). Si présentement on peut se disputer sur l'échéance et la valeur exacte des seuils limites, il est difficile de contester ces principes issus du fonctionnement du vivant et de la planète.
    Connaissant les enveloppes de viabilité planétaire, il est possible d'examiner les particularités régionales et locales et ainsi orienter les choix optimaux dans ces sous-ensembles. Les conséquences sur les codes socioculturels et l'économie sont variées. Cette dernière a un rôle clef dans l'aménagement du territoire. Il est nécessaire de la reconnecter à la réalité physique (entropie) et biologique, de la moduler (incitation, subvention, taxe) vers des innovations qui contribueront à changer notre manière de produire et de consommer (Pillet et Odum, 1987), à la fois écologique et économique.

Genève: des lambeaux de forêts
    Observons la situation générale écologique de ce canton fortement urbanisé (zones de constructions: 32% de la surface, contre 5% pour la Suisse) et économiquement très développé (prépondérance du secteur tertiaire). La zone agricole, importante pour la végétation, occupe les 48% du canton (50% on Suisse) et les bois et forêts environ 10% (26% pour la Suisse).
    Une référence, pour situer l'action humaine actuelle, est de comparer l'état présent à celui qui aurait existé si l'homme n'existait pas et que la biocénese genevoise eût atteint son état d'équilibre naturel (climax). Il ne s'agit pas de rêver à cette situation, mais d'apprécier jusqu'où il est possible d'aller dans la réduction de la nature, en ayant en mémoire les quatre logiques et les trois échelles d'observation citées précédemment.
    Il ne reste plus que 10% environ de la biomasse potentielle (baisse de la diversité, de la complexité de l'écosystème, de la capacité de re-yclage, de la production d'oxygène, etc.). Des lambeaux de forêts s'accrochent aux cours d'eau et le reste est écartelé aux quatre coins du canton, débordant hors des frontières. L'impact humain est donc important (60 tonnes environ de biosphère fraîche par habitant contre 400 tonnes à l'échelle suisse et 5000 au niveau mondial).
    Nous devons importer une part essentielle de la nourriture et du fourrage, de l'oxygène et de l'énergie (en majorité de sources non renouvelables). Celle-ci correspond à près des 2% de l'énergie solaire au sol. Alors même que nous ne représentons que quelques pour mille de la biomasse locale, nous manipulons beaucoup plus d'énergie que celle mise en jeu dans les échanges écologiques du canton. Nous avons atteint la dimension de la nature vivante, raison peur laquelle il faut intégrer sa logique dans nos projets d'aménagement et agir aussi bien localement qu'à l'extérieur du canton. Beaucoup de problèmes n'ont de solution que par un co-développement de la région, en particulier la gestion de la nature.
    Une autre façon d'apprécier la situation locale est d'étendre à l'ensemble du globe les données genevoises. Le calcul montre que l'on aboutirait à une impasse (population, énergie non renouvelable, eau douce). Malgré l'imprécision des mesures, il est évident que l'on s'approche de limites au-delà desquelles il n'y a pas de réelle viabilité pour l'homme. Il faut donc repenser l'aménagement dans une perspective à la fois mondiale, régionale et locale incluant les conséquences de la logique biologique et planétaire.

Hubert Greppin
professeur, Faculté des sciences
Bibliographie:
Goorgescu-Roogen N., "The entropy Law and the economic process", Harvard University Press, Cambridge: 1981.
Greppin H., "L'interface homme-nature", Médecine et hygiène, No 46, pp. 3277-3283, Genève: 1988
Lamette M .,"Fondements rationnels de l'aménagement d'un territoire", Masson, Paris: 1985.
Pillet G. et Odum H.T., "L'énergie, écologie, économie", Georg, Genève: 1987.
Raffestin Cl., "Régulation, échelles et aménagement du territoire", Médecine et hygiène, No 41, pp. 20-21, Genève: 1983.
Ramade F., "Eléments d'écologie", McGraw-Hill, Paris: 1987-89 (2 vol.).
Ramade F., "Les catastrophes écologiques", Mc-Graw-Hill, Paris: 1987.

