En effet, actuellement la filière
la plus répandue sur le plan commercial est la filière à
eau légère, qui consomme mal l'uranium. Chacun sait que ceci
conduira, dans les années à venir, à une raréfaction
de l'uranium sur le marché mondial (voir Gazette
Nucléaire N°3). A partir de là, diverses
voies sont possibles, à l'intérieur de l'option nucléaire:
- payer l'uranium de plus en plus cher, et continuer de stocker les combustibles irradiés sans les retraiter, - retraiter un peu pour récupérer du plutonium que l'on recycle (1% environ) dans les combustibles oxydes, - enfin retraiter sur une grande échelle pour récupérer le maximum de plutonium afin d'alimenter la filière surgénératrice (le coeur de Superphénix contiendra 4 tonnes de plutonium). La première hypothèse de travail conduira dans les dix prochaines années à une impasse. En effet, contrairement à ce qui est souvent répandu dans les milieux officiels, l'uranium n'est pas un minerai en quantité inépuisable, car son extraction de l'eau de mer représente un problème considérable du point de vue financier, pollution et même faisabilité en ce qui concerne le rendement énergétique de l'opération (voir Gazette Nucléaire n°3). Aussi devra-t-on se rabattre assez vite sur des minerais à haute et moyenne teneur que l'on n'a pas encore trouvés, si l'on veut arriver à produire les 200.000 tonnes/an vers 1985. C'est pourquoi la voie surgénératrice, de ce point de vue, apparaît comme «la solution» à la raréfaction de l'uranium. La France, pour sa part, veut s'engager dans cette voie, alors que les Etats-Unis hésitent devant la commercialisation des surgénérateurs. Il y a plusieurs raisons à ces différences de stratégie énergétique: D'abord les Etats-Unis disposent de ressources énergétiques considérables sur leur propre territoire (schistes bitumineux, pétrole, gaz, charbon...). Ils s'approvisionnent très largement dans de nombreux pays qui se trouvent sous leur domination, notamment en Amérique Latine. Ensuite, ces dernières années, sous la pression des groupes de défense de l'environnement et de consommateurs (Ralph Nader), le N.R.C. (Nuclear Regulation Committee) a renforcé les règles de sécurité, a rendu plus longs, plus difficiles, les procédures administratives d'autorisation. Cette situation a par exemple eu pour effet de décourager la General Electric, qui semble sur le point d'abandonner son nouveau projet d'usine de retraitement de 500 t/an vers 1983 (rappelons que c'est la même firme qui a échoué en 1973 dans la mise en route d'une usine à Morris, utilisant un procédé d'extraction de l'uranium et du plutonium des déchets hautement radioactifs par voie sèche). (suite)
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suite:
Mais c'est la position politique par rapport au problème de la dissémination des armes atomiques, conçue comme conséquence de la dissémination du plutonium, qui a récemment amené le gouvernement américain à renoncer sur son propre territoire au retraitement, suivant en cela les recommandations du rapport Fri (voir Le Monde du 2.1 1.76). Sur le plan International, Kissinger a récemment lancé l'idée de centres mondiaux de stockage (peut-être même de retraitement) sous contrôle «international», c'est-à-dire sous contrôle américain. Tout ceci laisse penser qu'aux U.S.A., le retraitement sera très limité et sous contrôle gouvernemental, voire même complètement pris en charge par l'Etat. En somme, le passage du privé au secteur public! La situation est tout à fait différente en Europe. Dès 1971, la France, la Grande-Bretagne et la R.F.A. ont mis leurs efforts en commun en créant UNIREP (United Reprocessors) pour la commercialisation du retraitement, car il y a là un