La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°101/102
BILAN ET PERSPECTIVES
DU NUCLEAIRE CIVIL
POUR LA FIN DU SIECLE

LE RAPPORT «ROUVILLOIS»


     Comme pour le rapport Tanguy (accès direct dans la Gazette N°100), nous n'avons fait aucune coupure, tout juste mis en gras ce que nous estimons particulièrement intéressant. 
     Ce rapport est certes plein de renseignements. Il est aussi très critique mais, à notre connaissance, il y a eu en leur temps plusieurs rapports de ce genre et l'effet fut NUL. On exorcise les démons avec un rapport. Comme l'a si bien signalé le Canard, le gouvernement actuel plus encore que les autres se drogue aux rapports. Toute la question après est de savoir si c'est un rapport "copain", "pompier" ou "cimetière" (dénominations du Canard). L'avenir nous le dira, mais à la Gazette on penche pour "cimetière".
     Et pourtant quelle lecture édifiante! On a confirmation que l'électricité vendue à l'étranger l'est à perte (22,5 c/kW à la production contre 22,4 c/kW à la vente), même si l'aveu pourrait faire croire que ça va presque, n'oublions pas tous les postes inconnus (démantèlement, stockage des déchets...). L'important est qu'en plus les auteurs du rapport n'hésitent pas à dire que la surcapacité actuelle ne doit pas conduire à construire des réacteurs pour vendre. Vous imaginez la France couverte de réacteurs et de sites de stockage de déchets pour fournir l'Europe (!). D'une part, c'est pas triste d'être le Tiers Monde de l'Europe, mais d'autre part, toute l'Europe a intérêt à apprendre à économiser l'énergie car même si les réacteurs sont en France, les nuages radioactifs seront pour TOUS.
     Le rapport nous confirme aussi que la surcapacité actuelle était déjà connue en 1982 mais que de surplace en surplace on en est maintenant (officiellement) à 7 ou 8 réacteurs en trop. Comme quoi notre estimation, une douzaine, doit être à peu près juste. C'est écrit dans un rapport qu'on vient juste de rendre public et déjà on entend dans les couloirs Framatome et EDF annoncer des constructions entre 93 et l'an 2000. Normalement, c'était gelé et on reparle de 5 ou 6 réacteurs. Il est vrai que le rapport disait bien sûr qu'il fallait maintenir l'outil industriel. Difficile de gérer la surcapacité ET l'outil.
     Attention, nous devons nous mobiliser, intervenir sans relâche car pour éviter le nucléaire et mettre sur pied une politique énergétique cohérente, nous n'avons que 10 ans. Si, en plus, on construit de nouveaux réacteurs, l'avenir va être totalement bloqué et nous serons piégés. Bien sûr, comme dit le rapport, un Tchernobyl français tuerait le programme. L'ennui est là, nous n'avons nulle envie de payer un tribut de ce genre au nucléaire. Faisons l'effort de rendre notre lobby nucléaire et nos politiciens RAISONNABLES sinon notre avenir risque d'être aussi perturbé que celui des Russes.
     Ce rapport sur le nucléaire français est tout de même une anthologie et les titres successifs parlent d'eux·mêmes.
     Après un bilan du nucléaire français, on passe aux ombres, surdimensionnement et rigidité. Au passage, le rapport parle d'«Une grande discrétion des pouvoirs publics». Même en le créditant de l'arrêt de la filière surgénérateur, force est de constater que les politiques suivent le lobby. Quant à la 3e partie, elle refait la liste des problèmes et depuis les premiers rapports de 1977, on ne constate guère d'améliorations car on a toujours aussi peu de réponses sur l'aval du cycle (stockage des déchets et démantèlement).
     Il y a d'ailleurs une phrase géniale pour les déchets: "la contrainte principale dans ce domaine est la capacité de la population locale à accepter le principe du site de stockage, beaucoup plus que les avantages techniques...". Bon, on sait bien que dans la liste des critères figure en bonne place le fait que la population remue ou non mais tout de même...
     Le rapport a quelques petites phrases de ce genre: «un certain consensus de l'opinion» mais ce consensus est plus fragile depuis Tchernobyl à cause du nuage bien sûr, mais aussi à cause des lacunes dans l'information. Bien sûr, ça s'agite partout dans les milieux officiels depuis 4 ans, mais s'agiter ne crée pas une information de qualité. Et puis, c'était tellement plus drôle de ne pas tenir compte des habitants. Le droit français est tellement accommodant.
     En 1993, il faudra faire quelques révisions déchirantes, espérons que cela permettra aux associations de faire admettre leurs demandes. Il faut reconnaître que ces demandes qui vont dans le sens de la sûreté, de la prise en compte par les habitants de leur destin, sont RÉVOLUTIONNAIRES mais il faudra bien s'y habituer. EDF et le CEA qui pensaient pour tout le monde, y compris leurs personnels, ont du mal à digérer ces nouvelles approches. Mais tout de même l'analyse des rapporteurs est sévère, le CEA finalement met tout le monde devant le fait accompli. Il décide tout seul: Atelier pilote et ATALANTE à Marcoule pour le retraitement, par exemple.
suite:
     Tout ceci parce que "L'importance excessive des états majors et la redondance des échelons de commandement sont évidents". Aucune illusion à se faire car les pouvoirs publics n'ont pas un rôle modérateur, ils se contentent d'entériner. Heureusement que l'enveloppe financière a des limites sinon je crois qu'on pourrait avoir peur.
     N'oubliez pas, nous n'avons JAMAIS gagné, JAMAIS. Le programme s'est ralenti lui·même parce qu'il n'était pas à la mesure des besoins français. Quant au programme militaire, nous n'avons pas non plus pu faire quoi que ce soit, c'est seulement les finances qui freinent enfin...
     Mais tout de même, nous devons intervenir encore et encore, et au moins freiner cette machine nucléaire démente. Car NOUS AVONS RAISON. Il ne faut pas faire du nucléaire à gogo car nous y perdrons trop de plumes. Regardez les Russes confrontés aux problèmes de décontamination et d'évacuation. 
Il faut que chacun se rende compte que nous risquons vraiment de payer fort cher une boulimie de consommation d'énergie. Et pas seulement à cause de notre parc de réacteurs, le plus important mondialement rapporté au nombre d'habitants et à la superficie du territoire.
     Le rapport Rouvillois est assez clair sur l'impression bricolage qui donne certaines options: retraitement, démantèlement, stockage des déchets, combustibles MOX. A chaque fois, la décision a été prise sans analyse complète du problème. On passe du laboratoire au stade industriel sans mesurer toutes les conséquences. Le lobby nucléaire a autant de mal que la chimie, l'agriculture à admettre qu'à un moment il faudra gérer des rejets. Ceci explique les problèmes actuels de notre société. Finalement c'est aux autres à s'occuper des résidus. Et pour éviter de se poser des problèmes, on affirme ne rien rejeter bien qu'on soit muni d'autorisations de rejets. On ne fait aucune étude de santé pour vérifier les effets des rejets dans l'environnement. Aucune n'est pas le mot exact, on ne fait pas assez de corrélation. Ce sont des sciences difficiles mais il serait inadmissible d'admettre que l'être humain doit payer de sa vie l'accès à un mieux vivre réservé à une élite. Il faut développer la toxicologie, l'épidémiologie.
     Et en plus, il ne faut pas garder le nez sur le présent et ne penser qu'à l'argent. Il faut prévoir. Manifestement, ce n'est pas ce qu'on fait depuis des années. On a créé des institutions pour gérer le nucléaire et on leur a tout confié. Il ne faut pas s'étonner après d'avoir trop de réacteurs, trop d'électricité, trop de rejets. C'est NORMAL. L'ennui c'est que c'est la nation qui paie les pots cassés et pas EDF ou le CEA. Le rapport, sur ce sujet, est édifiant: la COGEMA paie l'uranium plus cher à cause d'accords passés avec l'Afrique. EDF "lisse" ses commandes et fait des prêts à Framatome pour préserver l'OUTIL. Comme il est dit: "Une réflexion en commun a été conduite par les deux entreprises; elle débouche notamment sur la conclusion que l'étiage minimum acceptable par Framatome correspond à la commande d'une nouvelle tranche tous les trois ans et au renouvellement de trois générateurs de vapeur par an".
     Et si cela n'entre pas dans la politique énergétique TANT PIS! Il faudra prendre la réflexion des DEUX ENTREPRISES. A quand la définition du programme de construction des lycées et collèges par les entreprises de bâtiment comme le disait déjà le rapport Schloessing en 1977? Cela résoudra enfin le problème de la surcharge des classes car nous croulerons vite sous les constructions exédentaires (notez que ce n'est pas le cas encore, on a du mou d'ici l'an 2000 mais enfin tous les espoirs sont permis!).
     Notons d'ailleurs que le rapport Rouvillois (1989) est déjà en retard sur les derniers fantasmes d'EDF (7 réacteurs de plus d'ici à l'an 2000). Comme on a déjà 7 de trop officiellement (12 dans les couloirs), on va en avoir de 15 à 20 de trop. Sur 70 réacteurs en tout, ça ferait quand même un fort pourcentage - 25% environ -. Et si on faisait enfin un bilan vérité du poids du nucléaire sur la nation, en partant des sous-marins, des têtes et autres gadgets pour finir par les sites de stockage de déchets! N'oublions pas à ce sujet les liens privilégiés du CEA avec les militaires et ne nous étonnons plus qu'on ne fasse jamais de vérification. Fi donc! Tout pour la défense de la Nation. Il n'empêche que les erreurs de gestion ça existe et on ferait mieux d'en tenir compte.

     Bonne lecture. Vous trouverez vous-mêmes les passages croustillants et vous les utiliserez au mieux. 

p.2

RAPPORT SUR LE BILAN ET LES PERSPECTIVES
DU SECTEUR NUCLÉAIRE CIVIL EN FRANCE
Par Henri Guillaume, René Pellat, Philippe Rouvillois - Mai 1989
 
Introduction
     La mission qui a été confiée le 30 novembre 1988 aux trois auteurs de ce rapport par M. Roger Fauroux, Ministre de l'Industrie et de l'Aménagement du Territoire, et M. Hubert Curien, Ministre de la Recherche et de la Technologie avait pour objet d'identifier les enjeux d'avenir du secteur nucléaire civil en France, et les conditions à remplir pour que la France maintienne sa position privilégiée dans ce domaine.
     La mission était invitée à étudier particulièrement, en vue de formuler des propositions, les thèmes suivants:
     - l'organisation industrielle du secteur, en particulier les relations techniques, commerciales et financières entre les principaux partenaires;
     - la recherche-développement, son niveau souhaitable, les priorités pour l'avenir, sa répartition entre les acteurs concernés;
     - le rôle de la puissance publique et l'efficacité de son intervention dans les domaines essentiels de son ressort.
     La mission a poursuivi ses investigations et réflexions pendant cinq mois environ et a travaillé de façon essentiellement collégiale. Elle a rencontré de très nombreuses personnalités appartenant ou ayant appartenu au secteur du nucléaire civil, ou en relation avec lui. Elle s'est rendue sur place dans plusieurs établissements du CEA et de COGEMA, à l'usine de fabrication du combustible de Romans, ainsi qu'au Royaume Uni et en Allemagne Fédérale pour y rencontrer les responsables des secteurs nucléaires de ces deux pays. Elle a procédé, à leur demande, à l'audition de plusieurs organisations syndicales du CEA.
     Etant donné l'étendue et la complexité du sujet, la mission n'aurait pas pu mener à bien sa tâche sans le concours actif de ses rapporteurs: MM. Philippe Capron, Dominique d'Hinnin, Pierre Lepetit et Gérard Malabouche pour l'Inspection Générale des Finances, MM. Dominique Henri, François Mudry et Henri-Edmé Wallard pour le Corps des Mines. Ceux-ci ont approfondi les investigations de la mission, et rédigé de nombreuses notes d'analyse qui ont servi de base à la rédaction du présent rapport.
     Enfin, il convient de souligner que la mission a reçu le meilleur accueil et bénéficié d'un grand esprit de coopération de la part de l'ensemble de ses interlocuteurs, en particulier dans les Ministères et au sein des principaux organismes et entreprises du secteur nucléaire. Que tous en soient ici remerciés.
     Le rapport examinera successivement:
     - l'environnement international en matière de nucléaire civil, et ses perspectives à moyen et à long terme;
     - le bilan du nucléaire français: ses succès indéniables, ses ombres, l'organisation actuelle du secteur;
     - les perspectives d'activité du secteur nucléaire français, dans sa composante industrielle comme dans ses activités de recherche;
     - l'avenir des principaux acteurs et le rôle de la puissance publique.
suite:
ANNEXE 1
Ministère de l'Industrie et de l'Aménagement du Territoire
Le Ministre
Ministère de la Recherche et de la Technologie
Le Ministre
     Messieurs,
     Le programme électronucléaire français est un indéniable succès technique. La production d'électricité d'origine nucléaire représente aujourd'hui près des trois quarts de la production totale d'électricité. L'industrie nucléaire française est parvenue à maturité et, dans le domaine du cycle du combustible, occupe le premier rang mondial.
     L'avenir de ce secteur, caractérisé par la nécessaire adaptation du niveau des investissements aux besoins les plus probables sur le marché intérieur, et par une concurrence accrue sur les marchés mondiaux, n'en soulève pas moins de nombreuses interrogations.
     C'est pourquoi nous souhaitons vous confier une mission de réflexion et de proposition dont l'objet serait, après avoir identifié les enjeux du moyen et du long terme, d'évaluer les conditions à remplir pour que la France maintienne sa position prééminente dans le domaine du nucléaire.
     Dans ce cadre, il nous paraît indispensable d'étudier en particulier les thèmes suivants:
     - L'organisation industrielle du secteur et les relations entre partenaires français (EDF, CEA, COGEMA, FRAMATOME...). Un bilan sur ce point, évaluant les évolutions passées et la situation présente, est une étape prioritaire de la mission. Elle exige une analyse précise de l'ensemble des relations techniques, commerciales et financières entre les différents partenaires. Il conviendra sur ces bases de s'interroger sur la possibilité de maintenir et de développer nos positions industrielles dans ce secteur et sur les alliances et coopérations susceptibles de concourir à cet objectif.
     - La recherche-développement: les priorités et le niveau de l'effort global de recherche et développement qu'il paraît nécessaire d'accomplir dans ce secteur au cours des prochaines années requièrent un examen approfondi. L'analyse de la situation chez nos principaux concurrents et des stratégies qu'ils mettent en œuvre apporterait un éclairage indispensable pour évaluer notre propre politique.
     Une réflexion doit être en même temps menée afin de déterminer les conditions optimales de répartition de la réalisation et du financement de ces travaux de recherche et développement entre les différents partenaires concernés. 
     - Le rôle de la puissance publique et l'efficacité de ses modalités d'intervention devront être étudiés attentivement. Il importe en particulier d'examiner les conditions d'exercice de ses fonctions dans des domaines essentiels: promouvoir et contrôler les mesures de sûreté, définir la politique de stockage définitif des déchets, soutenir la recherche de base, fixer les grandes orientations de la politique nucléaire extérieure.
     Vous formulerez sur l'ensemble de ces points toutes les propositions que vous jugerez nécessaires pour favoriser l'adaptation du secteur nucléaire aux nouveaux enjeux de l'avenir. A cette fin, vous conduirez avec le concours de l'Inspection Générale des Finances et du Conseil Général des Mines les investigations dans les organismes concernés que vous estimerez nécessaires.
     Nous attacherions du prix à disposer de vos résultats pour le mois de mai 1989.
     Veuillez agréer, Messieurs, l'expression de nos sentiments les meilleurs. 
Roger FAUROUX
Hubert CURIEN
p.3
Les passages en gras sont soulignés par la Gazette.
PREMIÈRE PARTIE:
L'ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL
 
