(janvier 2007)
Fribourg est la capitale écologique
de l'Allemagne. La ville a développé l'énergie solaire,
créé des quartiers durables, favorisé les modes de
transport «doux». Cette «révolution verte»
est née, il y a 25 ans, d'un combat contre l'installation d'une
centrale nucléaire. Aujourd'hui, Fribourg est à la pointe
du développement durable. Elle a aussi transformé son engagement
écologique en un créneau économique porteur.
Le soleil fait la richesse de Fribourg
La ville allemande de Fribourg-en-Brisgau
est un modèle en matière de développement durable.
Retour vers le futur.
«Nulle part ailleurs la concentration
d'entreprises et de centres de recherche, institutions, associations, artisans,
experts et citoyens résolument engagés en faveur de l'énergie
solaire n'est aussi forte.» Ces propos émanent de Dieter
Salomon, le maire de Fribourg. «Notre région constitue
un modèle exemplaire en matière de développement durable»,
lance-t-il fièrement.
Fribourg-en-Brisgau, logée au pied
de la Forêt-Noire, à quelques kilomètres de Mulhouse
et de Bâle, compte 210.000 habitants. Pour les écologistes,
c'est Lourdes. Un lieu de pèlerinage quasiment obligé.
Fief des «Grünen»
(les Verts allemands), Fribourg est surnommée «la
ville solaire». Son rayonnement dépasse de
loin le Land du Band-Würtemberg tant la cité s'est taillé
une solide réputation.
Centrale nucléaire
Tout a commencé il y a une trentaine
d'années. Les habitants se mobilisent alors contre un projet de
construction d'une centrale nucléaire (Wyhl-am-Rhein). La protestation
se transforme petit à petit en engagement pour les nouvelles formes
d'énergie. Aujourd'hui, «il y a plus de panneaux photovoltaïques
à Fribourg que… dans toute la France», s'amuse Peter Schilken,
responsable d'énergie-Cités, une association d'autorités
européennes pour une politique énergétique locale
durable.
«La consommation d'énergie issue
du nucléaire est passée de 60 à 30%. L'utilisation
d'énergies renouvelables atteint près de 4% actuellement.
Notre ambition est d'arriver à 10% en 2010. Et nous avons déjà
réussi à réduire de 5% nos émissions de gaz
à effet de serre», commente Gerda Stuchlik, maire adjointe,
chargée de l'Environnement. Pour arriver à ce résultat,
il faut une mobilisation générale. «Il y a un véritable
consensus sur le développement durable, c'est un élément
central», précise la maire adjointe. De fait, si les Verts
occupent la mairie pour le moment, ils sont en coalition avec les deux
grands partis traditionnels: les sociaux-démocrates du SPD et les
chrétiens-démocrates de la CDU.
maisons passives
Le développement du solaire et les
projets en économies d'énergie sont palpables. Plusieurs
quartiers de la ville sont labellisés «durables».
D'autres réalisations sont exemplaires.
Ainsi, le toit du stade de football du SC Freiburg est couvert par 2.500
m² de panneaux solaires. La région compte aussi quelque 400
habitations «passives»: elles ne consomment qu'au maximum 15
kwh/m² par an. Environ dix fois moins qu'une construction neuve traditionnelle
chez nous.
La Résidence Wilmersdorferstrasse est
une autre illustration de la mobilisation des Fribourgeois pour les économies
d'énergie. Deux immeubles voisins, de huit étages, ont été
complètement réhabilités. «à l'origine,
l'aspect du bâtiment était du simple béton. Nous avons
effectué une rénovation énergétique. Cela a
consisté en un calorifugeage de 14 centimètres et l'installation
de panneaux photovoltaïques sur toute la façade (450 m²!)
ainsi que de capteurs solaires thermiques sur le toit», explique
Werner Eickhoff, le promoteur du projet. «En vertu d'une loi fédérale
allemande, les compagnies d'électricité sont obligées
de racheter la production d'énergies renouvelables pendant 20 ans,
au prix actuel de 0,50 €/kWh pour le photovoltaïque. Alors que
son prix d'achat normal varie entre 0,17 et 0,19 €/kWh. Sur la revente,
les habitants ont donc gagné 18.000 € l'année dernière»,
détaille Werner Eickhoff. «La consommation de chauffage
a chuté de 40 à 50% suite à ces travaux»,
précise-t-il encore. Mais tous les locataires n'ont pas apprécié,
concède-t-il. Et pour cause: le loyer a été augmenté
de 20%...
Globalement, les citoyens n'hésitent
pas à participer à l'élan «durable» de
la ville. Preuve: 10% des ménages ont accepté de payer plus
cher (de l'ordre de 1,5 cent/kWh) en achetant de l'électricité
verte à la compagnie énergétique régionale
Badenova. Le surcoût sert exclusivement à financer des investissements
en matière d'énergies renouvelables.