véritable marché à saisir, d'autant plus intéressant que les Américains n'apparaissent pas comme des concurrents. Le client «sérieux» serait d'abord le Japon, grand producteur de déchets dans les années à venir, et qui ne souhaite pas les garder sur son territoire en raison des risques liés aux tremblements de terre. Un contrat de retraitement à long terme (au moins jusqu'en l985) vient d'être signé, aux termes duquel la France et la Grande-Bretagne se partageront fifty fifty le marché japonais (plusieurs centaines de tonnes, et l.000 tonnes/an vers 1984). Evidemment, UNIREP ne désespère pas d'obtenir aussi les déchets américains. Aussi, le gouvernement français considère le retraitement sous deux angles récupération du plutonium pour la filière surgénératrice, rentabilisation commerciale. Cette dernière, à son tour, revêt deux aspects complémentaires. D'abord le retraitement en France de déchets de provenance étrangère (ça fait rentrer des devises), pour lequel il a été créé une filiale privatisée du C.E.A., la COGEMA, chargée de tous les aspects industriels et commerciaux du combustible nucléaire (depuis la mine au retraitement inclus). Ensuite, encouragement à l'industrie privée (Framatome, P.U.K., par ex,) qui est invitée à exporter la technologie nucléaire, et notamment des usines de retraitement (par ex. vers le Pakistan, et la Corée du Sud pour cette dernière sans succès). p.2
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et du Bonheur de la Société de Consommation C'est précisément contre cette
évolution, qui ne fait qu'aggraver les conditions de travail propres
à ces usines, que les travailleurs de La Hague sont en grève
depuis maintenant plus d'un mois. En effet, la logique du programme électronucléaire
français (surgénérateur, donc production massive de
plutonium) avec ses modalités industrielles (retraitement considéré
comme source de profit) conduit à des situations dangereuses:
Où l'on apprend ce qu'est une industrie propre 2. Sur le plan de l'environnement, l'usine de retraitement, telle qu'elle est conçue actuellement, est de loin la plus polluante du cycle du combustible (voir encart N°1). En effet, le retraitement s'accompagne de rejets gazeux radioactifs (totalité du 85Kr, soit 9 millions de curies/an[4] lorsque La Hague traitera 800 tonnes/an), de rejets liquides (totalité du tritium, soit environ 500.000 curies/an pour 800 tonnes des produits de fission (137Cs, 92Sr, 106Ru) émetteurs b, g (et des transuraniens émetteurs a). Il s'accompagne également de stocks de déchets solide et liquides de volume important, mais de moyennes activités (mais pouvant être émetteurs a) et enfin de déchets de forte activité (produits de fission). Les ordres de grandeur sont fournis au tableau 3. (suite)
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Avec l'augmentation de tonnage et le passage
au combustible oxyde, on s'attend à ce que La Hague rejette bien
plus de corps radioactifs qu'auparavant, notamment à la mer. Ainsi,
rien que pour les transuraniens, émetteurs a
le rejet était de 27 Ci en 1974. A partir du traitement de 300 tonnes,
on estime que cette quantité dépassera les 90 Ci[5],
qui est la limite imposée actuellement par arrêté préfectoral.
p.3
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3. Voir note 2. Voir aussi le film tourné par les travailleurs
de La Hague avec l'aide de SPNPEA-CFDT: «Condamnés à
réussir».
4. Le Curie: unité de désintégration: 30
milliards de désintégration par seconde, c'est-à-dire
la radioactivité de lg de 225Ra. Pour fixer les idées,
signalons que la charge maximale admissible de plutonium pour l'homme varie
entre 50 et 200 milliardième de Curie selon le tissu «critique»
envisagé.