Les perspectives à l'horizon 2000
     Au moment où le programme électronucléaire français entre durablement dans une phase de maturité, le climat d'incertitude qui pèse sur l'avenir du nucléaire mondial est loin de se dissiper.
     Certes, par un mécanisme d'inertie propre au secteur (le décalage important dans le temps entre commande et livraison), la capacité nucléaire installée a continué de croitre sur la période 1980-1990. Pour l'ensemble du monde à économie de marché, la puissance installée passera de 125 GWe en 1980 à 290 GWe en 1990.
     Mais jusqu'à la fin du siècle, les perspectives sont beaucoup moins encourageantes. Aux Etats-Unis et dans une grande majorité des pays de l'Europe de l'Ouest, les programmes nucléaires sont gelés, voire remis en question. La situation de notre voisin allemand est à cet égard très préoccupante puisqu'il est vraisemblable qu'aucune commande de centrales ne sera décidée avant la fin du siècle(1). Les pays en voie de développement, sur lesquels beaucoup d'espoirs étaient fondés voici quelques années, ne prendront pas le relais en raison de leur situation financière et de leur insuffisante capacité technologique.
     Dans cet environnement maussade, l'Extrême Orient et les pays de l'Est constitueront les seuls foyers de croissance.
     Le Japon poursuit à l'évidence une stratégie, cohérente et volontaire, de développement à long terme de son potentiel électronucléaire. La montée en régime progressive de son programme est un atout. Elle lui permet de bénéficier des transferts de technologie des concurrents les plus performants, et de disposer d'une grande flexibilité pour accomplir rapidement les sauts nécessaires vers les technologies les plus avancées.
     Dans le domaine du cycle du combustible, la volonté japonaise de se doter d'une industrie compétitive, présente d'abord sur le marché national et l'Extrême-Orient, puis au niveau mondial, est manifeste.
     Le Japon s'appuie sur des groupes industriels puissants; il consacre des efforts importants et très diversifiés à la recherche-développement, aussi bien pour les réacteurs que pour le cycle.
     Même si la contestation née de l'accident de Tchernobyl s'amplifie, et si le programme a glissé par rapport aux prévisions du MITI, le Japon est en passe de combler rapidement son retard pour accéder au premier rang des puissances nucléaires civiles.
     L'Union Soviétique pour sa part avait décidé un plan extrêmement ambitieux d'accroissement de sa puissance électronucléaire. La capacité installée devait plus que doubler de 1990 (53 GWe) à 2000 (125 GWe). Tchernobyl a été le révélateur de la mauvaise organisation et des insuffisances du secteur nucléaire soviétique. L'apparition de mouvements antinucléaires, l'arrêt de plusieurs tranches après les tremblements de terre en Arménie, jettent un doute sérieux sur la poursuite du programme soviétique au rythme prévu. La perception de ces difficultés a conduit les autorités soviétiques à rechercher la caution et la coopération des occidentaux.
suite:
Il est prématuré de conclure que cette évolution conduira à l'ouverture de nouveaux marchés à l'exportation. Mais, ne serait-ce que pour favoriser une priorité à donner aux impératifs de sûreté, il est essentiel de proposer aux Soviétiques de nouvelles formes de coopération afin de sortir l'URSS du cadre autarcique dans lequel elle a développé son programme nucléaire.
     L'URSS, présente depuis longtemps sur le marché de l'enrichissement de l'uranium, pèse aujourd'hui sur les cours par une politique de dumping. Il semble enfin qu'elle soit décidée à se lancer dans une politique de retraitement à l'échelle industrielle.
     Pour rester dans le domaine du cycle, soulignons l'apparition de la Chine sur le marché de l'uranium naturel, de l'enrichissement et du retraitement. Dans ce dernier cas, la Chine joue un rôle indirect en offrant de prendre en charge le stockage des combustibles irradiés sur son territoire. Trois pays ont été approchés: la RFA, la Suisse et l'Espagne.
     De ce rapide tour d'horizon, il est possible de déduire qu'à moins d'un choc énergétique brutal et survenant rapidement, la capacité électronucléaire mondiale progressera très faiblement jusqu'à la fin du siècle. Pour le monde à économie de marché, elle passerait de 290 GWe en 1990 à 330-340 GWe en 2000, avec une quasi-stagnation aux USA et en Europe de l'Ouest.
     Ce diagnostic, peu contesté aujourd'hui, signifie que les créneaux à l'exportation de chaudières nucléaires seront très étroits en raison de la stagnation des marchés nationaux ou de la difficulté de pénétrer sur les marchés en croissance. L'exportation ne pourra donc, on y reviendra, que très ponctuellement soulager la "traversée du désert» de FRAMATOME et ne le dispensera pas des restructuration nécessaires que lui impose la récession du marché intérieur.
     Dans le domaine du cycle du combustible, après la forte expansion des années 80, le volume des besoins serait jusqu'à la fin du siècle en croissance faible aux Etats-Unis; la croissance serait voisine de 8% en Europe et dépasserait 60% en Extrême-Orient; pour l'ensemble du monde à économie de marché, elle serait de 20%. Le contexte commercial du marché s'est profondément transformé. Les compagnies électriques ne se livrent plus à la recherche anxieuse de fournisseurs primaires solides pour assurer sur le long terme l'approvisionnement en combustibles d'un parc de réacteurs en croissance rapide. Les stocks importants accumulés en amont du cycle, les surcapacités de production les orientent vers des engagements de plus court terme qui permettent de peser sur les prix. Enfin, après une période d'investissement massif, les électriciens n'ont plus que la réduction des dépenses de combustibles à leur disposition pour assurer la compétitivité du nucléaire.
     Dans un climat de concurrence qui va donc s'intensifier, tout doit être entrepris pour préserver et renforcer les positions de l'industrie française du cycle, qui réalise aujourd'hui près de 40% de son chiffre d'affaires à l'étranger. 
La seconde priorité, évidente, est d'utiliser au mieux les capacités d'EDF pour développer une politique d'exportation dynamique. Ce point sera repris par la suite.
p.4
1. Il faut noter qu'en RFA les capacités installées suffisent à cet horizon et que seul le remplacement des premières tranches installées pourrait être envisagé, en prenant l'hypothèse d'une durée de vie de 20 ans.
II. Vers un redémarrage du nucléaire après 2000?
     Cette "traversée du désert" se prolongera-t-elle dans la première décennie du siècle prochain?
     La perspective à un horizon si lointain est un exercice périlleux qui dépasse le champ de la mission, même si, dans le nucléaire civil, la constante de temps propre au secteur exige en permanence un éclairage de très long terme(2).
     La place de l'électricité nucléaire dans le bilan énergétique mondial dépendra d'abord de sa compétitivité au sens large par rapport aux autres sources d'approvisionnement. Dans les pays industrialisés, les prévisions doivent prendre en compte une certaine saturation des besoins après le développement rapide des usages de l'électricité au cours des quinze dernières années. Il est donc probable que les taux de croissance de la demande d'électricité se ralentiront à long terme. Les efforts de recherche-développement menés par certains pays, comme la RFA et les USA, pour économiser la consommation d'électricité pourraient jouer dans le même sens.
     En ce qui concerne la production d'électricité, l'avantage économique du nucléaire par rapport à l'électricité produite à base de charbon n'est plus aussi évident en raison de la baisse du prix des combustibles minéraux. La compétitivité relative de ces deux formes d'énergie varie d'un pays à l'autre, voire au sein même d'un pays comme les USA, en raison notamment de la diversité des coûts de construction des centrales nucléaires, mais le nucléaire n'est plus assuré de l'emporter dans toutes les situations.
     Les combustibles minéraux solides représentent l'énergie fossile la plus répandue sur la planète. A long terme, les tensions sur le marché international du charbon sont peu probables et conduisent à envisager une faible dérive des prix. Toutefois, la lutte contre la pollution atmosphérique entraînera sans doute des surcoûts notables. En outre, les transports, souvent difficiles et coûteux, pourraient limiter la penétration du charbon dans le bilan énergétique. 
Il reste que le charbon continuera d'être un concurrent redoutable pour le nucléaire.
     Il en va de même pour le gaz, dont les ressources potentielles sont importantes si les efforts de prospection, jusqu'ici modestes, s'intensifient. La combustion du gaz est par ailleurs moins polluante que celle des autres combustibles fossiles. A un horizon de vingt ans, les problèmes de logistique qu'impliquent les transports de longue distance risquent néanmoins de limiter son emploi aux zones productrices ou proches des centres de production.
     Sur une base strictement économique, la production d'électricité nucléaire, faute de bénéficier de tous les effets favorables liés à un parc de centrales standardisé et de grande taille, ne disposera donc pas inéluctablement d'un avantage de compétitivité.
     A moins d'une montée brutale du prix des énergies concurrentes, le recours au nucléaire ne sera privilégié spontanément que dans les pays attachant un prix important à leur indépendance énergétique et à la diversification de leurs sources d'approvisionnement.
     En fait, dans tous les pays, la clef du redémarrage résidera dans la réponse apportée aux problèmes de sûreté et d'environnement. Un "nouveau Tchernobyl" porterait un coup sans doute définitif aux espoirs formés par l'industrie nucléaire. Dans ce contexte de grande vulnérabilité, l'enjeu majeur pour certains pays sera de rendre crédible aux yeux de l'opinion des concepts nouveaux de sûreté sans pour autant compromettre substanciellement la rentabilité économique du nucléaire. Ceci explique par exemple aux Etats-Unis la vogue actuelle du concept de réacteurs modulaires à sûreté passive.
     Le souci de préservation de l'environnement, en particulier la préoccupation croissante à l'égard du phénomène d'effet de serre, représente en sens inverse un atout important pour le nucléaire. Les auteurs de ce rapport sont convaincus que les mérites du nucléaire à cet égard seront progressivement reconnus, à condition que la gestion de la fin du cycle soit convenablement effectuée. Il ne faut pas cependant sous-estimer la lenteur de cette prise de conscience dans l'opinion publique et croire naïvement qu'une conversion rapide des mouvements écologiques puisse entraîner à bref délai un déplacement en faveur du nucléaire du centre de gravité des critiques.
suite:
     En définitive, l'évolution aux Etats-Unis a toutes chances d'être un facteur déterminant de l'avenir du nucléaire à l'échelle mondiale. Quelques données illustrent bien l'enjeu. Le gel prolongé du programme nucléaire réduirait, en l'absence de renouvellement, la capacité nucléaire des Etats-Unis à 50 GWe en 2020, soit la moitié de leur parc actuel. Au contraire, une reprise à partir de 2000 pourrait doubler la capacité existante. L'effet d'entraînement exercé par un changement d'attitude américain serait donc considérable.
     En dehors de la sensibilité de l'opinion américaine, de nombreux obstacles s'opposent à une reprise du nucléaire: la structure dispersée du secteur électrique qui freine la standardisation des équipements et l'optimisation du système de production ; une autorité de sûreté excessivement juridique qui a suscité des réglementations paralysantes sans offrir pour autant une garantie supplémentaire de qualité et de sûreté; une pratique d'amortissement qui pénalise le nucléaire, technique très capitalistique.
     Pour surmonter ces difficultés, l'industrie américaine s'est lancée dans la conception d'une génération avancée de réacteurs modulaires, de faible capacité (60 MW), à eau légère ou à haute température, et tente de promouvoir le concept de sûreté «intrinsèque» (ou «passive»). Ces projets de réacteurs, selon leurs promoteurs, se prêteraient mieux à la standardisation et à la fabrication en usine des grands composants.
     Les recherches menées en commun avec les constructeurs japonais n'ont pas dépassé le stade des études-papier. De ses entretiens, la mission retire l'impression que la communauté nucléaire française regarde avec un certain scepticisme cette tentative. D'aucuns considèrent même que les Américains, par la publicité accordée à la notion de sûreté passive, visent en fait à déstabiliser le parc de leurs concurrents. Les électriciens européens et sans doute japonais, semblent partager la conviction que les petites capacités ne seront pas rentables économiquement(3).
     Au total, c'est un sentiment de prudence qui prévaut chez la majorité des interlocuteurs rencontrés. L'opinion dominante est que le nucléaire redémarrera aux Etats-Unis à l'horizon du début du siècle prochain, mais que la reprise des commandes se fera sur une base modeste, le nucléaire n'accroissant pas sensiblement sa part de marché.
     L'évolution des Etats-Unis sera sans conteste déterminante pour l'avenir du nucléaire en Europe. En effet, à l'exception de l'Espagne et de la Grande-Bretagne où quelques perspectives de développement s'ouvrent, on voit mal aujourd'hui comment une dynamique spécifiquement européenne pourrait surmonter les facteurs de blocage qui se renforcent dans la majorité des pays. Même s'il convient de le regretter, l'Europe du développement du nucléaire risque de ne pas se réaliser avant longtemps. Le renforcement des liens entre la France et la RFA est certes un pas important dans cette direction, mais à l'heure actuelle, cette coopération est avant tout un moyen de survie pour le secteur nucléaire allemand. Il serait vain d'en attendre une contribution décisive à la définition des réacteurs du futur, ou à l'élaboration d'une doctrine commune en matière de sûreté, avant que l'horizon ne soit éclairci en RFA.
     Ecartant les deux scénarios extrêmes - celui catastrophique d'un accident entraînant un moratoire généralisé4 ou celui d'un choc énergétique, conjugué avec ce que l'un des interlocuteurs de la mission a qualifié de «fantasme du C02» - l'opinion la plus couramment exprimée penche vers un redémarrage progressif du nucléaire à l'échelle mondiale sur la période 2000-2020.
     Si on accepte cette hypothèse, plusieurs conséquences en découlent.
     La première est que les surcapacités dans l'industrie du cycle du combustible ne se résorberont que très progressivement et que la seule évolution du parc de centrales installées ne justifierait pas d'investissements significatifs avant 2010. En particulier, pour le monde à économie de marché, les besoins cumulés en uranium naturel n'atteindraient le niveau des ressources raisonnablement assurées (à moins de 80 $/kg) qu'à l'horizon 2020. Le spectre de la pénurie d'uranium, si tant est que ce risque existe, souvent avancé pour justifier le choix de la filière rapide, serait ainsi repoussé dans le temps.
p.5
2. Nous renvoyons à cet égard aux travaux CEA-Dpg/COGEMA - Etude prospective sur l'évolution de la demande relative au cycle du combustible nucléaire dans le monde. Février 1989.
3. Il ne nous appartient pas d'entrer dans ce débat. Remarquons simplement que le maintien du statu-quo technique et réglementaire condamnerait sans doute pour de longues années le développement du nucléaire aux USA. A l'inverse, des décisions rapides (avant la prochaine décennie) transformant profondément son environnement pourraient lui donner un nouvel élan.
4. Dans cette hypothèse, il est probable que le nucléaire mondial continuerait de subsister dans trois pays: le Japon, l'URSS, la France. Une telle évolution bouleverserait les données industrielles et entraînerait un cloisonnement des industries nucléaires.
     La seconde est que les réacteurs à eau légère conserveront à échéance de 20 ou 30 ans une situation dominante dans le parc de réacteurs. L'une des priorités de la recherche-développement nucléaire sera donc d'améliorer les performances du parc existant et de préparer une nouvelle génération de réacteurs à eau légère plus sûre et plus compétitive, ce qui dans le cas de la France constitue la meilleure défense contre la déstabilisation de son parc. Ceci ne signifie pas pour autant qu'il faille négliger les autres filières. Mais les échéances sont suffisamment éloignées pour que les choix ne soient pas figés prématurément, ce qui exige une plus grande flexibilité des programmes de recherche-développement et une veille technologique plus systématique et plus ouverte.
     C'est d'ailleurs à cette condition que l'industrie française pourra participer au redémarrage du nucléaire, quelles que soient les incertitudes sur sa date et son ampleur.
     Car à l'évidence - et ce sera le dernier point - après une longue période de "traversée du désert", il est peu probable que les marchés nationaux s'ouvrent facilement. La concurrence japonaise va s'intensifier sur les marchés du Pacifique. Les constructeurs de chaudières américains, surtout s'ils réussissent à crédibiliser leurs nouveaux modèles, seront difficiles à combattre sur leur marché intérieur et feront de grands efforts pour faire prévaloir leur standard à l'exportation.
     Dans l'idéal, la stratégie à long terme du secteur nucléaire français devra donc concilier deux impératifs qui ne sont pas nécessairement complémentaires: préparer dans les meilleurs conditions le renouvellement du parc d'EDF, et se saisir de toutes les opportunités de reprise pour renforcer sa dimension internationale.

III. L'organisation du secteur nucléaire à l'étranger
      La mission a étudié l'organisation des principaux pays en procédant à l'audition des attachés nucléaires et en effectuant un déplacement en Grande-Bretagne et en RFA.
     Il est délicat de tenter une synthèse de ces références étrangères(5) tant est grande leur diversité, fruit de l'histoire, du contexte institutionnel et des traditions industrielles. Néanmoins leur examen permet de dégager quelques enseignements utiles.

     - L'effort de recherche-développement, s'il a décru parfois de façon importante depuis 1980, reste soutenu même dans les pays qui ont gelé leur programme d'équipement. Ces recherches couvrent un spectre assez large aussi bien pour les réacteurs que pour le cycle, d'où la nécessité pour la France de pratiquer une veille technologique ouverte et flexible, comme cela vient d'être souligné.
     - L'organisation de la recherche-développement repose sur le dialogue entre trois partenaires:
     · la puissance publique, qui finance l'essentiel de la recherche à long terme, gère une partie souvent importante du potentiel de recherche (même aux USA où elle le sous-traite) et assure un rôle d'impulsion parfois décisif comme au Japon.
     · les exploitants, producteurs d'électricité, qui orientent et financent une partie de la recherche soit directement, soit par le biais d'une taxe payée par les usagers. Par contre une contradiction apparaît dans certains pays entre la responsabilité croissante des exploitants et leur émiettement qui conduit à une certaine prudence vis-à-vis du nucléaire, en particulier à cause des réactions de l'opinion publique.
     · les industriels fabricants de chaudières (sauf en Grande-Bretagne) qui exercent un rôle important dans la préparation et le choix des filières de réacteurs. C'est le cas en RFA pour KWU, aux USA avec Westinghouse et General Electric qui ont un rôle important dans la promotion des filières de "base" (PWR, BWR) ou dans la relance de concepts nouveaux. Il convient de souligner que ces industriels sont les filiales de groupes puissants pour lesquels le nucléaire (réacteurs et cycle) ne représentent qu'une activité au sein d'un portefeuille très diversifié.
     Au regard de ces éléments, il est clair que la structure et l'organisation du secteur nucléaire français sont particulières. Elles ont été sans conteste une condition du succès du programme électronucléaire national. Pour amorcer une coopération européenne, il faudra concilier cette originalité, sans en perdre l'efficacité, avec les traits spécifiques de nos partenaires.
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ANNEXE 2
L'ORGANISATION DU SECTEUR NUCLÉAIRE À L'ÉTRANGER
 
Les Etats-Unis
     L'organisation nucléaire américaine est celle d'un Etat fédéral. Elle est marquée par la multiplicité des acteurs et intervenants.
     Les responsabilités de l'Administration fédérale en matière énergétique sont limitées. Le Département de l'Energie (DOE) ne peut guère influer sur la politique énergétique que par son budget de recherche et développement. C'est ainsi que la politique de la multitude des compagnies électriques privées américaines est entre les mains des "Public utilities Commissions" qui définissent souvent leur stratégie en fonction de considérations locales.
     Le seul vrai pouvoir énergétique au niveau fédéral se situe au Congrès, mais son impact est affaibli par le nombre élevé et croissant des Commissions compétentes (10 au total pour le nucléaire).
     On est loin de l'efficacité et de la simplicité du système initial lors du lancement du programme nucléaire américain: un seul organisme public l'Atomic Energy Commission (AEC) et une seule Commission au Congrès (Joint Committee ou Atomic Energy).
     Aux USA, la majeure partie de la recherche-développement nucléaire est effectuée sur le budget du DOE; plus de la moitié est consacrée au développement et à la fabrication des armes nucléaires pour le Département de la Défense.
     Les programmes menés sur financement fédéral sont réalisés dans les grands laboratoires nationaux (Lawrence Livermore, Los Alamos, Oakridge, Hanford...) qui sont en fait exploités sous contrat par des sociétés privées (Westinghouse, Dupont, Martin Marietta...). Les employés du DOE sont surtout chargés de la gestion administrative et du contrôle d'exécution de ces programmes. Ces conditions sont favorables au transfert de la technologie vers l'industrie. Par l'exploitation des laboratoires, les industriels peuvent maintenir à moindres frais un vivier de chercheurs. La contrepartie est une baisse progressive de la qualité d'exploitation et de maintenance des installations défense du DOE.
     L'administration américaine s'interroge elle-même sur la viabilité de son industrie nucléaire. Que reste-t-il de l'imposante puissance industrielle des quatre grands constructeurs: Westinghouse, General Electric, Combustion Engineering, Babcok-Wilcox et des grands architectes industriels? Constructeurs et architectes ont depuis dix ans réduit leur personnel et redéployé leurs activités nucléaires vers les marchés des combustibles, des services et de la maintenance; marchés très rémunérateurs compte tenu de l'hétérogénéité du parc et du niveau variable de compétence des électriciens. Par ailleurs, le secteur nucléaire ne constitue pour certaines sociétés qu'une fraction très faible de leurs activités.
     Enfin, le secteur public et la coopération étrangère leur donnent les moyens de maintenir en activité une capacité de recherche-développement importante: contrats directs de recherche, en addition de l'exploitation des laboratoires nationaux, accords avec les licenciés et partenaires étrangers (le développement des réacteurs à eau avancés s'effectue avec une participation financière majoritaire des Japonais).
     Les industriels américains ont su s'adapter pour survivre et on aurait tort de sous-estimer leur capacité à exploiter une reprise éventuelle du marché nucléaire civil.

Le Japon
     Avant de présenter les relations entre les principaux acteurs du nucléaire japonais, il faut souligner le rôle particulier de l'Atomic Energy Commission (AEC), organisme japonais qui ne semble pas avoir d'équivalent exact dans d'autres grands pays industrialisés.
     L'AEC fait partie du Cabinet du Premier Ministre. Elle a pour Chairman le Ministère de la STA (Science and Technology Agency) et comprend un "acting chairman" et trois commissaires. A la différence d'autres organismes japonais simplement consultatifs, l'AEC est autorisée par la loi japonaise à préparer et planifier la politique de développement nucléaire du pays et à prendre des décisions sur des sujets importants touchant le développement et l'utilisation de l'énergie nucléaire. Les décisions de la Commission doivent être respectées par le Premier Ministre.
     Pour définir la politique de développement nucléaire à long terme, l'AEC s'appuie sur le travail de Commissions (par exemple sur le retraitement, l'enrichissement, les RNR, les technologies de base liées au nucléaire).
     Ces Commissions regroupent des membres du secteur public (ministères, laboratoires nationaux), des universitaires et des représentants de l'industrie nucléaire et des compagnies électriques. Leurs rapports, une fois approuvés par l'AEC, sont remis officiellement au Premier Ministre et deviennent politique officielle du gouvernement.
     La tutelle du secteur nucléaire est assurée par deux organismes:
     - l'Agence pour la Science et la Technologie (STA) est responsable de l'ensemble des activités de recherche publique, à l'exclusion de la recherche universitaire, qui est du ressort du Ministère de l'Education. Tout ce qui a trait au nucléaire dépend de deux de ses divisions:
     · le pilotage de la recherche-développement est effectué par l'Atomic Energy Bureau (AEB);
     · les évaluations de sûreté et les questions d'application des garanties de l'AlEA sont traitées par le Nuclear Safety Bureau.
     En ce qui concerne la recherche-développement nucléaire, les deux principaux organismes de recherche publics sont PNC (plus particulièrement spécialisé dans la recherche sur le cycle et l'évaluation du Pu) et le JAERI (qui a une vocation plus fondamentale et travaille notamment sur les HTR). Leurs subventions figurent au budget de la STA, qui approuve les propositions de programmes, suit leur exécution et conduit leur évaluation.

