Révolution dans l'électronique : un semi-conducteur vient de révéler qu'il pouvait se réparer tout seul ! Ce matériau s'appelle le diséléniure de cuivre et d'indium, ou plus familièrement CIS (voir encart final), et contrairement à tous les autres semi-conducteurs, il préserve ses propriétés électroniques quelles que soient les contraintes extérieures, voire il les améliore.
Cette découverte a été réalisée par le Laboratoire d'électrochimie de l'ENSCP (Ecole nationale supérieure de chimie de Paris), associé au Département des matériaux et interfaces de l'Institut Weismann (Israël) et à l'université de Stuttgart (Allemagne). Depuis quelques années déjà, les scientifiques s'étonnaient de l'incroyable stabilité de ce semi-conducteur. Des photopiles réalisées avec une couche mince de CIS par Siemens-Solar sont quasi intactes après huit ans de fonctionnement en extérieur. Mieux, des panneaux allemands testés sur un satellite depuis deux ans n'ont montré aucun signe de dégradation malgré l'intense bombardement des rayons cosmiques. Mais il a fallu quinze ans d'études et des méthodes d'observation perfectionnées pour comprendre d'où lui venait cette exceptionnelle stabilité. Et son secret bouleverse les présupposés de l'électronique.
Rappelons les faits. Pour être stable, précepte bien connu des électroniciens, un semi-conducteur doit être ordonné. La plus célèbre illustration est le silicium : son organisation toute militaire en fait un modèle d'insensibilité au monde extérieur. Ses atomes, tous identiques, sont agencés régulièrement en un réseau rigide, indéformable, qui le rend très résistant aux chocs, aux radiations, aux impuretés et maintient dans le temps ses propriétés électroniques. Seulement voilà, cette organisation inflexible exige des conditions de production draconiennes. La moindre impureté, le moindre défaut cristallin pendant la fabrication créent des pièges à électrons (voir schéma p. 70) qui font chuter de manière irréversible ses performances de génération et de conduction photovoltaïques. Conséquence : un silicium de qualité est très cher. De plus, s'il est résistant aux agressions extérieures, c'est seulement jusqu'à un certain seuil. Dans des cas extrêmes comme pour le silicium des photopiles spatiales, les radiations cosmiques trop élevées finissent par endommager le matériau. Le CIS bouscule tous ces préceptes. Tout aussi conducteur et stable que le silicium, il n'est ni parfaitement ordonné, ni discipliné, pire ses atomes sont mobiles ! Un pavé dans la mare de la physique des semi-conducteurs, une hérésie pour les spécialistes d'électronique.
Le CIS est composé d'atomes de sélénium, gros et immobiles, d'indium, plus petits, et surtout de cuivre, baladeurs. Le réseau est flexible et les défauts y sont multiples : des atomes étrangers de fer, d'or ou de sodium se rencontrent couramment, les atomes composant le CIS n'ont pas de place aussi parfaitement définie que dans le silicium, ils peuvent laisser leur place vacante et les liaisons atomiques se font et se défont. Peu importe. Quoi qu'il advienne, le matériau reste de marbre. Il continue à générer et à conduire l'électricité comme si de rien n'était. Jean-François Guillemoles chercheur au Laboratoire d'électrochimie de l'ENSCP nous livre le secret : « Bien que les calculs de structure soient quasi impossibles à faire pour un matériau aussi désordonné , explique-t-il, nous sommes arrivés, à force d'expériences, à élaborer une hypothèse. Si des défauts apparaissent régulièrement dans la structure cristalline du semi-conducteur, ils sont tout aussi régulièrement réparés. L'acteur principal de cette guérison est le cuivre qui bouge au hasard dans le solide. Lorsqu'il rencontre un endroit endommagé, il va s'associer aux atomes déplacés ou manquants de manière à restaurer la fonctionnalité du matériau. Ce mécanisme est provoqué par la tendance du cristal à rester proche de l'équilibre chimique. » En d'autres termes, pour la première fois, c'est la désorganisation qui fait la stabilité. « L'autre grande différence entre le silicium et le CIS , poursuit le physicien, c'est que le premier est plastique et le second élastique. Alors que le silicium résiste jusqu'à rompre, le CIS peut supporter des agressions extérieures jusqu'à un seuil plus élevé parce qu'il s'adapte, s'autorégénère. C'est l'histoire du chêne et du roseau. »
Ce résultat, présenté à la Conférence européenne de recherche sur les matériaux à Strasbourg et publié cet été dans la revue Advanced Materials, a semé le trouble dans l'esprit des électroniciens de l'assistance. Jean-François Guillemoles l'évoque en souriant : « A la fin de l'exposé, une équipe de Britanniques est venue nous trouver pour révéler qu'ils observaient depuis deux ans des phénomènes de ce type en microscopie électronique mais n'avaient jamais osé les publier [lire "La preuve par l'image]. C'est une véritable révolution culturelle dans le monde des matériaux pour lequel la qualité, c'est l'ordre. »
Bon marché !
La révolution serait en tous cas financière. En effet, l'avantage mis en avant par les promoteurs du CIS, c'est son faible coût. Pas besoin de conditions drastiques pour réaliser un matériau désordonné. Le laboratoire de Paris travaille même sur un procédé de fabrication par simple voie chimique, utilisant une solution aqueuse de cuivre, d'indium et de sélénium pour déposer électrochimiquement, à température ambiante, des couches minces de CIS. De plus, le CIS absorbe mieux la lumière que le silicium. Résultat : il faut 100 micromètres de silicium pour faire une photopile, 2 seulement pour le CIS. « Au final, estime Jean-François Guillemoles, un panneau solaire en silicium fournit de l'électricité à 5 F du KW/h, un panneau en CIS diviserait le coût par quatre. » On n'en est pas encore là. Pour l'instant, les premières photopiles, produites par Siemens, sont fabriquées en trop petites séries, au prix du silicium cristallin. Elles coûtent donc encore assez cher. Mais dans l'avenir, elles représenteront peut-être enfin un moyen abordable d'utiliser l'énergie solaire.
La preuve par l'image
Ils ont filmé l'improbable. C'était il y a deux ans, les
chercheurs de l'université de Salford (Grande-Bretagne), Robert
Tomlinson et Stephen Donnelly, visualisent pour la première fois
l'étonnante stabilité du CIS en microdiffraction.
Sous l'oeil de la caméra, le solide au repos offre l'image d'un
cristal classique. Après un bombardement par un rayonnement dix
fois supérieur à celui de radiations cosmiques, le CIS
est intact voire il semble mieux organisé.. Selon Tomlinson, le
film vidéo montrerait en plus la cicatrisation des lésions
du solide. Bientôt publiée, cette observation semble confirmer
la théorie de l'auto-guérison des semi-conducteurs.
Le CIS est composé d'atomes de sélénium, d'indium et de cuivre assemblés en un réseau cristallin irrégulier et instable. Ce grand désordre naturel provoque le déplacement hasardeux d'atomes ou la déformation d'orbites qui créent des déséquilibres électroniques néfastes à la production continue d'électricité. C'est là que l'autoréparation a lieu : l'atome de cuivre se déplace vers une zone défectueuse et mettant en jeu ses propres électrons remplace les électrons manquants ou rétablit l'équilibre d'une orbite altérée.La génération et la conduction de l'électricité ne sont ainsi, au total, jamais perturbées.Eléna Sender-Dumoulin |