La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°33/34
1. LA RECOMMANDATION

DE LA CIPR ET LES TRAVAILLEURS


     Dans la préparation comme dans la rédaction des recommandations présentées par la ClPR dans la publication numéro 26, il y a un absent de poids: «Le TRAVAILLEUR du NUCLEAIRE».
     Un grand nombre de spécialistes examinent sa situation sous tous les angles. Ils imaginent pour lui un schéma de société au travers d'un savant équilibre réalisé entre les nuisances qui l'affecteront et les avantages qu'il est censé recueillir. Ce complet examen est fait sans le consulter, sans même recueillir son avis.
     La CIPR ne fonde pas seulement ses recommandations sur l'ensemble des données relatives aux travaux scientifiques effectués dans le monde, elle le fait aussi par rapport à une «philosophie du risque accepté».
     Nous ne contestons pas les capacités de la CIPR à dresser le bilan des effets des rayonnements sur l'organisme, mais nous pensons qu'il n'en va pas de même pour l'estimation de l'équilibre «risque-avantage» ou «coût-bénéfice».
     Les travailleurs savent bien que les risques professionnels ne sont pas inéluctables en valeur absolue. La variabilité des risques d'une profession à l'autre n'est pas contestée, mais ce qui l'est cependant, c'est que, par exemple, la «construction de bâtiments» publics ou privés apporte le plus lourd tribut au nombre des décès professionnels. Ce n'est pourtant pas la complexité des phénomènes physiques qui est en jeu, car il s'agit là de la «chute des corps».
     Depuis que Monsieur Newton a vu tomber une pomme, nous en savons l'essentiel.
     La raison du nombre excessif de décès, qui frappe souvent les travailleurs dans tous les chantiers, est à chercher ailleurs. Il s'agit en général d'une déviation de la loi chère à la CIPR: le «coût-bénéfice».
     En partant des travaux de la CIPR, nous avons examiné tout particulièrement la notion de la limite d'équivalent de dose annuelle moyenne pour de larges groupes professionnels de l'industrie électronucléaire.
Les doses dans le cycle du combustible et dans les centrales nucléaires 

     Si nous considérons la partie prépondérante des activités industrielles, c'est-à-dire les mines d'uranium, les réacteurs électronuclaires et la fin du cycle du combustible qui emploient un grand nombre de travailleurs, on est en droit de se demander si la valeur de la dose moyenne annuelle relative à un groupe de travailleurs sera voisine de 0,5 rad (5 mSv) par personne comme indiqué en paragraphe 100.
     Nous allons examiner les principaux maillons du cycle du combustible ainsi que la production d'électricité proprement dite.

Les doses dans les centres de retraitement du combustible

     L'examen des usines de retraitement montre à l'évidence qu'à l'échelle mondiale nous sommes plutôt dans une situation de panne. L'usine américaine de West Valley, qui a cessé de fonctionner en 1972, détient avec la tête oxyde de Windscale, arrêtée en 1973, le tonnage le plus élevé en combustible oxyde (respectivement 240 et 120 t.).
      Le centre de La Hague qui a traité plus de 3.000 tonnes de combustible «graphite-gaz» possède, en matière de retraitement de combustible oxyde, une expérience portant sur un tonnage (80 t. de juin 1976 à février 1979), se situant entre ceux d'Eurochimic (101 t. de 1970 à 1974), Windscale (120 t.) et Karlsruhe (66 t. de 1971 à 1977).
     Nous avons regroupé dans cinq tableaux les différents paramètres relatifs aux doses reçues par les travailleurs de ces centres. Les données ne sont pas également détaillées car elles sont souvent incomplètes, voire inexistantes, tout particulièrement en France.