suite:
Le MITI
     Dans le domaine nucléaire, il joue un rôle important pour toutes les activités de caractère industriel et commercial. Il suit également l'ensemble des activités qui sont au stade de la recherche-développement dans l'optique de leur futur développement industriel, et prend le relais de la STA à partir de l'étape de la démonstration industrielle.
     Le rôle du MITI dans les activités de recherche-développement nucléaire est toutefois plus important qu'un simple suivi: le budget du MITI pour la diversification des sources d'énergie lui permet de contribuer au financement de certaines actions du JAERI et de PNC, qui lui semblent proches de la phase industrielle ou qui entrent dans le cadre d'un programme d'ensemble piloté par le MITI, et où les industriels et les instituts de recherche publics ont chacun leur rôle. Les financements .ainsi accordés par le MITI ne représentent en général qu'une faible fraction du coût total d'une opération donnée. Mais ces apports permettent au MITI de jouer, dans toutes ces opérations, un rôle beaucoup plus important que ne pourrait l'indiquer le simple montant de la subvention: le MITI prend ainsi la direction du projet, assure la coordination entre les recherches d'organismes différents peu enclins à collaborer, apporte la caution du gouvernement dans le cas de projets initialement uniquement privés (comme pour l'enrichissement de l'uranium par voie chimique), fixe les objectifs à atteindre aux différents stades, évalue les progrès et analyse les résultats.
     Dans toutes ces étapes du pilotage d'actions pluriannuelles, le MITI s'appuie sur le travail de comités ad hoc, composés de représentants des organismes concernés par le projet et par sa future industrialisation, mais aussi de personnalités indépendantes (universitaires compétents dans le domaine considéré). Ces comités se réunissent trois ou quatre fois au cours du déroulement d'un projet de deux ou trois ans. Leurs membres peuvent donc continuer leurs activités professionnelles normales.
     Le MITI a donc un rôle particulièrement important de coordination des efforts de recherche publique et privée.
     Sans donner la description des activités des principaux protagonistes du nucléaire japonais, nous rappellerons simplement leurs relations entre eux et avec les tutelles.
     Instituts de recherche publics: principalement PNC; et le JAERI. 
Instituts de recherche financés par les Electriciens et les industriels: CRIEPI, NUPEC, ANERI...
     Les 9 compagnies d'électricité, auxquelles il faut ajouter JAPO qui joue le rôle d'architecte industriel pour les nouvelles réalisations.
     Les industriels: ce sont principalement les trois grands groupes qui ont construit et qui construisent les centrales nucléaires japonaises: Mitsubishi Heavy Industries (REP Toshiba et Hitachi (REB).
     L'industrie du cycle du combustible n'a pas atteint le stade de maturité de celle des réacteurs. Il n'y a pas au Japon d'équivalent de COGEMA. Ce sont les Electriciens japonais qui, en accord avec le gouvernement, ont défini leurs besoins et créé, à partir de personnel pris dans les compagnies électriques, les sociétés qui exploiteront les grandes installations de Rokkasho-Mura: JNFI et JNFS. L'absence de liens solides avec la recherche-développement de PNC est un facteur de faiblesse.
     En ce qui concerne les centrales nucléaires, les compagnies électriques se bornent à leur rôle d'exploitant: elles n'ont pas les capacités d'architecte industriel d'EDF, ni le personnel hautement qualifié capable d'exécuter les opérations complexes de maintenance qui sont faites pendant les arrêts annuels. Ce sont les industriels (MHI, Toshiba, Hitachi) qui jouent ces rôles: livraison de centrale clés en mains, et prise en charge des arrêts de tranche. Il n'y a donc pas, pour la construction et pour les arrêts, de possibilités de peser sur les prix. De ce fait, les coûts de construction et d'exploitation ces centrales nucléaires sont très élevés au Japon, comparés aux coûts français (ceci n'est pas la seule raison des différences de prix).
     De manière générale, la situation industrielle japonaise se caractérise par une concurrence féroce entre les compagnies et au sein du secteur public, et entraîne:
     - rivalité intense entre la STA et le MITI, jaloux de leurs prérogatives respectives;
     - forte méfiance des industriels et Electriciens vis-à-vis des instituts de recherche gouvernementaux.
     Il en résulte des effets néfastes: certains grands équipements de recherche (réacteurs de recherche, en particulier) ne sont pas utilisés pour les besoins de recherche-développement des industriels, qui préfèrent sous-traiter leurs irradiations de nouveaux combustibles à des laboratoires étrangers par l'intermédiaire d'un partenaire industriel ancien (MHI-Westinghouse par exemple). Il y a aussi, naturellement, duplication de travaux.
     L'existence de comités de réflexion à long terme qui s'efforcent de cerner, définir et chiffrer les thèmes et domaines de recherche nécessaires au développement de l'énergie nucléaire au Japon dans les prochaines décennies est par contre bénéfique.
     Pour conclure, il faut rappeler que les trois grands groupes industriels japonais:
     - ont déjà la maîtrise technique de la construction des réacteurs et de la fabrication du combustible,
     - se partagent la construction du surgénérateur MONJU et étudient l'étape suivante, sous contrats de JAPCO,
     - vont, à l'occasion de la construction de l'usine de retraitement de Rokkasho-Mura, acquérir la compétence correspondante.
     Compte tenu de leur puissance industrielle, de leur politique propre et des objectifs à long terme affichés par le gouvernement, ils sont dans le nucléaire pour y rester et constitueront à terme, pour l'industrie européenne, de redoutables concurrents.
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5. Une description factuelle de la situation de quatre pays (USA, Japon, GrandeBretagne, RFA) est fournie en annexe.
La Grande-Bretagne
     La Grande-Bretagne a exploité la première centrale nucléaire au monde (1956) à Calder Hall, a très tôt mis sur pied un organisme de recherche spécifique, l'United Kingdom Atomic Energy Agency (UKAEA), a développé une industrie nucléaire aussi bien dans le domaine du cycle que dans celui de la construction, et avait ainsi acquis une nette avance technologique dans le domaine des technologies nucléaires, et une position de leadership. Elle n'est pourtant aujourd'hui que loin derrière la France ou l'Allemagne, pour ce qui est de son parc nucléaire, qui fournit moins de 20% de la production d'électricité, ou de son industrie qui n'est plus en mesure de développer sans appel à une participation extérieure, une centrale nucléaire dans son ensemble.
     Parmi les points forts de la situation britannique, il convient d'évoquer, même s'il s'est affaibli, le potentiel scientifique que représentent les chercheurs de l'UKAEA.
     Cependant, l'UKAEA a connu différentes réformes. Cet organisme qui, à sa création, couvrait l'ensemble des recherches y compris les aspects militaires et qui, en outre, était chargé de l'approvisionnement et du cycle du combustible, s'est vu privé de cette responsabilité avec la création en 1974 de la BNFL. De même, dès 1973, avait été adoptée la loi transférant les activités militaires au Ministère de la Défense. Enfin, une restructuration d'ordre financier est intervenue au 1er avril 1986 soumettant l'UKAEA à une gestion de type commercial et supprimant le système de subvention par le Ministère de l'Energie. Cette dernière réforme amène l'UKAEA à rechercher toutes sortes de contrats avec les différents ministères et avec l'industrie, ce qui risque de renforcer l'éclatement de ses activités dans différents domaines souvent non nucléaires.
     Le second atout, le plus tangible peut-être, est la maîtrise que possèdent les Britanniques de l'ensemble des opérations relatives au cycle du combustible. En effet, l'entreprise qui a été créée en 1974 à partir d'une direction de l'UKAEA, la British Nuclear Fuel Limited (BNFL), a pu bénéficier des compétences de cet organisme avec qui elle passe des contrats de recherche-développement, et a pu développer une industrie qui permet l'approvisionnement des centrales britanniques, mais qui exporte également une partie importante de ses services, notamment dans le domaine du retraitement.
suite:
     En revanche, face à cette industrie fructueuse, le secteur de la construction nucléaire britannique est relativement peu florissant en particulier lorsqu'on considère le potentiel de départ dont elle bénéficiait.
     Il est certain que l'industrie nucléaire en Grande-Bretagne n'a pas bénéficié, comme en France, d'un programme dynamique de développement du parc et que les hésitations sur les choix techniques, sur les filières, auront été très négatives, en ne permettant pas de concentrer les efforts et de tirer parti de l'effet de série.
     En effet, les premiers réacteurs, construits jusqu'aux années 1970, ont été du type Magnox (graphite, gaz) auxquels ont ensuite succédé les réacteurs AGR (Advanced Gas cooled Reactor), puis les réacteurs à eau pressurisée avec la décision en 1987, de construire le premier PWR à Sizewell.
     Cette absence de continuité ajoutée au fait que la Grande-Bretagne offre un marché beaucoup plus étroit que la France, pour des raisons avant tout économiques liées à l'existence d'autres sources nationales d'énergie, explique que ce pays pionnier du développement du nucléaire ne soit pas aujourd'hui en meilleure position sur le plan industriel.
     Enfin, un dernier élément qui pourra influer sur l'avenir du secteur nucléaire en Grande-Bretagne est évidemment la façon dont la privatisation de l'électricité CEGB, sera menée. Ce dossier actuellement à l'étude au Parlement devrait aboutir avant la fin de l'année. Il est prévu que la Compagnie qui reprendra l'ensemble du secteur nucléaire sera la compagnie la plus importante, qui détiendra 70% de la capacité actuelle, et qu'un seuil minimal d'approvisionnement en électricité d'origine nucléaire sera fixé. Cependant, dans la mesure où la responsabilité de l'approvisionnement reviendra aux compagnies de distribution, il n'est pas certain que, par exemple, le choix d'un type de filière soit exclusivement du ressort de la compagnie de production. En tout état de cause, il est peu probable que le processus de privatisation de l'électricité britannique soit de nature à créer de meilleures conditions pour la recherche et l'industrie britannique.
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DEUXIÈME PARTIE:
LE BILAN DU NUCLÉAIRE FRANÇAIS
 
1. Le succès incontestable du programme nucléaire français
     Grâce à l'effort de recherche entrepris par le CEA, aux moyens techniques et financiers considérables mis en œuvre par EDF et les industriels, et à l'impulsion déterminée des pouvoirs publics, notre pays a su, en l'espace de seulement quinze ans, mener bien la constitution d'un parc efficace de réacteurs et se doter d'une industrie des centrales et du cycle capable d'exporter.

A - La réalisation du programme électro-nucléaire français
     Elle a été effectuée dans de bonnes conditions techniques, économiques et psychologiques.

1 - Un succès technique
     Le programme d'équipement français offre un exemple à peu près unique au monde(1) de réussite technique. L'impulsion des pouvoirs publics, par son ampleur et sa continuité, a créé les conditions d'un effort efficacement relayé par les divers intervenants de la filière EDF, CEA, COGEMA, FRAMATOME et PECHINEY, EDF en particulier a mené en bonne fin la francisation, le développement en série et l'optimisation de la technologie Westinghouse.
     Les chiffres attestant de cette réussite technique sont éloquents: 53 tranches achevées en 1988 pour une puissance de 52 gigawatts (16,5% du parc mondial), chiffre qui sera porté à 64 gigawatts à l'achèvement de la dizaine de centrales en construction; 265 TWh produits en 1987 (15,3% du total mondial); plus de 70% de la production nationale d'électricité assurée par le nucléaire (et plus de 75% de celle d'EDF), dont la contribution à l'indépendance énergétique de notre pays a donc été déterminante.
     On peut également mentionner que le taux de disponibilité des centrales, supérieur aux prévisions d'origine, dépasse celui de la plupart de nos partenaires (80% en 1987 contre 60% aux USA à la même date, alors que l'effet d'expérience devrait jouer au profit des Américains).
     Enfin, aucun incident majeur n'est venu à ce jour jeter le doute sur la fiabilité des centrales françaises à eau pressurisée.

2 - Un bilan économique positif
     Comme il était prévu au démarrage du programme, le courant produit par les centrales nucléaires est sensiblement moins cher que celui des centrales thermiques au charbon (et bien sûr a fortiori, des centrales au fuel ou des turbines à gaz). L'avantage économique est particulièrement clair pour les durées d'appel supérieures à 4.000 h/an, moins net mais cependant réel entre 2.000 et 4.000 h/an. L'économie globale pour la nation est considérable, de même que l'assurance ainsi constituée contre une éventuelle remontée du prix des combustibles fossiles.
     La conduite du programme par un exploitant unique (EDF) et un constructeur unique de chaudières nucléaires (FRAMATOME) a permis de mettre en œuvre une politique d'équipement cohérente, jouant à fond les économies d'échelle grâce à la standardisation: trois paliers seulement ont été produits en série (900, 1.300 et désormais 1.400 MW).
     C'est sans doute à ce facteur qu'on doit à la fois:
     - la différence sensible de coûts d'investissements des centrales nucléaires en France et à l'étranger, qui leur donne en France un avantage beaucoup plus net par rapport au charbon(2);
     - une dérive limitée des coûts de construction (4,5% par an en moyenne en francs constants de 1974 à 1988), malgré la sophistication croissante des équipements et le relèvement des exigences de sûreté.
     Il est évident que la situation actuelle de surdimensionnement du parc d'EDF (cf. plus loin) conduit à nuancer ce tableau, sans toutefois remettre en cause un bilan largement positif.

3 - Un certain consensus de l'opinion
     Le programme d'équipement électronucléaire a été mené à bien sans que les mouvements de contestation du nucléaire aient acquis une audience étendue.
     La conscience, aiguë chez les Français depuis les deux chocs pétroliers, de la dépendance énergétique de notre pays, comme la maîtrise avec laquelle a été mené le programme nucléaire et l'engagement sans faille des gouvernements successifs, expliquent sans doute pour une bonne part l'attitude plutôt favorable de l'opinion.
     Le consensus en faveur du nucléaire, reflété par les enquêtes d'opinion, est cependant plus fragile depuis Tchernobyl, d'autant que la «communication de crise» des autorités publiques françaises s'est révélée à cette occasion peu adaptée. La peur des centrales, et plus encore celle des déchets radioactifs, semble progresser. Il suffirait sans doute d'un nouvel incident majeur dans un pays développé pour que cette appréhension se transforme en rejet.

B - Un secteur d'activité à la taille internationale
     Il faut d'abord mentionner, pour mémoire, les exportations d'électricité rendues possibles (et nécessaires) par la dimension du parc de centrales français et ses prix de revient.

suite:
Déficitaire dans les années 1960, puis à nouveau de 1975 à 1980, la balance des échanges d'électricité est devenue fortement excédentaire. En 1988, les exportations d'EDF ont représenté 7,2 milliards de francs et le solde des échanges avoisine pour la France + 37 TWh, nos principaux clients étant l'Italie et la Grande-Bretagne.

     1. Les performances à l'exportation ont sans doute été un peu décevantes pour les centrales.
     Depuis 1973, 8 seulement des 60 chaudières commandées à FRAMATOME l'ont été à l'étranger (Belgique, Afrique du Sud, Corée et Chine). Sur l'ensemble des centrales en construction dans le monde à économie de marché au 1er janvier 1988 (hors de France), FRAMATOME n'en réalisait que 3 sur 61; sur les 25 commandes enregistrées - sans début d'exécution - à la même date, FRAMATOME n'intervenait que pour une unité (en Chine).
     Ces résultats peuvent sembler modestes si on les rapporte à l'importance du programme d'équipement français: le rapport centrales exportées sur centrales construites dans le pays est sans doute plus favorable pour la RFA. Il est vrai que l'ampleur et le rythme du programme national ont saturé les capacités de FRAMATOME à l'époque où des contrats pouvaient encore être pris à l'exportation. Mais on peut aussi incriminer une certaine déficience du dispositif à l'exportation, qui n'a pas toujours su utiliser à plein les synergies entre FRAMATOME, EDF et les exportateurs d'équipement non nucléaire des centrales.
     Les résultats à l'exportation peuvent également être jugés modestes pour les activités de maintenance et de services aux électriciens, même si dans ce domaine l'évolution de FRAMATOME a été longtemps contrariée par le poids dominant d'EDF qui sous-traitait apparemment moins que certains électriciens étrangers.

     2. La présence française à l'échelle internationale dans le cycle du combustible est très importante: l'industrie française a un rôle de leader en matière de conversion de l'uranium et de retraitement des combustibles; elle occupe une place de premier plan pour l'enrichissement de l'uranium naturel.
     a) COGEMA est aujourd'hui l'un des quatre grands opérateurs miniers au monde pour l'uranium, à côté des Anglo-saxons. La répartition géographique de ses sources d'approvisionnement qui fait une part importante à la France et à la zone franc (Niger, Gabon), lui est cependant défavorable dans l'absolu, en particulier en période de baisse du dollar. Dans la situation actuelle de surcapacité de production où les prix spot sont inférieurs aux coûts de revient de la quasi-totalité des gisements, les positions de COGEMA se traduisent par un léger surcoût d'approvisionnement pour EDF (2 à 300 MF par an).
     Dans la perspective de l'indépendance énergétique du pays, il paraît indispensable de conserver la maîtrise des approvisionnements en uranium naturel au travers d'une socité nationale, et on peut admettre qu'une certaine sécurité de ressources justifie un surcoût limité.
     b) En matière d'enrichissement, EURODIF a jusqu'à présent exporté plus de la moitié de sa production, contractuellement réservée à ses actionnaires ou à des clients extérieurs (notamment japonais), bien que ceux-ci, en raison de la révision à la baisse de leurs besoins, aient utilisé toutes les flexibilités et toutes les possibilités de report de leurs enlèvements prévues aux contrats(3).
     Il ne devrait plus en aller de même après 1990, les besoins exprimés aujourd'hui par les clients étrangers, libérés à l'avenir de leurs obligations, étant en réduction sensible pour la période 1991-1995.
     Comme on le verra plus loin, la capacité d'exportation d'EURODIF dépendra en partie des conditions de règlement du contentieux iranien et du prix du KWh facturé par EDF. Face à un concurrent américain très agressif commercialement, la compétition s'annonce en tout état de cause difficile.
     c) Enfin, dans le domaine de la fabrication des combustibles, le chiffre d'affaire réalisé à l'exportation est modeste en raison de l'existence de barrières réglementaires et des coopérations nouées de longue date par les électriciens avec leurs fournisseurs privilégiés.

3. La France occupe une position de leader mondial pour le retraitement. 
     La France détient, en matière de retraitement des combustibles irradiés, une avance incontestable qui l'a longtemps placée, avec le Royaume Uni, en situation de quasi-monopole. De 1981 à 1988, 1.925 tonnes de combustible irradié issu des REP ont été retraitées à La Hague pour le compte de clients étrangers, contre 260 tonnes seulement pour le compte d'EDF. Il faut rappeler que COGEMA est le 1er exportateur français vers le Japon, et que la vente de sa technologie du retraitement pour la construction de l'usine de Rokkasho Mura a rapporté 590 MF au CEA, sans parler des retombées positives pour la société d'ingénierie SGN, filiale de COGEMA.
     Jusqu'en l'an 2000, les clients étrangers assureront, aux côtés d'EDF, la pleine utilisation des capacités de La Hague dont ils ont préfinancé la moitié dans un cadre contractuel favorable à COGEMA.

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1. On peut citer celui de la Belgique ou, selon une approche plus progressive mais remarquablement maîtrisée, du Japon.
2. D'après les études disponibles, le coût des centrales nucléaires est nettement plus faible en France que dans tous les autres pays. 1.010 écus/kW en 1987, contre 1.245 en Belgique, 1.322 aux Pays-Bas, plus de 1.700 dans les six autres pays étudiés. De ce fait, le ratio coût du kWh charbon/coût du kWh nucléaire s'établissait en 1984 à 1.80 en France contre 1.71 au Royaume Uni (avec un coût beaucoup plus élevé du charbon). 1.62 en Belgique, 1.4 au Japon, en RFA et en Italie, 1.08 aux USA
3. De 1985 à 1990, EURODIF aura exporté en moyenne 2.9 MUTS/an pour 5 MUTS/an prévus dans les contrats. (MUTS: millions d'unités de travail de séparation isotopique)
4. Chiffres exprimés en valeur 1988
C. Un potentiel de recherche·développement important et de qualité

     1 - Un effort financier important pour la recherche nucléaire
     Le CEA, qui a assumé l'essentiel de l'effort de recherche, a dépensé en moyenne depuis 10 ans 3,5 GF par an(4) en matière de recherches appliquées électronucléaires. Ce montant a eu tendance à décroître dans la période récente (3,3 GF en 1989), et la part de l'électronucléaire dans les programmes civils du CEA est revenue de 55% en 1979 à 47,7% en 1989.
     L'importance des dépenses de recherche consenties sur une longue période pour certains programmes montre bien l'ampleur et la continuité de l'effort:
     - 4 GF sur la fusion contrôlée au cours des dix dernières années;
     - 27 GF sur la filière des surgénérateurs depuis 1960 (dont 7 GF sur la période 1981-1989);
     - 5 GF sur les réacteurs à eau pressurisée depuis 1981;
     - plus de 3 GF sur le procédé de diffusion gazeuse employé par l'usine d'EURODIF;
     - près de 2 GF sur le procédé de séparation isotopique par traitement chimique «Chemex» (aujourd'hui abandonné);
     - enfin 12 GF investis depuis 1972 dans les domaines du retraitement (au rythme de 600 MF/an) et des déchets.
     Il convient d'ajouter aux dépenses du CEA les montants consacrés à la recherche-développement sur les réacteurs par EDF et FRAMATOME: de l'ordre de 600 MF/an pour EDF, y compris la sûreté, les études d'exploitation et de gestion, et le contrôle commande, la part consacrée à l'étude des réacteurs proprement dite étant beaucoup plus réduite; environ 125 MF/an pour FRAMATOME d'effort propre sur les programmes menés en collaboration avec le CEA.
     Le tableau ci-dessous résume ces données:

Dépenses effectuées en matière de recherche électronucléaire en 1989

en MF
CEA
EDF
Framatome
Total
Réacteurs (y compris sûreté d'exploitation et contrôle commande)
1.430
600
125
2.155
Cycle
1.850
-
-
1.850
Total
3.280
600
125
4.005

     Au total, les sommes consacrées à la filière électronucléaire pèsent de manière significative dans l'effort global de recherche de la nation: plus de la moitié des dépenses du secteur de l'énergie; 6 à 7% du budget civil de recherche - développement pour le seul CEA.

     2 - Des succès incontestables
     Le CEA a certes connu des périodes difficiles, en particulier la «révision déchirante» qu'a représenté l'abandon de la filière uranium naturel-graphite-gaz (UNGG) développée par lui au profit des réacteurs à eau pressurisée de Westinghouse. Il a d'autre part investi lourdement dans des domaines qui ne déboucheront peut-être jamais sur des filières industrielles économiquement viables (Chemex, surgénérateurs), mais c'est là un risque inhérent à l'activité de recherche.
     L'essentiel reste que le CEA a su appuyer de ses travaux la constitution d'une véritable industrie nucléaire civile. Au nombre des réalisations les plus marquantes, on peut citer:
     - sa contribution à la «francisation» de la filière REP dans de bonnes conditions techniques et économiques;
     - la mise au point opérationnelle du procédé de diffusion gazeuse employé par EURODIF, à partir de l'expérience acquise avec l'usine d'enrichissement militaire de Pierrelatte;
     - le développement d'un procédé original de retraitement des combustibles irradiés (Purex, utilisé à La Hague);
     - enfin les travaux sur les surgénérateurs ayant abouti à la construction de prototypes industriels (Phénix, Superphénix) même si ce n'est pas encore à des conditions assurant l'avenir économique de la filière.

suite:
D - Une organisation de la sûreté originale
     L'organisation adoptée conjugue les compétences de deux organismes:
     - le Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires (SCSIN), rattaché à la Direction Générale de l'Industrie, exerce les compétences réglementaires et prépare les décisions des pouvoirs publics; il fait assurer les contrôles sur place des installations nucléaires qui permettent de vérifier leur conformité effective aux normes et aux textes qui les régissent;
     - l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN), qui fait partie intégrante du CEA, effectue pour le compte du SCSIN et à ses frais, les analyses de sûreté qui permettent de vérifier et de critiquer le bien fondé des dispositions prévues par les exploitants.
     Cette situation est particulière dans la mesure où le CEA, au travers de ses différentes composantes, est à la fois chargé directement ou indirectement de la recherche sur les réacteurs, et en particulier sur leur sûreté; de l'exploitation d'installations nucléaires soumises aux normes et aux contrôles de sûreté (réacteurs et ateliers expérimentaux ou pilotes, établissements de l'ANDRA ou de COGEMA) ; de la réalisation des analyses de sûreté.
     La disproportion des effectifs entre le SCSIN, structure légère de conception et de tutelle, et l'IPSN renforce encore le caractère quelque peu «autogéré» de la sûreté à la française.
     Cette organisation a en tout cas un grand mérite: celui du pragmatisme, qui l'oppose à certains de ses homologues étrangers, en particulier la NRC américaine qui a joué un rôle important dans les blocages récents du nucléaire aux USA en refusant de donner son agrément avant la construction des centrales au vu de leurs plans.
     Le système français n'a pas fait obstacle au programme d'EDF, tout en assurant un niveau de sûreté que l'on peut estimer comme satisfaisant, si l'on en juge à la fois par l'absence d'incident majeur à ce jour et par les résultats des expertises indépendantes menées par l'AlEA dans des centrales françaises.
     Cependant, l'action parfois très ferme du SCSIN, conduisant à des arrêts de centrales ou au différé du redémarrage de Creys-Malville à la fin de 1987, reste encore trop peu connue pour lui permettre d'apparaître, aux yeux de l'opinion, comme un véritable contrepoids aux exploitants en matière de sûreté. Le caractère original du mode d'organisation français pourrait donc constituer un jour un facteur de fragilité dans le contexte international, et en particulier européen.

