Le paradoxe est évident: alors
que le sommet de Kyoto sur l'effet de serre s'achevait sur un constat d'échec
- rien de concret n'a pu être décidé, les plus gros
pollueurs de la planète estimant qu'une réduction des émissions
de dioxyde de carbone menacerait la santé de leur économie
-, on apprenait que 1997 aura été l'année la plus
chaude depuis 1860... Une preuve supplémentaire des problèmes
environnementaux causés par les énergies non renouvelables,
outre leur inéluctable raréfaction et les tensions internationales
qu'elles génèrent depuis plusieurs décennies.
Pendant ce temps, le débat politique sur l'énergie en Suisse, plutôt discret ces dernières années depuis le moratoire sur le nucléaire, reprend de l'ampleur: trois initiatives populaires ont été déposées par les Verts afin de promouvoir l'énergie solaire, encourager les économies d'énergie, et financer partiellement l'AVS et les assurances sociales par le biais d'une taxe sur les énergies non renouvelables, tandis qu'une Commission du Conseil national a adopté une motion chargeant le gouvernement d'instaurer une réforme fiscale écologique qui remplacerait l'actuel régime financier. |
Sans oublier la libéralisation du marché européen
de l'électricité qui, dès février 1999, confrontera
progressivement producteurs et distributeurs helvétiques à
la concurrence internationale.
Suite au premier choc pétrolier, la communauté universitaire avait pris conscience des enjeux liés aux questions énergétiques. En 1977 déjà, l'Alma mater se dotait d'un Centre d'étude des problèmes de l'énergie qui, d'emblée, s'est engagé dans la voie de la recherche interdisciplinaire et des services à la collectivité. Aujourd'hui, les recherches menées au sein du CUEPE, qui vient de fêter son vingtième anniversaire, concernent des thèmes toujours plus actuels. A l'aube du XXIe siècle, les contributions de ce dossier, coordonné par Michael Jakob, nous permettent de faire le point sur ces énergies renouvelables - hydroélectricité, solaire, hydrogène, force éolienne... - qui joueront un rôle déterminant lors des prochaines décennies. Turhan Boysan
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Le point sur les énergies renouvelables
L'homme n'a pas attendu la fin
de ce siècle pour se chauffer, se mouvoir, produire, grâce
à l'énergie solaire. Elle a longtemps constitué l'unique
ressource énergétique de l'humanité; toutefois, la
civilisation industrielle n'a pu s'accomoder d'une ressource abondante
mais capricieuse, naturelle mais fugitive. Face aux problèmes que
pose l'utilisation des énergies non renouvelables (raréfaction
des ressources, effets négatifs sur l'environnement, risques de
tensions internationales), les énergies renouvelables - flux
permanents (1) d'énergie qui finissent de toute façon dégradés
dans l'environnement - sont redécouvertes et font l'objet de nombreuses
études techniques visant à les domestiquer.
Pour bien appréhender le rôle qu'elles
pourront jouer dans le futur, on peut relever six points iimportants.
La part des énergies renouvelables dans la couverture
des besoins humains a atteint son minium et a maintenant tendance à
croître.
Il s'agit sans doute d'une tendance lourde, qui a pour origine l'amélioration technique des différentes filières concernées et les problèmes environnementaux liés à l'utilisation des autres ressources. Ces énergies couvrent environ 13% des besoins énergétiques mondiaux, le taux étant très variable d'un pays à l'autre. En Europe (2), la couverture n'est que de 5.4%: elle se situe entre 24% pour l'Autriche ou la Suède et 0.6% pour le Royaume Uni. La Suisse est dans le peloton de tête avec 16%. Point important à souligner: cette part n'était que de 5% en 1990, ce qui représente une augmentation relative de 8% en quatre années. Curieusement, grâce à son abondance, le charbon suit aussi la même voie puisque, après avoir baissé depuis le milieu de ce siècle, sa contribution augmentera très certainement dans l'avenir. L'utilisation énergétique de la biomasse
constitue encore le pilier des énergies renouvelables, principalement
au Sud.
Les filières très anciennes, datant de l'Antiquité
(hydraulique et éolienne),
ont pleinement bénéficié d'avancées techniques
(turbines, aéronautique, etc.) et constituent encore des technologies
sur lesquelles il faut compter.