Encadré
Bientôt le 4e Colloque Wright!
    Le quatrième Colloque Wright pour la Science aura lieu à Genève du 17 au 21 septembre 1990, dans l'auditoire de l'Université de Genéve (24 rue Général-Dufour) sous le titre "L'Evolution et la Destruction de la Planète Terre". L'objectif des colloques Wright est d'informer le public sur des sujets scientifiques concernant tout et chacun dans le monde d'aujourd'hui. Des scientifiques parmi les plus éminents au niveau mondial ont été invités pour faire des exposés. L'entrée est libre et il n'est pas nécessaire de faire des réservations.
    Les orateurs principaux seront cette année: le professeur James Lovelock, d'Angleterre, l'auteur des premiers livres «Gaia», le docteur MacDonald, Chief Scientist de la Mitre Corporation à Washington, Madame le professeur Lynn Margulis de l'University of Massachusetts à Amherst, le professeur Richard Muller de l'University of Calîfornia à Berkeley et le docteur William Nierenberg de la Scripps Institution à la Jolla.

   Le come-back de Michel Serre
«Notre plus récent voyage nous amena de la terre à la Terre» Michel Serre, Le contrat naturel
    Le réchauffement de la planète menace l'équilibre de la biosphère. Causes et remèdes sont à chercher dans notre «excroissance» industrielle. Mais aussi dans notre rigidité intellectuelle...
 
   Depuis des années, Michel Serre enseigne un nouveau mode de penser, une nouvelle manière de percevoir notre appartenance au monde  Il nous aide à réactiver nos «cinq sens», au-delà des catégories établies par la funeste partition, dans notre civilisation urbaine et militaro-industrielle, entre culture scientifique et culture littéraire. Ce faisant, nous franchissons un nouveau «passage Nord-Ouest» entre le continent des sciences dites exactes et celui des sciences dites humaines; nous redécouvrons une mer à la fois nouvelle et très ancienne, patiente et pacifique. Nous retrouvons, en passant du mythe à l'hypothèse scientifique, le monde, au vieux sens du terme, cette Terre-Mère, la Biosphère, que les anciens Grecs, et de nos jours James Lovelock et Lynn Margulis, nomment Gaïa.
    Dans son dernier livre, «Le contrat naturel«, Michel Serre poursuit, à sa manière cette quête de Gaïa, commencée voici des années, en navigateur solitaire, dans l'indifférence générale. Depuis peu, son oeuvre devenant de plus en plus visible, avec déjà une vingtaine de livres publiés, ce philosophe qui enseigne une autre histoire des sciences et de techniques, une autre façon de «faire de l'histoire», sort de l'ombre. Son tort? Il n'était pas «discipliné»!
    Sa récente élection à l'Académie française témoigne avec éclat de ce qu'il faut bien appeler l'effet de Serre (!). Il est grand temps de le prendre au sérieux, dans toutes nos disciplines dites académiques.
    En parlant de l'effet de Serre, on ne peut s'empêcher de penser à cette question d'une brûlante actualité, née avec l'industrialisation, et que la grande presse, depuis la conférence mondiale de Toronto - «l'Atmosphère en évolution: implications pour la sécurité du globe» - en juin 1988, nomme «effet de serre», alors qu'il s'agit plus précisément d'une dérive d'origine anthropique, thermo-industrielle, de l'effet de serre de la biosphère.
    Qu'est-ce que cela veut dire? Et bien, c'est encore Serre, philosophe de la «révolution carnotienne», qui nous apprend à le comprendre: en relisant Sadi Carnot et Joseph Fourier, héros éponymes de cette révolution scientifique qui traduit, d'une manière fulgurante et longtemps incomprise, la technologie, la théorie physique, la géographie, l'écologie et la cosmologie de notre monde thermo-industriel.