II. Les ombres au tableau: surdimensionnement et rigidités

A - Une certaine surcapacité d'EDF
     On peut résumer le phasage du programme d'équipement d'électronucléaire français en rappelant le rythme des commandes de réacteurs passées par EDF: 
     - 6 GW sur 10 ans de 1963 à 1973,
     - 6 GW par an pendant 8 ans de 1974 à 1981,
     - 6 GW sur 2 ans de 1982 à 1983,
     - 6 GW sur 4 ans de 1984 à 1987,
     - moins de 6 GW prévisibles sur 13 ans de 1988 à·2000.
     Ce programme s'est donc caractérisé par une montée en charge exceptionnellement rapide, suivie d'une décroissance plus lente.
     Ce n'est en effet qu'en 1981 qu'un premier ralentissement dans le rythme des commandes est intervenu (le nombre de tranches commandées chaque année passe progressivement de 6 à 2), pour s'accentuer à partir de 1985 (une seule tranche commandée par an jusqu'en 1987).
     Dès 1982, le suréquipement nucléaire prévisible en 1990 avait été estimé à une ou deux tranches. L'évaluation actuellement retenue est de 7 à 8 tranches, soit 10 GW environ. Le nucléaire était «marginal»(5) sur le réseau pendant 2.000 heures en 1986, et le sera pendant 4.000 heures en 1990.
     La surcapacité actuelle d'EDF a plusieurs origines:
     - EDF a corrigé avec retard et insuffisamment ses prévisions de demande d'électricité. Alors que la consommation doublait tous les dix ans avant 1970, elle n'a été multipliée que par 1,7 entre 1970 et 1980 et par 1,4 entre 1980 et 1990 (selon les prévisions actuelles). Ce ralentissement n'a pas été pris suffisamment en compte par EDF jusqu'en 1983, date à partir de laquelle elle a élaboré ses propres scénarios de croissance économique au lieu de s'appuyer sur les prévisions issues des travaux du Plan;

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5. C'est-à-dire chargé de fournir l'appoint marginal de puissance, par opposition à la production "de base".
     - Lancé très rapidement, le programme d'équipement électronucléaire a continué sur son élan alors que la question d'un ralentissement du programme s'est en réalité posée dès 1978. Les industriels ont alors estimé que le maintien d'une industrie forte et compétitive exigeait une certaine continuité dans l'évolution du plan de charge. Ainsi, alors que les prévisions de l'époque situaient le niveau souhaitable des engagements au delà de 1985 entre 2.500 et 4.000 MW, ce qui aurait pu justifier une amorce de ralentissement, il a été choisi de maintenir un fort volume de commandes jusqu'en 1981. Bien que brutal, le freinage intervenu à partir de 1983 n'a pas été suffisant pour empêcher l'apparition d'un suréquipement;
     - L'amélioration plus forte que prévue du taux de disponibilité des centrales est également à l'origine d'une partie du suréquipement. Le coefficient «hors entretien programmé» prévu à l'origine était en effet d'environ 65% (ce qui signifie que les arrêts fortuits représentent 35% de la disponibilité théorique de la centrale) et atteignait en réalité 63% en 1981. Ce coefficient a été progressivement relevé depuis: en 1987, la disponibilité moyenne a été de 80%, et EDF retient actuellement une fourchette de 89-94% pour le long terme.
     3. Ce suréquipement actuel d'EDF est certes appelé à se résorber du fait de la croissance des besoins, mais il entraîne dans l'immédiat deux séries de conséquences(6).
     Il fait d'abord de la poursuite du développement des exportations d'électricité un impératif pour EDF. On verra plus loin que, s'il existe des possibilités importantes en ce domaine, elles ne vont pas sans difficultés.
     Ce suréquipement a, en second lieu, surtout des conséquences graves pour les fournisseurs d'EDF, et d'abord pour FRAMATOME, dans la mesure où il entraîne une pause presque complète des commandes de nouvelles centrales. En effet, dans une stricte approche économique, les perspectives de consommation d'électricité (sur lesquelles on reviendra dans la troisième partie) conduiraient logiquement, même dans les scénarios les plus favorables, à une interruption complète des commandes au moins jusqu'en 1993-95: ce qui veut dire, en d'autres termes, qu'au-delà de ce qui est déjà engagé - la dernière commande est celle de la tranche Chooz B2 en janvier 1987 - il n'existe aucun besoin réel nouveau en terme de capacité de production d'ici l'an 2000, les grandes échéances de renouvellement du parc actuel apparaissent à partir de 2010.
     Pour éviter une telle rupture, et assurer un minimum de continuité industrielle, notamment à FRAMATOME, EDF envisage un certain lissage de ses commandes, mais celles-ci n'excèderont probablement pas 3 ou 4 tranches d'ici l'an 2000. La première commande, celle de Civaux l, n'interviendra sans doute pas avant 1991.
     Ceci nécessite un redimensionnement drastique de l'activité des fournisseurs. On reviendra sur le cas de FRAMATOME, dont le chiffre d'affaires dans le domaine des chaudières pourrait passer, selon les propres prévisions de l'entreprise, de 5.600 MF en 1987 à 850 MF en 1997. Mais ceci concerne également tous les sous-traitants de FRAMATOME pour la partie nucléaire des centrales(7), et toutes les entreprises intervenant sur la partie non-nucléaire. D'ores et déjà, les effectifs industriels concernés par la construction des centrales nouvelles sont passés de 150.000 au plus fort de la période de constitution du parc à 50.000 actuellement; ils sont appelés à décroître encore.
     Il est clair qu'une meilleure programmation - c'est-à-dire une révision de l'échéancier à une phase plus précoce - aurait permis d'éviter au moins partiellement le surcoût financier dû à l'anticipation des investissements, en même temps que le «coup d'accordéon» subi actuellement par l'ensemble du secteur industriel d'amont.
suite:
B. Une industrie de cycle dimensionnée pour une croissance plus forte
     L'industrie du cycle du combustible nucléaire, dont les capacités sont principalement contrôlées par COGEMA, a fondé le développement de ses productions sur les prévisions faites en matière de consommation d'électricité d'origine nucléaire. Or, depuis 10 ans, ces prévisions ont été revues en forte baisse en France, et encore plus substantiellement à l'étranger. L'industrie du cycle doit donc gérer aujourd'hui des surcapacités importantes dont la réduction n'est en général pas envisageable à court terme.
     1. Les perspectives du marché de l'uranium sont obérées par le niveau des stocks.
     A l'échelle mondiale, la production d'uranium décroît régulièrement depuis 1980. Atteignant 37.000 tonnes en 1987, elle est actuellement inférieure de 20% à la capacité de production estimée à 45.000 T/an.
     La dépression du marché, que traduit en l'amplifiant la baisse des prix "spot"(8), et la disparité des coûts de production ont accru le poids relatif des pays à réserves «bon marché».
     L'OCDE estime que les besoins annuels du monde à économie de marché devraient croître d'ici l'an 2000 d'un niveau de 40.000 T aujourd'hui à environ 50.000 T. Même dans cette hypothèse relativement forte, les capacités de production actuellement en service ou qui peuvent être mobilisées rapidement permettraient de répondre sans difficultés à cet acroissement de la demande.
     Ceci est d'autant plus probable que, dans les conditions actuelles des contrats, l'excédent des stocks mondiaux sera lent à résorber.(9)
     Cette situation se retrouve dans le cas particulier de la France. EDF achète chaque année de l'ordre de 7.000 T d'uranium naturel pour un coût de 3,5 à 4 MdF. L'établissement a défini sa politique d'approvisionnement compte tenu à la fois de ses prévisions de consommation d'électricité et de l'objectif de maintien d'un stock de sécurité fixé par les pouvoirs publics à 36 mois de consommation.
     Mais, comme la production réalisée sur le territoire métropolitain est plutôt supérieure et les besoins d'EDF nettement inférieurs aux hypothèses prises à l'origine, le stock stratégique, qui inclut la production nationale, donne à la France une autonomie de 10 ans en cas de rupture totale des approvisionnements à l'étranger.
     Ce stock représente pour EDF une immobilisation de l'ordre de 53 milliards de F(10) que l'établissement ne peut espérer réduire à brefs délais. En effet, les modifications dans la prévision des besoins des réacteurs (révision en baisse du programme des tranches et amélioration de la gestion des réacteurs existants) sont intervenues trop brutalement pour que les contrats à long terme soient adaptés aux nouvelles conditions. En outre, la marge de manœuvre d'EDF vis-à-vis de COGEMA est limitée par des considérations d'ordre diplomatique en ce qui concerne les enlèvements d'uranium en Afrique Noire.
     2. Sur le marché de l'enrichissement, la surcapacité est le facteur déterminant des conditions de concurrence.
     En 1988, les capacités disponibles dans le monde à économie de marché s'élevaient à 34,45 MUTS/an(11), la consommation à 21 MUTS et la production à 16,6 MUTS(12).
     Les capacités à l'horizon 2000 sont connues de façon relativement certaine en raison des délais requis pour construire de nouvelles installations, et du faible nombre de pays disposant de la technologie et des moyens financiers nécessaires. En l'an 2000, le monde à économie de marché devrait disposer d'une capacité globale de l'ordre de 40 MUTS/an. Les prévisions de consommation sont plus discutées, mais on peut penser que les besoins seront à cette date de l'ordre de 28 MUTS.
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6. En dehors de ses effets sur l'endettement d'EDF qui ne sont pas analysés ici.
7. Cf. sur ce point le rapport du Commissariat Général du Plan montant l'importance des restructurations effectuées par les sous-traitants de la filière nucléaire.
8. 13 $ par livre d'oxyde d'uranium en 1988 contre 43 $ fin 1979.
9. A titre d'illustration, il faudrait que la production reste pendant 25 ans inférieure de 5.000 T/an aux besoins pour réduire de moitié les stocks mondiaux.
10. Stock outil: 16 MDF, stock en réacteur 20 MDF, stock stratégique 17 MDF.
11. MUTS: millions d'unités de travail de séparation isotopique.
12. Le Départment of Energy des Etats-Unis a procédé à un déstockage important en 1988, ce qui explique que la production ait été inférieure à la consommation.
     Cette surcapacité trouve son origine dans la volonté des Etats de s'affranchir de leur dépendance à l'égard du Department OF Energy (DOE) des Etats-Unis, qui détenait jusqu'en 1977 un quasi-monopole et imposait à ses clients des contrats rigides au niveau de la durée, des délais de commande et des prix.
     La surcapacité trouve également son origine dans les erreurs d'anticipation commises à la fin des années 1970 sur l'évolution de la consommation d'électricité d'origine nucléaire: le DOE avait prévu de construire une unité supplémentaire de 13 MUTS, et COGEMA prévoyait jusqu'en 1982, dans ses rapports au Comité de l'Energie Atomique, la réalisation d'une deuxième usine d'enrichissement qui devait entrer en service initialement en 1986 (projet COREDIF).
     Quand les usines d'URENCO(13) et d'EURODIF (10,8 MUTS/an) sont entrées en service entre 1976 et 1978, la capacité mondiale s'est accrue brutalement de 12 MUTS/an.
     L'enrichissement de l'uranium est pour les deux principaux producteurs mondiaux (la France et les USA) une activité stratégique en raison de ses implications militaires. Un retrait de ce marché par l'un ou l'autre de ces producteurs n'est donc pas envisageable. En outre, les USA ont déjà fermé certaines de leurs usines et EURODIF, ne disposant que d'une usine, ne peut réduire sa production qu'en sous-utilisant la capacité de son installation; il n'y a donc d'autre perspective que celle d'une concurrence accrue entre deux ou trois producteurs aux moyens excédentaires.
     3. L'industrie française du combustible dispose également de capacités excédentaires.
     Les capacités installées dans le monde à économie de marché étaient de 13,1 millions de tonnes en 1985 pour une consommation de 7 millions de tonnes. A l'horizon 1995, les besoins sont estimés à 10,7 MT pour une capacité de 13,7 MT.
     A l'exception du Japon, tous les pays de l'OCDE disposent et devraient disposer jusqu'en l'an 2000 de surcapacités.
     Deux groupes dominent le marché mondial du combustible: FBFC/FRAGEMA avec 32% du marché mondial, et Westhinghouse avec 29%.
     On constate par ailleurs l'existence d'un duopole sur les trois principaux marchés régionaux:
     - en Europe de l'Ouest, FRAGEMA (50% du marché) devance les deux sociétés (KWU et ANF) du groupe SIEMENS (35% du marché),
     - aux USA, Westhinghouse détient 42% du marché, Generai Electric 33%, Combustion Engineering 10%, BWFC (filiale à 49 % de PECHINEY, FRAMATOME et COGEMA) 8% et ANF 7%. General Electric et ANF sont cependant sur un segment de marché différent, celui des combustibles à eau bouillante (BWR)
     - au Japon, Mitsubishi et Nuclear Fuel Industry contrôlent la totalité du marché du combustible PWR et Japan Nuclear Fuel le marché du combustible BWR.
     Ces duopoles ont toutes chances de se maintenir à l'avenir. D'une part, les clients refuseront de se lier à un monopole pour des raisons de sécurité d'approvisionnement et de prix; d'autre part, les parts de marché ne peuvent évoluer que lentement en raison des procédures de qualification exigées par les électriciens.
     Par ailleurs, la volonté de la plupart des puissances nucléaires de maintenir une industrie nationale du combustible est un obstacle à la concentration, même lorsque le marché national captif est insuffisant. On devrait plutôt assister à des alliances avec l'un ou l'autre des grands producteurs qu'à des rachats purs et simples de parts de marché.
     Dans le cas de la France, la volonté de COGEMA de s'introduire dans le secteur de la fabrication du combustible à une époque où on anticipait une augmentation de la demande a conduit à réaliser une usine à Pierrelatte (400 T/an) qui est à l'origine des surcapacités françaises. Un regroupement et une rationalisation de la gestion des trois unités existantes ont pu être obtenu fin 1983 par le biais d'un accord tripartite PECHINEY, COGEMA et FRAMATOME qui a fixé la structure de gestion actuelle. Mais les prévisions du plan de charge sur la période 1989-1998 établies par FRAMATOME et par EDF font apparaître une surcapacité de 430 T en moyenne par an, soit l'équivalent de la production de l'usine de Pierrelatte.
suite:
     Ces prévisions devront probablement être revues encore à la baisse en raison des progrès à attendre dans la gestion des réacteurs, notamment l'augmentation des taux de combustion.
     De ce fait, la production des usines décroît régulièrement. Des réductions d'effectifs devront être envisagées au cours des prochaines années et la fermeture d'une des usines n'est pas à exclure si les progrès envisagés à l'exportation ne se concrétisent pas.

C - Un CEA à la recherche de lui·même
     Le bilan du nucléaire français ne saurait faire l'économie d'une appréciation d'ensemble sur la situation actuelle du CEA. On a rappelé que le succès incontestable du programme nucléaire lui doit beaucoup, aussi bien par l'action qu'il a conduite en matière de recherche que par l'impulsion qu'il a longtemps donnée à l'ensemble de la politique en ce domaine. On analysera un peu plus loin, en termes chiffrés, les moyens financiers dont il dispose, leur origine, leur affectation, et ses relations avec les autres acteurs du nucléaire civil. Il s'agit plutôt ici de tenter d'apprécier l'état d'ensemble du CEA, étant entendu que si la mission a axé l'essentiel de sa réflexion, comme il lui était demandé, sur le nucléaire civil, il lui a fallu pour tenter cette appréciation d'ensemble examiner succinctement l'ensemble des tâches confiées au CEA(14).
     Les auteurs de ce rapport ont le sentiment que la maturité du programme nucléaire, et en somme sa banalisation, ont affaibli la raison d'être de certaines missions dévolues traditionnellement - autant par les textes que par l'usage - au CEA; cette crise des missions s'est trouvée renforcée par les faiblesses propres de l'organisme, que l'on pourrait résumer en un vieillissement des hommes et de la culture, un certain repli sur soi et une inadéquation grandissante des modes de gestion; de tout ceci résulte une crise d'identité et de motivation clairement perceptible, en même temps qu'une perte d'image vis-à-vis de l'extérieur.

     1 -  La crise des missions
     En dépit d'une unité institutionnelle et culturelle, le CEA assure en fait des missions très diversifiées. Cette constatation d'évidence est une des clés de compréhension de la situation actuelle en même temps - ce point sera développé dans la dernière partie du rapport - que d'appui pour l'avenir.
     Certaines des missions confiées au CEA demeurent aujourd'hui claires dans leurs finalités, même si les objectifs assignés évoluent dans le temps et si la dimension et l'organisation des moyens peuvent appeler des adaptations.
     C'est le cas, au premier chef, des missions qui lui sont assignées dans le domaine de la Défense: qu'il s'agisse des tâches confiées à la Direction des Applications Militaires (DAM) en matière de conception, de développement, de fabrication et de maintenance des armes nucléaires; de l'approvisionnement en matières nucléaires, pour laquelle CEA conserve la responsabilité et assure le dialogue avec le Ministère de la Défense, même si une part importante des tâches opératoires est déléguée à COGEMA; ou de la propulsion nucléaire confiée là aussi à une filiale, TECHNICATOME, le CEA se voit assigner des objectifs clairs, dispose de dotations suffisantes et reste maître de l'organisation de ses moyens pour atteindre les résultats à l'échéance prévue. Il est crédité globalement d'une bonne efficacité, et en tire à juste titre fierté. Il est évident que cette mission est appelée à se poursuivre, tout en impliquant une adaptation qualitative et quantitative des moyens aux objectifs de la politique de défense.
     La mission confiée au CEA en matière de sûreté nucléaire s'identifie aux attributions de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN). Là encore, l'objectif est clair et il n'est pas susceptible d'être pris en charge par les autres «acteurs» du nucléaire civil, tant il est évident que la sûreté ne peut résulter que du dialogue entre les exploitants, gestionnaires du risque nucléaire, et des autorités de contrôle indépendantes d'eux. Même si le rattachement du département d'analyses de sûreté de l'IPSN venait un jour à faire question, le rôle technique du CEA en matière de sûreté demeure fondamental.

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13. URENCO: producteur européen dont le capital est réparti entre la RFA, le Royaume Uni et les Pays-Bas, et qui dispose d'une capacité de 2,15 MUTS/an.
14. En 1988, le CEA a dépensé 19.485 MF; l'effectif moyen prévu pour la présente année est de 25.000 agents; pour les principaux instituts du CEA, les chiffres sont respectivement les suivants:
     - Institut de Recherche Fondamentale: 1.594 MF - 2.651 agenls
     - Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire: 919 MF - 1.486 agents
     - Institut de Recherche et de Développement Industriel: 4.346 MF - 6.200 agents
     - Direction des Applications Militaires: 6.105 MF - 6.950 agents