p.2
TABLEAU 1
DOSES RELATIVES AU RETRAITEMENT DU COMBUSTIBLE A WEST VALLEY (USA)
Année
Tonnage
oxyde + métal
Taux moyen
de combustion
MWj/t
Dose moyenne annuelle
agents (rem)
Dose moyenne annuelle
entreprises (rem)
Dose totale
homme-rem
Dose
an/homme-rem
MWe/an
1966
145
3.400
inconnue
inconnue
inconnue
inconnue
1967
103
1.400
inconnue
inconnue
inconnue
inconnue
1968
137
2.800
2,74
inconnue
851
2,43
1969
106
9.700
inconnue
inconnue
inconnue
inconnue
1970
37
11.200
6,74
0,92
1.531
4,05
1971
67
11.800
7,24
1,21
2.366
3,28
Total
595
5.469
 
 
 
3,27*
* Moyenne pour 1968-70-71: 3,27 homme-rem par MWe.a
 Référence (RES 75), (GSI 78)
West Valley a retraité au total 410 t métal + 240 t oxyde.
TABLEAU II
DOSES MOYENNES ANNUELLES RELATIVES AU CENTRE DE RETRAITEMENT DE WINSCALE (GB)
Remarques:
D'après Beninson (BEN 77) de 1971 à 1975, la dose est de 1,2 rem par MWe/an; la dose moyenne annuelle de 1971 à 1976 est de 1,2 rem/an
Références: (UNS 77), pages 278 et 292, (CLA 78), (TAY 78)
TABLEAU III
DOSES RELATIVES AU RETRAITEMENT DU COMBUSTIBLE A KARLSRUHE (RFA)

TABLEAU IV
DOSES RELATIVES AU CENTRE DE RETRAITEMENT D'EUROCHEMIC (BELGIQUE)
* de 1975 à 1977 s'est effectuée la décontamination des installations
tonnage traité:
77 t de métal:
  7,9 t de GGR (900 à 1.500 MWj/t)
69,4 t de HWR (4.000 à 6.000 MWj/t)
101 t d'oxydes:
71,4 t de PWR (12.900 à 21.000 MWj/t)
29,5 t de BWR (6.000 à 17.300 MWj/t)
dose collective totale: 2.201 homme-rem de 1970 à 1977
dose moyenne: environ 0,8 rem par MWe.an de 1970 à 1977
Références: (OSI 79)
p.3


TABLEAU V
DOSES RELATIVES AU CENTRE DE RETRAITEMENT DE LA HAGUE (FRANCE)
Chiffres entre parenthèses = nombre de travailleurs
Première campagne oxyde: taux de combustion moyen ~ 16.000 MWj/t
Deuxième campagne oxyde (77-78): taux de combustion moyen ~ 28.000 MWj/t
TABLEAU VI
DOSES MOYENNES RELATIVES AUX CENTRES DE RETRAITEMENT DU COMBUSTIBLE
     Ces valeurs nous permettent cependant de voir dans quelle gamme se situe la dose moyenne annuelle, ou encore la dose en homme-rem, relative à la production d'une quantité d'énergie électrique de un megawatt/an.
dose en homme/rem /  MWatt/an  =  dose collective /taux de combustion x 1/3 x 1/365 
avec:
     - dose collective: en homme/rem
     - taux de combustion: en mégawatt (thermique).jour
     Les valeurs moyennes sont regroupées au tableau IV.
     En excluant le centre de West Valley, où les doses moyennes avaient atteint des niveaux inacceptables, nous voyons cependant que le débit de dose moyen annuel se situe dans la gamme de 0,4 à 1,5 rem/an environ et que le nombre d'homme-rem par mégawatt(e) an varie entre 0,7 et 2,3 environ.
     La figure 1 illustre les variations de doses moyennes annuelles. Nous voyons que la valeur moyenne de 0,5 rem par an est bien dépassée, car le nombre de personnes pris en compte pour le calcul dépasse largement les seuls travailleurs directement affectés aux travaux sous rayonnements. Les valeurs relatives à des groupes de travailleurs de Windscale illustrent bien cette remarque.
Les doses dans les réacteurs nucléaires 