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Les filières renouvelables les plus utilisées
aujourd'hui sont les plus extensives, et de plus elles sont liées
à d'autres cycles naturels fondamentaux (carbone et eau pour les
forêts et les grands barrages). Un exemple d'interférences
malheureuses avec le cycle de l'eau est donné par le catastrophique
barrage d'Assouan dans la haute vallée du Nil; pour produire la
même quantité d'énergie, il suffirait d'installer aujourd'hui
une centrale thermique solaire couvrant une surface d'environ 20 km2
(soit une très faible portion de la retenue d'eau actuelle), à
des coûts économiques et environnementaux très inférieurs.
Les exploitations intensives (solaire mais aussi éolienne) présentent donc des avantages indéniables en permettant une exploitation de lieux inadaptés pour d'autres activités (déserts, mers, etc.). Des différentes filières possibles, le photovoltaïque semble être le meilleur candidat à long terme. Il constitue également la seule filière réellement nouvelle et en pleine évolution, où le potentiel de nouveautés technologiques est immense. Les possibilités d'un développement rapide sont réelles mais soumises à des contraintes économiques difficiles. Sous nos latitudes, la capacité de pénétration de ces technologies est principalement limitée par la possibilité de stocker l'électricité d'une saison sur l'autre. La filière de l'hydrogène est à ce titre pleine d'avenir. Il ne faut pas opposer production centralisée et production
décentralisée, qui sont complémentaires.
La poursuite du développement des énergies renouvelables
suppose une vision à long terme et une action volontariste, comme
le montre clairement le succès de la filière des éoliennes.
Bernard Lachal
physicien, docteur ès sciences.
Projets de recherche en cours:
analyses de systèmes énergétiques,
physique du batiment.
Enseignement:
«Énergie et environnement», Faculté
des sciences.
Figure 1 Utilisation de la biomasse et revenu national par habitant, d'après
[1]:
|
Bibliographie citée
[1] D.F. Barnes, W.M. Floor, Rural energy in developing countries:
a challenge for economic development, Annual
review of energy and the environment, vol. 21, 1996, pp. 497-530.
[2] C. Flavin, Domestiquer le soleil et le vent, L'État
de la Planète 1995/1996, pp. 87-113, La Découverte.
Autres ouvrages
J.C. Debeir, J-P: Deléage, D. Hémery, Les servitudes
de la puissance. Une histoire de l'énergie,
Flammarion, 1986.
J-M. Chevalier, R Barbet, L. Beozoni, Économie de l'énergie,
Presses de la fondation nationale des sciences politiques & Dalloz,
1986.
F. Pharabot, Atlas mondial de l'énergie, Editech,
1989.
B. Dessus, Atlas des énergies pour un monde vivable,
Syros, Paris, 1994.
Eolienne: la croissance, Systèmes Solaires,
No110, novembre-décembre 1995.
E. Barbier, Nature and technology of geothermal eneryy. A review,
Renewable
& Sustainable Energy Review, vol.1, No1, March-June 1997, pp.1-67.
C.j. Winter, j. Nitsch, Hydrogen as an energy carrier,
Springer Verlag, 1988.
A. Crober, En captant la chaleur solaire, nous pourrions nous
passer de charbon, La Science et la Vie, Tome V, avril-iuin
1914.
R. Dracker, P. De Laquil III, Progress commercializing solar-electricity
power systems, Annual review of energy and the environment, vol.
21, 1996, pp. 371-402.
Prospective XXle siècle, Systèmes Solaires,
N0 67/68, mars-avril 1991.
1 Au niveau de l'homme, puisque le soleil continuera à
briller encore quelques milliards d'années.
2 Source: Eurostot, cité dans «Energy for the
future: renewabte sources of energy», Green paper for a community
strategy, en circulation, Com (96)576.
NI ÉSOTÉRISME, NI SCIENCE-FICTION:
EN PAYS D'EMMENTHAL,UN HOMME SE DÉPLACE DANS UN MINIBUS
NE CRACHANT POURTOUTE FUMÉE QUE DE LA VAPEUR D'EAU.
IL FABRIQUE LUI-MÉMELE COMBUSTIBLE EN NE FAISANTQUE METTRE LE SOLEIL
EN BOÎTE...
