La G@zette Nucléaire sur le Net!
N°66
Démocratie, décentralisation...
et la loi du plus fort


III. Et si on parlait armement (et... recherche!?)
 

Le dernier témoignage de Sir Martin Ryle

     Pionnier de la radioastronomie et l'un des premiers astronomes à recevoir le Prix Nobel de Physique, M. Ryle est mort en octobre 1984. Prolixes sur ses activités scientifiques, ses nécrologues ont à peine mentionné l'activité principale de ses dix dernières années: sa campagne contre les armes et l'industrie nucléaires. Publiée dans le New Scientist du 14 février 1985, la lettre ci-après, adressée au Pr. Carlos Chagas, président de l'Académie pontificale des Sciences, pose la question: «Doit-on arrêter la recherche fondamentale dans certains domaines?»

le 24 février 1983
     Cher Professeur Chagas
     Vous me demandez des sujets de réflexion que les scientifiques pourraient (et même devraient) aborder afin de contribuer à la paix. C'est un problème difficile sur lequel je ne peux que donner mon point de vue, en espérant que quelques sujets émergeront. Je pense qu'on ne peut pas isoler la science de son contexte politique, militaire et historique, et peut-être devrais-je résumer tout d'abord mes opinions personnelles. Mon point de vue est probablement biaisé par mon origine britannique, mais je pense qu'il aurait été semblable si j'avais vécu dans tout autre pays européen.

     1. Politique. L'URSS existe, les USA existent; ils doivent apprendre à vivre ou périr ensemble. Le système politique soviétique est effarant mais ceux qu'il opprime - et qui n'ont guère de liberté pour l'infléchir - sont ceux qui mourront. (La pourcentage des victimes civiles innocentes a été d'environ 5% pendant la première guerre mondiale, de 50% pendant la seconde et serait probablement de 95% dans une guerre nucléaire).
     On ne peut pas modifier le système soviétique de l'extérieur, seulement l'anéantir et les innocents avec. L'évolution doit venir de l'intérieur et sera lente (Nos systèmes occidentaux ne sont pas parfaits: l'écart croissant entre pauvres et riches, la puissance croissante des compagnies multinationales, l'aide inadéquate au Tiers-Monde, le Viet-Nam, la déstabilisation du Chili, des pays d'Amérique centrale, etc.).
     Il y a de grandes assymétries: pour la Russie d'Europe, les armes stratégiques et les armes des théatres d'opération sont les mêmes. La deuxième guerre mondiale a eu des conséquences très différentes pour les deux grands. En URSS, sept millions de soldats et 12 millions de civils ont été tués. Les USA ont eu 400.000 tués sur tous leurs champs de bataille et pas un civil. Deux millions de kilomètres carrés furent occupés et gravement endommagés en URSS, mais pas un seul mètre carré aux USA.
     Les conséquences de ces faits historiques sur les comportements d'après-guerre ne peuvent pas être ignorés. Nous autres, Européens, qui avons été combattus, occupés ou bombardés et dont les souffrances se situent entre ces deux extrêmes, avons la responsabilité de comprendre ces deux comportements.

     2. Militaire. L'importance des arsenaux nucléaires actuels est telle que l'emploi d'un faible pourcentage seulement suffirait à détruire une bonne partie de l'hémisphère nord. Dans de telles circonstances, l'«équilibre des forces» et la «négociation en position de force» sont dénués de sens. L'Est et l'Ouest pourraient démanteler 10, 20 ou 50% de leurs armes sans désavantage militaire.
     Néanmoins, le Pentagone pousse au développement des armes de «troisième génération» et, quelque temps avant sa mort, le président Brejnev déclarait que l'URSS égalerait chaque développement d'armes américain.

     3. Prolifération. L'empressement des pays nucléaires à exporter des réacteurs de «recherche» ou «électronucléaires» aux pays non nucléaires - avec le savoir-faire, le combustible, etc. - est la seule voie politiquement respectable pour acquérir du plutonium de qualité militaire. Cette voie fut utilisée pratiquement par toutes les nouvelles puissances nucléaires ou proches de l'être.
     La construction ne serait-ce que de quelques bombes nucléaires pour «sortir» d'une situation bloquée est peut-être aujourd'hui l'amorce la plus probable de la guerre mondiale finale. Dans la plupart du Tiers-Monde, l'électronucléaire n'apporte pas de solution à des besoins en énergie très dispersés.