     Nous avons considéré, d'une part, les doses dans les centrales à uranium métal (Grande-Bretagne et France), d'autre part, les doses relatives aux centrales à oxyde d'uranium et eau légère (USA et Allemagne). L'ensemble des données est regroupé dans les tableaux VII, VIII, IX et X. Les valeurs de base qui ont permis de constituer ces tableaux proviennent principalement du rapport de l'UNSCEAR (UNS 77) et de MURPHY (MUR 1976).
     En valeur relative, nous pouvons dire que les centrales à eau légère (LWR) conduisent à des doses au moins deux fois plus élevées que les doses moyennes annuelles observées dans les centrales à uranium naturel (UNGG).
     Qu'il s'agisse de la France, des USA, de la RFA, il apparaît que les doses moyennes se situent, et se situeront, audessus de la barre de 0,5 rem/an (5 mSv/an).

p.4

Tableau VII
Doses annuelle moyennes dans les centrales nucléaires françaises

Tableau VIII
Doses annuelles dans les centrales nucléaires de Gde-Bretagne

     Compte tenu du nombre de centrales en fonctionnement et du nombre de travailleurs engagés, on peut comparer valablement les mesures pour les trois ou quatre premières années. Elles figurent au Tableau IX.
     Ce tableau, comme la figure 2 page suivante, montrent bien que pour les centrales LWR, les doses moyennes annuelles se situent au-dessus de la barre des 0,5rem/an.

Tableau IX
Doses annuelles moyennes dans les centrales nucléaires aux USA
(1969-1975)

p.5

Tableau X
Doses reçues dans les centrales nucléaires en RFA

Tableau XI
Comparaison des doses moyennes
mesurées dans les centrales nucléaires

Figure 1
Variation des doses moyennes annuelles
dans les centres de retraitement du combustible

Figure 2
Evolution des doses moyennes annuelles
dans les centrales nucléaires

p.6

Les doses dans les mines d'uranium

     L'extraction du minerai d'uranium se fait soit en mines à ciel ouvert, soit en galeries souterraines.
     Les principaux risques sont:
     - les poussières de minerai mises en suspension dans l'air,
     - le radon qui se dégage (en moyenne 3.000Bq/m3 en France - 1Ci = 37.109Bq Þ 1,2.10-5 Ci),
     - le rayonnement émis par le minerai et les gaz radioactifs qui s'en échappent.
     Les deux premiers risques sont généralement évalués par des contrôles dans les chantiers et galeries (FRA 75).
     Il est nécessaire de considérer en matière d'irradiation les deux modalités d'atteintes: interne et externe. L'irradiation interne est calculée en tenant compte des mesures faites par prélèvement et des nombres de postes effectués dans les différents chantiers par les mineurs. L'irradiation externe est mesurée individuellement sur un fil dosimètre.
     L'irradiation du personnel «au fond» est plus grande que celle du personnel «au jour» car il est pratiquement irradié dans 4p.
     Au centre d'une galerie tracée dans un minerai à un pour mille, l'intensité est de l'ordre de 0,5 rem/h, soit pour 2.000 heures de travail par an une dose annuelle moyenne de 1 rem (PRA 75), (FOU 75). La teneur en moyenne se situait en France en 1972 à 3,1 pour mille (FRA 75 a) pour 925 tonnes extraites.
      A ciel ouvert, le débit de dose ne diminue pas de moitié, car le mineur travaille devant une paroi verticale (géométrie 3p). D'après Fourcade-Cancelle, les débits de doses calculés dus aux composantes g et b sont les suivants pour un minerai à un pour mille:
     - galerie: 0,65 + 0,12 = 0,77 mrad/h
     - carrière: 0,5 + 0,12 = 0,62 mrad/h
     Il est précisé que le calcul théorique donne une valeur toujours supérieure à la mesure expérimentale (+ 20% environ) (FOU 75). Beninson a noté que dans les mines américaines, la valeur moyenne est de 1,3 mrad/h (BEN 77).
     Le tableau XI donne les doses reçues par les mineurs d'uranium en France. La dose annuelle moyenne est de:
     0,78 rem/a pour les travailleurs «de fond»
     0,19 rem/a pour les travailleurs «au jour»
     0,46 rem/a pour les deux groupes réunis.