Sur le toit de sa propre maison, un ensemble de 60m²
de panneaux photovoltaïques transforment le rayonnement solaire
en électricité, forme d'énergie extrêmement
noble et maniable, ne pouvant cependant pas être conservée
de la sorte. Elle est donc utilisée dans un électrolyseur,
qui sépare de l'eau en ses deux constituants fondamentaux: oxygène
et hydrogène. C'est ce dernier; comprimé et stocké,
qui est en temps voulu injecté dans le moteur tout à fait
traditionnel du véhicule, pour se combiner à nouveau avec
l'oxygène de l'air et libérer l'énergie capturée.
|
Intérêt environnemental et technique
En bouclant le cycle de l'eau de façon particulièrement simple, l'utilisation de l'hydrogène comme vecteur énergétique comporte ainsi un double intérêt fondamental. Environnemental d'une part (suppression des gaz toxiques, CO2 compris, lors de la combustion) pour autant qu'il soit produit à partir d'une source énergétique non polluante. Technique d'autre part, puisque rendant possibles le stockage à long terme et le transport sur de longues distances d'énergie électrique. La facilité de transvasement d'un récipient de stockage à un autre en fait par ailleurs un combustible idéal pour le transport (via le moteur thermique ou le moteur électrique). Parmi les différentes filières possibles, celle consistant à utiliser comme source énergétique le rayonnement solaire est à la fois la plus élégante (le soleil étant lui-même à la base de toutes les autres énergies renouvelables) et porteuse du plus grand potentiel énergétique: bien que réparti de façon non uniforme sur la planète, son flux est sans commune mesure avec les autres ressources et se localise préférentiellement dans les zones en développement. Alors que tous les composants de cette filière peuvent actuellement s'obtenir sur le marché, son utilisation est pourtant extrêmement rare. En Suisse, une seule installation de production d'hydrogène solaire à des fins énergétiques est actuellement en fonction - celle de la famille Friedli, à Zollbrück, entièrement financée par des fonds privés - alors que dans le reste de l'Europe quelques rares installations portées par des fonds publics voient le jour ici et là. Plus récemment, des annonces répétitives de grandes marques de l'automobile laissent entrevoir un développement du dernier maillon de la chaîne, à savoir les voitures roulant à l'hydrogène. Contrôler les risques
Pierre Hollmuller
assistant, CUEPE. |
Lorsqu'on aborde le problème
des énergies renouvelables et plus particulièrement de l'énergie
solaire, le principal discours est que l'apport du solaire dans nos régions
est si faible que sa contribution est presque négligeable en comparaison
de la consommation globale d'énergie. Si l'on s'en tient strictement
aux chiffres, le raisonnement est certainement valable. La consommation
d'énergie étant en constante augmentation et les réserves
limitées, c'est vers les énergies renouvelables que l'on
peut s'orienter. Le rayonnement solaire sera toujours suffisant pour suppléer
à un certain pourcentage de notre consommation, et cette fraction
sera d'autant plus grande que la consommation sera faible. Puisque le gisement
solaire est quelque chose de plus ou moins immuable, c'est sur la consommation
qu'il faut agir, et cela sans diminution de confort, mais par l'utilisation
rationnelle de l'énergie. Cette remarque est vraie quelle que soit
la source d'énergie. En effet, rien ne sert de chauffer une piscine
avec des capteurs sophistiqués ou d'essayer de subvenir à
tous les besoins en eau chaude avec des capteurs de première génération:
il faut adapter l'utilisation de l'énergie solaire à ses
besoins et optimiser l'efficacité de captage-stockage.