Aussi, dès 1976, les demandes
officielles de rejets portent déjà sur des quantités
plus importantes, du moins en ce qui concerne l'activité b
passage de 45.000 à 125.000 Ci tritium
inclus). En ce qui concerne les rejets liquides et gazeux, les autorités
«responsables» s'appuient toujours sur les C.M.A. fixés
par la C.I.P.R. voilà bientôt 25 ans et sur l'idée
que les radioéléments se diluent parfaitement soit dans la
mer, soit dans l'air. Or, à ce sujet, on peut faire les remarques
suivantes:
a) la notion de C.M.A. est un compromis entre les connaissances que l'on a à une époque sur la nocivité de tel ou tel radioélément et le bénéfice éventuel que l'on peut tirer de l'industrie nucléaire. Ceci est explicitement contenu dans le paragraphe 32 C des recommandations de la CIPR qui stipule: «La Commission a donc recommandé une dose génétique maximale admissible de 5 rems, en se fondant sur le principe que la charge qui en résulterait pour la sociéte serait acceptable et justifiée si l'on considère les avantages probablement de plus en plus grands qui résulteront de l'extension des applications de l'énergie atomique». La C.M.A. est donc essentiellement changeante, et il est par principe dangereux de rejeter un radioélément de période longue (comme le 85Kr ou le tritium) sans se soucier qu'à une époque ultérieure, lorsque ce radioélément se sera accumulé, on puisse être amené à diminuer sa C.M.A. b) En ce qui concerne la dilution «parfaite», les phénomènes de reconcentration éventuelle dans les chaînes alimentaires ne sont pas pris en compte. On se rappelle ce qui s'est passé avec les Gallois qui retrouvèrent dans leur pain d'algue du 106Ru rejeté à la mer par l'usine de Windscale! (suite)
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suite:
On a aussi constaté (contrôles de radioactivité effectués par le Centre de La Hague) que si la radioactivité artificielle de l'eau, au large de La Hague, restait très inférieure à la radioactivité naturelle, il n'en était pas de même pour certaines algues, mollusques et crustacés qui présentent des phénomènes de concentration. A titre d'exemple, dans des algues corallines, l'activité naturelle est de 4 pCi/g; l'activité artificielle est passée de 4 à 27 pCi/g entre 1972 et 1974. Dans les crabes, même phénomène l'activité artificielle passe de 1 à 3 pCi/g, alors que l'activité naturelle est de 2 pCi/g. Le pCi représente le millionième du millionième de curie. A part les rejets, il y a les stocks de déchets radioactifs formés tout le long de la chaîne du retraitement: déchets de gaines, effluents chimiques notamment du phosphate tributylique, boues, etc. Une partie faible (0,2 à 0,6%) du plutonium reste mélangée à ces déchets. Le plus gros problème reste évidemment les déchets de haute activité, pour lesquels aucune solution satisfaisante n'a été vraiment trouvée. Ceux-ci sont formés de produits de fission, de la totalité de l'Americium et du Curium et d'une fraction faible (0,2 à 0,5%) du plutonium. A part quelques-uns de très longue période (99Tc par exemple), les produits de fission disparaissent en gros au bout de 800 ans. En ce qui concerne les transuraniens, émetteurs a, on distinguera généralement trois échelles de temps: celle du Curium qui s'étend environ sur 34 ans, celle de l'Americium qui va jusque vers 3.000 ans, et enfin celle du Plutonium (généré essentiellement à partir du 242Cm) qui s'étend au-delà de 100.000 ans. p.4
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Divers scénarios peuvent
être envisagés pour le confinement de ces produits:
Hypothese' 1: on ne sépare pas les Americium, les Curium et les reliquats de Plutonium des produits de fission. Il faut alors, après un stockage transitoire de refroidissement (les déchets de haute activité dégagent environ 200 kW/ m3 de chaleur 10 ans après avoir été retirés du réacteur), prévoir un stockage définitif sur des millions d'années (à cause des transuraniens). Hypothèse 2 : on sépare la totalité des transuraniens d'avec les produits de fission. D'un côté les produits de fission doivent alors être stockés sur une échelle de temps plus courte, de l'ordre de mille ans, d'un autre côté deux possibilités peuvent être envisagées pour les transuraniens a) l'élimination spatiale (ils pèsent