Les écoles sont aussi mobilisées.
Fribourg a été la première ville d'Allemagne à
instaurer un mécanisme original: la moitié des économies
d'énergie réalisées par un établissement lui
sont reversées sous forme de subside pour financer des projets éducatifs.
En fait, toutes les composantes de la société
tirent dans la même direction: de l'enseignement à l'immobilier,
en passant par les transports et l'urbanisme. Et la participation citoyenne
aux décisions est une réalité dans plusieurs domaines.
C'est aussi une des clés du succès. Ici, on ne se pose pas
la question de savoir si les énergies renouvelables sont rentables.
On agit. Depuis 25 ans.
Parking... pour vélos
La «révolution verte» de
Fribourg se matérialise aussi par un centre ville entièrement
piétonnier. Les alentours immédiats sont tous en zone 30.
Les transports en commun sont modernes, silencieux
et performants. Grâce aux sites propres, «pendant toute
la journée, il n'y a jamais plus de sept minutes d'attente à
l'arrêt», commente Peter Schilken. Un «Ticket Regio»
permet, pour près de 20 € par mois, de se rendre partout dans
la région de Fribourg en empruntant indifféremment le bus,
le tram ou le train.
La gare de Fribourg, recouverte elle aussi
de plus de 300 m² de panneaux photovoltaïques, est aussi un noeud
de communications: elle accueille un centre de car-sharing et un parking
pour… 1.000 vélos, où les «petites reines» sont
non seulement gardées mais aussi entretenues, réparées
ou louées.
Aujourd'hui, les déplacements des Fribourgeois
sont découpés en trois tiers à peu près égaux:
vélo, transports en commun, voiture. L'anecdote raconte même
qu'à Fribourg, il y a plus de vélos que d'habitants… La région
dispose de plus de 400 kilomètres de pistes cyclables.
Les parkings pour les voitures sont très
chers au centre de la ville mais gratuits en périphérie,
à proximité immédiate des terminus de lignes de tram.
Créneau économique
Enfin, le développement durable assure
à la ville un créneau économique porteur. Le tourisme
«vert» s'y déploie, appuyé par un solide marketing.
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Le solaire assure aussi un pôle de recherche et développement
via le «Solar Info Center» et l'Institut «Fraunhofer»
où sont explorées toutes les technologies de pointe en matière
d'énergies renouvelables. C'est aussi un support complet pour l'investisseur:
technique, management, financement, etc.
Le savoir-faire de la région en matière
d'installations solaires s'exporte. C'est le cas par exemple de la Solar
Fabrik. En 10 ans, l'entreprise est passée de 4 à… 200 salariés.
En 2006, elle a produit quelque 400.000 panneaux photovoltaïques.
Son usine, à la façade tout en verre et en panneaux solaires,
est une vitrine de l'entreprise: elle ne rejette aucune émission
de CO2 dans l'atmosphère. «L'utilisation de
l'énergie solaire peut devenir un facteur essentiel de la philosophie
d'entreprise dans tous les secteurs de l'économie», souligne
Gerda Stuchlik. «Non seulement l'énergie solaire crée
de nouveaux emplois mais elle assure le maintien des emplois existants
dans la région.» à Fribourg, environ 10.000 personnes
travaillent directement dans le secteur de l'environnement. 170.000 dans
l'ensemble de l'Allemagne car Fribourg a fait des émules dans d'autres
cités allemandes. L'industrie allemande de fabrication de cellules
solaires photovoltaïques approvisionne 25% du marché mondial.
Voyage instructif en bordure de Forêt-Noire.
Exemple à suivre
Demain se lève à Solar-Stadt
Une délégation bruxelloise en
visite à Fribourg, la ville où l'écologie se conjugue
au quotidien.
A quelques dizaines de kilomètres de
Bâle, Fribourg-en-Brisgau, l'allemande, petit bout de terre où
la planète respire et où tout visiteur se prend à
penser que oui, décidément, écologie ne rime plus
avec utopie. Ni illuminés ni doux rêveurs mais des pionniers,
convaincus depuis longtemps du potentiel des énergies renouvelables.
Un défi qui commence par un combat, l'opposition de toute une ville
au projet d'installation d'une centrale nucléaire. C'était
il y a 31 ans. «Et nous avons réussi à éviter
sa construction», se réjouit aujourd'hui l'architecte
Rolf Dish dont la réputation dépasse les frontières
teutonnes. «C'est alors que nous nous sommes dit qu'il ne suffisait
pas d'être contre le recours à l'énergie atomique,
mais que nous devions aussi être pour quelque chose.»
Sonne ensuite le début d'une grande
aventure pour les 200.000 habitants de Fribourg. Et leurs dirigeants politiques
qui, tous partis confondus, décident de relever ce défi énergie.