suite:

      A ceci s'ajoute l'exposition au radon et aux poussières qui se traduit notamment par une irradiation du poumon: si l'on traduit les valeurs de CMA en «niveau opérationnel» (PRA 75), généralement appelées «Working level» (voir CFDT 75, p. 235), on obtient environ 0,22 WL, soit pour 12 mois: 27 WLM (Working Level Month). Ces valeurs, ajoutées à l'irradiation externe montrent que pour la mine nous dépassons à nouveau la valeur moyenne de 0,5 rem par an.
     Pour la période de 1968-1975, la distribution statistique des concentrations moyennes annuelles en radon est présentée figure 3

Figure 3
EXPOSITION AU RADON DES MINEURS D'URANIUM
DISTRIBUTION DES CONCENTRATIONS MOYENNES ANNUELLES EN FRANCE

     Le rapport de l'UNSCEAR de 1972 (UNS 74) signalait qu'une fréquence accrue de cancers pulmonaires a été enregistrée parmi le personnel de certaines mines (pas nécessairement d'uranium) exposé à des concentrations élevées de radon et ses descendants radioactifs. Le risque, qui a certes diminué par l'amélioration des conditions de travail dans certaines mines, a posé et pose encore l'un des problèmes majeurs de la protection biologique.
     On peut estimer l'importance de ces risques en examinant l'étude épidémiologique relative aux mineurs des USA (cité in CFDT 75, p. 334) ou de Tchécoslovaquie (SEV 76). Tableau XIII page suivante.

TABLEAU XII
DOSES RECUES PAR LES MINEURS D'URANIUM EN FRANCE
Les chiffres entre parenthèses donnent le nombre de travailleurs
Nombre de CMA = Concentration Moyenne Annuelle
p.7

TABLEAU XIII
CANCERS DU POUMON CHEZ LES MINEURS DE TCHECOSLOVAQIE
Références: (SEV 76)

     En considérant la première valeur du tableau, nous voyons que le doublement du taux du cancer du poumon s'observe chez les mineurs tchécoslovaques à un niveau relativement bas, soit environ 15 ans de travail pour le niveau moyen de 2,7 WLM observé dans les mines françaises d'uranium.
     A ceux qui ne manqueront pas d'évoquer la fameuse notion «coût-bénéfice», nous conseillons l'examen de la figure 4 qui illustre l'évolution du prix de l'U308 (HAN 76). Qui supporte actuellement les coûts? Où vont les bénéfices?

Figure 4
EVOLUTION DU PRIX DE U3O8 POUR LIVRAISON IMMEDIATE

     Si maintenant nous voulons évaluer les nuisances de la mine d'uranium dans les mêmes unités que précédemment, il faut compter environ 170 tonnes d'uranium pour assurer la recharge annuelle d'un réacteur de 1.000 MWe. Le tableau XII montre qu'il y a en moyenne 718 homme-rem pour 1.000 t/a d'uranium.
     Nous avons donc pour la mine: 0,12 homme-rem/MW(e).a
     Beninson évalue à 0,05 homme-rem par MWe.a la part due à la mine (BEN 77).

Les doses dans le nucléaire et la CIPR 26

     En considérant les trois grands vecteurs que nous avons analysés, nous pouvons dresser le bilan suivant:

TABLEAU 14
BILAN DES DOSES MOYENNES
RECUES PAR LES TRAVAILLEURS DE L'ELECTRONUCLEAIRE
Références: (a): (BEN 77), (b): (POC 76), (c): (UNS 77)
* Nous ne pouvons convertir les WLM en rem car la conversion dépend de nombreux facteurs, notemment:
- le débit de la ventilation qui influe sur le déséquilibre des produits en filiation.
- la partie du poumon où a lieu la déposition et la rétention des aérosols.