Le soleil peut être considéré comme à l'origine de la plupart des énergies renouvelables à notre disposition: énergie éolienne, hydraulique, etc. Mais son attrait principal reste le rayonnement directement utilisable sous forme thermique ou photovoltaïque. En effet, la puissance émise par le soleil est de l'ordre de 3.8 1026 Watts, dont seul 0.00000005% est intercepté par la terre. Compte tenu de la réflexion vers l'espace, de l'absorption et de la diffusion par l'atmosphère terrestre, environ 1000 Watts de puissance par mètre carré sont disponibles par ciel clair à la surface du sol. C'est cette source d'énergie, modulée par les conditions météorologiques et géographiques, qui constitue le gisement solaire. Toute application liée au rayonnement solaire nécessite la connaissance ou l'évaluation de ce gisement, et notre objectif est de répondre par des mesures et des modèles à cette demande. Pour parvenir à des modèles d'évaluation du rayonnement incident, il s'agit en premier lieu d'effectuer une campagne de mesure complète, précise et continue sur une période significative de temps englobant la plupart des variations climatiques et statistiques. De plus, pour être certain de la validité de tels modèles, des mesures effectuées en d'autres sites géographiques seront nécessaires. Les modèles issus de cette recherche sont de deux types: les modèles statistiques qui permettront d'évaluer un rayonnement en un lieu quelconque sur la base de la seule connaissance de la situation géographique, et les modèles dynamiques nécessitant certaines mesures in situ comme données d'entrée pour l'évaluation de paramètres complémentaires. Ces modèles seront ensuite intégrés dans des logiciels d'évaluation du rayonnement solaire. |
Eau chaude et éclairage
Prenons trois exemples concrets: l'installation de capteurs solaires pour l'eau chaude sanitaire sur le toit d'une villa, l'électricité solaire dans une région éloignée du réseau électrique et l'évaluation de l'éclairage à l'intérieur d'une pièce d'habitation. Dans le premier cas, il nous faudra considérer la situation géographique du lieu (latitude, altitude et dégagement de l'horizon), les conditions climatiques particulières de la région (ville, plaine, lac, etc.) ainsi que les contraintes d'installation (orientation et inclinaison du toit, autorisation de construire, etc.). Ces données connues, il sera possible au moyen d'un logiciel d'évaluer la quantité de rayonnement solaire à disposition dans ce cas précis sur une base annuelle, mensuelle ou horaire; il sera donc possible de faire une estimation relativement précise des paramètres de l'installation ainsi que de la quantité d'énergie qu'elle sera capable de fournir. Dans le deuxième cas, il ne s'agit pas seulement de raisonner sur les conditions d'utilisation de l'énergie solaire dans nos régions, mais bien d'y réfléchir à une plus grande échelle géographique. En effet, cette utilisation est généralement nécessaire dans des régions où des mesures systématiques du rayonnement solaire ne sont pas disponibles. Nous utiliserons donc une méthode d'évaluation basée sur les images de satellites. Dans le cas de l'Europe, le satellite météorologique Météosat génère une image chaque demi-heure et sa résolution spatiale est de l'ordre de 5 à 10 kilomètres. Les modèles que nous utiliserons seront donc capables d'évaluer le rayonnement solaire sur la base d'une photo prise à 36'000 km d'altitude. L'avantage de cette méthode est de couvrir la majorité du territoire et donc d'avoir accès à des valeurs de rayonnement quelle que soit la situation géographique. Son inconvénient est évidemment d'être un peu moins précise. Le troisième cas fait appel à des techniques plus sophistiquées. En effet, si l'on veut pouvoir estimer la pénétration de la lumière naturelle à l'intérieur d'un bâtiment, il est nécessaire de connaître la répartition de la luminosité dans l'angle de vision de l'ouverture vers l'extérieur. Dans ce cas, il est préférable d'avoir quelques mesures de base de rayonnement de façon à augmenter la précision de l'évaluation. Les modèles nous permettront cette fois d'évaluer la distribution de la luminosité extérieure, puis de calculer l'effet de la lumière naturelle qui pénètre à l'intérieur. Cette connaissance permettra d'équilibrer la lumière artificielle et naturelle afin d'optimiser le confort et la consommation d'énergie. La connaissance des ressources en rayonnement solaire représente la base de tout dimensionnement d'installation solaire ou d'éclairage naturel. Malheureusement, la plupart du temps, ces informations manquent et leur évaluation au moyen de modèles représente la seule solution. Les modèles que nous développons sont basés sur des mesures complètes et précises et validés au moyen de données extérieures; ils sont intégrés à des logiciels de calculs et disponibles sur le marché ou sur le réseau Internet. Pierre Ineichen
Maître d'enseignement et de recherche
Groupe de physique appliquée. |
Prolets actuels:
- production de données de rayonnement et d'éclairage
à partir des photos Météosat;
- modélisation du rayonnement UVb;
- évaluation de l'épaisseur optique des aérosols
sur la base du rayonnement panchromatique direct ou diffus.
LE SECTEUR DE L'ELECTRICITE N 'ECHAPPE PAS A LA GLOBALISATION
ET A LA LIBERALISATION DE L'ECONOMIE. L'ORGANISATION DE L'EXPLOITATION
HYDROÉLEC-TRIQUE ET L'AVENIR MEME DE CETTE SOURCE D'ENERGIE SONT
REMIS EN QUESTION. LES CONSÉ-QUENCES POUR LA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE,
LES SOCIÉTÉS ÉLEC-TRIQUES ET LES COLLECTIVITÉS
PUBLIQUES, NOTAMMENT DANS LES RÉGIONS DE MONTAGNE, PEUVENT ÊTRE
TRÈS IMPORTANTES: LES CENTRALES HYDROÉLECTRIQUES FOURNISSENT
ENVIRON 60% DE LA PRODUCTION D'ÉLECTRICITÉ EN SUISSE, QUI
EST EN MOYENNE ANNUELLE D'ENVIRON 52TWH.
