Les techniques existent. Et les industriels
affûtent leurs armes pour se disputer un marché colossal,
estimé à 50 milliards de dollars sur dix ans.
Face à un problème majeur comme le
manque d'eau, rien ne vaut les idées simples. Comme celle qui consiste
à dessaler la mer. Scénario de science-fiction ? «Pas
du tout, rappelle Manuel Schiffler, expert à la Banque mondiale.
Le principe est même ancien. Quinze mille sites industriels de dessalement
sont déjà opérationnels à travers le monde,
avec des capacités répondant aux besoins de 160 millions
de personnes, à raison de 200 litres par jour et par habitant.»
Et les enjeux du secteur font rêver. 2,4 milliards d'individus vivent
près de ces mers. Et avec des réserves en eau de la planète
constituées à 97,5% d'eau de mer (contre 2,5% d'eau douce),
dessaler paraît aussi magique que produire de l'or avec du vent.
Le hic, c'est que le procédé consomme
une énergie considérable, entre 3 et 15 kWh/m3 d'eau pour
les usines les plus anciennes. Pour se faire une idée, 12 kWh sont
nécessaires pour monter un mètre cube au sommet du mont Blanc...
Seuls les pays riches ou ceux du Moyen-Orient, où se concentrent
les deux tiers des sites de dessalement, peuvent donc envisager sans frémir
les installations les plus gourmandes en énergie.
L'industrie nucléaire en embuscade
Pour les autres, le problème du dessalement
est d'abord technique. Deux procédés se partagent à
égalité le marché : celui de la distillation, le plus
ancien, qui rappelle notre premier cours de chimie - on chauffe l'eau,
qui s'évapore et se libère ainsi du sel ; celui des membranes
- dit aussi d'«osmose inversée» -, où l'eau salée,
projetée par des pompes à haute pression, est épurée
à travers des systèmes de filtres successifs. Chaque option
a ses inconvénients. Côté distillation, le coût
de la chauffe est parfois prohibitif. Du côté des filtres,
ces sacrées membranes ont tendance à laisser champignons,
moisissures, algues et autres joyeusetés se développer sournoisement.
Dans les deux cas, quand le système fonctionne, l'ironie veut que
l'eau à l'arrivée soit si pure qu'il faut en quelque sorte
la «salir» en lui surajoutant, en fin de cycle, des sels minéraux
comme le calcium ou le magnésium. |
D'autres technologies sont en cours de développement.
«Nous travaillons sur l'utilisation de réacteurs nucléaires
de 600 mégawatts - idéale pour des pays comme le Maroc ou
la Tunisie par exemple - capables d'apporter conjointement énergie
et dessalement», souligne Franck Carré, directeur du programme
Systèmes nucléaires du futur à la Direction de l'énergie
atomique. Au Japon, des centrales utilisent déjà ce procédé
avec succès. Au CNRS de Nancy, Viviane Renaudin a inventé
une méthode de distillation récupérant la chaleur
par systèmes d'échangeurs à plaques. Le principe sera
prochainement testé grandeur nature dans une usine à Aspesia,
en Italie.
La plus grande usine du monde en Israël
Firmes canadiennes, américaines, japonaises,
allemandes et françaises se disputent ce nouvel eldorado. «C'est
un marché qui croît très vite, de l'ordre de 10% par
an, avec un montant global attendu de 50 milliards de dollars sur dix ans»,
souligne Bruce Durham, responsable du projet Ressources alternatives au
sein de Veolia Water. La compagnie dirigée par Henri Proglio a développé
environ 800 sites dans le monde, produisant ainsi 3 millions de mètres
cubes, moitié par procédé à membranes, moitié
par distillation. A Ashkelon, au sud de Tel-Aviv, Veolia Water a ainsi
conçu la plus grande usine de dessalement du monde (plus de 100
millions de mètres cubes), qui devrait produire 10% de l'ensemble
de la consommation israélienne par osmose inversée. Un autre
projet pharaonique est en cours de développement à Abu Dhabi.
«Le dessalement dépasse le seul cadre
de l'eau de mer, rappelle Bruce Durham. Un tiers de notre production concerne
des eaux salées qui proviennent soit de rivières, soit de
nappes phréatiques salinées.» Ainsi le plus grand projet
en Europe d'usine de dessalement concerne-t-il... Londres et les eaux de
la Tamise au moment où elles se jettent dans la mer. En Belgique,
qui connaît une pénurie inquiétante d'eau, d'autres
projets de dessalement sont en cours de développement. Parfois,
cette technique peut apporter une aide ponctuelle : à Rogliano,
village corse saturé pendant la période estivale et menacé
de pénurie en 2002, on fit ainsi appel à une unité
mobile de dessalement par osmose inversée. Les touristes buvaient
de l'eau de mer épurée et reminéralisée...
Un autre élément se veut rassurant
: le coût de production en eau, malgré une pénurie
croissante, a baissé d'un facteur 27 en vingt ans. «Entre
l'utilisation des surcapacités des centrales électriques
pour dessaler les eaux, la création de nappes phréatiques
artificielles, la gestion de l'évaporation et le retraitement des
eaux usées, il y a dans l'avenir de formidables possibilités
d'action», souligne Bruce Durham. Mais comme chacun sait, l'optimiste
considère que le verre est toujours à moitié plein... |