Figure 5
VARIATION DE L'EFFICACITE BIOLOGIQUE
RELATIVE EN FONCTION DE LA DOSE

p.8

      Suivant les conditions de mesure et les auteurs, les valeurs se trouvent dans la gamme de 0,2 à 10 rad par WLM (JAC 76), c'est-à-dire 2 à 100 rem par WLM. 
 Dans le cas des mines françaises, la valeur de 2,7 WLM/a en prenant la fourchette basse de l'équivalence (0,3 à 1 rad par WLM) se traduit par une dose comprise entre 7 et 27 rem par an. Cette dose est doublée si l'on tient compte des nouvelles valeurs du facteur de qualité proposées par la CIPR 26 (paragraphe 21).
      Les valeurs des doses moyennes annuelles sont pratiquement partout supérieures à 0,5 rem par an. A ceci, s'ajoutera une dérive consécutive au vieillissement des installations nucléaires qui se traduit par un accroissement du nombre d'interventions et une élévation des niveaux d'irradiation et de contamination.
     Plutôt que de se contenter d'observer que:
     "la répartition des équivalents de dose annuels à l'intérieur de larges groupes professionnels s'est révélée très souvent comme étant conforme à une fonction «log normale» avec une moyenne arithmétique d'environ 0,5 rem et avec très peu de valeurs approcluant la limite". (paragraphe 100),
     la CIPR aurait dû déclarer que, s'agissant de larges groupes professionnels, la limite de 0,5 rem devait être prise clairement par le législateur. Ce qui est inquiétant, c'est que non seulement en rédigeant le paragraphe 100 précédemment cité, la CIPR s'est placée en «observateur extérieur», mais qu'au paragraphe 102, elle admet que le risque dû:
     "à un dépassement sensiblement supérieur à 0,5 rem, concernant une proportion importante de travailleurs pour une exposition de longue durée serait acceptable seulement si une analyse attentive du coût-bénéfice montre que le risque plus important en résultat est justifié."
     Cet article vise à faire, compte tenu des doses analysées précédemment, de l'électronucléaire dans son ensemble, une exception. Lorsque l'exception devient une loi générale, elle ne peut plus être considérée comme une exception.
     La CFDT dit clairement que dans ce cas, l'analyse coût-bénéfice, dont elle conteste un grand nombre d'aspects, ne peut constituer à ses yeux une protection efficace ou crédible. Elle demande en général, et plus particulièrement dans ce cas où le coût des hommes-rem est d'abord supporté par les travailleurs, qu'il appartient à ces derniers de décider si l'opération projetée mérite d'être réalisée. On peut imaginer en effet que des travailleurs acceptent de subir une exposition importante, mais inférieure aux limites, s'il s'agit de réduire ou de stopper la dérive croissante des nuisances dans une installation nucléaire, mais la refusent si cette exposition ne vise qu'à démarrer plus rapidement une installation nucléaire.
     En aucune manière, la décision d'un chef d'installation ne peut être prépondérante dans un choix qui met en balance d'un côté les nuisances apportées aux travailleurs et de l'autre, le gain financier d'un organisme privé ou public.