65% de la production hydroélectrique
provient des barrages situés dans les Alpes. Ces aménagements
permettent de stocker l'eau pendant la fonte des neiges en été,
lorsque la consommation d'électricité est relativement faible,
et de la turbiner en hiver, lorsque la consommation est plus élevée.
Ils permettent aussi de moduler la production d'électricité
en fonction des fluctuations de la consommation, qui varie de manière
très sensible tout au long de la journée. Les aménagements
hydroélectriques situés dans les Alpes jouent donc un rôle
fondamental dans la couverture des besoins énergétiques de
tout le pays, ainsi que dans les échanges avec l'étranger.
La Suisse est en effet en mesure d'alimenter le réseau interconnecté
européen pendant les heures de pointe et les heures pleines; en
échange, elle effectue des prélèvements pendant les
heures creuses, notamment pendant la nuit.
Un marché fermé à la concurrence
|
Le système en question a permis aux ressources
hydroélectriques de jouer une part très importante dans l'approvisionnement
énergétique de la Suisse. En effet, les entreprises électriques
ont pu effectuer des investissements qui les engageaient pour de longues
périodes, avec d'excellentes garanties juridiques (les concessions
d'eau) et dans un cadre économique qui leur permettait, dans une
certaine mesure, de faire payer aux consommateurs le prix d'éventuelles
pertes. Les cantons de montagne ont bénéficié des
redevances d'eau, que les sociétés électriques doivent
payer en contrepartie de l'utilisation des ressources hydrauliques. Le
montant maximum de la redevance est fixé par la loi fédérale
et relève de la compétence du Parlement. C'est le résultat
d'un compromis entre cantons de montagne, cantons de plaine et Sociétés
électriques, qui toutefois n'a pas manqué de produire des
mécontentements chez les uns ou les autres. L'«allocation
des ressources» a été négativement affectée,
car les prix ne reflètent que partiellement les coûts de production
et de transport.
Les effets de la libéralisation
Franco Romerio
collaborateur scientifique du CUEPE*. |
* Ses projets de recherche en cours portent sur la libéralisation
du marché de l'électricité en Suisse, et l'estimation
et la gestion des risques des radiations ionisantes (énergie nucléaire).
Enseigne l'économie politique en SES et à la Faculté
des sciences dans le cadre du diplôme en sciences de l'environnement
et du certificat de maîtrise en analyse et gestion des risques géologiques.
Tant en Suisse que dans la plupart des
pays industrialisés, la politique environnementale se basait dans
le passé essentiellement sur des normes techniques et des réglementations.
Actuellement les mesures incitatives, en particulier les taxes écologiques,
occupent une large place dans le débat sur la politique de l'environnement.
Ainsi, au niveau fédéral, les deux initiatives qui ont abouti
en 1995 - l'initiative solaire (qui prévoit une taxe incitative
sur les énergies non renouvelables et dont le produit est destiné
à encourager l'énergie solaire) et l'initiative énergie
et environnement (qui prévoit une imposition des énergies
non renouvelables et de l'électricité produite dans les grandes
centrales hydrauliques afin d'encourager les économies d'énergie
et de freiner le gaspillage) - vont être prochainement inscrites
au calendrier des votations. Ensuite ce sera le tour de l'initiative «pour
garantir l'AVS - taxer l'énergie et non le travail» dé-posée
en 1996 par le parti écologiste suisse. Finalement, la commission
de l'économie et des redevances du Conseil national a adopté
en novembre 1997 une motion demandant au Conseil fédéral
d'élaborer d'ici à l'an 2001 un projet de réforme
fiscale écologique.
Inciter plutôt que réglementer
|
La Suisse fera-t-elle cavalier seul?