     4. Que pourraient faire la science et les scientifiques? Hélas quelque 40% des ingénieurs et probablement plus encore des physiciens du Royaume-Uni travaillent à concevoir de nouveaux moyens pour tuer les gens. Il semble que les chiffres américains soient du même ordre. Bien qu'il y ait de nombreuses activités plus utiles pour la société, il est pratiquement impossible pour un jeune diplômé d'en trouver. Que dois-je leur dire quand ils viennent me demander conseil ?

suite:
     On peut accuser le gouvernement de mal répartir les crédits de recherche et la pression économique que subissent ces jeunes mais ce n'est malheureusement pas tout. Les jeunes ingénieurs et physiciens sont également séduits par le défi de problèmes difficiles, par la haute technologie mise en jeu et des fonds illimités pour les résoudre. Ceci n'est pas nécessairement limité aux armes nucléaires. L'argent est disponible pour perfectionner les tanks, les avions, les lance-missiles et autres engins qui ont alimenté les quelque 130 guerres au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique latine depuis 1945 - jusqu'à ce que le commerce international des armes soit prohibé. Les jeunes semblent être capables de travailler sur, disons, un missile anti-aérien sans se soucier des conséquences. Ils n'ont jamais vu abattre un avion, ni éprouvé le sentiment d'identité avec son équipage - qu'il soit ami ou ennemi - ressenti par ceux qui ont volé dans des avions de guerre. Pour nombre d'entre eux, il s'agit simplement d'un problème scientifique intéressant; la morale et la responsabilité sont écartées - la décision est le fait des politiciens.

     5. Les universités. Bien que la plupart de ces recherches hautement inutiles soient faites dans des établissements militaires et des industries associées, la réduction des crédits officiels accordés aux universités conduit les facultés des sciences et les écoles d'ingénieurs à rechercher de plus en plus de contrats à l'extérieur - ce qui signifie aujourd'hui des contrats de «défense».
     Ceci soulève toute la question: les universités doivent-elles tenter de recouvrer leur statut originel d'une «association d'érudits indépendants», ou doivent-elles devenir des centres de recherche bon marché pour l'Etat? Dans le Royaume-Uni, nous avons une longue tradition de Commissions royales, de comités d'enquête où les voix impartiales des membres de l'Université ont été très importantes mais cette possibilité d'impartialité disparaît rapidement.

     6. Le chercheur. En dehors du domaine étroit de sa spécialité, je pense que tout chercheur a la responsabilité sociale particulière de savoir ce qui se passe - et de dénoncer les fautes qu'il voit. Lorsqu'on les interroge, certains sont d'accord avec ce qui précède mais ne s'engageraient pas ouvertement, par exemple, en signant une lettre dans le Times.
     Je ne pense pas que cette irresponsabilité soit limitée à Cambridge. La plupart des scientifiques ne veulent tout simplement pas penser à ces choses là et, comme la majorité du public, croit ou accepte l'idée - que «les experts savent mieux que nous».

     7. La recherche fondamentale.

     Certes, une bonne partie de la recherche universitaire vise encore à accroître notre connaissance de la nature. Mais peut-on jamais prévoir l'application perverse de ces recherches? (En 1933, Rutherford, pionnier de la recherche nucléaire, ne prévoyait strictement aucune application industrielle à ces recherches).
     A la fin de la deuxième guerre mondiale, je me suis résolu à ne plus utiliser mes connaissances à des fins militaires et l'astronomie me sembla aussi éloignée de celles-ci qu'il était possible.
     Cependant, nous avons développé par la suite de nouvelles techniques pour faire de très puissants radio-télescopes, et ces techniques ont été détournées pour améliorer les systèmes radar et sonar. Une partie malheureusement importante des étudiants que nous avons formés ont apporté leurs connaissances dans ce domaine, comme dans bien d'autres, au service de la défense. A la fin de ma vie scientifique, j'ai le sentiment qu'il aurait mieux valu, en 1946, que je devienne fermier. Bien entendu, on peut toujours dire que d'autres l'auraient fait de toute façon c'est pourquoi nous devons nous poser la plus fondamentale des questions :
     Doit-on (dès maintenant dans certains secteurs, d'autres apparaîtront plus tard) arrêter la recherche fondamentale? Dans certains domaines, il semble aujourd'hui que les méfaits en surpassent les bienfaits. (Nous n'avons pas besoin de comprendre l'évolution des galaxies, ni les particules subatomiques avec ces coûteuses machines du CERN (La Mecque de la recherche nucléaire européenne) - Ndwebmaistre: sur ces sujets voir la note de bas de page!*).
     Les avantages de la recherche médicale sont réels, mais les horreurs potentielles des manipulations génétiques ou d'embryons le sont tout autant. Nous concevons des transplantations cardiaques, mais nous faisons très peu pour les 15 millions qui meurent chaque année de malnutrition et d'affections connexes. Notre savoir s'est accru prodigieusement  mais pas notre sagesse.