Les pionniers de la thermodynamique
    Tout commence, symboliquement, en 1824, à Paris, en pleine bataille romantique. Cette année-là, Sadi Carnot (1796-1832) publie ses fameuses Réflexions sur/a puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance, acte de naissance, avant la lettre, de la Thermodynamique, cette nouvelle science de l'énergie et de l'entropie; et Joseph Fourier (1786-1830), dont la célèbre Théorie analytique de la chaleur se démarque également du paradigme newtonien de la science classique, publie son troisième mémoire sur «la chaleur de la Terre»,intitulé «Remarques générales sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires»,  premier texte scientifique où se trouve fondée l'analogie météorologique entre atmosphère du globe terraqué et le vitrage d'une serre chaude, métaphore dont Fourier attribue l'origine à l'ingéniosité d'une expérience du «célèbre voyageur M. de Saussure». L'idée fera son chemin, au même rythme que l'industrialisation de la planète...

    Avec Carnot et Fourier, avec la révolution industrielle et la nouvelle philosophie naturelle de la chaleur, en pratique et en théorie, l'homme n'est plus séparé du monde, et le monde n'est plus insensible au développement d'Homo sapiens, qui est avant tout Homo faber, en occurrence agent naturel, force géomorphologique et biogéo-chimique: la civilisation industrielle se compare aux autres forces de la nature. Illustré par la fameuse "courbe de Keeling" mesurant, depuis le début de l'ère industrielle, l'accroissement accéléré de la concentration du CO2 dans l'atmosphère (avec de remarquables variations saisonnières liées au métabolisme de la planète), l'impact de notre développement économique sur la Biosphère surpasse aujourd'hui celui du volcanisme! La révolution industrielle? Une éruption thermo-industrielle!
    Au moment où triomphe le Capital, hélas, on perd la terre, source de la richesse chez les physiocrates. L'économie politique du XIXe siècle, soeur de la mécanique industrielle, impose le travail, le rendement, la marchandise, l'utilité, le profit, la productivité, et oublie le monde, le met littéralement hors "circuit", au moment même où la nature de l'économie se métamorphose en transformant irrévocablement l'économie de la nature, c'est-à-dire en altérant, par notre "métabolisme industriel", les grands  cycles  biogéochimiques de la biosphère, pour parler comme Vladimir Vernadsky (1863-1945), le véritable père, méconnu, de cette science de la biosphère qu'est l'écologie globale.

Le métabolisme de la biosphère
    C'est bien l'ensemble du globe dont il s'agit désormais, non plus seulement de "la face de la terre", des terres que les hommes se partagent, et se disputent généralement, mais bien de la terre, en tant que planète, maison commune de tous les êtres humains, de toutes les espèces vivantes, unique "planète vivante" du système solaire, quasi miraculeuse avec son étonnante enveloppe atmosphérique, en grande partie créée par nos ancêtres bactériens, océan d'air, comme disait Torricelli, indivisible et en circulation perpétuelle, membrane protectrice (avec son écran d'ozone) de cette étrange "cellule" dans le cosmos, véritable système circulatoire de ce vaste organisme qu'on nomme, à la suite du livre de Vernadsky, La Biosphère.
    Il nous reste à comprendre le "métabolisme" de notre bioéconomie industrielle, à l'échelle de la géophysiologie (J. Lovelock). Le pillage des ressources naturelles, la destruction des forêts, la contamination radio-active, le rejet par milliards de tonnes de gaz à effet de serre, ne sont que des manifestations de notre négligence de la biosphère; d'où la crise planétaire imminente qui nous oblige d'urgence à connecter, en théorie et en pratique: économie, écologie et thermodynamique, comme l'enseigne depuis plus de vingt ans Nicholas Ceorgescu-Roegen, l'auteur de The Entropy Law and the Economic Process (Harvard University Press, 1971).
    Le renforcement de l'effet de serre, le réchauffement du globe (dont il sera question au mois de novembre, à Cenève, avec la deuxième Conférence mondiale sur le climat, qui examinera le rapport du Croupe d'experts intergouvernemental pour l'étude du changement climatique), est une conséquence thermo-dynamique de notre excroissance occidentale; c'est bien la "surchauffe de la croissance» (François Meyer).