L'effet de serre est dû en grande partie aux émissions de CO2 qui proviennent d'une consommation excessive de carburants et de combustibles fossiles. Les efforts pour le combattre devraient donc être entrepris à l'échelle planétaire. Malheureusement, la coordination des mesures au niveau international s'avère très ardue car aucun pays ne veut s'engager sans que les autres le fassent. Ce problème se pose également au sein de l'Union européenne, qui a finalement renoncé à l'introduction obligatoire d'une taxe sur le CO2 au niveau des pays membres. Dans un tel contexte, il s'agit donc de savoir si la Suisse a intérêt à faire cavalier seul. Ceux qui préconisent l'introduction unilatérale d'une taxe sur le CO2 en Suisse considèrent qu'en augmentant le prix de l'énergie, elle incite àdes mesures de rationalisation et au développement de nouvelles technologies. Lors de l'introduction future d'une telle taxe par la communauté internationale, la Suisse aurait déjà réalisé les adaptations nécessaires et pourrait tirer bénéfice de cette avance. Cependant, lors d'une première procédure de consultation lancée par le Conseil fédéral en 1994, plusieurs milieux ont manifesté leur opposition. Les organisations patronales demandaient notamment que - pour préserver la compétitivité des entreprises grandes consommatrices d'énergie fossile - la Suisse n'introduise pas de taxe sur le CO2 avant que ses principaux partenaires commerciaux ne prennent des mesures analogues. En réponse à cette exigence, le projet initial du Conseil fédéral prévoyait de réduire la charge de la taxe pour les entreprises des branches concernées. Cette proposition d'exonération partielle n'a cependant pas réussi à satisfaire les milieux patronaux. Dans son projet révisé de la loi sur le CO2, publié en mars 1997, le Conseil fédéral propose d'accorder une exemption de la taxe à des groupes d'entreprises qui prennent l'engagement de limiter volontairement leurs émissions de dioxyde de carbone. De plus, selon ce projet, la taxe sur le CO2 n'entrera pas en vigueur avant l'an 2004 et elle ne sera alors introduite que s'il est prévisible que l'objectif - une réduction des émissions de 10% entre 1990 et 2010 - ne sera pas atteint par d'autres moyens. On peut alors se demander si le projet original de taxe sur le CO2 garde encore ses vertus thérapeutiques après tant de dilutions successives. En effet, les mesures volontaires de réduction des émissions qui permettraient à certaines entreprises, et surtout à celles consommant beaucoup d'énergie fossile, d'échapper à cette taxe s'apparentent plutôt à l'approche réglementaire traditionnelle et risquent de compromettre son efficacité économique. De plus, l'idée que des mesures volontaires d'économies d'énergie pourraient aboutir au même résultat qu'une taxe est séduisante mais tient plus de la méthode Coué que d'un raisonnement économique. En effet, comme le prix de l'énergie influence la rentabilité des mesures d'économies d'énergie, les entreprises tiennent compte de ce prix dans leurs choix d'investissement (voir encadré ci-dessous). Puisqu'une taxe sur le CO2 renchérit l'énergie fossile, elle incite àchoisir une technologie de production plus efficiente du point de vue énergétique que celle qui serait adoptée dans le cas de mesures volontaires. |
Encadré
Comment fonctionnent les taxes environnementales?
En prenant comme exemple une taxe sur l'énergie non renouvelable,
on peut décomposer son effet sur le comportement d'une entreprise
de la manière suivante:
- A court terme, l'entreprise utilisera moins intensément les équipements gourmands en énergie non renouvelable et renforcera ses efforts visant a éviter les gaspillages d'énergie. - A moyen terme, l'entreprise investira dans des équipements utilisant moins d'énergie non renouvelable. Il faut souligner ici que le choix de l'efficacité énergétique d'une machine dépend du prix de l'énergie. En effet, certaines mesures d'économies d'énergie ne sont rentables que si le prix de l'énergie est élevé, car la réduction de la facture énergétique qui en résulte est alors plus substantielle. - A long terme, une taxe sur l'énergie non renouvelable stimule la recherche et le développement de techniques utilisant de manière plus efficace les énergies renouvelables. Les taxes affectent aussi les ménages Dans le cas de la taxe sur le CO2 en Suisse, l'opposition vient surtout des milieux patronaux de certaines branches qui craignent l'effet de la taxe sur leurs bénéfices. Mais les taxes écologiques n'affectent pas seulement les profits des entreprises mais aussi la distribution des revenus des ménages; et cet effet est souvent plus prononcé que dans le cas de l'approche réglementaire. Par conséquent, certains s'opposent aux taxes écologiques en argumentant qu'elles touchent particulièrement les ménages à