Votre dévoué,
Sir Martin Ryle
(Trad. Y. Le Hénaff)
 p.12-13
* N.d.t. Dans le même esprit, Alexandre Grothendieck, prix Field de mathématiques, intitula sa conférence au CERN en 1972: «Allons-nous continuer la recherche scientifique?» (1,6Mo .pdf). A noter également une autre conférence en 2006, accessible sur le web sur le même thème.

IV. Nouvelles

Rectificatif


     Info-Uranium est maintenant le bulletin du réseau Uranium. Abonnez-vous - 50 F par an. 7, rue de l'Auvergne, 12000 RODEZ.
     Ce bulletin assure la liaison entre les associations.
     Aidez-le à vivre en vous abonnant et en envoyant vos informations.
     L'Association Info-Uranium peut vous renseigner utilement sur tous les problèmes liés à l'installation d'une mine d'uranium.

     La lecture du texte émanant du Ministère de l'Industrie sur les coûts du kWh nucléaire nous a valu ce courrier:

Gazette N°64/65: A propos des chiffres du coût du combustible (p. 18)

1. Coût de l'uranium naturel
     Pour un réacteur de 1.300 MWe, il faut de l'uranium enrichi à 3,1%
     Masse d'uraniurn enrichi par an: 34,5 t.
     Masse d'uranium naturel nécessaire: 196 t.
     soit 5,68 t d'Uranium naturel par tonne d'Uranium enrichi.
     Chaque tonne d'Uranium enrichi va donner: 33.000 MWj en moyenne
     soit à cause du rendement 1/3 de la centrale:
     A = (33.000 x 103 x 24) / 3 kWe h/tonne
     A = 2,64.108 kWe h/t
     A = 2,64.105 kWe h/kg

     Si le coût de l'uranium est 630 F/kg comme c'est indiqué  p. 17, la dépense en uranium par kWh sera de :
     (5,68 x 630.102)/ 2,64.105 cF = 1,355 cF/kWh
     or il est indiqué 2,62 cF/kWh.
2. Coût de la conversion et de l'enrichissement
     42 ,4F/kg (p. 18) et 5,68 t à convertir pour 1 tonne d'enrichi
     156.000 UTS pour faire 34,5 t d'enrichi (réf. CEA),
     soit 4,522 UTS/kg d'U enrichi à 970 F/UTS
a) Conversion
     42,4 F/kg x 5,68 = 240,82 F par kg d'U. enrichi
     qui fournira 2,64.105 kWh
     soit 24.082 cF / 2,64.105 = 0,09 cF/kWh et non 0,13

suite:
b) Enrichissement
     970 F/UTS x 4,522 = 4.386 F/kg d'U. enrichi soit un coût par kWeh:
     4,386.105 cF / 2,64.105 kWh = 1,66 cF/kWh
     1,73 cF donné dans le tableau
3. Fabrication
     1.430 F/kg (p. 18) qui fournissent 2,64.105 kWh
     Soit 1,430.105 cF / 2,64.105 kWh = 0,542 cF/kWh et non 0,70
4. Retraitement
     6.150 F/kg (p. 18) => 2,64.105 kWh
     6,15.105 cF / 2,64.105 kWh = 2,33 cF/kWh et non 1,74

     Soit le tableau:

Valeurs calculées Valeurs tableau Coûts correspond.
U. nat 630 F/kg 1,36 2,62 1.218 F/kg
conversion 42,4 F/kg 0,09 0,13 61,2 F/kg
enrichissement 970 F/UTS 1,66 1,73 1.011 F/UTS
fabrication 1.430 F/kg 0,54 0,70 1.850 F/kg
retraitement 6.150 F/kg 2,33 1,74 4.594 F/kg
5,98 6,92

   Si je ne me suis pas planté dans mes calculs, c'est qu'il y a un défaut dans ces estimations!