Jacques Grinevald
chargé de cours à la Faculté des sciences économiques et sociales
et à l'institut universitaire d'études du développement.
A également publié:
"L'effet de serre de la Biosphère: de la révolution thermo-industrielle à l'ecologie globale", Stratégies énergétiques, Biosphère et Société, 1990, 1:5-30
et "La menace climatique", numéro hors série de la revue Silence, mai1990.


Encadré
TÉMOIGNAGE
Comment juger la valeur d'un paysage
    Seules les études d'impact permettent d'évaluer l'effet de tout aménagement sur son environnement. L'exemple de Plan-les-Ouates
    Lourde est la responsabilté des organes compétents aux niveaux fédéral, cantonal et communal ainsi que celles des autorités appelées à donner en dernière instance leur autorisation aux projets. C'est pourquoi l'Etude d'impact sur l'environnement (EIE) est un instrument important de la protection préventive d'un paysage, à condition d'être appliquée de manière cohérente.
    Le but de l'étude d'impact en matière N+P est d'établir les effets directs et indirects d'un projet sur les données naturelles, les utilisations et fonctions réciproques entre les différents facteurs précités, les biens et le patrimoine culturel. C'est pourquoi une étude d'impact N+P doit avoir pour objectif, d'une part, l'être humain et, d'autre part, le reste du monde environnant animé ou inanimé (milieu vital). La conjugaison de tous les éléments inventoriés dans l'étude N+P, associés aux différentes études accomplies tant au niveau du sol, de l'eau, de l'air, de la nature et du bruit constitue l'ensemble du tissu paysager, dont chaque particularité doit être prise en compte.
    Au lieu-dit du vallon des Vaulx sur la commune de Plan-les Ouates, nous avons analysé l'intégration du projet autoroutier et plus particulièrement son secteur en tranchée ouverte - cette étude a été menée par le bureau Ecosys S.A. avec lequel nous collaborons - en tenant compte du relief dont il a été indispensable d'en découper les surfaces. Cependant, l'influence du périmètre environnant, c'est-à-dire celui se trouvant à l'extérieur du site proprement dit, a été également considérée.
    Les moyens de description d'un site supposent obligatoirement des points de vue. La manière dont ils sont choisis n'est pas indifférente, puisqu'ils se concentrent sur un certain nombre de lieux: habitation, chemin, route, promenades, etc. Dans ce cas nous avons choisi sept points de vue. Il faut donc déterminer en priorité ceux qui ont un intérêt manifeste et permettent effectivement à des spectateurs d'avoir une perception du milieu. Cependant ceci ne signifie pas qu'un paysage qui ne serait pas fréquenté présente moins d'intérêt ou d'attrait. Sa qualité première pourrait résulter précisément de l'absence de construction, de traces de l'occupation humaine, de son isolement. Les points de vue ne constituant que les reférences à partir desquelles le paysage est vu.
    A partir de l'instant où le site a été cadré, un inventaire des fonctions du payasage a été entrepris afin d'en retenir toutes les structures. La technique employée s'est faite sous la forme d'une matrice, avec d'un côté les fonctions du paysage et de l'autre, les différents points de vue. L'analyse du site a permis d'identifier le caractère particulier des structures relevées et d'exprimer ce qui fait sa richesse. La comparaison avec l'état futur qui prend en compte la voie projetée a mis en évidence les modifications du paysage dues au projet. Ainsi les impacts du projet ont été décrits de manière à mettre en évidence les modifications que va subir le paysage, les changements que vont percevoir les riverains dans leur manière de vivre et d'utiliser un site: de plus, un plan de mesures de protection a été proposé afin d'éliminer ou d'atténuer les impacts négatifs relevés sur le site.
Jacques Dozio
architecte-paysagiste