La G@zette Nucléaire sur le Net!
N°20
De l'eau à... la PUCE

     Pour finir sur un ton léger, nous publions la lettre que nous avons reçue d'un lecteur... à moins que ce texte ne soit l'œuvre d'un rédacteur de la Gazette

     «Vous excuserez mon franc-parler parce que je n'ai pas l'instruction de ces messieurs et dames du GSIEN. Tout en admirant beaucoup votre Gazette, jamais je n'aurais osé vous écrire si le numéro 18 n'avait abordé un sujet qui me tient à cœur, celui de la traction animale. 
     Eh! oui! Quel gâchis! Que d'énergie perdue avec tous ces animaux qui vivent aujourd'hui dans l'oisiveté, alors que les générations passées avaient su organiser avec eux une SAINT-BIOSE[7] profitable aux deux parties! Mis à part le chat qui est un fieffé paresseux, les animaux ont besoin d'une activité pour être heureux et ils s'en remettent volontiers à l'homme qui a un cerveau mieux foutu que le leur. Si on les laisse à eux-mêmes, c'est quelquefois la catastrophe, témoin ces éléphants des forêts africaines qui s'amusent à arracher les arbres sans aucun souci écologique: alors, de graves messieurs viennent écrire dans La Recherche qu'il ne faut pas faire preuve de sensiblerie et BEBEPHOQUER à qui mieux mieux, qu'il importe au plus haut point de massacrer les éléphants, car c'est eux ou c'est nous: faut pas les laisser déraciner tous les arbres! 
     Mais, quand même! Ces éléphants, si on était pédagogique, ils pourraient en faire du bon boulot! Alors, je sais, bien sûr, que ce qui retient certains d'utiliser la force peu commune de l'éléphant, c'est que c'est un vilain gourmand! C'est pas croyable ce que cette bête-là peut avaler dans une journée! 
     En fait, très tôt dans ma jeunesse, et c'est ce qui a déterminé ma vocation[8], j'ai remarqué que plus un animal était petit et moins il était exigeant en nourriture. En valeur absolue bien sûr, mais aussi en valeur relative quand on proportionne cela aux services qu'ils peuvent rendre. Les petits ont un meilleur rendement que les gros, dirait un spécialiste.
     En particulier, j'aimerais réhabiliter ma vieille amie, la puce, aujourd'hui si injustement décriée et partant pourchassée avec un acharnement et une sauvagerie qui, malgré ma vieille expérience, continuent à heurter profondément ma sensibilité. Et à heurter aussi mon sens de la rationalité, car comment se fait-il que ce siècle, si soucieux de rentabilité, ne se soit pas encore rendu compte que, de tous les animaux familiers de l'homme, c'est la puce qui est la moins exigeante en nourriture.

suite:
     En fait, on peut considérer que l'alimentation d'une puce ne coûte absolument rien à condition que son maître ait la sagesse d'éviter toutes ces contorsions et ces mouvements désordonnés auxquels se croient tenus les gens ignorants de la psychologie des puces. 
     Dès 1927, pourtant, j'avais cherché à attirer l'attention du public sur les précautions élémentaires à observer pendant le repas d'une puce: dès qu'une légère piqûre avertit le maître que l'animal va commencer son repas, il importe d'observer la plus grande immobilité. Si l'endroit choisi par la puce paraît inadéquate, on attendra néanmoins la fin du repas pour la déplacer. Une fois repue et si votre geste est suffisamment délicat pour que le risque d'écrasement lui paraisse minime, celle-ci se laissera volontiers transporter et comme son intelligence est vive, elle ira d'elle-même, au bout de quelques jours, prendre son repas là où vous le souhaitez. Il est de tradition chez les dompteurs de puces d'installer la salle à manger sur l'avant-bras gauche, mais chacun est libre de choisir un autre site. 
     Mais, direz-vous, la puce boit quand même le sang du porteur et partant l'affaiblit ! Certes, et c'est encore un des paradoxes de notre société que de prétendre reléguer les puces sur le corps des individus les moins favorisés. Il est clair que les puces devraient être réservées en priorité aux hôtes chez qui un prélèvement de sang ne peut être que bénéfique: jeunes femmes inquiètes de leurs rondeurs, PDG au bord de l'apoplexie, etc. 
     Reste à voir maintenant l'usage pratique que l'on peut faire des puces. Un attelage de 6 puces est capable de tirer un carosse d'or de la taille d'un dé à coudre. Une simple règle de trois nous permet d'en déduire qu'un attelage de six mille puces devrait pouvoir tirer un fourgon en aluminium du même format que les fourgons blindés qui servent en général au transport des billets de banque. 
     On voit immédiatement tous les avantages sociaux d'une telle suggestion: les PDG seraient définitivement débarrassés de leurs deux principales hantises: celle du cholesterol (grâce au prélèvement quotidien des bonnes puces) et celle du vol de la paie mensuelle: la présence d'une escorte de 6.000 puces est, en effet, pour des malfaiteurs, d'un effet beaucoup plus dissuasif que celle de deux ou trois vigiles solidement armés
7. Nous respectons l'orthographe curieuse de notre correspondant. 
8. Notre correspondant est dompteur de puces en retraite. 
p.11

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