Les recommandations absentes

     Le texte proposé par la CIPR est dense, riche en nuances et il peut paraître curieux de le considérer comme incomplet. Nous avons cependant répertorié au moins trois aspects qui ont échappé à l'examen de la commission. Nous ne pourrons pas les commenter largement, mais il nous semble important qu'ils fassent l'objet d'études et de propositions concrètes.

suite:
· Les faibles doses
     Les travaux de Mancuso, Stewart et Kneale (MAN 77), (KNE 78), (BEL 78), (STE 78), qui ont porté sur 23.755 travailleurs, dont 4.033 sont décédés (832 par cancer), ont révélé qu'un faible excès de cancers radio-induits, 5% environ, correspondait à un risque d'induction pratiquement dix fois supérieur à celui calculé par une extrapolation des observations faites principalement sur les survivants d'Hiroshima et Nagasaki.
     Cette observation est apparue d'autant plus troublante que, d'une part l'hypothèse de linéarité «dose-effet» extrapolée aux faibles doses était considérée par tous comme prudente (conservatrice), et que, d'autre part, les doses cumulées reçues sont faibles (quelques rems pour plus de dix ans de vie professionnelle).
     D'autres travaux posent maintenant les mêmes questions que celles soulevées par Mancuso: il s'agit des travaux de Najarian et Coltow relatifs aux anciens travailleurs du chantier naval de Portsmouth où les sous-marins nucléaires étaient réparés et réapprovisionnés en combustible. Pour un total de 1.722 décès survenus entre 1959 et 1977, les auteurs ont pu analyser 529 cas. Le taux de mortalité par leucémie est six fois plus grand que celui attendu. Pour les autres cancers, ce facteur est réduit à 2.
     L'analyse de ces travaux montre qu'il est urgent d'examiner les risques des travailleurs actuels en partant des résultats acquis par les études portant sur les anciens travailleurs du nucléaire.
    Un autre aspect du problème n'a pas été pris en compte: la variation du facteur de qualité, en fonction de la dose.
     Dès 1972, le rapport de l'UNSCEAR (UNS 72), soulignait (p. 433) cette variabilité:
     "Si l'on suppose arbitrairement que l'EBR tombe de 10 pour 5 rad à 1 pour 100 rad, on doit admettre que le risque associé à un rayonnement à TLE faible passe de 2 cas par million par an et par rad pour 400 rad, à 0,7 cas pour 60 rad".
     Plus récemment, Rossi en comparant les risques d'induction de leucémie (ROS 74), (ROS 78), a montré que le facteur de qualité augmentait quand la dose décroissait (RBE = 59 pour 1,1 rad) - fig. 5 - alors que les plus hautes valeurs du RBE suggérées par la CIPR sont égales à 20.

La couverture sociale des maladies professionnelles

     En Europe, sur la cinquantaine de maladies professionnelles, une dizaine seulement étaient communes, en 1962, aux six listes nationales des pays de la Communauté, alors que:
     - le développement industriel est analogue,
     - l'information scientifique et médicale bien diffusée,
     - les sociétés multinationales se multiplient et se développent en Europe,
     - les travailleurs se déplacent en restant souvent dans la même branche d'activité.
     Le tout se traduit donc par une disparité importante de la «couverture sociale» des travailleurs. La disparité des situations médico-légales des pays de l'Europe est préjudiciable pour les travailleurs migrants, et les législateurs ne reconnaissent pas la même affection comme maladie professionnelle.

