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N°28

GSIEN - FICHE TECHNIQUE N° 28
Limites physiques de la fission nucléaire en tant que source d'énergie

COLLOQUE "ÉNERGIE NUCLEAIRE ET SOCIÉTÉ" DU GROUPE DE BELLERIVE 15/17.2.1979
Contribution, complétée par des notes et références, à la question n°2:
"Combien, de quel type et pour quelle durée?"
de M. Pierre Sonderegger, physicien, Genève.


     1. Par leur pouvoir calorifique, les réserves mondiales en uranium 235 équivalent à 50% des réserves de pétrole (cela vaut aussi bien pour les ressources prouvées que pour les estimations plus globales[1,2]) voire à 15 % du pétrole s'il s'agit de substituer le mazout par le chauffage électrique. 
     L'uranium 235, brûlé dans les réacteurs «à eau légère» (LWR), ne peut donc remplacer le pétrole. 

     2. Si les réserves mondiales d'uranium atteignent un jour les 25 millions de tonnes préconisées par M. CRENON[2] (actuellement 4,5 millions de tonnes). alors elles permettront d'alimenter 4.500 LWR de 1.000 MWe (40 fois la puissance électro-nucléaire actuellement installée) pendant trente ans. L'électricité produite par un tel parc équivaudrait alors aux trois quarts des calories produites par le pétrole brûlé maintenant. (Il est vrai que les CANDU et les HTR tireraient un meilleur profit de l'uranium, mais leur part du marché est faible et n'augmente pas). 

     3. L'option nucléaire implique donc l'introduction rapide des surgénérateurs, capables de valoriser l'uranium 238, abondant. Mais leur combustible, le plutonium, n'existe pas dans la nature. Il faut toute la production de plutonium de un réacteur à eau légère de 1.000 MWe pendant 30 ans pour démarrer un surgénérateur de 1.500 MWe[3]. La croissance du nucléaire sera donc lente, pendant la phase de mise en place des surgénérateurs. Dans le cas d'une surgénération optimale, le parc initial de surgénérateurs pourra ensuite croître à raison de 4,5% par an. 

     4. Au mieux, et en ayant complété la construction de 4.500 LWR en 2010, on aurait, en 2040, 6.000 surgénérateurs de 1.500 MWe dont la production d'électricité dépasserait de moitié la consommation actuelle de pétrole, et atteindrait les 10% des besoins mondiaux d'alors[4] (on suppose un taux de croissance de 3% par an[1]), mais au prix d'un effort technique et financier gigantesque et disproportionné[5]

     En conclusion, il se peut que la fission nucléaire acquière une importance primordiale par ses effets biologiques[6], politiques[7] et sociaux[8]; on sait en revanche que sa place en tant que ressource d'énergie restera secondaire, du moins dans un avenir prévisible. 

suite:
REFERENCES 
1. Conférence mondiale de l'Energie, 1977. 
2. Contribution de M. Michel CRENON à cette séance. 
3. Nous supposons la maîtrise de techniques du futur, dont l'étude vient de commencer: des surgénérateurs de 1.500 MWe, à cœur inhomogène contenant 4 tonnes de plutonium, dont un tiers est renouvelé chaque année; et un cycle du combustible réduit à une année, basé sur un procédé de retraitement qui récupère le 99% du plutonium (on parle d'un procédé par voie sèche, basé sur la fluoration avec volatilisation sélective). Il serait instructif de refaire une étude comparative du coût et de la maturité des technologie solaires et nucléaires à ce stade. 
4. Nous comparons électricité nucléaire et besoin en énergie tout court - électricité et chaleur - car l'utilisation directe de la chaleur produite semble être envisagée, à plus ou moins longue échéance, pour toutes les sources d'électricité à l'exception des surgénérateurs. 
5. On pense maintenant que Superphénix coûtera trois fois plus cher qu'un réacteur à eau pressurisée de même puissance. 
6. Le «rapport Rasmussen» (Reactor Safety Study, WASH-1400) qui calculait et la probabilité et les conséquences d'un accident majeur de LWR, et les situait à un niveau très bas, vient d'être récusé par la même Nuclear Regulatory Commission qui l'avait commandité et, dans un premier temps, accepté. (New- York Herald Tribune, 23.1.1979). 
     Quant aux effets cancérigènes des faibles doses d'irradiation, les valeurs officielles, biaisées par les conditions exceptionnelles des explosions de Hiroshima et Nagasaki, seraient sous-estimées d'un facteur 5 environ (articles de J. Rotblat et de K.Z. Morgan dans Bulletin of Atomic Scientists, numéro de septembre 1978). 
7. L'administration Carter continue à s'opposer au retraitement et au développement des surgénérateurs, essentiellement dans le but de ne pas favoriser la prolifération ultérieure des armes atomiques. 
8. La société nucléaire sera-t-elle une société policière? L'Angleterre, ce modèle de démocratie quotidienne, n'a jamais toléré que ses policiers soient armés. Mais l'utilisation civile du plutonium y est proche. En 1976, le Special Constable Act a institué une police spéciale chargée de la surveillance des installations et transports nucléaires, dotée d'armes automatiques et autorisée à tirer sans sommation, et qui dépend non pas d'un pouvoir politique élu, mais de la seule Atomic Energy Authority. (Rapport JUSTICE, "Plutonium and Liberty", Londres 1978, p. 6. Voir aussi W. Patterson, "The Fissile Society", Londres 1977).
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