     Enfin, la mission assurée par l'Institut de Recherche Fondamentale (IRF) ne paraît pas non plus mise en cause même si, là encore, la question du rattachement de l'IRF peut se trouver posée. Les objectifs en ce domaine ne peuvent pas d'ailleurs être assignés aussi clairement par l'extérieur qu'il en va en matière de défense ou de sûreté. Ils résultent davantage d'une réflexion de l'organisme lui-même, qui doit d'ailleurs être éclairée par des évaluations externes: la qualité reconnue dans les milieux scientifiques aux travaux de l'IRF doit constituer pour celui-ci la légitimation de sa mission.
     Ce sont en fait les missions du CEA se rattachant directement à l'orientation de la politique nucléaire qui se trouvent aujourd'hui mises en question. Il n'y a rien d'étonnant à cela dès lors que la maturité du nucléaire a fait émerger, par rapport à une situation ancienne où le CEA régnait sur ce secteur, deux autres acteurs majeurs: EDF surtout, qui se sent une responsabilité essentielle non seulement dans la gestion de l'existant, mais dans l'avenir du programme électronucléaire français, mais aussi COGEMA, filiale du CEA mais fille émancipée, qui a très conscience de ses responsabilité propres d'industriel majeur du cycle du combustible.
     De cette remise en cause d'un certain «leadership» nucléaire du CEA, on retiendra trois aspects:
     - l'orientation globale de la politique nucléaire échappe aujourd'hui au CEA. On peut à vrai dire s'interroger sur la notion même de «politique nucléaire», avec ce que ce terme compte de volontariste, voire de dirigiste, alors que le nucléaire apparaît de plus en plus comme banalisé en tant que source d'approvisionnement énergétique. Cependant, le poids des acteurs publics, en France tout au moins, la sensibilité politique du sujet dans tous les pays dotés d'un potentiel nucléaire important, peuvent justifier cette appellation. Or les décisions sont de plus en plus dans les mains des acteurs directement concernés, les pouvoirs publics exerçant un droit de regard. Dans la période toute récente, l'accord FRAMATOME - KWU, l'accord COGEMA-VEBA ont été avant tout de la responsabilité des signataires - pourtant tous deux filiales du CEA. Que dire alors de la politique d'EDF en matière d'exportation d'électricité, ou d'optimisation de la gestion de son parc de réacteurs?
     Le relatif déclin (sur lequel on reviendra) du Comité de l'Energie Atomique, au sein duquel le CEA assure en fait un rôle essentiel, illustre tout à fait cette évolution.
     - Le CEA voit également décliner le rôle qu'il avait eu l'ambition de jouer comme «prescripteur» de filières, et qui était très lié à sa mission de recherche-développement nucléaire. Ceci est particulièrement net dans le domaine des réacteurs: le choix de la filière REP de Westinghouse contre le souhait du CEA de poursuivre sur la filière graphite-gaz a marqué à cet égard un tournant irréversible dans les relations avec EDF. Qu'il s'agisse de l'avenir de la filière actuelle (avec le projet REP 2000), de la novation importante qu'y introduit le recours au combustible MOX, des filières de demain - y compris de l'avenir de la filière rapide au-delà de Superphénix - les choix seront en définitive du ressort d'EDF, ou des pouvoirs publics à travers d'EDF s'ils en ont la volonté, le CEA appuyé sur son potentiel de recherche gardant toutefois un rôle de force de proposition.
     Une évolution analogue se dessine dans le cycle du combustible où il est clair que COGEMA supportera de plus en plus difficilement que la recherche, même à long terme, s'oriente en dehors d'elle. Un dialogue plus équilibré devra s'instituer sur la fin du cycle dans lequel le CEA semble appelé à conserver un rôle important en raison de la sensibilité en termes de sûreté de toutes les options touchant à ce domaine, et de la responsabilité des pouvoirs publics que cela implique.
     - Enfin, dans une période plus récente, le CEA s'est assigné, ou s'est vu assigner, la mission de constituer et gérer un groupe industriel assurant la valorisation d'une recherche de plus en plus diversifiée. C'est ce qu'a traduit la création de CEA-Industrie décidée en 1983. La nécessité de valoriser l'effort de recherche-développement du CEA aussi bien dans le domaine nucléaire que non-nucléaire apparaît plus que jamais nécessaire. Mais le CEA n'a pas apporté la preuve de sa capacité à gérer un véritable groupe industriel: le CEA-Industrie n'a été au mieux qu'un demi-succès; il a mieux réussi dans la tâche ingrate et nécessaire d'apurement de certains passifs antérieurs, et dans son travail technique de consolidation financière et fiscale, que dans l'animation et le contrôle de gestion d'un ensemble qui n'a jamais vraiment constitué un véritable groupe.
suite:
     2 - Vieillissement et repli: les faiblesses propres du CEA
     Certaines faiblesses propres au CEA lui-même ont contribué à rendre plus difficile encore la situation du Commissariat: un vieillissement des hommes et de la culture, un certain repli sur soi, une gestion gravement inadaptée. Il est juste de souligner d'emblée que des mesures récentes ont été adoptées pour attaquer ces faiblesses avec lucidité et courage. Mais l'inflexion est trop récente pour avoir déjà vraiment changé le paysage.
     a) Le vieillissement se manifeste d'abord par une démographie préoccupante: 44% des chercheurs, ingénieurs et cadres sont âgés de plus de 50 ans, 18 % seulement ont moins de 35 ans. Ceci signifie à la fois que la plupart des postes de responsabilité sont entre les mains de cadres dans la dernière partie de leur carrière, et que le départ massif de ceux-ci au cours des prochaines années pose un problème délicat de relève, pour l'exercice des responsabilités comme pour le transfert des connaissances. En effet, la pyramide des âges du CEA est caractérisée par deux bosses: 26-34 ans et surtout 45-56 ans, séparées par un creux très accusé au sein duquel devraient se recruter les «patrons» de demain. Ce déséquilibre, qui traduit l'absence de toute gestion prévisionnelle des personnels au cours des dernières décennies, ne pourra être que très progressivement corrigé, surtout dans une période de gestion serrée des effectifs, et pèsera donc de longues années sur le dynamisme du CEA. Il explique que la mobilité fonctionnelle; et encore plus géographique soit aujourd'hui très faible au sein de celui-ci.
     Le vieillissement affecte également la culture du CEA en matière de recherche. Sur ce point sensible, les auteurs de ce rapport sont conscients du caractère limité de leurs investigations, et donc de l'injustice que pourrait comporter tout jugement de valeur général. De surcroît, ils se sont intéressés surtout au secteur du nucléaire civil, qui n'emploie qu'une partie du potentiel de recherche du Commissariat. Ils n'en ont pas moins été frappés, pour ce qui concerne ce secteur, par le caractère quelque peu figé d'options qui ont été arrêtées, pour les plus importantes d'entre elles, il y a maintenant plus de dix ans, et par la difficulté que paraît éprouver le CEA à procéder aux réévaluations et réorientations nécessaires.
     Nul secteur n'illustre davantage ce fait que celui des filières de réacteurs. Le CEA, ayant fait partager aux pouvoirs publics, dans les années 1970, la conviction que les réacteurs surgénérateurs constituaient la véritable filière d'avenir, avec comme corollaire la nécessité de procéder au retraitement intégral et rapide des combustibles irradiés, semble aujourd'hui encore avoir la plus grande difficulté à accepter de réexaminer avec sérénité une doctrine que les faits n'ont pas jusqu'à présent confirmée, mais qui s'est peu à peu muée en dogme. S'il convient que les réacteurs «rapides» ne sont pas aujourd'hui économiquement compétitifs, quels que soient leurs mérites techniques, il paraît avoir quelque peine à admettre que, même à l'échéance de vingt ans, leur avenir n'est pas nécessairement assuré puisque cela impliquerait que deux conditions au moins soient remplies: une forte remontée des prix de l'uranium naturel (qui suppose une forte relance du nucléaire sur le plan mondial engendrant une certaine rareté de cette matière première, aujourd'hui surabondante); des gains très importants sur le coût des réacteurs, gains qui ne peuvent être extrapolés à partir du modèle Superphénix, même amélioré, mais impliquent de fortes novations dans la technologie des réacteurs rapides.
     D'autres exemples pourraient être donnés de ce fixisme doctrinal, qu'il s'agisse de l'intérêt tardif du CEA (en fait sous la pression des événements) pour le combustible MOX, du refus de maintenir une veille technologique sur les réacteurs à haute température, ou du caractère rigide de la doctrine "retraitement total et immédiat" pour les combustibles irradiés, alors qu'il apparaît de plus en plus clairement que, pour EDF, un stockage intermédiaire assez prolongé entre la sortie du réacteur et le retraitement constitue une variante inévitable, compte tenu des capacités de La Hague.
     Au total, on ne peut se défendre du sentiment qu'il y eu globalement au CEA un certain affaiblissement de la recherche nucléaire de grand avenir, en matière de réacteurs et de cycle, au profit du soutien direct au développement des technologies existantes.
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     b) Le repli sur soi, ou plutôt l'insuffisance d'ouverture sur l'extérieur, constitue un second symptôme du malaise du CEA. Conçu initialement comme l'instrument privilégié de constitution d'une puissance nucléaire française - et d'abord d'une puissance militaire - le CEA paraît avoir encore quelque peine aujourd'hui à percevoir l'environnement international, y compris européen, autrement que comme porteur de menaces. Certes, la compétition internationale est, là comme ailleurs, une réalité, et la déstabilisation politique du nucléaire dans des pays proches doit conduire à la prudence, à l'égard de toute harmonisation prématurée des règles de sûreté par exemple. Mais cette situation appelle en même temps un renforcement des coopérations avec tous les pays qui continuent de jouer le parti du nucléaire. Là encore, la fermeté, voire la rigidité, de la doctrine du CEA, si elle a impressionné des partenaires exposés à des politiques parfois plus incertaines, n'a peut-être pas facilité les collaborations. Si celles-ci se développent aujourd'hui, c'est surtout au niveau de la recherche fondamentale (sur la fusion) ou des acteurs industriels: COGEMA, FRAMATOME et, dans une moindre mesure, EDF.
     Même à l'égard de ces derniers, la coopération demeure marquée par un certain manque d'ouverture, en ce sens qu'elle n'est pas fondée complètement, même au sein du groupe CEA, sur une relation «client-fournisseur» dans laquelle les besoins exprimés par l'industriel guident nettement les orientations de la recherche, au moins pour le court-moyen terme. On reviendra sur la clarification souhaitable en ce domaine.
     c) Enfin, on ne saurait sous-estimer combien des modes de gestion lourds et peu efficaces ont pu freiner l'adaptation du CEA à la situation nouvelle qui s'est progressivement créée dans l'électronucléaire. Sur ce point, la Cour des Comptes a récemment établi un constat (dont il ne sera pas fait ici état en détail puisqu'il n'est pas encore en sa forme définitive) qui constitue un jugement sévère sur la gestion interne du CEA. Pour se borner à quelques traits, il faut relever l'empilement des structures hiérarchiques et fonctionnelles qui, dans le domaine du nucléaire civil par exemple, interposent entre l'équipe de recherche de base et la direction du CEA, et dans le sens ascendant: un chef de centre mi-responsable hôtelier, mi-coordinateur horizontal; un ou deux échelons hiérarchiques opérationnels: département et division; puis l'état major de l'Institut de Recherche et de Développement Industriel (IRDI); la birection - fonctionnelle - des Technologies; enfin, l'ultime échelon fonctionnel, proche de l'Administrateur Général, que constitue la Direction des Programmes. L'importance excessive des états-majors et la redondance des échelons de commandement sont évidents.
     L'insuffisance, pour ne pas dire, jusqu'à une date très récente, l'inexistence des procédures de contrôle (contrôle financier, contrôle de gestion) et d'évaluation véritable de la qualité des recherches constitue également, pour un organisme mobilisant un tel montant de ressources publiques, une grave carence. Celle-ci va au point qu'il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de connaître avec précision le coût historique des principaux programmes de recherche. Dans ce contexte peu rigoureux, le CEA a engagé, encore récemment, des investissements discutables, sinon dans leur principe, du moins dans leur dimensionnement comme, par exemple, en matière de recherche sur le retraitement, la réalisation simultanée à Marcoule de l'Atelier-Pilote et du laboratoire très largement conçu dénommé Atalante. Ces projets ont été réalisés sans que soit défini au préalable un programme de recherche à long terme, ni établi un protocole précis de collaboration avec le partenaire industriel (COGEMA) auprès duquel sont désormais recherchés les financements nécessaires au fonctionnement des installations.
     De ces faiblesses, le CEA a depuis peu pris conscience, et il s'est engagé dans la voie d'un renforcement, ou plutôt d'une création d'instruments d'évaluation et de contrôle de gestion. Mais il faudra beaucoup de détermination pour faire évoluer en ce domaine la culture du CEA.
     Enfin, il faut relever qu'en dépit du discours officiel sur les «synergies» développées entre les différentes parties du CEA, il existe un fort cloisonnement horizontal entre les principaux instituts: DAM, IRF, IRDI, IPSN et que les relations qu'ils entretiennent semblent souvent limitées, même si la proximité géographique (IRF et IRDI à Saclay par exemple) entraîne, au niveau des équipes de base, certaines collaborations. 
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Peut-être, compte tenu de la diversité des missions évoquées plus haut, cette séparation est-elle dans la nature des choses. Sans doute aussi le poids de l'histoire pèse-t-il encore, notamment sur les relations entre la DAM et les instituts civils.

3 - Crise d'identité et perte d'image
     Les signes de crise décrits ci-dessus affectent à des degrés variables les différentes parties du CEA. Sans doute est-ce dans le secteur du nucléaire civil qu'ils sont les plus aigus.
     Mais l'ensemble du CEA semble en proie à une certaine crise morale, qui peut se résumer dans l'interrogation suivante: à quoi le CEA sert-il aujourd'hui? Au-delà des réflexes d'autodéfense très compréhensibles, la conscience existe de façon diffuse que, les temps ayant changé, l'existence du CEA s'impose moins aux yeux des interlocuteurs extérieurs, et qu'en tout cas ses objectifs doivent être redéfinis.
     Dans l'immédiat, cette crise d'identité pèse sur l'image du CEA à l'extérieur: les recrutements de jeunes chercheurs de haut niveau sont plus difficiles, les partenaires du secteur électronucléaire s'interrogent sur le risque de perte de motivation et donc de déqualification des équipes de recherche, et certains ne manquent pas de souligner qu'à l'étranger les organismes équivalents ont soit disparu, soit connu un fort redimensionnement.
     Ce constat global peut être jugé sévère, mais il a semblé important à la mission que ses propositions s'appuient sur un diagnostic clair. Il serait en tout cas peu raisonnable de rester dans le statu quo, car ce serait prendre le risque de voir les cadres se démobiliser complètement et le CEA perdre son efficacité dans une mesure irréversible. Un tel gâchis humain, technique, et financier doit à tout prix être évité.

D - Une grande discrétion des pouvoirs publics
     Les pouvoirs publics ont pris une part déterminante dans le lancement et la réussite du programme électronucléaire français, en décidant la très forte accélération du rythme d'équipement en réacteurs à eau pressurisée à partir de 1974, la construction des usines de retraitement UP2-800 et UP3 de La Hague, la réalisation de Superphénix, et en maintenant ces options - en particulier la première - avec une grande continuité.
     Force est de constater toutefois que, depuis une dizaine d'années, leur attitude a été davantage d'accompagner la mise en œuvre des décisions antérieures, en dotant les acteurs publics des moyens financiers appropriés, que de conduite une véritable politique. En ce qui concerne le dimensionnement du parc des centrales d'EDF, le réexamen a été plutôt tardif et sans doute insuffisant, comme en témoignent les surcapacités actuelles. Sans doute EDF elle-même a-t-elle tardé en ce domaine à reconnaître certaines évidences, mais il était du rôle des pouvoirs publics de susciter les réévaluations nécessaires en temps opportun. Sur l'aval du cycle du combustible, COGEMA a été soutenu sans faiblesse dans la réalisation des usines de La Hague, mais les problèmes de stockage - aussi bien de combustibles irradiés en attente de retraitement que de déchets issus du retraitement - n'ont peut-être pas assez mobilisé l'attention des pouvoirs publics, compte tenu de l'extrême importance qui s'attache à une bonne «fermeture» du cycle pour l'acceptation durable du nucléaire civil par l'opinion.
     Sur un point important, l'Etat doit être crédité d'une attitude très sage: ne pas avoir, malgré l'extrême insistance du CEA, poursuivi prématurément dans la voie de la construction d'autres prototypes de surgénérateurs de grande taille, et s'en être tenu à la réalisation du seul Superphénix, dont il faut attendre que le fonctionnement durable fournisse les enseignements nécessaires à la définition d'une éventuelle nouvelle génération de réacteurs rapides. Mais le sentiment prévaut qu'il s'est agi davantage d'une «non-décision» prolongée de ne pas lancer de Superphénix II, que d'une prise de parti très consciente.
     Cette absence de volonté très claire dans la politique de l'Etat est sans aucun doute le reflet de l'ambiguïté de l'organisme qui constitue normalement pour le gouvernement le creuset d'élaboration de ses décisions: le Comité de l'Energie Atomique. 

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     Celui-ci, en dépit d'une composition prestigieuse, apparaît plus comme un lieu d'information et de concertation que de décision. Géré pratiquement par le CEA qui assure son secrétariat, il constitue en réalité son véritable Conseil d'Administration. Travaillant exclusivement sur des documents élaborés par le CEA et qui reflètent les points de vue de celui-ci, il traite essentiellement des orientations de la politique du CEA, le plus souvent pour les avaliser; c'est ainsi qu'il ne semble pas y avoir place pour un véritable débat clair et ouvert sur les grandes options de recherche-développement. Du fait de l'appartenance de COGEMA au groupe CEA, les orientations de celle-ci y sont épisodiquement évoquées. Mais, c'est dans d'autres enceintes que se discute et s'approuve la politique d'EDF, qui constitue pourtant aujourd'hui un acteur essentiel du secteur nucléaire civil.
     Celte situation serait acceptable si le nucléaire était un secteur d'activité entièrement banalisé, où une totale latitude d'action puisse être laissée aux acteurs directs. Mais, l'importance des concours publics qui l'irriguent encore à travers le financement de la recherche-développement du CEA, le caractère très vite politique que prennent tous les débats concernant le nucléaire, font souhaiter une meilleure efficacité des instruments dont disposent les pouvoirs publics pour orienter la politique de ce secteur. On y reviendra dans la 4e partie du rapport.

III. Appréciation de l'organisation actuelle du secteur du nucléaire civil

     A. La répartition des rôles entre les partenaires est, dans l'ensemble, bien définie.
     Le secteur du nucléaire civil est, de fait, dominé par le poids d'EDF, sûr de ses missions, fort de moyens financiers considérables. En face, des organismes de taille plus modeste, moins assurés de leur vocation et de leur devenir dans le contexte actuel de maturité et de pause du nucléaire, ou menacés par des aléas aux conséquences financières majeures.
     En termes financiers, la taille des principaux intervenants du secteur est très inégale:

en GF
(chiffres 1988)
EDF
COGEMA
(Groupe)
FRAMATOME
(Groupe)
CEA civil
Chiffre d'affaire
133,8
22,2
10,9
9,5
Marge brut d'autifinancement
41,0
5,7
2,3
NS

     Le partage des tâches est facilité par le fait que chacun des intervenants est en situation de monopole national pour son activité principale. La distribution des rôles est ainsi bien marquée: au CEA, la recherche fondamentale et le développement de l'ensemble de la filière; à EDF, la maîtrise de l'ouvrage et l'exploitation des centrales; à COGEMA, FRAMATOME et PECHINEY l'industrie du combustible, depuis la mine d'uranium jusqu'au retraitement des matières irradiées; à FRAMATOME, l'ingénierie et la construction de l'ilôt nucléaire des centrales.
     On constate cependant, aux articulations de ce dispositif, quelques domaines de recouvrement ou de friction. Par ailleurs, le CEA a eu tendance de plus en plus à étendre ses activités civiles en dehors du domaine nucléaire.
     1 - Les zones de recouvrement
     Elles sont, pour ne citer que les principales, au nombre de trois:
     - la recherche sur les réacteurs
     Le CEA consent évidemment dans ce domaine l'effort principal: un peu plus d'un milliard de francs en 1989, même si cet effort s'est réduit de moitié environ en l'espace de 15 ans, en raison de l'avancement du programme d'équipement français et de la priorité mise désormais sur le cycle du combustible, en particulier le retraitement et les déchets.

suite:
     Le CEA conserve, comme il est normal, un quasi-monopole des recherches sur la filière rapide (encore 340 MF en 1989). Mais il dépense également près de 600 MF par an sur les REP, alors que FRAMATOME et EDF consentent environ 300 F par an à la recherche sur ce type de réacteurs.
     Le risque de concurrence stérile ou de double emploi ne doit pas être exagéré étant donné les procédures de concertation et d'information réciproque qui existent dans ce domaine. En particulier, le CEA effectue l'essentiel de ses dépenses sur des programmes «coopératifs» bipartites (pour l'essentiel avec FRAMATOME) et accessoirement tripartites (CEA-EDF-FRAMATOME).
     Il n'en reste pas moins que FRAMATOME et EDF souhaitent pour des raisons commerciales, cloisonner autant que possible ces programmes en évitant que l'autre partenaire ait accès à leurs résultats. D'autre part, chacun des trois intervenants a le désir de maintenir son potentiel d'études et de conception malgré le contexte d'un marché en fort rétrécissement.
     Le problème de fond qui se trouve posé est celui du leadership en matière d'ingénierie des centrales de nouvelle génération, revendiqué à la fois par le client et son fournisseur, FRAMATOME souhaitant limiter son inévitable dépendance à l'égard d'EDF pour le choix du «design» des réacteurs. Le rapprochement de FRAMATOME et de KWU dont l'aboutissement logique est la conception d'un modèle unique de réacteur européen risque de compliquer encore les relations entre partenaires en France, notamment pour la définition d'un projet REP 2000.
     - La maintenance des centrales
     Il en va de l'entretien du parc existant comme de l'ingénierie du parc à venir: EDF et FRAMATOME souhaitent chacune obtenir une part la plus importante possible de l'activité de maintenance et de gros entretien des centrales en exploitation. Les deux sociétés sont en effet confrontées au ralentissement brutal de l'activité de construction des centrales et souhaitent amortir le redimensionnement inéluctable, et d'ailleurs engagé de part et d'autre, de leurs moyens propres, par le développement de leurs activités de services.
     - L'industrie du combustible
     Elle se caractérise par la complexité de ses structures héritées des affrontements passés entre groupes publics pour s'assurer le contrôle de ce segment du cycle et l'intervention d'un grand nombre de sociétés au capital réparti entre les trois acteurs principaux (FRAMATOME, PECHINEY et COGEMA), ce qui se traduit en particulier pour le combustible REP par la séparation des activités de production et de commercialisation(15).
     Si les rapports de FRAMATOME (liaison entre l'architecture des chaudières et celle des assemblages combustibles) et de PECHINEY (métallurgie des alliages complexes et gestion de production industrielle) sont évidents, celui de COGEMA l'est moins, sauf en ce qui concerne les combustibles au plutonium dont elle maîtrise la technologie. La présence de cette société tient surtout à sa volonté de couvrir l'ensemble du cycle, alors même que chacun des métiers correspondants est spécifique, sans synergie commerciale ou technique déterminante entre eux.
     Cette structure, qui traduit un équilibre précaire entre les trois acteurs principaux, mérite d'être réexaminé (cf. 3e partie).
     2 - L'activité du CEA hors du nucléaire civil
     On n'évoquera ici que pour mémoire les activités de recherche et de fabrication militaires du CEA qui représentent désormais plus de la moitié de son budget global (soit plus de 10 milliards de francs).
     Au sein de l'ensemble des programmes civils, la part de la recherche électronucléaire a régressé continuement au cours des 10 dernières années: de 55% en 1979, elle est revenue à 47,7% en 1989. En 1989, les programmes consacrés à l'électronucléaire civil représentent 3,3 GF.
    Cette évolution est liée à la part croissante de la recherche fondamentale jusqu'en 1986, puis à la montée en puissance de la recherche sur les technologies non-nucléaires après cette date.
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15. FBFC, Société en nom collectif (PECHINEY 50%, COGEMA 25%, FRAMATOME 25%) assure la fabrication des assemblages combustibles au sein de ses 3 usines (Romans, Pierrelatte et Dessel en Belgique), la commercialisation est assurée par la GIE FRAGEMA (COGEMA 50%, FRAMATOME 50%).
     En ce qui concerne la recherche fondamentale (1,8 milliard de francs en 1989), l'évolution la plus significative concerne les travaux relatifs à la fusion contrôlée dont la part dans l'ensemble a progressé de 16% en 1981 à près de 26% en 1985, avant de revenir à 15% environ en 1989 (341 MF).
     Il faut également signaler qu'en biologie la recherche fondamentale a été regroupée avec les travaux appliqués au sein d'un ensemble baptisé "Sciences et Techniques du vivant" (375 MF en 1989).
     Parmi les autres programmes de recherche non-nucléaire, on notera le poids important de l'électronique (582 MF en 1989) avec le LETI de Grenoble, la disparition depuis 1986 des travaux sur les énergies nouvelles et le maintien d'un effort significatif sur le pôle robotique (122 MF en 1989).
     Pour l'ensemble des travaux appliqués du CEA, hors nucléaire et hors biologie, les cofinancements obtenus de partenaires extérieurs sont importants: au total 38% des dépenses du CEA sur les programmes sont couvertes par des contrats de recherche ou la valorisation de ses travaux, ce pourcentage atteignant même 53% pour l'électronique. Les apports extérieurs (près de 600 MF attendus en 1989) proviennent à parts à peu près égales des organismes publics et du secteur industriel.

B. Les relations entre les acteurs du secteur électronucléaire n'obéissent pas toujours à des principes clairs

     1 - Les relations entre EDF et ses fournisseurs
     Les relations d'EDF avec ses fournisseurs sont pour l'essentiel de nature classique: le client paie pour les équipements, les substances ou les services qui lui sont livrés, dans le cadre d'engagements contractuels. Les prix de certaines prestations doivent faire référence aux prix internationaux, même si parler d'un marché mondial serait excessif étant donné les nombreux cloisonnements politiques et techniques qui entravent les échanges.
     EDF a cependant le souci, légitime pour un grand acheteur public, de préserver et de structurer les secteurs industriels qui assurent son approvisionnement. On constate ainsi qu'EDF, de sa propre initiative ou à la demande des pouvoirs publics, est amené à consentir des avantages à ses co-contractants:
     -- maintien des ses enlèvements de matières nucléaires à des niveaux élevés, au-delà des obligations imposées pour ses stocks par le Ministère de l'Industrie. Du fait de ses engagements contractuels, EDF ne profite pas de la faiblesse actuelle des cours du marché spot, et participe à la couverture du surcoût des mines françaises et de la zone franc en même temps qu'au maintien d'un taux de charge convenable pour EURODIF;
     -- de même, le maintien de commandes à FRAMATOME d'ici l'an 2000, même à un rythme réduit, procède pour une part importante du souci d'assurer une charge minimum aux ateliers de ce fournisseur jusqu'à la période de redémarrage attendue au début du siècle prochain.
     EDF a également le souci de s'assurer un minimum de diversificativn de ses approvisionnements, notamment en uranium naturel et en éléments combustibles. 