     J'ai l'impression qu'il en va de même pour les bonifications.
     1. En effet, pour l'uranium résiduel ~ 0,94 t/ tonne d'U. enrichi initial à 3,1%, qui présente un léger enrichissement (~ 0,80% au lieu de 0,71% pour le naturel), on peut dire que cela représente environ 1 tonne d'U. nat.
     Donc pour 1 kg d'U. enrichi qui va fournir 2,64.105 kWeh on va récupérer 1 kg d'U. nat à 630 F/kg
     Soit 63.000 cF / 2,64.105 kWh = 0,24 cF/kWh et non 0,33
     2. Pour 1 kg d'U. enrichi on récupère 9 grammes de Pu à 100 F/g
soit 90.000 cF / 2,64.105 kWh = 0,34 cF/kWh et non 0,16 kWh

     Moralité: La règle de trois n'est plus ce qu'elle était...

p.14

1) Extraits du rapport d'activité 1984 - CEA

Etudes sur l'environnement

     Les études de dispersion en Manche de faibles quantités de radionucléides rejetées par l'usine de retraitement de la Hague ont permis de dresser une carte de distribution du césium 137 dans l'eau et de préciser les zones soumises à l'influence des rejets industriels non radioactifs...

Transfert dans les écosystèmes d'eau douce

     ... Les mesures sur le site minier de Lodève ont montré qu'il suffit d'une dizaine de kilomètres en aval des installations de la mine, pour trouver dans l'eau des rivières des teneurs en uranium et radium voisines de celles trouvées en amont. La disparition du radium dans l'eau est plus rapide que celle de l'uranium qui est présent sous forme anionique. En conséquence, les facteurs de concentration du radium dans les sédiments, les végétaux et les organismes vivants sont nettement plus élevés que ceux de l'uranium...

Le projet de stockage en formation géologique

     En hydrogéologie, on a continué le développement des appareils de mesure en forage qui ont été testés à Auriat: appareil de prélèvement d'eau sous pression, sonde de mesure, double jocker pour prélèvement d'eau ou injection dans les fissures.

2) Analyse rapide d'un article de Nature
(décembre 84)

     Analyse technique des scénarios énergétiques de l'Intemational Institut pour l'analyse des systèmes appliqués (IIASA).
     Cet article présente une critique formulée par deux chercheurs ayant appartenu à cet Institut.
      Cet Institut a fait une étude des besoins en énergie et proposé des projections pour l'avenir.
     Il s'agit donc de la critique des projections en énergie de cet Institut qui dispose de dizaines de chercheurs et d'un budget de plusieurs millions de dollars.
     Ces projections ont fait autorité (et font encore autorité) pendant des années et montraient que le recours à l'énergie nucléaire et aux surgénérateurs était inéluctable. Or, l'analyse faite par Bill Keepin et Brian Wynne montre que ces conclusions n'étaient en fait que la conséquence d'hypothèses introduites à la main. Comme ils expliquent «Impact qui est le programme du modèle contenait juste une boucle et n'avait pas d'effet sur la suite des programmes». En d'autres termes, les projections de l'IIASA étaient en fait truquées et biaisées de façon à favoriser l'énergie nucléaire sous toutes ses formes.
Remarquable que cet Institut ait dépensé 6,5 millions de dollars et 140 chercheurs pour ne rien faire... En fait l'analyse des différentes projections montre sans ambiguïté que le scénario suit ce qu'on a introduit à la main. 

suite:
3) Une utilisation rationnelle des moyens de production
(Résumé d'un rapport EDF)

     Le nucléaire a un investissement lourd mais un faible coût d'exploitation. Doit-on pour le rentabiliser utiliser les centrales au maximum de leur disponibilité (soit 6.200 h/an).
     On a vu que, pour des durées d'appel 5.000 à 3.000 h/an on a intérêt à prendre le charbon, le fuel ou l'hydraulique.