faible revenu. C'est le cas par exemple d'une taxe sur l'énergie, car les dépenses énergétiques représentent en général une part plus grande dans le budget d'un ménage à faible revenu que dans celui d'un ménage aisé. Cette objection ne vaut toutefois que pour le prélèvement de la taxe et si l'on veut apprécier le fardeau pour les ménages, il faut également évaluer l'impact de la redistribution des recettes de la taxe. En effet, lorsque chaque habitant reçoit une part identique de ces recettes (redistribution forfaitaire), il a été montré qu'une taxe sur le CO2 ne rend pas la distribution des revenus plus inégalitaire. Faut-il donc être pessimiste et conclure que le remède miracle des économistes ne sera jamais appliqué de manière appropriée en raison de ses effets secondaires sur la distribution des revenus? Il est vrai que tous les projets de taxes incitatives ne sont pas la panacée pour répondre à la fois aux défis de la politique environnementale et aux problèmes soulevés par leur acceptabilité. Toutefois, ces instruments auront leur place dans la politique environnementale du futur - mais d'autres instruments doivent également être développés, notamment pour mieux tenir compte des effets de redistribution des revenus, permettant ainsi de poser les jalons d'une véritable réforme fiscale écologique. Le débat à ce sujet ne doit donc certainement pas s'arrêter à la discussion de la loi sur la réduction des émissions de CO2. Ce projet finit par ressembler à un placebo qui serait administré à une personne malade en espérant que les bactéries - impressionnées par la couleur verte de la pilule - veuillent bien prendre des mesures volontaires pour réduire leurs effets néfastes. Myriam Garbely
maitre d'enseignement et de recherche
Tobias Muller
économiste au Département d'économétrie.
Ses projets de recherche en cours concernent la taxation écologique
des équipements et les aspects économiques des migrations. |
Sémiotique et esthétique de l'énergie électrique
Les centrales électriques, les
barrages, les conduites forcées ou les pylônes sont les témoins
privilégiés d'un certain nombre de concepts fondamentaux
qui ont marqué l'histoire de la culture industrielle. Les sites,
les plans et l'architecture de ces constructions demandent, d'un point
de vue sémiotique, à être lus: ils «racontent»
en effet l'histoire d'une intervention humaine dans la nature aux mul-tiples
implications. Il existe un impact non négligeable de l'énergie
électrique sur le paysage, impact qui doit faire l'objet d'une étude
approfondie. Cette analyse sémiotique et esthétique doit
s'orienter vers l'élaboration d'une théorie philosophique
de l'énergie électrique, tout en tenant compte des considérations
techniques nécessaires. L'approche sémiotico-esthétique
conçoit les constructions électriques comme un ensemble de
signes.
L'observation de ces objets significatifs est tout d'abord tournée vers le passé: elle inventorie les différents éléments, élabore des typologies, propose des interprétations, opère des comparaisons, etc. Elle doit toutefois également faire face aux problèmes actuels et futurs d'une présence importante des constructions électriques dans notre environnement. Quel aspect faudra-t-il en effet donner aux centrales électriques de demain? Proposera-t-on de les masquer, de leur conférer une réalité purement souterraine (une tendance manifeste dans ( la conception des centrales hydroélectriques de l'après-guerre) ou bien s'agira-t-il, au contraire, de mieux les exposer (comme dans la période glorieuse de l'électrification des années vingt) aussi bien dans le paysage urbain qu'à l'intérieur d'une nature de moins en moins vierge? Et si l'on choisissait de les montrer, quelle forme leur donner alors? |
Faudra-t-il «traduire», extérioriser la technique
pour aboutir à une "Neue Sachlichkeit", à une sémantique
architecturale réaliste et froide? Devrions-nous «régionaliser»
davantage les édifices électriques en prônant l'utilisation
exclusive de matériaux locaux? Ou imposer plutôt leur transformation
en véritables oeuvres d'art intégrant librement tous les
moyens disponibles?
Transformer l'environnement
Michael Jakob
chargé de cours à l'Institut d'architecture de l'Universite de Genève |
L'interdisciplinarité au service de la Cité
S'il est vrai que l'interdisciplinarité
se justifie parfois pour des raisons de pure recherche fondamentale, elle
s'impose le plus souvent dans le cadre de la Cité, car les problèmes
posés par celle-ci sont presque toujours complexes et touchent ainsi
de nombreux domaines scientifiques: les sciences naturelles et techniques,
les sciences humaines et sociales, ainsi que la médecine. Pour y
répondre de manière efficace, il est important de mettre
en place des structures stables, qui ménagent des espaces institutionnels
et financiers adéquats.
