Les enjeux du désarmement nucléaire pour la France
- Pascal BONIFACE
Puissance nucléaire moyenne ayant dû lutter contre son
allié et protecteur américain pour accéder à
ce statut, la France entretient nécessairement des relations complexes
avec le désarmement nucléaire. Ses traditions historiques
et ses intérêts de sécurité la conduisent à
soutenir ce processus, mais elle doit également ne pas mettre en
péril sa force de dissuasion. Longtemps tributaire de ces exigences,
la France adopte, avec la fin de la guerre froide, une approche plus offensive
à l'égard du désarmement nucléaire, laquelle
n'est cependant pas exempte de toute ambiguïté.
Les étapes du désarmement nucléaire - Michel
ROCARD
Faut-il ou non éliminer les armes nucléaires? Pour Michel
Rocard, le désarmement nucléaire est nécessaire et
possible, à condition qu'il s'inscrive dans un processus à
long terme ponctué, de façon continue, par différentes
étapes-butoir, au niveau desquelles se négocieraient de nouveaux
équilibres de sécurité. L'engagement d'un tel processus
s'explique par la nécessité d'accroître les pressions
sur les Etats du seuil ou s'y approchant, de tarir les trafics et la production
des matières nécessaires à la fabrication d'une arme
nucléaire, et enfin de légitimer un processus de contrôle
général incluant tous les Etats afin d'éviter que
s'installe un dialogue/contrôle bilatéral américano-russe.
Dissuasion et désarmement nucléaires: compatibilité
et complémentarité - Xavier DE VILLEPIN
Le climat international tendant à la délégitimation
du nucléaire va de pair avec l'accélération du processus
de désarmement nucléaire et le renforcement de la lutte contre
la proliférauon nucléaire. Il ne saurait toutefois dissimuler
que le concept français de dissuasion de stricte suflisance, qui
reste le coeur de notre défense, garde da pertinence et tend paradoxalement
à se renforcer, voire à se généraliser. Quant
au désarmement nucléaire, processus long et complexe, il
ne saurait, selon toute vraisemblance, déboucher sur une élimination
totale des armes nucléaires. Dès lors, si la France apporte
une active contribution au processus de désarmement nucléaire
et - bien sûr - de lutte contre la prolifération, sa participation
directe à de futures négociations multilatérales de
désarmement ne peut pour l'heure qu'apparaitre lointaine, sinon
hypothétique. C'est dans ce contexte que doivent être impérativement
assurées les conditions de la pérennité de la dissuasion
nucléaire française, y compris sur le plan financier.
La politique française de dissuasion et les perspectives de
désarmement nucléaire - Jack LANG
La place et le rôle du nucléaire au sein des politiques
de défense sont, depuis la fin de la Guerre froide, remis en question
par les évolutions politiques, stratégiques et technologiques.
Les variantes susceptibles d'influer sur les choix doctrinaux sont aujourd'hui
plus nombreuses. Il faudra tenir compte, tout particulièrement,
des risques liés à la prolifération des armes de destruction
massive, et inversement des nouvelles exigences concernant le désarmement
nucléaire et le renforcement des régimes de non-prolifération.
Quelle est la politique de la France, et sa marge de manoeuvre en la matière?
Peut-elle poursuivre sur la voie du désarmement nucléaire
sans remeure en cause la crédibilité de sa politique de dissuasion,
qui s'appuie sur une posture minimale?
L'énigme du désarmement nucléaire - Pierre LELLOUCHE
Si l'ère atomique ne semble être qu'une simple étape
politique de notre histoire, le monde occidental entrant dans une prospective
de guerre intelligente post-nucléaire, le développement de
la prolifération des armes de destruction massive au Sud, la résurgence
de nouveaux risques nucléaires à l'Est liés à
la gestion de l'héritage nucléaire soviétique, et
la persistance d'armes et de schémas de pensée datant de
la période de la Guerre froide expliquent ou rendent nécessaire
le maintien d'une veille technologique, via une dissuasion nucléaire
minimale.
De la nécessité du désarmement nucléaire
- Jean-Claude SANDRIER
Si nous voulons lutter efficacement contre le problème de la
prolifération nucléaire et, en même temps, engager
un véritable processus de désarmement général
et total - qui est humainement, économiquement et politiquement
nécessaire -, il faut cesser d'attribuer à l'arme nucléaire
des qualités politiques et militaires qui n'ont plus lieu d'être.
Tel est, en substance, le message de J.-C. Sandrier, pour qui le désarmement
nucléaire total suppose le respect de trois conditions: une volonté
politique d'abord, appuyée sur une vraie politique de prévention
et de sécurité; de la loyauté ensuite, par un engagement
clair et ferme en faveur du désarmement; et enfin, la nécessité
de fixer des étapes lisibles, contrôlables, avec une date-butoir
négociée. Sans renoncer brutalement à sa force de
dissuasion, la France doit faire du désarmement nucléaire
l'oblet principal de sa diplomatie si elle veut continuer à compter
parmi les grandes nations de ce monde.