     1. Surcapacité du nucléaire
     Cette surcapacité entraîne le déclassement du thermique classique et le ralentissement de l'équipement hydraulique.
     Peut-on, dans le cadre actuel, avoir une véritable analyse des coûts, n'est-on pas conduit à trop compter sur le nucléaire?

     2. Questions sur les performances techniques
     - Fonctionnement modulé
     Suivi de charge journalier; fonctionnement à puissance réduite.
     Il reste plusieurs questions sans réponses. Quelle est l'adaptation du matériel à ce fonctionnement?
     Quelle est la quantité réelle d'effluents à traiter?
     Vieillissement et fragilisation des combustibles et du réacteur.
     - Fourniture d'énergie
     Sera-t-elle moindre en cas de fonctionnement modulé sur une durée de vie donnée?

     3. Conséquence de la modulation sur le matériel et les composantes
     - le combustible nucléaire
          analyse du comportement des pastilles dans les transitions de puissance
          rupture de crayon (amincissement des gaines)
          circuit primaire et cuve
          à cause des fissurations sous revêtement, que va donner la modulation.

     4. Coûts
     La surcapacité du parc en 1990 entraîne que sur 60 réacteurs, 6 sont à l'arrêt en hiver et 30 en été. Quelles seront les conséquences de cette surcapacité?
     Coûts d 'exploitation
     Comment évolue le coût du kWh (personnel, lieu, disponibilité et productivité).
     Coûts d'entretien
     Dispositif de surveillance - Contrôle des crayons, de l'activité du circuit primaire. Renouvellement plus fréquent du combustible? Quantité d'effluents à stocker?
     Conclusion
     Le nucléaire semblait adapté au besoin de téléréglage en heures creuses à condition d'avoir déjà utilisé les autres moyens; est-ce que des études nouvelles changent les premières conclusions?

     5. Conclusion
     Toutes les raisons techniques, économiques incitent à garder le nucléaire en base pour éviter les démarrages, les arrêts et variations rapides de régime qui sont complexes, coûteux en combustible, éprouvants pour le matériel.
     Il apparaît qu'il faut prévoir une modulation par d'autres sources que le nucléaire et que pour 1990 il est grand temps de rendre à chaque moyen de production sa vocation première. Comme conclut le rapport, est-ce que le téléréglage est prévu parce qu'on se dit «Pourquoi faire plus simple quand on peut faire plus compliqué?».