C'est dans cet esprit que, par l'entremise de son Association des professeurs (APUG), l'Université a organisé en 1976 un colloque interfa-cultaire sur le thème de l'énergie. On était alors sous l'effet du premier choc pétrolier, et la question dominante était celle de l'approvisionnement énergétique. N'allait-on pas bientôt manquer de sources d'énergie? Fallait-il recourir massivement à l'énergie nucléaire, ce qui était le thème central de la discussion à cette époque? Y avait-il d'autres solutions, et lesquelles? Sans ce prononcer définitivement sur cette question difficile, l'APUG s'intéressa très vite, à la suite notamment des travaux de Lovins et de Rosenfeld aux Etats-Unis, au potentiel des économies d'énergie et des énergies renouvelables. Aujourd'hui, les préoccupations sur les ressources énergétiques se sont estompées, et on se soucie davantage des effets environnementaux de la consommation d'énergie, notamment l'effet de serre. Mais les économies d'énergie et les énergies renouvelables ont gardé, dans cette nouvelle problématique, une position clef pour l'avenir. Activité de services et modélisation
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L'énergie solaire au service des bâtiments
En parallèle à l'essor de ce premier thème de recherche interdisciplinaire, le CUEPE posait les jalons d'un deuxième domaine de recherche qui allait susciter une collaboration interdisciplinaire, impliquant, cette fois, les architectes et les physiciens. Associé très tôt aux activités du CUEPE, le professeur Guisan développa des mesures de l'ensoleillement à Genève et l'étude des technologies permettant de tirer profit de ce gisement énergétique dans le domaine bâti, d'abord au sein du Groupe de physique appliquée, puis par la mise en place d'un groupe de chercheurs en systèmes énergétiques dans le cadre du CUEPE. Tout au long de la dernière décennie, ces recherches se sont multipliées en dotant le CUEPE d'une compétence technique et pratique de haut niveau en matière de systèmes énergétiques pour les bâtiments, comme les capteurs solaires thermiques ou photovoltaïques, le stockage saisonnier de l'énergie solaire, l'architecture solaire ou encore le rafraîchissement passif des immeubles. Cette accumulation d'expérience a été réalisée grâce aux talents d'animateur d'équipes déployés par le professeur Guisan jusqu'à sa récente retraite. Elle fait désormais partie des acquis durables du CUEPE et elle compte parmi ses marques de visibilité. Constamment sollicité par des demandes pressantes d'études appliquées au service de la Cité, le CUEPE n'a développé que lentement des activités d'enseignement postgrade et de formation continue. Mis en place dès la création du CUEPE, le séminaire de recherche consacré à des sujets pluridisciplinaires d'intérêt pour les chercheurs et les praticiens du secteur énergétique a été étoffé, dès 1989, par une «Journée» thématique annuelle dont le succès de participation n'a cessé de s'amplifier. Depuis cette année académique, un autre progrès significatif a été réalisé par l'organisation d'un ensemble cohérent de sujets de séminaires et de journées annuelles couvrant la problématique de l'approvisionnement énergétique au siècle prochain et de ses conséquences environnementales et sociales. Ce recentrage de l'activité d'enseignement et de formation du CUEPE autour d'un thème fédérateur a permis d'offrir, à ressources constantes, un cycle de formation biennal sur le thème «Quels systèmes énergétiques pour le XXIe siècle?» apprécié par un public nombreux de professionnels, d'enseignants, de chercheurs et d'étudiants. Né au lendemain du premier choc pétrolier, le CUEPE s'est, dès le début, attaché à développer un regard multidisciplinaire critique sur le problème de l'approvisionnement énergétique de nos sociétés, avec en point de mire la collaboration inter-disciplinaire entre scientifiques des sciences de la nature et de la technique, d'une part, et sciences de l'homme et de la société, d'autre part. Avec un recul de deux décennies, on constate que le CUEPE a su progresser dans la voie de la recherche interdisciplinaire au service de la collectivité. En adoptant une approche pragmatique des problèmes et avec un souci constant d'être proche des bénéficiaires de la recherche, il a également contribué à jeter des passerelles entre le monde académique et celui de la pratique. Fabrizio Carlevaro
directeur, et
Bernard Giovannini
ancien directeur et fondateur du CUEPE. |
(2) On trouve une description succincte des recherches en cours dans le dernier rapport d'activité du CUEPE, que l'on peut se procurer auprès de son secrétariat.