2 - Les transferts financiers vers le CEA
     Il faut d'abord mentionner pour mémoire que le CEA (en fait sa holding CEA-I) perçoit les dividendes versés par COGEMA et FRAMATOME(16).
     En ce qui concerne les programmes de recherche du CEA en matière électronucléaire, ils sont financés:
     - par les subventions des Ministères de l'Industrie (3,5 GF au total en 1989, dont 1.693 MF pour l'électronucléaire) et de la Recherche (3,1 GF, dont 760 MF);
     - par les produits liés (contrats de recherche(17), ventes de produits ou de prestations de service(l8): 318 MF en 1989);
     - par les redevances versées, au titre des technologies développées et transférées par le CEA, en particulier par FRAMATOME, EURODIF et COGEMA (541 MF en 1989);
     - enfin, par une contribution forfaitaire imposée par les pouvoirs publics à EDF (300 MF en 1989);
     Soit au total: 3.612 MF.
     On constate qu'en 1989 les programmes de recherche électronucléaire du CEA ne représentent que 3.281 GF et sont donc "surfinancés". On peut considérer que l'excédent, c'est-à-dire la part des redevances sur procédés nucléaires librement réaffectables sur les programmes, finance prioritairement le déficit des comptes des produits ou de prestations de service.

suite:
     Ces comptes, en particulier les trois principaux (Phénix, l'Atelier de retraitement Pilote de Marcoule et le Centre de Fabrication de Combustibles de Cadarache), sont en effet directement liés aux travaux de recherche sur les rapides (et désormais égaIement sur le MOX) et dégagent un déficit pour le CEA de 220 MF en 1989.
     Il reste qu'un transfert de l'ordre de 110 MF est opéré du secteur électronucléaire vers les autres programmes de recherche du CEA-civil.

a) Les relations CEA-EDF
     Depuis 1989, EDF est taxé d'une contribution forfaitaire au budget du CEA: 150 MF en 1987, 250 MF en 1988 et 300 MF en 1989.
     Assez logiquement du point de vue d'EDF, cette redevance forfaitaire tend à absorber l'essentiel des autres financements antérieurement consentis au CEA dans le cadre d'actions coopératives entre client et fournisseur de recherche.
     De ce fait, la création de la "dime" d'EDF n'a eu jusqu'à présent aucun impact réel sur le montant global des transferts dont bénéficie le CEA de la part d'EDF (qui s'élève à 360 MF actuels), tout en entraînant la substitution de procédures centralisées aux collaborations spontanées entre échelons intermédiaires des deux établissements.
     Il serait évidemment possible d'accroître encore le montant dont est taxé EDF, auquel cas on assisterait à une progression du volume global transféré, mais une telle évolution aurait peu de justifications (en dehors de considérations purement budgétaires) dans la mesure où EDF estime ne pas avoir besoin de recourir davantage aux travaux du CEA: son intérêt pour les travaux sur les surgénérateurs est modéré, et le CEA conduit peu d'actions coopératives communes sur les REP avec EDF.

b) Les relations CEA-FRAMATOME
     FRAMATOME à l'inverse bénéficie de l'essentiel des actions coopératives du CEA sur les REP pour un montant de 214 MF en 1989, alors que cette société ne contribue que marginalement au financement du CEA, par une redevance qui s'est élevée à 56,5 MF en 1988.

c) Les relations CEA-EURODIF
      En contrepartie du droit d'utilisation du procédé d'enrichissement par diffusion gazeuse, EURODIF verse au CEA une redevance de 3% de son chiffre d'affaires (264 MF en 1988).
     Au cours des années récentes, les versements d'EURODIF au CEA ont rapporté plus de 200 MF/an en moyenne, ce qui a couvert environ les 2/3 des sommes consacrées par l'établissement public à ses programmes de recherche sur l'enrichissement.
     C'est le seul cas où existe une telle adéquation des redevances versées et des recherches engagées.

d) Les relations CEA-COGEMA
     COGEMA bénéficie, pour le retraitement, de la technologie mise au point par le CEA. Elle verse en contrepartie une redevance sur son chiffre d'affaires (3 puis 5%) qui a crû rapidement depuis 1982, pour atteindre 130 MF en 1989. Le démarrage d'UP3 conduira à une nouvelle progression de son montant.
     Ce chiffre est à mettre en regard de l'ampleur des efforts consentis par le CEA dans le passé en matière de retraitement(600 MF actuels par an depuis 10 ans) et de leur poursuite prévue dans les années à venir (projet Atalante).
     En tout état de cause, une redéfinition des relations client-fournisseur en matière de recherche sur le cycle entre le CEA et COGEMA s'impose. On y reviendra plus loin.
     En matière de recherche sur le cycle, il faut enfin ajouter à la redevance COGEMA le produit de la cession à Japan Nuclear Fuel Services de la technologie du retraitement, soit 590 MF. Cette somme, sur laquelle le CEA devra engager des recherches spécifiques au profit du client japonais, ne représente cependant qu'une année de dépenses du CEA (au rythme actuel) sur les procédés correspondants.
     Au total, on constate donc, d'une part que les financements dont bénéficie le CEA sont déterminés sans prise en compte suffisante du volume et de la nature des travaux dont bénéficient en retour ses partenaires; d'autre part, que le transfert net réalisé au bénéfice de FRAMATOME et de COGEMA est particulièrement important.

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16. De 1983 à 1987, CEA-I a perçu 1.471 MF de dividendes, dont 1.164 MF en provenance de FRAMATOME. Au titre de l'exerclce 1987. CEA-I a reçu 157 MF de dlvldendes de FRAMATOME et 140 MF de COGEMA
17. Il s'agit du cofinancement par des tiers (organismes publics ou entreprises) des travaux de recherche entrepris par le CEA
18. Il s'agit de la vente par le CEA de prestations de service (analyses de sûreté effectuées pour le compte des pouvoirs publics par exemple) ou de produits (électricité produite par le réacteur expérimental Phénix par exemple).

TROISIÈME PARTIE:
LES PERSPECTIVES DU NUCLÉAIRE CIVIL EN FRANCE
 
     C'est aux perspectives d'activité du secteur nucléaire en France qu'est consacrée cette troisième partie; la dernière examinera les conséquences qui en découlent pour l'avenir des principaux acteurs.
     Ces perspectives sont largement dominées par l'estimation que l'on peut faire des besoins de renouvellement et de développement du parc de centrales d'EDF au cours des deux ou trois décennies à venir.
     On a vu précédemment que les besoins sont très faibles à court terme et, qu'en termes stricts, EDF serait en mesure de différer toute nouvelle commande d'ici 1995-96, c'est-à-dire toute livraison d'ici l'an 2000 au-delà de ce qui est actuellement engagé. Le souci d'un certain lissage pourrait conduire à la commande de 3 ou 4 tranches d'ici la fin du siècle.
     Pour ce qui est du long terme, les grandes échéances de renouvellement se situeront à partir de 2010-2015, quand les premières séries de tranches commandées dans les années 1970 viendront à échéance de vie(19). L'estimation de l'importance des commandes qui seront alors passées à l'industrie est affectée d'un double aléa: les besoins d'EDF dépendront à la fois du volume de la demande d'électricité en France (accessoirement à l'exportation) et de la compétitivité du nucléaire par rapport aux autres modes de production, en particulier les centrales au fuel et les turbines à gaz. D'autres considérations, plus difficilement quantifiables, peuvent influencer les choix d'EDF et des pouvoirs publics:
     - le désir, si les coûts du nucléaire et du non-nucléaire sont assez voisins, de rééquilibrer un peu le parc au profit du second - mais ce serait accepter de revenir à une plus grande dépendance énergétique vis-à-vis de l'étranger, en particulier en termes de balance commerciale;
     - l'évolution de la sensibilité publique en matière d'environnement: un «nouveau Tchernobyl" hypothèquerait à coup sûr l'avenir à long terme du nucléaire dans notre pays, en tout cas dans les filières actuelles; en sens inverse, les conséquences atmosphériques de l'usage des combustibles fossiles - si elles sont confirmées - peuvent handicaper gravement leur développement à venir.
     En se limitant aux hypothèses chiffrables, les réflexions à long terme d'EDF font apparaître une grande sensibilité des besoins en centrales nouvelles à l'évolution de la demande et aux coûts relatifs de production nucléaire/non·nucléaire. Si la croissance de la consommation demeurait soutenue et si le nucléaire gardait son avantage de coût actuel, le rythme des commandes, autour de 2020-2025, pourrait s'établir à trois tranches de 1.400 MW par an environ; à l'inverse, la combinaison d'une certaine stagnation de la production (ce qui peut correspondre d'ailleurs à un usage plus économique de l'électricité) et d'une dégradation de la compétitivité du nucléaire au-delà du fonctionnement "en base", pourraient ramener ce rythme à une tranche de 1.400 MW par an. Dans une hypothèse intermédiaire où la consommation d'électricité progresserait mais où le nucléaire ne serait rentable qu'«en base", le simple renouvellement du parc existant - sans accroissement de sa capacité - serait suffisant. Il est clair qu'en aucun cas on ne retrouvera le rythme effréné de construction des années 1980, surtout si un certain souci de lissage conduit le moment venu à anticiper quelques commandes au début des années 2000.
suite:
     A s'en tenir à la prochaine décennie, sur laquelle la mission a concentré ses réflexions, trois tâches s'imposent dans une phase qu'on peut caractériser comme une phase de maturité du nucléaire - maturité des technologies et palier dans le développement des capacités de production:
     - optimiser l'emploi de l'outil industriel constitué dans la dernière décennie.
     - mettre en œuvre une politique tout à fait claire et cohérente sur l'aval du cycle du combustible.
     - préparer au plan des orientations de recherche, le grand avenir tant en matière de filières de réacteurs que de technologie du cycle.

I - Assurer le meilleur emploi de l'outil industriel

     Si les perspectives du nucléaire au·delà de l'horizon 2000 sont encore très incertaines, il importe en tout cas d'utiliser au mieux l'existant, c'est-à-dire l'outil industriel dont la France s'est dotée depuis quinze ans pour un coût global qui doit avoisiner 800 milliards de francs: en particulier, 600 milliards pour les centrales EDF, plus de 60 milliards investis dans la filière rapide, et davantage encore à La Hague.
     Concrètement, il s'agit d'optimiser l'utilisation du parc de centrales nucléaires d'EDF, de développer les exportations - qu'il s'agisse d'électricité ou de l'industrie du cycle - avec le souci particulier d'assurer l'avenir des usines d'enrichissement et de retraitement, enfin de jouer la carte de la maintenance et des services.

A - Optimiser l'utilisation du parc électronucléaire d'EDF
     C'est le parc de centrales d'EDF qui constitue, en termes financiers, l'essentiel des investissements réalisés dans la filière électronucléaire: c'est donc là que l'enjeu d'une gestion optimale de l'outil industriel est le plus évident.
     1. La sûreté doit naturellement rester l'impératif majeur des exploitants. Tout accident sérieux, même limité dans ses conséquences, risquerait de remettre en cause le consensus national autour du nucléaire, avec comme conséquences un accroissement sans doute démesuré des exigences de sûreté, et les dépenses qu'il engendrerait, voire - en poussant les choses au pire - les coûts prohibitifs d'un déclassement de centrales non amorties, et du recours accru à des combustibles coûteux et payables en devises.
     2. L'ambition d'EDF est par ailleurs de maintenir désormais le coefficient de disponibilité des centrales à un niveau très élevé grâce à la qualité technique des équipements et aux effets de série et d'expérience dont bénéficient les exploitants. EDF retient pour le long terme une fourchette de 89-94%. Ce résultat devra être obtenu malgré le vieillissement progressif des centrales, et la réduction progressive de marges de capacité qui facilitent aujourd'hui la réalisation de grandes maintenances.
     3. EDF a déjà également beaucoup fait pour mieux utiliser le combustible. La gestion "1/4 de cœur" (remplacement du combustible par quart tous les 4 ans et non plus par tiers tous les trois ans) est en voie de généralisation progressive et permet déjà de récupérer plus d'énergie d'une même quantité de matière fissile en accroissant le taux de combustion. Le passage en «1/5 de cœur" est à l'étude. EDF devra également étudier pour l'avenir l'utilisation du combustible MOX au-delà des 16 tranches où son emploi est d'ores et déjà prévu (cf. ci-après).

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19. EDF table sur une durée de vie moyenne de 35 à 40 ans.
     4. La durée de vie des centrales doit également être prolongée s'il est établi que cet allongement ne compromet ni la sûreté, ni la disponibilité des installations. A partir d'une estimation initiale de 30 années, EDF table plutôt aujourd'hui sur 35 à 40 ans, avec un «grand carénage» après 25 ans de service environ. Cette prévision est encore difficile à valider faute de recul en France dans la gestion du parc; mais les REP exploités aux USA semblent pouvoir atteindre de telles durées de vie et les études menées en France ("projet durée de vie") vont dans ce sens.
     Ce facteur est évidemment très important dans le bilan économique global du nucléaire. On voit mal aujourd'hui quelle innovation technologique, si radicale soit-elle, pourrait frapper d'obsolescence économique des centrales déjà amorties. En faisant durer ses réacteurs, EDF atteindrait à la fois trois objectifs:
     - minimiser le coût de l'énergie produite;
     - disposer d'un délai de réflexion et d'étude maximal avant de lancer les commandes de remplacement du parc existant (choix du modèle en fonction de l'évolution des technologies) - mener à bien ce remplacement dans les meilleures conditions techniques et économiques, c'est-à-dire en particulier, avec un lissage satisfaisant dans la réalisation du programme.
     La réalisation de cet objectif d'allongement de la durée de vie implique également qu'EDF continue d'être particulièrement attentif à prévenir, et le cas échéant à traiter, l'apparition de défauts génériques liés au vieillissement, qui pourraient constituer un sérieux handicap dans l'exploitation du parc en raison même de la standardisation de celui-ci. L'attention portée actuellement au remplacement des générateurs de vapeur montre qu'EDF est bien conscient des enjeux en ce domaine. Il y a là manifestement matière à la poursuite d'une coopération avec le CEA en matière de recherche technologique.

B - Développer les exportations
     Cet objectif intéresse, à des degrés divers, l'ensemble du secteur électronucléaire puisque les surcapacités, en termes de moyens de production, existent à peu près partout. Il s'agit, dans un environnement international dont on a vu qu'il est globalement peu favorable, de préserver nos positions commerciales et de tirer parti des quelques possibilités nouvelles qui s'offrent à l'exportation.
     1. Du côté du cycle du combustible, l'enjeu à l'exportation se confond, pour ce qui concerne l'enrichissement et le retraitement, avec l'avenir d'EURODIF et des usines de La Hague, dont il sera traité au paragraphe suivant.
     a) S'agissant de l'uranium naturel, les perspectives d'exportation sont relativement modestes à la fois en raison de la saturation du marché et parce que COGEMA se trouve relativement handicapée par le recours partiel aux sources d'approvisionnement «chères» que sont la France et l'Afrique Noire.
     b) Quant à l'industrie française de fabrication du combustible, elle est d'ores et déjà tournée vers le marché mondial et y occupe une place importante (cf. 2e partie). Les perspectives de conquête de nouveaux marchés sont relativement limitées car chaque pays tend en ce domaine à définir ses propres spécifications et la qualification d'un nouveau combustible exige des délais importants. Quelques possibilités peuvent néanmoins s'ouvrir, en particulier sur le marché allemand.
     On doit s'interroger en outre sur l'adéquation des structures actuelles de la branche aux nécessités de la compétition internationale. Pour le combustible REP en particulier, la séparation entre la fabrication (assurée par FBFC) et la commercialisation (par FRAGEMA au sein duquel le rôle principal est tenu par FRAMATOME) parait quelque peu aberrante. Une réflexion sur une rationalisation de ces structures, à partir par exemple d'une holding associant les trois partenaires, paraît très souhaitable.
     2. Pour le constructeur de chaudières nucléaires, FRAMATOME, l'exportation est plus que jamais une nécessité face au rétrécissement du marché intérieur. Les marchés solvables susceptibles de s'offrir dans la prochaine décennie sont peu nombreux et assez faciles à recenser; l'alliance récemment conclue par FRAMATOME avec KWU doit permettre en principe de les aborder dans les meilleures conditions, en même temps qu'elle constituera le banc d'essai d'une collaboration franco-allemande dans ce secteur. Il reste que là encore les enjeux sont limités et ne dispenseront pas FRAMATOME de poursuivre le redimensionnement de son appareil de production.

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     3. C'est du côté d'EDF et des exportations d'électricité que se situe sans doute l'enjeu principal à l'exportation pour la prochaine décennie.
     On a vu qu'EDF était devenue en quelques années un gros exportateurs d'électricité: 7,2 milliards de F, soit près de 5% de son chiffre d'affaires en 1988. En 1988, le solde des échanges d'électricité de notre pays s'est établi à 37 TWh et les perspectives portent sur 60 à 65 TWh en 2000; EDF ne retient toutefois par prudence que 50 TWh pour la programmation de ses propres investissements.
     La Commission de Bruxelles a souligné à juste titre que le «coût de la non-Europe» était particulièrement lourd en matière de production d'électricité: le suréquipement global actuel représenterait de 330 à 400 GF, et le recours de chaque électricien à ses propres moyens de production entraînerait un surcoût annuel de 23 GF. Une directive devrait être édictée cette année faisant obligation aux compagnies de transport de transporter l'électricité à un prix normal entre deux autres compagnies qui le demandent, et aux compagnies de production de consulter les autres électriciens avant de lancer de nouveaux investissements importants. La remise en cause des accords entre producteurs de charbon et d'électricité en RFA, ainsi que l'amélioration de la transparence tarifaire, devraient venir compléter ce dispositif réglementaire.
     Il est très souhaitable qu'un véritable marché européen de l'électricité se réalise effectivement dans les années à venir et les pouvoirs publics doivent poursuivre leurs efforts en ce sens. Il risque de se heurter à l'opposition des défenseurs des équipements locaux et des matières premières nationales d'une part, des écologistes hostiles au nucléaire d'autre part. Mais il devrait trouver un écho favorable chez les industriels, et constitue sans doute un des moyens les plus efficaces, encore qu'indirect, de donner au nucléaire une dimension vraiment européenne.
     Au plan économique, en raison des subventions directes ou indirectes dont bénéficient certains producteurs étrangers, les exportations ne sont pas très rémunératrices pour EDF: 22,4 c/KWh en moyenne (1987) contre 22,5 c pour le coût de production complet (amortissement et intérêt compris) d'une centrale nucléaire de base. Ceci signifie que si les exportations sont évidemment très souhaitables, notamment au plan de la balance commerciale, tant qu'EDF disposera d'importantes marges de production disponibles, il ne serait pas rentable, aux conditions actuelles du marché européen, de construire de nouvelles centrales aux seules fins d'exporter l'électricité produite.

C. Assurer l'avenir des usines d'enrichissement et de retraitement
     1 - L'enrichissement
     Si la durée de vie utile de l'usine du Tricastin atteignait une trentaine d'années, EURODIF pourrait bénéficier au-delà de la fin du siècle d'un coût de production faible grâce à des installations amorties.
     En dehors d'un bon fonctionnement technique des installations, des enjeux sont importants pour l'avenir d'EURODIF dans les quelques années qui viennent:
     - le règlement du contentieux iranien (texte de 1990 mais numérisation en 2008!...), qui conditionne de manière cruciale son équilibre financier et le maintien de bonnes relations commerciales avec ses clients-actionnaires étrangers: il sera évoqué plus en détail à propos de COGEMA;
     - le taux d'utilisation de ses capacités, aujourd'hui de 60% seulement, qui déterminera après 1990 la rentabilité intrinsèque de l'exploitation (hors effet du contentieux avec l'Iran).
     Sur le marché durablement surcapacitaire où la concurrence des usines du Department of Energy (DOE) américain va se renforcer puissamment, le plan de charge d'EURODIF ne peut aujourd'hui être considéré comme assuré après 1990.
     Etant donné la part importante de l'énergie dans le coût de revient de l'UTS obtenu par diffusion gazeuse (59% en 1989 pour EURODIF), la capacité d'exportation d'EURODIF dépendra en grande partie du prix du kWh facturé par EDF. Une extension du régime de prix préférentiel dont bénéficie actuellement COGEMA permettrait d'accroître les débouchés de l'usine (2 GF/an sur la période 1991-1995). Un tel effort d'EDF serait cohérent avec la politique d'exportation d'électricité. Il présenterait l'avantage pour EDF d'exporter indirectement de l'énergie enlevée en période creuse, et pour la balance commerciale d'augmenter cette exportation de la valeur ajoutée du service d'enrichissement.