moins lourds que les produits de fission:
Examinons chacune de ces hypothèses L'hypothèse 1 suppose réglé un confinement
définitif sur notre planète. Les experts penchent actuellement
pour des structures géologiques continentales profondes qui recevraient
ces déchets vitrifiés. D'après des experts, récemment
réunis par le « Groupe Interministériel d'Evaluation
de l'Environnement » et qui formèrent le Groupe
de Travail « ~valuation des Options Techniques sur les déchets
radioactifs » ~anvier 1976), « un accident maximal constitué
par une conjonction de circulations d'eaux souterraines entraînant
vers la biosphère des fuites notables de radioéléments
que relacheraient des défaillances simultanées de toutes
les barrières, tout en étant de probabilité faible,
n'est pas totalement impossible ». De fait, on sait qu'aux ~tatsUnis,
la seule mine de sel désaffectée qui avait été
retenue, située à Kansas, s'était avérée
perméable à l'eau. De plus, on connaît très
mal tous les paramètres caractérisant le transfert ou la
rétention physico-chimique des éléments par ad
(suite)
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suite:
En ce qui concerne le C.E.A., on s'oriente vers le schéma suivant : non séparation des transuraniens, vitrification et espoir que plus tard (d'ici 50 à100 ans) on ait trouvé ~ine « meilleure »solution pour reprendre les déchets contenus dans ces verres pour s'en débarrasser. D'autre part, le stockage définitif sur des millions d'années est toujours considéré ! Il s'agit tout de même d'un véritable pari. Mais le plus gros pari est probablement celui que l'on fait sur les
capacités politiques des sociétés futures de régler
le problème de nos déchets, à supposer même
qu'elles en aient les capacités techrnques. En effet, le plus gros
danger est le laxisme, la notion de « problèmes
a) en ée qui concerne les rejets, il n'a pas été donné une priorité à la rétention (c'est-à-dire à un stockage provisoire permettant à la radioactivité de décroître) du 85Kr et du tritium (cette rétention serait tout de même prévue pour la fin du siècle, à une époque où l'accumulation de 85Kr conduira à des phénomènes de reconcentration au niveau de certains usages industriels, et où le tritium « civil » aura largement atteint, puis dépassé, le tritium « militaire » dispersé dans l'environnement par les explosions nucléaires des années 60. D'ailleurs une des raisons de l'arrêt des explosions nucléaires atmosphériques, était liée à la pollution radioactive provenant de ces expériences. Les expériences souterraines par contre, continuèrent par la suite. Ceci ne fait que confirmer que le retraitement est conçu d'abord sous son aspect commercial et rentable. b) En ce qui concerne l'avenir des déchets de haute activité,
on est dans une totale incertitude sur leurs effets à long terme.
Il est vrai que l'on n'a peut-être pas à se soucier des générations
futures et que, ce qui compte, c'est que le système actuel de gaspillage
continue à tourner.
p.5a
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Sur le plan international,
il apparaît que le retraitement conduit à la dissémination
du plutonium à travers le monde Ceci peut se faire de différentes
façons:
1. retraitement de combustibles irradiés par les pays eux-mêmes ou par le vendeur qui réexpédie le plutonium à son client, 2. «retraitement» de combustibles neufs contenant du plutonium (combustible enrichi à 1% du Pu pour la filière à eau légère, combustible contenant 25% de Pu pour les surgénérateurs). Il faut dire ici que, contrairement à ce qui est souvent dit, ce plutonium, quelle que soit pratiquement sa composition isotopique, peut servir à faire une bombe atomique. |
Ceci nécessite environ 6 à 7
kg de plutonium issu d'un PWR (comparé à 4,4 kg pour du plutonium
militaire enrichi à 80-90% en 239Pu) Il est enfin illusoire
de compter sur l'A.I.E.A.[6] pour tenir un compte précis
du plutonium stocké ou produit dans un réacteur (possibilité
de piotage du réacteur - à l'insu de l'A.I.E.A.
- de manière à modifier la quantité et la composition isotopique du plutonium, possibilité de jouer sur les écarts de bilan du Pu dans les usines de retraitement). p.5b
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