Pour une nouvelle approche de la problémalique nucléaire-
Georges CHARPAK
Bien que se présentant en tant que non-spécialiste des
questions nucléaires, la participation de Georges Charpak au débat
sur la possibilité et l'opportunité d'éliminer les
armes nucléaires a le mérite de nous éclairer sur
les contraintes techniques qui influent sur les choix politiques en matière
de dissuasion nucléaire. Pour l'auteur, la réduction des
armes nucléaires, voire leur suppression, si elle est souhaitable
et doit être poursuivie par les grandes puissances nucléaires,
doit néanmoins s'opérer dans la transparence et prendre en
compte les intérêts légitimes des Etats qui veulent
se doter d'une capacité nucléaire.
Les aspects techniques du désarmement nucléaire - Jacques
BOUCHARD
Au-delà des armes nucléaires elles-mêmes, l'arrêt
puis le démantèlement des installations de production des
matières fissiles constituent une opération de grande ampleur,
eu égard à la taille considérable des installations
et à la nécessité de garantir en permanence la sécurité
radiologique; elle concerne les usines d'enrichissement de l'uranium, les
réacteurs de production du plutonium et les usines de retraitement
permettant d'extraire le plutonium de qualité militaire des combustibles
irradiés.
La France et le désarmemenl nucléaire - François
HEISBOURG
Le monde serait-il en voie de dénucléarisation? C'est
du moins ce que laisse supposer, a priori, la multiplication des ZLAN (zones
libres d'armes nucléaires), la quasi-universalisation et prorogation
du TNP, ainsi que les mesures de désarmement unilatérales,
bilatérales et multilatérales qui ont été engagées
depuis 1989. Une fois ce constat établi, on peut deviner les grandes
tendances qui vont se dégager et caractériser les arsenaux
nucléaires et le désarmement nucléaire: d'un côté,
la mise en oeuvre de forces nucléaires modestes, qui à terme
pourraient évoluer vers la constitution d'arsenaux virtuels; de
l'autre, une recrudescence des risques de prolifération des armes
de destruction massive, tendance qui viendrait atténuer, voire annuler
la première. Dans ce cadre, quelle stratégie, quelles mesures
concrètes ou initiatives la France peut-elle adopter et proposer?
Faut-il éliminer les armes nucléaires ? Georges Le
Guelte
Un conflit nucléaire et conventionnel en Europe a pu être
évité grâce, d'une part, à la présence
d'armes nucléaires, qui sont devenues des instruments au service
de la dissuasion et, d'autre part, en raison du succès de la politique
de non-prolifération. A la lumière des événements
intervenus dans le monde depuis la chute du mur de Berlin, l'auteur s'interroge
sur ce que devraient être les priorités actuelles de la dissuasion
nucléaire, au regard de la prolifération et des politiques
de non-prolifération, et sur les moyens de concilier les choix politiques
et les contraintes techniques. Si l'élimination des armes nucléaires
s'inscrit dans la logique de l'après-Guerre froide, celle-ci doit
être partielle et menée de façon graduelle.
Les paradoxes du désarmement- Thérèse DELPECH
Depuis deux ans, l'évolution des relations internationales ainsi
que différentes prises de position sur le désarmement nucléaire
ont donné à ce sujet une actualité nouvelle. Certes,
le thème est plus chaudement débattu aux Etats-Unis qu'en
Europe, mais le débat actuel sur le désarmement est loin
de se limiter à la fin de l'affrontement entre l'Est et l'Ouest.
Ainsi, la Chine devient un élément de l'équation beaucoup
plus significatif que ce n'était le cas tout au long de la Guerre
froide, et le débat a aussi des dimensions régionales de
plus en plus importantes, qu'il s'agisse du Moyen-Orient, du sous-continent
indien ou de l'Extrême-Orient. A ces nouvelles données s'ajoute
un certain nombre de paradoxes liés au désarmement et qui
font de l'ensemble de la question un thème d'une appréhension
difficile.
Le débat international autour de l'élimination des
armes nucéaires - Rebecca JOHNSON
La fin de la Guerre froide a accru la pression en faveur de l'élimination
complète des armes nucléaires, la question de leur licéité
étant même devenue une dimension nouvelle du débat
sur la dissuasion. Reste à savoir si un monde débarrassé
de l'arme nucléaire est, d'une part, désirable et, d'autre
part, faisable. A ces questions, diverses réponses sont données,
selon les clivages idéologiques et politiques qui tournent autour
du concept de la dissuasion nucléaire. Dans cet article, l'auteur
envisage les conditions sous lesquelles le désarmement nucléaire
pourrait advenir. Comment éliminer définitivement les armes
nucléaires? Selon quel processus? Doit-on adopter une approche flexible,
où toute évolution serait soumise au gré des changements
des conditions de sécurité? Ou au contraire faut-il engager
un processus visant la suppression pure et simple de l'arme nucléaire
à partir d'échéanciers stricts, définis à
l'avance?