p.9

     En France, la liste des affections induites par les rayonnements n'a pas été modifiée depuis un quart de siècle (1955). On ne trouve pas dans cette liste les cancers classés par la CIPR - publication n°14 - (ICRP 69) comme étant relatifs à des organes «hautement radio-sensibles»:
     a) la thyroïde (caractère déclaré «établi»), le pharynx, le pancréas, l'estomac, le gros intestin (caractère déclaré «apparent»).
     b) Les critères de choix ne peuvent même pas s'expliquer, par ailleurs, par l'insuffisance des connaissances, car le tableau français des affections radio-induites énumère les différents symptômes pour lesquels il définit sept délais allant de 7 jours à 15 ans, alors qu'en Italie, pour les mêmes affections, le délai est uniformément égal à dix ans.
     Les ouvrières de Newark (USA), qui se sont rendues tristement célèbres en peignant des montres à cadran lumineux, n'auraient pas pu, si elles avaient été françaises, être toutes couvertes par la législation de leur pays, la France ne prévoyant un délai de prise en charge que de 15 ans pour le sarcome osseux, alors que les cancers les plus tardifs apparurent, pour certaines d'entre elles, 33 ans après la nuisance.
     De façon générale, on peut dire que, s'agissant de la santé individuelle des travailleurs, on est frappé par la modestie des propositions de la CIPR 26. Prenons, par exemple, le paragraphe 93:
     «... dans les cas exceptionnels de travailleurs qui ont subi des radios en vue d'un diagnostic ou d'une thérapeutique impliquant une forte irradiation d'une partie du corps et dont le travail impliquerait une exposition importante de ces parties du corps, la situation pour le travail devrait être examinée par l'autorité médicale compétente
     Et le paragraphe 95: «Dans le cas d'expositions médicales élevées (ex. pour une radiothérapie), ce serait les doses provenant de ces expositions qui prédomineraient et l'estimation des risques possibles d'effets non stochastiques (ex. sur le cristallin) serait du ressort des instances médicales chargées du traitement du patient plutôt que la tâche de celles qui sont responsables de la radioprotection en général
     Ainsi, au lieu d'inviter le législateur à prendre des décisions claires, la commission se contente de considérer le problème comme une simple répartition de tâches entre la médecine individuelle et la médecine du travail. Lorsqu'on sait que la majeure partie des «expositions médicales élevées» concerne le traitement du cancer, les considérations de la commission sur le risque de « cataracte» sont étonnantes: 
Envisage-t.elle que l'on puisse laisser en zone active un travailleur soumis à une radiothérapie?

Les travailleurs migrants

     Nous avons déjà examiné le cas des travailleurs qui vont travailler dans un autre pays. On envisage aisément, en Europe par exemple, des passages frontaliers d'équipes spécialisées dans la décontamination, l'entretien mécanique ou les opérations de chargement et déchargement du combustible.
     A l'intérieur d'un même pays, on observe, dans les pays capitalistes au moins, que la dose collective annuelle se partage entre les personnels de la centrale ou du centre de retraitement, et les travailleurs des entreprises extérieures, Ces derniers voient leur part augmenter et devenir parfois majoritaire. Nous allons prendre deux exemples en donnant le pourcentage de la part de la dose collective.
suite:
1. Le centre de retraitement de la Hague
Année
1972
1973
1974
1975
1976
1977
"entreprise"
27,5%
40,9%
43,4%
53,7%
54,2%
42,0%
"personnel"
72,5%
59,1%
56,6%
46,3%
45,8%
58%
     Les doses collectives sont pratiquement égales, en moyenne, au cours des quatre dernières années.

2. Des centrales électronucléaires[13] en Europe

Année
1970
1971
1972
1973
1974
1975
"entreprise"
47,8%
61,4%
55,7%
44,4%
55,3%
56,0%
"personnel"
52,2%
38,6%
44,3%
55,6%
44,7%
44,0%
     Les données de bases sont extraites de (LUT 77)
     La part des doses collectives est légèrement supérieure chez le personnel des entreprises extérieures aux centrales nucléaires considérées.

La CIPR 26 et la Commission des Communautés Européennes

     Le 20 novembre 1978, la Commission des Communautés Européennes, en s'appuyant sur la publication n°26 de la CIPR, propose aux États membres de la Communauté Européenne un texte législatif ("Directive").
     Cette proposition est faite alors que la publication 26 n'est toujours pas traduite (mars 1979) en français et que, bien entendu, les travailleurs concernés résidant en France n'ont pu émettre le moindre avis sur l'ensemble de ce texte.
     Au moment où l'industrie nucléaire se développe massivement en entraînant dans son sillage un nombre croissant de groupes professionnels, l'attention du législateur et des responsables devrait être centrée sur les risques inhérents à une telle banalisation des technologies nucléaires.
     En évitant de recueillir l'avis des travailleurs, c'est-à-dire des plus intéressés, les différentes autorités officielles françaises et européennes prennent une lourde responsabilité.
     La CFDT, pour sa part, prendra ses responsabilités partout où elle est impliquée. Elle fera connaître ses positions partout où s'élaborent les textes concernant les travailleurs et le public.