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2 - Le retraitement
     On a vu plus haut que la position de COGEMA sur le marché mondial était particulièrement forte en matière de retraitement des combustibles irradiés, mais qu'une incertitude subsistait quant à l'importance de ce marché après l'an 2000.
     Après cette date en effet, de nouveaux contrats devront être conclus pour assurer le plan de charge des usines UP3, mais également pour la part de capacité d'UP2-800 qui ne serait éventuellement pas couverte par les commandes d'EDF. COGEMA devra faire face à un concurrent unique, mais sérieux: la société britannique BNFL, dont la capacité potentielle atteindra 1.200 tonnes/an à partir de 1992 en principe.
     La difficulté consiste évidemment à évaluer la demande de services de retraitement au-delà de la fin du siècle. L'attentisme de certains pays (USA en particulier), l'exploration de l'option "cycle ouvert" par la Suède, rendent le niveau de la demande mondiale difficile à cerner. On ne peut donc exclure d'emblée le risque d'une sous-utilisation des capacités de La Hague originellement destinées à la satisfaction des besoins étrangers.
     L'accord de principe conclu entre COGEMA et le groupe allemand VEBA (dont relève le producteur d'électricité Preussen Elektra) qui serait disposé à réserver la moitié des capacités d'UP3 au-delà de l'an 2000 est évidemment de nature, s'il est confirmé, à répondre pour une bonne part à ces interrogations.
     Avant ces échéances et pour les aborder en bonne position, il importe cependant d'achever l'ambitieux programme d'investissement de La Hague dans les meilleures conditions. Les enjeux d'un démarrage correct des ateliers UP3 et UP2-800 sont en effet considérables, tant en termes d'image commerciale vis-à-vis des clients étrangers qu'en termes financiers pour COGEMA.
     Malgré le préfinancement par les clients étrangers des ateliers d'UP3 et la rémunération de COGEMA par un système qui assure en principe sa marge (contrats en "cost + fee"), les retards d'ores et déjà intervenus sur ces nouvelles installations (6 à 8 mois sur l'ensemble du chantier, auquel s'ajoute un délai encore indéterminé sur l'atelier de cisaillage-dissolution) ont entraîné une certaine limitation de la rémunération dont bénéficie COGEMA.
     Plus grave qu'un dérapage des coûts des installations et des délais seraient des difficultés de "jeunesse" telles que celles qui ont affecté en leur temps, avec une technologie il est vrai moins connue, et donc moins maîtrisée, le démarrage de la première usine de La Hague. Si de telles difficultés conduisaient, après le démarrage d'UP3, à un arrêt provisoire ou à une utilisalion durable en sous-capacité, COGEMA subirait une réduction de son "fee" prévue par le contrat, et surtout des retombées commerciales négatives pour la technologie française du retraitement.
     COGEMA a en tout cas clairement perçu ces enjeux comme en témoigne la reprise en main, sans doute un peu tardive, de sa filiation SGN qui réalise l'ingénierie du chantier de La Hague, et aide par ailleurs à la réalisation de l'usine japonaise de Rokkasho Mura.

D - Jouer la carte de la maintenance et des services
     La bonne gestion de l'outil industriel dont s'est dotée la France en matière nucléaire nécessite bien entendu un effort de maintenance et des travaux d'ingénierie. Cependant la nature et le volume de ces dernières activités changent: il ne s'agit plus de concevoir et de construire l'outil, mais de permettre et d'accompagner son exploitation optimale au plan de la sûreté comme au plan économique.
     1. En ce qui concerne les réacteurs, à une période intense de construction (15 tranches de 900 MWe électriques ont été couplées au réseau en 1980 et 1981) a succédé une période de fort ralentissement qui conduit progressivement à diviser par trois la charge d'activité de l'ingénierie au sein de la direction de l'équipement d'EDF. De la même façon, l'activité de FRAMATOME dans le domaine des chaudières va fortement se réduire.
     Pour faire face à cette situation, EDF prévoit une adaptation importante des effectifs de sa direction de l'équipement, mais aussi le développement d'activités nouvelles: ingénierie associée à l'exploitation, exportation et valorisation de son savoir-faire.

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     Qu'il s'agisse d'ingénierie liée à l'exploitation, de maintenance usuelle ou de grandes interventions (changement des générateurs de vapeur), des capacités importantes existent et seront disponibles tant du côté d'EDF que du côté de FRAMATOME. Il conviendra donc que les pouvoirs publics, et surtout EDF elle-même, soient très attentifs à un équilibre raisonnable des tâches entre les deux partenaires. En effet, le maintien d'un niveau d'activité suffisant à FRAMATOME, qui doit par ailleurs procéder à une adaptation globale de son outil de production beaucoup plus sévère en proportion que celle d'EDF, doit être assuré. Ceci est d'autant plus nécessaire que FRAMATOME souhaite accroître son chiffre d'affaires à l'exportation dans les activités de maintenance; or la référence constituée par le marché national constitue un élément très important face à la concurrence internationale.
     2. En ce qui concerne l'ingénierie du cycle du combustible, l'essentiel a été, ces dernières années, lié aux études de conception, réalisation et construction des usines de La Hague (UP3, UP2-800). Le report du démarrage des installations a permis le maintien de l'activité, qui est cependant appelée à décroître très fortement dans les prochaines années.
     La filiale d'ingénierie de COGEMA, SGN, à qui sa société mère a confié la responsabilité du démarrage des nouvelles unités de La Hague, cherche pour l'avenir à valoriser son savoir faire dans le démarrage d'installations complexes. L'obtention éventuelle d'un contrat analogue pour l'usine japonaise apporterait de l'activité à SGN tout en favorisant une bonne mise en service de l'installation, qui est importante pour la crédibilité internationale de la technologie française du retraitement.

II. Mettre en œuvre une politique claire et cohérente sur l'aval du cycle
     La gestion de l'aval du cycle, c'est-à-dire des combustibles irradiés après leur sortie du cœur des centrales, ainsi que de l'ensemble des déchets radioactifs de la filière nucléaire, fait en principe l'objet d'un traitement d'ensemble qui permet de "boucler" le cycle: les combustibles irradiés sont retraités dans les usines de COGEMA (Marcoule et La Hague), opération qui permet de récupérer l'uranium appauvri et le plutonium qu'ils renferment, et d'isoler les déchets à haute activité et les produits de fission. Le plutonium est réutilisé comme combustible de la filière rapide, ou comme constituant du combustible MOX à l'intention des réacteurs à eau pressurisée. Les produits de fission sont vitrifiés et refroidis dans l'attente de leur enfouissement, avec l'ensemble des déchets de haute activité, dans un site de stockage souterrain, alors que les déchets de faible ou moyenne activité sont stockés sur des sites de surface.
     Si la cohérence théorique du dispositif est incontestable, l'examen des modalités concrètes de mise en œuvre montre que des problèmes importants restent encore à résoudre.

A - L'utilisation des combustibles issus du retraitement
     Le choix consistant à retraiter l'intégralité des combustibles irradiés a été fait par la France pour des raisons de protection de l'environnement, mais aussi pour une large part afin de récupérer les matières énergétiques renfermées dans ces combustibles.
     Les conditions de réutilisation de l'uranium et du plutonium ainsi récupérés appellent cependant plusieurs observations:
     a) L'uranium issu du retraitement est sensiblement différent de l'uranium naturel. Légèrement plus enrichi (1% au lieu de 0,7%), il contient des isotopes assez fortement irradiants (U 234 et U 236). La présence de ces isotopes rend plus difficiles et surtout plus coûteuses les opérations d'enrichissement et de fabrication du combustible, du fait des règles de protection des personnels plus strictes et des risques de contamination des installations et équipements utilisés. En particulier, l'uranium de retraitement peut difficilement être réenrichi dans l'usine d'EURODIF, dont la technique de diffusion gazeuse ne permet pas de séparer les isotopes 234 et 236 des isotopes utiles (235 et 238); une période de plusieurs mois de "nettoyage" serait nécessaire après une campagne d'enrichissement de l'uranium de retraitement, avant de pouvoir traiter à nouveau de l'uranium naturel. 

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     La solution a consisté jusqu'à présent dans l'envoi à l'étranger de l'uranium issu du retraitement et la livraison en échange d'uranium naturel enrichi. Les quantités d'uranium issu du retraitement détenues par EDF ne représentaient d'ailleurs pas jusqu'à présent un volume important.
     La fin du contrat d'échange intervenant en 1990, et coïncidant avec le commencement du retraitement à une grande échelle des combustibles d'EDF dans l'usine UP2-800 de La Hague, fera apparaître plus nettement le problème.
     Celui-ci peut néanmoins être en partie résolu en intégrant l'uranium issu du retraitement dans les stocks stratégiques de trois ans de consommation qu'EDF doit, aux termes de la réglementation, constituer. L'uranium de retraitement ne serait dès lors utilisé qu'en cas de crise d'approvisionnement grave, qui rendrait négligeable le surcoût dû à la radioactivité plus élevée de cette ressource.
     b) Le problème est d'une autre ampleur, s'agissant du plutonium, dont la haute valeur énergétique avait justifié le retraitement et la réutilisation dans la filière rapide. Les conditions de stockage et de manipulation de ce produit doivent tenir compte de ses caractéristiques propres: rayonnement important, problèmes de masse critique et d'échauffement, dégradation permanente de l'isotope 241 en américium, sans compter les contraintes de sécurité et de gardiennage. Les techniques requises sont certes bien maîtrisées, mais complexes et souvent coûteuses.
     Le choix du retraitement, permettant la récupération du plutonium, avait été fait au cours des années 1970 essentiellement en vue de la réutilisation de cette matière dans les réacteurs à neutrons rapides du type Superphénix dont on prévoyait à l'époque la construction et la mise en service d'une vingtaine d'exemplaires pour l'an 2000. La mise en attente de cette filière a contraint EDF et le CEA à rechercher d'autres solutions pour consommer le plutonium produit par les ateliers de La Hague, et dont d'importantes quantités vont se trouver disponibles.
     C'est ainsi qu'EDF a pris la décision en 1985 de lancer un programme d'utilisation de combustible MOX (mélange d'uranium et de plutonium) dans 16 de ses réacteurs à eau sous pression de 900 MW. La première recharge de combustible (8 t) a été placée dans le réacteur de Saint-Laurent-des-Eaux en 1987, et deux recharges en 1988. La croissance de ce programme doit se poursuivre pour atteindre 90 t/an en 1995.
     La mise en œuvre de cette alternative à la filière rapide n'est cependant pas exempte de quelques problèmes:
     - La réalisation du programme MOX exige la construction d'une nouvelle usine de production, appelée MELOX, actuellement à l'étude, d'une capacité de 100 tonnes par an. Il semble néanmoins que la rentabilité réelle de l'investissement ne soit pas encore clairement établie. Par ailleurs, la composition de l'actionnariat de la nouvelle société chargée de réaliser et d'exploiter l'usine n'est pas encore arrêtée; il serait en tout état de cause souhaitable que le capital de MELOX soit réparti entre plusieurs partenaires (COGEMA mais aussi PECHINEY et le cas échéant d'autres fabricants de combustibles) afin de faire bénéficier le projet de l'ensemble des compétences des industriels intéressés de ce secteur.
     - Les décrets d'autorisation des centrales nucléaires n'ont, selon EDF, prévu la possibilité d'utiliser du combustible comprenant du plutonium que dans 16 tranches de 900 MW. L'extension de l'utilisation du combustible MOX dans les autres tranches exigerait sans doute une modification des autorisations avec enquête publique, ce qui pourrait être source de difficultés vis-à-vis de l'opinion.
     - La fabrication de 90 tonnes de combustibles MOX par an, niveau qui au demeurant pourra être atteint seulement en 1995, ne permettra pas d'utiliser la totalité du plutonium produit pour le compte d'EDF par l'usine UP2-800 de La Hague à partir de 1994. Sur les 5,5 tonnes de plutonium produites annuellement par le retraitement de 850 tonnes de combustibles irradiés, 3,5 seulement seraient utilisées (compte tenu des besoins propres de Superphénix). Ceci signifie que les stocks constitués par EDF jusqu'en 1995 ne seront pas résorbés, mais pourraient continuer à croître, pour atteindre l'équivalent de plus de trois années de consommation entre 1998 et l'an 2000.
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     Il convient donc de prendre en compte les contraintes qu'impose le stockage du plutonium: outre les problèmes de gardiennage, le stockage pose le problème de son coût: 6 à 12 F le gramme par an, soit 100 à 200 MF par an vers l'an 2000. Le stockage pendant plusieurs années du plutonium se traduit en outre par une dégradation de la matière fissile, qui se transforme en américium 241, fortement radioactif. Une teneur en américium de 1% est aujourd'hui admise pour le MOX (teneur atteinte environ deux ans après le retraitement), qui pourra être portée au maximum à 3% (teneur atteinte environ 5 ans après le retraitement) dans des usines de fabrication de combustible fortement automatisées. Il existe certes une technique d'élimination de l'américium, mise au point pour les besoins militaires, mais celle-ci est très coûteuse (60 à 180 F par gramme de plutonium) et enlèverait tout intérêt économique à l'usage du plutonium.
     - Une augmentation des capacités de production de combustible MOX au-delà du projet MELOX peut évidemment être envisagée à terme. Mais ceci suppose en aval une certaine évolution de la technologie (donc un effort de recherche) permettant d'accroître substantiellement la proportion de combustible MOX susceptible d'être incorporée aux opérations de retraitement conduites à l'usine de La Hague.
     L'ensemble de ces éléments pourrait éventuellement conduire EDF à recourir davantage dans le futur au stockage temporaire des combustibles irradiés afin d'éviter l'accumulation en aval de stocks de plutonium, ceci jusqu'à ce que l'évolution de la technologie permette d'utiliser plus complètement les combustibles de retraitement.

B. Le stockage définitif des déchets de moyenne et haute activité
     La gestion à long terme des sites de stockage des déchets radioactifs a été confiée à l'Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA), créée en 1979 au sein du CEA.
     Le stockage des déchets de faible ou moyenne activité (rayonnement b ou g essentiellement) et à vie courte (période inférieure à 30 ans) est réalisée dans des sites de surface (site de la Manche en cours d'exploitation, site de l'Aube en cours de construction) et n'appelle pas de remarque particulière.
     En revanche, le stockage des déchets de faible ou moyenne activité (rayonnement a essentiellement) et à vie longue (période de plus de 30 ans), souvent appelés «déchets a», et celui des déchets à haute activité, doivent être réalisés dans un site souterrain de nature à assurer le confinement à long terme de ces éléments.
     La réalisation rapide du site de stockage souterrain apparaît indispensable:
     - elle seule permet de "boucler" efficacement le cycle du combustible en résolvant en particulier le problème des déchets hautement radioactifs issus des opérations de retraitement (morceaux de gaine des combustibles irradiés, produits de fission);
     - la validité de l'option retraitement dépendra de plus en plus, aux yeux de l'opinion publique, de la bonne gestion des matières radioactives non récupérables. La forte réduction du volume des déchets à stocker que permet le retraitement n'a de sens que dans la mesure où leur stockage est réalisé dans des conditions acceptables à long terme;
     - les produits de fission, après quelques années de stockage sous forme de solution dans des cuves réfrigérées, sont vitrifiées dans les ateliers de Marcoule et désormais de La Hague. Les containers en acier contenant les blocs de verre ainsi créés sont actuellement stockés dans des puits où ils peuvent être conservés en l'état pendant plusieurs dizaines d'années. Il n'en va pas de même pour les déchets a dont le volume est important (50.000 m3 en l'an 2000, contre 3.000 m3 de produits de fission vitrifiés) et qui donnent lieu à des stockages provisoires de qualité inégale, ce qui rend indispensable la réalisation dans les délais prévus du site de stockage souterrain.
     Celle-ci a cependant déjà pris des retards, notamment au cours de l'année 1988, où le programme d'essai n'a pu être que partiellement réalisé. Ce retard est dû à la réaction défavorable des populations des sites présélectionnés par l'ANDRA.

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     Il apparaît de plus en plus que la contrainte principale dans ce domaine est la capacité de la population locale à accepter le principe du site de stockage, beaucoup plus que les avantages techniques relatifs des différents types de sous-sol (granit, schiste, sel, argile). Dans ces conditions, il semble indispensable que le choix du site soit fait rapidement par les pouvoirs publics, pour éviter toute cristallisation de l'opinon publique sur des projets dont trois sur quatre seront en tout état de cause abandonnés. Pour ce choix, le souci d'éviter un phénomène de rejet relayé au niveau national, comme ce fut le cas en son temps pour le projet de centrale nucléaire de Plogoff, doit être un critère majeur.
     Enfin, un aménagement du statut de l'ANDRA semble souhaitable. L'ampleur financière des projets actuels de stockage (site de l'Aube et surtout site souterrain, dont le budget d'investissement, probablement sous-estimé, est actuellement évalué à 7 ou 8 milliards de francs) et le coût de la gestion du site de La Hague justifient que les principaux producteurs de déchets, qui financent la totalité des dépenses, en particulier EDF et COGEMA, soient plus étroitement associés à la définition et surtout à la gestion des projets. C'est pourquoi il est proposé que la gestion des centres de stockage en fonctionnement soit confiée à un GIE qui associerait les principaux producteurs de déchets au prorata de leurs apports, tandis que l'ANDRA, qui bénéficie de l'image du CEA, resterait responsable des travaux d'investissement et de réalisation des sites en projet jusqu'à leur ouverture.

C - Le démantèlement
     La question du démantèlement (ou déclassement) des installations nucléaires ne s'est guère posée jusqu'à présent en vraie grandeur, du fait de la relative jeunesse de la filière. La mise à l'arrêt récente ou à venir de certaines installations de recherche du CEA et des premières centrales nucléaires d'EDF va néanmoins faire apparaître plus clairement l'existence de ce problème au cours des prochaines années.
     Celui-ci n'a pas fait l'objet jusqu'à présent d'une évaluation d'ensemble, ce qui est d'ailleurs naturel au stade actuel. Trois questions devront néanmoins être étudiées plus particulièrement:
     1. Il n'y a aujourd'hui pas de procédure, ni d'instance de coopération entre les différents acteurs de la filière, même si des accords ponctuels de financement ont pu être conclus (par exemple entre EDF et le CEA pour la centrale de Brennilis). Cette situation explique la grande variété des solutions actuellement adoptées par les différents acteurs. COGEMA a fait réaliser par sa filiale SGN une étude très complète sur les opérations et les coûts prévisibles du démantèlement des usines de retraitement. Cette étude l'a conduite à augmenter sensiblement le volume des dotations annuelles que la société constitue en vue du déclassement, dont le coût pourrait varier entre 10% et 50% du coût d'investissement initial. EDF en revanche s'appuie sur une estimation internationale et une expérience réduite pour limiter à 15% du coût de l'investissement le montant de ses provisions pour démantèlement. Le CEA, conformément aux règles comptables découlant de son statut, ne peut constituer de provisions, et n'est pas encore en mesure de chiffrer avec une précision acceptable le coût du déclassement des installations nucléaires importantes dont il a la responsabilité. Les dépenses effectivement réalisées au titre de quelques installations se sont traduites par d'importants dépassements par rapport aux budgets initiaux.
     La variété des méthodes mises en œuvre et des chiffrages militerait en faveur d'une concertation accrue dans ce domaine.
     2. L'augmentation des coûts constatée au CEA et la forte hausse des estimations prises en compte par COGEMA laissent penser que le coût du déclassement des installations nucléaires existantes sera en tout état de cause élevé, en particulier pour le CEA, qui n'a pu constituer de provisions et dont le budget devra faire une part plus importante à ce poste au cours des années à venir; l'évolution prévisible des normes de sûreté dans ce domaine pourrait aussi entraîner une hausse future du coût du déclassement. Ces opérations sont donc susceptibles d'être à l'origine d'un accroissement à long terme des coûts complets de la filière nucléaire civile.

suite:
     3. Les problèmes techniques du démantèlement des réacteurs de puissance et des usines de retraitement ne sont pas encore complètement résolus. En première analyse, on peut envisager aujourd'hui un déclassement dit de "niveau 2" de ces installations (conservation du cœur des réacteurs et des cellules les plus actives en l'état, et démontage et décontamination des installations périphériques, y compris les circuits de refroidissement), qui exigera le maintien d'un gardiennage des installations concernées. Le déclassement de «niveau 3» (décontamination de l'ensemble des équipements et installations irradiés) ne peut être envisagé à l'heure actuelle, en particulier à cause du volume des déchets de haute activité que génèreraient de telles opérations. Un effort de recherche mené en collaboration avec les équipes de l'ANDRA paraît nécessaire sur ce point.

III. Comment préparer le grand avenir?
     On peut résumer ainsi les constats et les hypothèses raisonnables qui résultent des analyses précédentes:
     a) la France est incontestablement un des leaders internationaux de l'énergie nucléaire par la dimension et la qualité de son parc nucléaire et de sa gestion, par l'ensemble d'outils dont elle s'est dotée dans l'enrichissement et le retraitement des combustibles, et par son avance technologique.
     b) la conviction, étayée, que la technologie française est une des plus avancées et des plus sûres pour les réacteurs, les usines de séparation et de retraitement doit être accompagnée d'une grande vigilance sur la maintenance et d'un important programme d'amélioration: les filières, les procédés, les composants sont susceptibles de progrès qualitatifs importants; il faut éviter que les prévisions sur la durée de vie des installations ou leur compétitivité à long terme ne se trouvent remises en question par des incidents liés, par exemple, à un vieillissement prématuré.
     c) la solution " finale " basée sur l'utilisation extensive des surgénérateurs est repoussée au mieux à quelques décennies.
     d) à l'heure actuelle, l'environnement international, notamment aux Etats-Unis et en Europe de l'Ouest est dans l'ensemble défavorable, mais l'énergie nucléaire sera vraisemblablement indispensable dans les années 2000, si son intérêt économique se confirme et si elle apparaît en définitive comme une bonne réponse aux problèmes d'environnement.
     De ces attendus, quels éléments peut-on déduire comme orientations pour une politique raisonnable qui prépare le grand avenir?
     1. l'accent doit d'abord être mis à nouveau sur l'importance des problèmes de sûreté pour l'avenir à long terme du nucléaire français. Dans un contexte de grande sensibilité de l'opinion publique à tout ce qui peut affecter l'environnement, toute disposition qui peut, sans coût déraisonnable, renforcer la sûreté nucléaire, à la fois dans son niveau objectif et dans la perception qu'en ont nos concitoyens, doit être prise.
     On a rappelé l'évidence selon laquelle l'impératif de sûreté doit bien entendu avoir la priorité dans la gestion optimisée du parc des centrales nucléaires d'EDF. Deux autres aspects seront mentionnés ici: d'une part, le fonctionnement et le rattachement des organismes de sûreté (SCSIN et IPSN principalement), qui ont fait leurs preuves, devront être réexaminés pour conforter encore leur efficacité et leur indépendance (voir 4° partie); d'autre part, les pouvoirs publics devront, sans attendre les moments de crise, s'engager davantage dans une politique systématique d'information du public sur le secteur nucléaire civil, ses caractéristiques, ses contraintes, mais aussi ses qualités et avantages: tout dans ce domaine ne peut être remis à la seule responsabilité de l'exploitant EDF.
     2. en ce qui concerne le cycle du combustible, les questions d'avenir se posent dans des termes différents pour l'enrichissement, et pour l'aval du cycle.
     a) L'alimentation du parc de réacteurs en combustible enrichi est une contrainte technique et économique essentielle.