Le débat sur les armes nucléaires américaines:
le consensus ébranlé - Cathleen S. FISHER
Les changements survenus avec la fin de la Guerre froide ainsi que
les doutes qui accompagnent la perspective d'une prolifération accrue
ont remis en cause la conviction américaine concernant le rôle
politique et militaire de son arsenal nucléaire. Les points de vue
concernant les coûts et les avantages aussi bien du maintien du nucléaire
que des solutions nouvelles le remettant en cause, sont très partagés.
D'une part, il y a ceux qui continuent à croire que le nucléaire
constitue toujours la réponse à grand nombre de nos problèmes.
D'autre part, il y a ceux qui trouvent que les risques que sous-tend le
recours à la dissuasion nucléaire sont de plus en plus importants
par rapport aux avantages que celui-ci apporte en matière de défense
nationale, et qu'il convient donc d'éliminer les armes nucléaires
afin de faire face aux risques qu'une prolifération accrue généralisée
pourrait faire courir aux vies et aux intérêts américains.
L'Europe, l'Allemagne et le débat sur le désarmement
nucléaire - Harald MÜLLER
Le désarmement nucléaire a été mis à
l'ordre du jour du débat international sur la sécurité,
la maîtrise des armements et les armes nucléaires. Plusieurs
changements expliquent le renouveau d'un intérêt pour «l'abolition
du nucléaire». La fin de la Guerre froide a sensiblement bouleversé
les données de la sécurité internationale, et a mis
à mal l'une des raisons d'être de la doctrine nucléaire
de l'OTAN, à savoir la nécessité d'affronter un ennemi
disposant de forces conventionnelles supérieures. Les questions
de prolifération de matériels nucléaires sont de plus
en plus évoquées, et il existe une école de pensée
qui maintient que l'on pourrait mieux appréhender le problème
de la prolifération si de sérieuses tentatives de désarmement
nucléaire se faisaient sentir. Aux Etats-Unis, un vif débat
a mis en valeur la préférence de la majorité des leaders
politiques et militaires, pour des réductions drastiques des arsenaux,
et même l'abolition totale, plutôt que le maintien du statu
quo; leur motivation n'est pas issue d'un certain idéalisme, mais
plutôt axée sur une analyse sobre des nouvelles données
de la sécurité internationale. Cet article examine la position
des gouvernements européens face à ce problème, en
particulier celle du gouvernement allemand.
La position de la Chine sur le désarmement nucléaire
- Cai FANGBO
Aborder la question nucléaire du point de vue du désarmement
et du contrôle des armements est, depuis le début des années
1960, une constante de la politique chinoise. Dès 1964, la Chine
s'est engagée solennellement à ne pas être la première
à utiliser l'arme nucléaire ou menacer de l'utiliser contre
les Etats qui en sont dépourvus ainsi que les zones dénucléarisées.
Conformément à sa tradition, l'actuel gouvernement chinois
saisit l'occasion de la signature du CTBT sur l'interdiction totale des
essais nucléaires pour se faire une nouvelle fois l'apôtre
d'un désarmement global et général, prenant en compte
les droits et les besoins légitimes d'utilisation pacifique de l'énergie
nucléaire des pays en voie de développement.
Position chinoise on matière de désarmement: permanences
et évolution - Constance LORENTZ
Alors que les questions touchant au désarmement ont connu des
phases très différentes, la position chinoise sur le sujet
a conservé pratiquement intact l'esprit qui prévalait jusqu'aux
premières années d'existence de l'ONU: l'aspiration à
un désarmement à la fois global et complet. Tout en s'adaptant
à l'évolution qu'a connu le désarmement, la République
populaire de Chine s'est en effet peu à peu adaptée à
la donne internationale en intervenant à son tour dans les enceintes
internationales. Mais les déclarations de bonne volonté chinoise
et la ratification de nombreux accords ne lèvent cependant pas l'ensemble
des ambiguïtés qui caractérisent la politique chinoise
en matière de défense. Bien que prônant un désarmement
total, la sauvegarde de la paix, de la sécurité et de la
stabilité du monde, la Chine continue en effet de soutenir «l'édification
de la modernisation socialiste» et poursuit pour ce faire, comme
le font les autres pays et régimes dans le monde, la modernisation
de ses forces armées, dont l'une des composantes est nucléaire.