p.15

A PROPOS DE L'HIVER NUCLÉAIRE
 
     Ce dimanche 2 mars 1985 le pentagone a reconnu que l'éventualité de l'Hiver nucléaire, comme conséquence d'un échange de bombes nucléaires, était effectivement une hypothèse qui était crédible et dont il fallait se préoccuper.
     Comme ont dit les commentateurs c'est une victoire des écologistes. C'est encore plus la victoire d'une amère réalité car ceci signifie que la théorie des échanges limités est bien ébréchée et qu'en fait il y a toujours eu des scénari très réalistes d'échanges généralisés.
     Ce qui est assez amusant c'est ce que j'ai trouvé dans le bulletin de la Protection Civile Internationale (bulletin n°355, 22e année). Lors du séminaire des «Médecins de catastrophe» le 17 nov. 1984, le docteur Howard Maccabee (nom prédestiné) a introduit le TTAPS (initiales de MM. Turco, Toom, Akerman, Pollak et Sagan co-auteurs d'études sur les conséquences globales des explosions nucléaires multiples). Il critique très sévèrement le rapport qui ne se cache pas d'ailleurs d'avoir des faiblesses mais ce ne sont pas des critiques très sérieuses. Par exemple citons la fin des critiques de ce médecin:
     Le bon sens nous dicte qu'en cas de conflit nucléaire, les cibles prioritaires des attaques ennemies seront les installations de lancement de fusées, y compris les silos de missiles, les bases de sous-marins et de bombardiers. Ensuite, viendraient les centres de commandements, de contrôle et de transmissions et enfin, les autres installations militaires et les forces non-nucléaires. En quatrième position on peut avancer les cibles industrielles qui produisent des fournitures militaires en cas de guerre prolongée. Les populations en tant que telles seraient au bas de la liste à moins que l'attaquant n'agisse pas par pur esprit de revanche ou que les dirigeants tant civils que militaires aient perdu la raison, animés par le seul désir de génocide.
     Une bonne partie de la confusion qui règne provient de la publicité massive donnée au concept de l'Assurance mutuelle de la destruction (M.A.D. en anglais). En supposant un instant qu'une telle doctrine puisse avoir quelque attrait, en raison de l'imprécision des armes utilisées ou pour assurer une dissuasion mutuelle grâce à «l'équilibre de la terreur», les développements techniques intervenus par la suite ont permis de fabriquer des armes beaucoup plus précises pour contre-attaquer des cibles, et les effets secondaires d'une attaque dite de «pure riposte» sont suffisamment terribles pour assurer la dissuasion au moyen d'armes déjà existantes.
     Cependant, de nombreuses cibles industrielles et militaires se trouvent à l'intérieur ou à proximité des villes et une attaque de pure riposte risque de provoquer des ravages subsidiaires effroyables parmi la population civile, à plus forte raison si les engins éclatent sans précision ou si l'on procède à des explosions dans les airs à l'aide d'un armement de grande puissance. Avec la modernisation constante des arsenaux, si l'hypothèse de l'Hiver Nucléaire avait été tant soit peu valable, le risque maximum de la voir se réaliser se serait situé selon toute probabilité dans la dernière moitié des années cinquante ou au commencement des années soixante, à l'époque des têtes nucléaires de plusieurs mégatonnes, des missiles de la première génération imprécises, tirées à partir du sol et des Polaris ainsi que de la doctrine «M.A.D.».
suite:
     L'augmentation plus récente du nombre des armes tactiques et l'avènement de véhicules de rentrée à charges multiples indépendants ainsi que des missiles de croisière, tous deux plus petits mais plus précis, a certes élevé le nombre des engins de destruction mais n'a vraisemblablement pas augmenté le risque d'incendie des villes. Peu de personnes savent que la puissance explosive totale de l'arsenal des Etats-Unis est actuellement réduite à un quart de sa valeur maximum d'il y a deux décennies.
     En résumé, les méthodes et supputations de l'étude TTAPS sont discutables. Leur modèle de calcul ne prend en compte que la pire des hypothèses et bien que possible en tant que cas limite pour certains scénarios d'échanges nucléaires, l'Hiver Nucléaire n'est pas une issue plausible. De plus cette hypothèse manque de crédibilité pour ce qui est de la variation des scénari impliquant moins d'incendies dans les villes. Puisque le bon sens, la stratégie actuelle et les tendances de la technique rendent une riposte de valeur similaire peu vraisemblable, il est extrêmement douteux qu'une catastrophe climatique se produise. Les prédictions apocalyptiques sur la disparition de l'humanité sont comme toujours, plus utiles pour alimenter une propagande irresponsable que pour une réflexion approfondie sur les moyens d'éviter le désastre nucléaire tout en préservant la liberté.
Extrait de «Protection Civile Internationale» n°355 - p. 8


     D'une part l'argumentaire se contente de réfuter sans rien prouver. D'autre part c'est l'argument classique: ceux qui essaient de montrer à l'humanité qu'il faut arrêter cette course folle sont des irresponsables qui veulent éviter la réflexion et se contentent d'affoler.
     Par contre l'Académie des Sciences aux USA en 1984 a publié un rapport sur les «effets dans l'atmosphère d'un conflit nucléaire majeur» (La Recherche, février 1985) et sans aller jusqu'aux conclusions des premiers calculs elle écrit:

     ...«il existe une nette possibilité qu'un conflit nucléaire produise de la fumée et de la poussière en quantités suffisantes pour que la température des régions terrestres de l'hémisphère Nord chute sévèrement de 10 à 25°C et que cette situation se maintienne pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois»...
     Où en sont nos militaires, bien sûr ils vont se gausser du Pentagone. Car chacun sait: militaire, ingénieur, homme politique, qu'aux USA ce sont des ânes.
     Enfin des ânes avec un dollar à 10 F passés, avec les PWR qu'on leur a empruntés (mais les nôtres marchent mieux, sont moins chers et tutti quanti...). Bon, cessons de plaisanter, le sujet est trop grave.
     Parler du «bon sens», bien sûr, mais quand y-a-t-il eu du bon sens en temps de guerre ou dans la tête d'un militaire?
p.16

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