«C'est l'élément central de la réussite,
indique Gerda Stuchlik, une des trois adjoints au maire (l'équivalent
du collège échevinal). Tous les efforts entrepris depuis
vingt ans se font sur la base du consensus et les politiques environnementales
sont menées au-delà des partis au pouvoir.» Les
bâtiments publics répondent aux standards les plus stricts,
histoire de donner l'exemple. «Et 10% de la population s'approvisionne
en électricité verte, plus chère mais plus écologique.»
Les atouts: un accent mis tant sur la recherche que sur la formation et
la sensibilisation. «Nous venons par exemple de lancer la campagne
50/50 à l'attention des écoles. Un relevé de leur
consommation énergétique est réalisé en début
et en fin d'année. Les établissements peuvent ainsi retoucher,
en argent comptant, l'équivalent de la moitié du montant
des économies réalisées.» La somme peut
être investie dans l'éducation à l'environnement ou
pour initier d'autres mesures d'économie d'énergie. Plus
parlant encore, la mise à disposition de terrains à
bâtir appartenant à la ville. «Pour laquelle nous
imposons des conditions strictes et le respect de standards écologiques
rigoureux.»
À la fin des années 80, il a
ainsi été décidé de construire un tout nouveau
quartier pour près de 10.000 personnes en quête d'un habitat.
Il comprend à la fois logements collectifs et sociaux. «En
ancrant la pensée écologique dans l'urbanisme»,
précise le responsable du projet quartier Rieselfeld qui s'étend
sur 70 hectares. Chaque construction doit répondre au standard «basse
énergie» (65 kWh/m2/an).
La connexion au réseau de chauffage
(cogénération au gaz) est obligatoire. «En misant
sur les mesures de construction, on peut réduire de 50% les émissions
de CO2.»
Aussi écologique que bien pensé,
Rieselfeld n'a toutefois pas le charme et le cachet de son petit frère,
le quartier Vauban. Un cadre de vie imaginé en 1998 et qui compte
aujourd'hui un peu moins de 5.000 âmes. Façades en bois aux
couleurs douces et variées, les habitations rayonnent sur 41 hectares.
Tout ici fleure l'écologie et la douceur de vivre. «Toutes
les constructions répondent au seuil basse énergie, certaines
étant même plus performantes comme les maisons énergie
+ qui produisent plus d'énergie qu'elles n'en consomment ou les
bâtiments passifs (15 kWh/m2 par an), indique Roland Veith, responsable,
pour la ville, du projet Vauban. Le chauffage: une centrale de cogénération
aux copeaux de bois. Qui approvisionne également 700 personnes en
électricité.»
Mais l'attraction phare est sans conteste
le projet solaire développé dans une partie du quartier Vauban
et ses cinquante maisons énergie +. «Grâce aux installations
solaires, nous pouvons produire l'équivalent de 200.000 tonnes de
mazout chaque année, avance fièrement l'architecte et
concepteur, Rolf Dish. Certaines maisons produisent quatre fois plus
d'énergie qu'elles n'en consomment.» Ici, c'est toute
la panoplie des mesures qui se donne à voir. Triple vitrage, lamelles
de protection solaire, «qui laissent passer la lumière
mais pas la chaleur». Les parois sont, elles, munies de microcapsules.
«Qui fondent à 23° et absorbent la chaleur extérieure,
à l'image d'un glaçon dans un verre d'eau.»
Le système de ventilation permet pour
sa part de stocker la chaleur en été tout en rafraîchissant
les lieux en hiver. Sur le toit, les cellules photovoltaïques produisent
de l'électricité. Outre le verre, seul le bois a droit de
cité en façade. «Installées ici depuis quelque
temps, plusieurs personnes souffrant d'asthme ou d'allergies ont pu se
passer de leurs médicaments...», sourit l'architecte.
Bien-être. Même les couleurs ont fait l'objet d'attentions
particulières. «Nous avons fait appel à un artiste
qui a utilisé toutes les couleurs disponibles qui se marient avec
les fleurs des prés. Il n'y a pas toujours du soleil, alors cela
contribue à rendre le quartier plus vivant. Plus gai.»
Pour financer l'initiative, il a notamment
fallu recourir à un fonds de placement. Un placement éthique
et écologique qui a séduit les Fribourgeois. «Il
est utile. Et sûr puisque le rendement du Fonds solaire est aujourd'hui
de 6%.»
Celui qui rêve d'une maison énergie+
devra toutefois y mettre le prix. «Soit 15% de plus que pour une
construction basse énergie.» Primes en tout genre ou rachat
de l'énergie verte produite par les installations photovoltaïques
(à un tarif trois fois supérieur à sa valeur intrinsèque),
Rolf Dish se veut optimiste. «J'ai l'habitude des réserves
émises par rapport au surcoût, mais l'expérience montre
souvent que ce qui a l'air plus cher peut s'avérer être finalement
plus intéressant.» D'autant, conclut-il, «que le
prix de l'énergie n'est pas près de diminuer». |