Conclusions

     L'examen des différents maillons de l'électronucléaire montre que l'on dépasse, et depuis quelques années, pour de larges groupes professionnels comme le personnel:
     - des mines d'uranium
     - des centrales nucléaires
     - des usines de retraitement
     la valeur moyenne d'équivalent de dose annuelle annoncée par la publication ClPR 26, soit 500 rnrem/a (5 mSv/a).
     Le respect réel de cette valeur doit être exigé dans les textes législatifs. Ceci est d'autant plus important que l'augmentation des niveaux d'irradiation et de contamination est observée avec le vieillissement des installations nucléaires.

p.10

     Une règle impérative devrait conduire à examiner ces problèmes dès la conception des bâtiments et à repenser les postes de travail des installations existantes.
     La CFDT craint de voir les responsables officiels prendre dans le texte de la CIPR, riche en nuances, les aspects les plus laxistes.
     Le problème des faibles doses doit être examiné en partant des résultats portant sur les travailleurs du nucléaire et pas seulement sur les rescapés d'Hiroshima et de Nagasaki.
     La couverture sociale des maladies professionnelles doit être concrètement et rapidement légalisée dans l'ensemble des pays en tenant compte, d'une part, des connaissances acquises mondialement, d'autre part de la fragilité socioprofessionnelle des travailleurs migrants.
REFERENCES
(BEL 78) : Belbeoch, R., Belbeoch B, Lalanne R. - Effets des faibles doses de rayonnement
Fiche technique n°34, GSIEN 2, rue François Villon - Orsay (France). 
(BEN 77) : Beninson D., Bennet B. and Webb G. - Collective dose commitmens from nuclear Power Programs
Conférence Internationale de Salzbourg. AlEA (Mai 77). 
(CFDT 75) : Syndicat CFDT de l'Energie Atomique - «L'Electronucléaire en France». 
Edition du Seuil. Collection «Points-Sciences», 1975. 
(CLA 78) : Clark L., Emmerson B.W. and Wojcikiewicz, EA - A critical review from the regulatory position of the control of occupational exposure in commercial nuclear Fuel manufacturing and reprocessing plants in the United Kingdom
In International Conference on Radiation protection in Nuclear Power Plants and the Fuel Cycle - Bristol, 1978. 
(FOU 75) : Fourcade-Cancelle N. - Calcul de l'irradiation externe dans une mine d'uranium. 
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1977 report to the General Assembly, with annexes United Nations publication - Oct. 1977.  

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PETITE NOUVELLE
Petit LOCA à Takahama (Japon)
Nuclear Engineering, janvier 1979

     Japon: à Takahama l'unité 2 a perdu 80 tonnes d'eau primaire lors de la rupture d'une canalisation. Un raccord de 1 inch de diamètre (~ 3 cm) qui devait être en acier a été remplacé par la maintenance par un raccord en cuivre lors de l'arrêt de tranche.
     Bien que ce petit LOCA n'ait aucune conséquence sérieuse, c'est un accident significatif d'une assurance qualité mal faite et d'une erreur humaine.
     Le ministre du Travail et de l'Industrie a immédiatement envoyé une lettre à la Kansaï Electric qui gère ce PWR de 826 MW et tous les réacteurs japonais sont en train de réexaminer leurs procédures d'assurance qualité. Kansaï a réduit les salaires de toutes leurs équipes de 10%!
     Le ministre du Travail et de l'Industrie a ordonné une enquête sur la sûreté des unités 3 et 4 de Takahama (2 PWR de 875 MWe) et des unités 3 et 4 de Fukushima (Tokyo Electricité, 2 BWR de 1.100 MWe).


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