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     La concurrence notamment américaine, a conduit le CEA à prévoir la relève de la diffusion gazeuse par le procédé Silva d'enrichissement par laser, à la fois pour l'uranium destiné aux usages civils et pour le plutonium à usage militaire; simultanément, les autres procédés (centrifugeuse, chauffage cyclotronique, procédé Chemex) ont été abandonnés.
     Si sa validité technique est démontrée, la mise en service de ce procédé dépendra:
     - de sa compétitivité économique; dans l'immédiat, compte tenu des capacités excédentaires existantes en matière d'enrichissement, il est peu probable que le procédé laser puisse détrôner la diffusion gazeuse, en particulier aux USA où les usines existantes du DOE sont presqu'entièrement amorties;
     - de la durée de vie réelle des installations actuelles d'EURODIF au-delà de la période d'amortissement initialement prévue (20 ans); à cet égard, l'excédent de capacité actuel peut assurer une certaine marge de sécurité si des problèmes de fonctionnement se faisaient jour.
     Sur le plan technologique, l'achèvement de la mise au point du procédé Silva nécessitera encore des travaux importants dans un environnement scientifique élargi, notamment en matière de séparateur; de même le choix industriel du type de laser est peut-être prématuré. On peut juger un peu surprenant à cet égard qu'ait déjà été édifié à Pierrelatte un bâtiment destiné à un procédé industriel qui n'est pas encore au point et pour un usage (enrichissement du plutonium) qui ne paraît pas correspondre aujourd'hui à une urgence du côté militaire. De façon générale, sans mettre en cause la qualité et la compétence des équipes engagées, on peut s'étonner que les décisions sur Silva aient été prises si rapidement et trop unilatéralement. On peut remarquer que dans d'autres pays (USA, Japon), les militaires ou les électriciens sont les principaux acteurs dans le domaine de l'enrichissement. Il est donc nécessaire qu'une réflexion coordonnée sur l'enrichissement soit menée rapidement pour mieux définir la stratégie à long terme.
     b) S'agissant de l'aval du cycle, le CEA doit donner la priorité à l'amélioration technique des procédés de retraitement, de stockage temporaire et définitif et à la préparation active du démantèlement. A long terme, l'image de marque de la filière nucléaire dépendra en effet pour une large part d'une solution satisfaisante du problème des déchets, comme le montre la situation aux USA. Ayant choisi la voie du retraitement, la France se doit de faire un effort particulier sur la qualité des déchets, leur simplification technologique, en incluant dans ses réflexions à moyen terme la question délicate de la séparation des éléments transuraniens à très longue durée de vie (même si les conclusions du rapport Castaing (novembre 84, décembre 96) ne peuvent être entièrement retenues). L'utilisation, techniquement possible, des réacteurs rapides comme brûleurs de plutonium et d'actinides plutôt que comme source de combustible doit également être examinée.
     3. En ce qui concerne les filières d'avenir, la mission a considéré qu'elle n'avait ni une prescience, ni une compétence suffisante pour tracer des orientations concrètes et détaillées.
     On peut considérer que, compte tenu de la jeunesse actuelle du parc national et des délais prévisibles pour un éventuel redémarrage international du nucléaire, la France dispose d'un délai de 10 à 15 ans pour préparer le choix des "réacteurs du futur", que ceux·ci se situent dans la lignée des REP actuels ou relèvent d'une autre filière.
     Il s'agit donc d'organiser une veille technologique assez ouverte sur les diverses filières possibles, y compris celles entrant dans la catégorie des réacteurs "modulaires" à forte sûreté passive, et non de préparer de façon prématurée des prototypes industriels, ceci valant naturellement pour les surgénérateurs. En ce qui concerne ces derniers, il convient d'ailleurs d'être conscient que leur avenir à long terme ne pourra être assuré que si les prototypes actuels font la preuve de leur capacité à fonctionner sans défaillance de façon prolongée. Il est donc nécessaire de suivre avec une particulière vigilance le comportement de Superphénix et la maintenance de ses grands composants (générateurs de vapeur notamment) (nouveau rappel: texte de 1990 mais numérisation en 2008...).
     Sur un plan général, on peut souhaiter que le CEA conduise la recherche de grand avenir avec un souci plus marqué de rechercher les coopérations internationales.
     Certes, une action commune est conduite de longue date dans le domaine des surgénérateurs, mais elle s'est avérée techniquement quelque peu décevante. On peut s'interroger sur l'avenir réel du projet EFR ("European Fast Reactor") compte tenu des problèmes rencontrés par les principaux partenaires de la France: incertitude financière sur la suite du programme national au Royaume-Uni, difficultés politiques majeures pour la mise en service du surgénérateur de Kalkar en Allemagne Fédérale.
     Il paraît surprenant notamment qu'aucune coopération significative sur les réacteurs du futur ne soit encore engagée avec deux pays qui y consacrent des efforts importants: les Etats· Unis et le Japon, et qui ont noué des actions communes entre eux et avec le constructeur allemand KWU.
 
 
 
 
 
 
 
 
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QUATRIÈME PARTIE:
L'AVENIR DES PRINCIPAUX ACTEURS
 
     Après avoir tenté d'évaluer - avec la modestie intellectuelle qu'implique cet exercice - les perspectives d'activité industrielle et de recherche du secteur nucléaire civil, il convient d'examiner, à la lumière du bilan qui a été dressé plus haut (cf. 2° partie) et de ces perspectives, quelles évolutions ceci implique pour chacun des principaux acteurs, et pour leurs relations mutuelles.
     Cet examen commencera par le CEA, parce qu'il est sans doute l'organisme appelé aux mutations les plus profondes; on envisagera ensuite l'avenir du groupe industriel, et de FRAMATOME avant d'évoquer la situation d'EDF, et enfin la redéfinition du rôle des pouvoirs publics dans le domaine du nucléaire civil.

1. L'avenir du CEA
     Constatant la crise des missions du CEA et l'affaiblissement de l'organisme (cf. 2° partie), la mission s'est interrogée sur l'avenir du Commissariat lui·même:
     - faut-il maintenir le CEA et, si oui, avec quel périmètre?
     - comment la recherche-développement nucléaire du CEA doit-elle s'organiser à l'avenir?
     La mission s'est également demandée quel était l'avenir du groupe industriel CEA, qu'il s'agisse des relations avec les principales filiales (COGEMA, FRAMATOME) ou de la structure même CEA-Industrie.

A - Quel CEA?
     1. Ce qui a été dit plus haut sur la diversité des missions du CEA, et sur la légèreté des liens qui unissent les principaux instituts, pourrait conduire à retenir la solution d'un éclatement du Commissariat, et d'un rattachement de ses principaux éléments aux organismes extérieurs avec lesquels ils entretiennent les rapports les plus étroits. Ainsi la DAM, qui a déjà une forte individualité à travers notamment le réseau de centres exclusivement dédiés à ses missions, pourrait devenir un établissement public autonome dépendant du Ministère de la Défense. L'Institut de Recherches Fondamentales pourrait être rattaché au CNRS avec lequel il entretient des relations de travail très étroites (de nombreux chercheurs du CNRS travaillent d'ailleurs dans les laboratoires de l'IRF). L'IPSN pourrait constituer aussi une entité distincte, placée directement sous la tutelle du Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires pour le compte duquel il exerce déjà une part de ses activités. Quant à l'IRDI, il pourrait lui-même être scindé en deux sous-ensembles: un secteur nucléaire dont la vocation serait, à plus ou moins long terme, de voir une partie de ses équipes de recherche rejoindre COGEMA, FRAMATOME, voire l'EDF; un secteur non-nucléaire, dont les éléments susceptibles de tirer l'essentiel de leurs ressources financières de l'industrie devraient être filialisés rapidement.
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     En dehors du traumatisme qu'elle infligerait à beaucoup de cadres d'un CEA qui, à juste titre, n'a pas le sentiment d'avoir démérité, et qui ressentirait le "démantèlement" comme un désaveu et un constat d'échec, cette solution ne serait pas exempte d'inconvénients.
     Elle risquerait d'engendrer tout d'abord une multiplication des centres de décision et structures de gestion sans qu'on puisse avoir la certitude de gains d'efficacité réelle. En raison des différences de statut des chercheurs, la fusion IRF-CNRS serait, au moins pour un assez long délai, plus apparente que réelle. Au demeurant, la complémentarité de culture, voire à l'occasion la rivalité scientifique de deux organismes, n'est-elle pas plus fructueuse qu'une absorption de l'un par l'autre? De même, la DAM, qui a fait la preuve de sa capacité à atteindre les objectifs qui lui sont assignés grâce à la relative liberté de fonctionnement dont elle bénéficie, resterait·elle aussi efficace si elle se trouvait placée dans le moule plus classique d'une tutelle directe de la Délégation Générale pour l'Armement? Le dialogue CEA-DGA sur la politique nucléaire militaire, même s'il est parfois difficile, ne préserve-t·il pas mieux en définitive la liberté d'appréciation des autorités politiques? On peut égaIement s'interroger sur la capacité de la partie non-nucléaire de l'IRDI - ensemble hétérogène où coexistent robotique, électronique, science des matériaux, biologie - à voler dès aujourd'hui de ses propres ailes...
     En second lieu, si les "synergies» entre pôles d'activités du CEA n'ont pas l'importance qu'on leur prête parfois, les liens ne sont pas inexistants au point de pouvoir être rompus sans dommage. Ceci vaut notamment entre l'IPSN et l'IRDI, le premier pouvant bénéficier, par son association aux recherches sur les réacteurs, de la connaissance concrète des technologies nucléaires qui fait souvent défaut à ses homologues étrangers, ce qui conduit alors inévitablement à une approche plus doctrinale et réglementaire des problèmes de sûreté. De son côté, un renforcement de la coopération entre IRF et DAM serait souhaitable pour atténuer une duplication des équipes de recherche qui est née des difficultés du dialogue entre la DAM et les instituts civils. Quant au maintien d'une certaine proximité (ce qui n'exclut pas une distinction) entre les équipes de l'IRDI travaillant directement sur le nucléaire civil et celles qui sont issues d'une diversification dans d'autres disciplines, il répond à des liens de collaboration concrets, et peut entretenir chez les responsables le souci permanent d'une valorisation élargie des recherches initiées pour les besoins du nucléaire.
     Enfin, la disparition du CEA laisserait subsister dans le secteur électro-nucléaire un seul acteur dominant: EDF, tant il est évident que FRAMATOME, et même COGEMA, se trouvent de fait dans une situation de dépendance vis-à-vis de leur client principal. Or, s'il est nécessaire de reconnaître les responsabilités particulières que confère à EDF, pour le présent comme pour l'avenir, son monopole de production d'électricité d'origine nucléaire, il n'est pas inutile pour les pouvoirs publics - et pour EDF même - que subsiste en face une «force de proposition» disposant de l'autorité que lui confèrent son histoire et sa capacité en matière de recherche-développement. Un trop grand effacement du CEA créerait peut-être le risque que les préoccupations du court-moyen terme l'emportent trop sur le souci du grand avenir.
     En définitive, il n'est pas apparu à la mission qu'un éclatement du CEA soit, en l'état actuel des choses, porteur d'une valeur ajoutée considérable, ni même positive, et elle n'a pas retenu cette solution.
     2. Une autre formule pourrait être celle d'un CEA recentré sur le "tout nucléaire", retrouvant en quelque sorte un contenu conforme à sa dénomination, dont seraient séparés l'IRF et la partie non-nucléaire de l'IRDI. Cette solution tomberait sous le coup d'une partie des objections formulées ci-dessus. De surcroît, elle postulerait une unité privilégiée de destin entre la DAM, l'IPSN et la partie nucléaire de l'IRDI, qui n'est pas conforme à la réalité. La mission n'a donc pas davantage retenue cette solution.
     3. En définitive, la mission a eu le sentiment que la priorité était sans doute moins aujourd'hui de modifier le périmètre du CEA proprement dit(20) que d'engager celui-ci dans une gestion à la fois plus ferme et plus différenciée, tenant compte de la diversité de ses missions. Le CEA assume en effet d'une part des missions, elles-mêmes bien distinctes les unes des autres, qui relèvent pour l'essentiel des responsabilités de l'Etat et du financement public: mission militaire organisée autour de la DAM et des filiales Technicatome et COGEMA, mission de sûreté de l'IPSN, mission de recherche fondamentale; d'autre part, des missions de recherche-développement tournées vers le service à plus ou moins long terme d'une clientèle, qui doit en orienter largement les travaux et contribuer à leur financement: l'industrie nucléaire y compris l'exploitant EDF pour une partie de l'IRDI, l'ensemble de l'industrie française pour les recherches engagées au titre de la diversification.
suite:
     Une bonne partie des difficultés actuelles provient sans doute de la persistance d'une vision trop monolithique, et aussi trop administrative, d'un organisme qui ne peut retrouver sa vitalité que s'il fonctionne comme un ensemble diversifié mais efficacement fédéré.
     Le "nouveau" CEA devrait avoir trois caractéristiques:
     1. Les grandes entités qui le constituent devraient se voir fixer chacune des objectifs clairement définis dont elles seraient directement responsables. Ces objectifs seraient sans doute moins ambitieux, mais devraient être plus précis, que ceux fixés dans l'Ordonnance de 1945, dont le remplacement par une nouvelle charte de fonctionnement aurait une valeur symbolique. L'appellation même du CEA devrait être modifiée, à la fois parce que le "Commissariat» sent son après-guerre, et parce que le CEA n'est plus aujourd'hui ni purement "atomique" ni guide suprême du nucléaire.
     Pour faciliter l'assignation d'objectifs clairs, le découpage des grandes entités pourrait être quelque peu modifié.
     L'IRDI, dont la taille est excessive, pourrait être dédoublé en deux entités nouvelles: un Institut de Recherches Nucléaires qui reprendrait l'ensemble des activités à court comme à long terme intéressant le nucléaire civil, et un Institut de Recherches Technologiques où trouveraient place les principaux "pôles de compétence" non-nucléaire - matériaux, électronique, biologie, robotique - récemment définis par le CEA. Il conviendrait de veiller à mettre fin à cette occasion aux doubles emplois qui peuvent exister entre l'actuel IRF et l'IRDI.
     L'IPSN devrait être redimensionné: le département des analyses de sûreté, tout en demeurant en son sein, devrait passer plus nettement sous la tutelle du Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires, dont il est un des "bras séculiers». Le reste de l'IPSN pourrait se "dégonfler» en moyens (notamment en moyens d'essai lourds) et en personnels propres, devenant une structure plus légère qui utiliserait les compétences nucléaires, robotiques, biologiques... des instituts correspondant du CEA. L'IPSN, maintenu au sein du CEA, deviendrait ainsi une structure plus légère de pilotage d'actions technologiques, garante de l'ensemble des connaissances normatives de l'énergie nucléaire.
     2. L'autorisation fonctionnelle des échelons centraux du CEA devrait être fortement réaffirmée, celle-ci étant la condition pour qu'une gestion selon un mode plus déconcentré qu'aujourd'hui ne tourne pas à la confédération inefficace. Cela implique notamment, sans que cette énumération soit exhaustive:
     - la fixation contractuelle de programmes à tous les responsables opérationnels dans une structure simplifiée centrée autour d'un renforcement de l'actuelle Direction des Programmes et de la Planification (l'existence de directions de programmes distinctes n'étant pas d'une nécessité évidente), et la mise en œuvre d'un processus systématique et périodique d'évaluation des résultats, faisant largement appel à des compétences externes;
     - en corollaire, la poursuite du renforcement des instruments de contrôle interne qui a été récemment entreprise, avec en particulier un engagement ferme de la direction sur le contrôle de gestion, et le renforcement de la fonction financière; la possibilité de doter d'une comptabilité de type industriel et commercial les unités qui font un large appel à des concours financiers extérieurs, en particulier de celles qui sont appelées à être filialisées, devrait également être étudiée;
     - une gestion des hommes, et en particulier de l'encadrement supérieur, plus responsable et plus motivante, et l'accès aux postes-clés suivant d'autres critères que celui de l'ancienneté;
     - un réexamen de la dualité haut commissaire - administrateur général au profit d'un responsable unique assumant l'ensemble des orientations et de la gestion du CEA, et un renforcement du rôle du Conseil d'Administration.
     3. Enfin, le CEA ne pourra dans les années à venir se dispenser de poursuivre le redimensionnement de ses moyens. Même si ses missions en matière de recherche-développement sont réaffirmées en même temps que clarifiées, il est évident que les besoins ne sont pas de même ampleur dans une période de maturité du nucléaire civil qu'à l'époque où il fallait créer de toutes pièces un secteur nucléaire, puis aider à constituer l'outil industriel. Ceci vaut sans doute également pour le secteur militaire, et principalement la DAM.
 
 
 
 
 
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20. Mise à part la question du groupe industriel qui sera traitée plus loin
     C'est dire que, comme chez les autres acteurs du secteur nucléaire, une adaptation intelligente, c'est-à-dire non homothétique des effectifs, impliquant des choix entre les programmes, l'acceptation par les personnels de certains redéploiements, devra être poursuivie. Les états-majors centraux devront être allégés, à commencer par le siège, le nombre des Centres devra également faire l'objet d'un réexamen en particulier dans le cas des Centres de Fontenay aux Roses et de Pierrelatte, avec le souci d'assurer progressivement une meilleure adéquation entre unités géographiques et responsabilités opérationnelles, à l'image de ce qui a été réalisé à la DAM.
     En résumé, il doit être clair que le «nouveau» CEA ne peut faire l'économie d'une certaine rupture culturelle avec l'établissement actuel. La mission est en effet convaincue qu'un échec, résultant par exemple d'un quasi-maintien du statu quo, conduirait cette fois irrémédiablement à l'éclatement.

B - Quelle recherche-développement pour le CEA?
     C'est bien entendu sur la recherche nucléaire que s'est concentrée l'attention de la mission, mais elle ne s'est pas interdit quelques suggestions sur l'avenir des activités dites de valorisation du CEA.
     La ligne directrice proposée s'inspire à la fois de l'observation des relations entre organismes de recherche et industrie mises en œuvre dans les principaux pays étrangers dotés d'un secteur nucléaire développé (Royaume-Uni, Allemagne Fédérale, Japon) et d'une systématisation des relations qui se sont progressivement établies entre le CEA et EDF. On peut la résumer brièvement dans ces termes:
     - la recherche à court-moyen terme, c'est-à-dire celle qui est orientée sur le confortement et l'optimisation des procédés existants utilisés par l'industrie du nucléaire, doit être pilotée et largement financée(21) par l'aval, c'est-à-dire par les utilisateurs industriels, qu'ils soient en charge du parc des réacteurs ou du cycle du combustible: EDF, COGEMA, FRAMATOME.
     - la recherche à long terme, qui s'intéresse essentiellement aux procédés d'avenir, relève davantage d'une responsabilité partagée: les industriels ne peuvent s'en désintéresser, mais il convient de maintenir une part de recherche autonome, sous la responsabilité du CEA et sur financement public; cette part doit être d'autant plus importante qu'il s'agit d'une récherche plus prospective, dont l'issue en terme de développement industriel n'est pas assurée.
     1. Cela signifie dans le premier domaine que les orientations de la recherche nucléaire à court-moyen terme du CEA ne doivent pas être déterminées par des a priori de l'établissement lui-même, mais par les demandes formulées par la «clientèle»: industriels français et, le cas échéant, étrangers. Elle doit donc s'organiser autour de programmes pluri-annuels et contractuels, soit totalement financés, soit au moins largement cofinancés par le client, cette contribution permettant à la fois d'économiser les deniers publics, mais aussi, voire surtout, de garantir un intérêt soutenu de l'industriel sur la conduite du programme de recherche et les résultats obtenus.
     Actuellement les relations avec EDF sont sérieusement polluées par la «dime» qui lui a été imposée, et FRAMATOME pour sa part n'apporte pas à EDF une contribution financière à la hauteur de l'intérêt qu'il porte à ses programmes de recherche sur les combustibles et les réacteurs.
     Quant à COGEMA, il a été indiqué qu'elle ne participait pas au financement direct des recherches du CEA, y compris celles qui la concernent très étroitement comme celles engagées en appui direct au démarrage des nouvelles usines de retraitement de La Hague. COGEMA et EURODIF versent par contre, au titre des technologies transmises par le CEA, des redevances importantes dont la contrepartie peut être considérée comme affectée aux recherches, et dont elle incorporent le montant dans les coûts facturés à leur clientèle. Tout en préservant provisoirement ce dispositif, au moins pour la durée des contrats en cours, il serait envisageable de distinguer dans les redevances une partie libre d'emploi pour le CEA, et une partie - qui devrait être croissante - sur laquelle COGEMA aurait un droit d'affectation en fonction des thèmes de recherche qui l'intéressent plus particulièrement.

suite:
     Pour qu'un dialogue fructueux entre CEA et COGEMA puisse s'instaurer, il est sans doute nécessaire d'ailleurs que COGEMA dispose d'échelon léger assurant l'interface en matière de recherche-développement avec les équipes du CEA. Cette clarification paraît bien préférable soit à un transfert pure et simple à COGEMA des équipes du CEA travaillant sur le cycle, qui serait perçue par le Commissariat comme une amputation majeure et n'est souhaitée ni de part, ni d'autre, soit à la constitution au sein de COGEMA d'équipes de recherches autonomes qui doubleraient inutilement celles du CEA.
     2. La recherche à long terme sur le nucléaire doit demeurer de la responsabilité du CEA, même s'il est nécessaire qu'il demande l'avis explicite des utilisateurs potentiels et que les pouvoirs publics soient appelés à se prononcer sur les orientations générales. On ne reviendra pas ici sur les orientations esquissées plus haut (cf. 3° partie).
     3. Ce qui a été dit de la recherche nucléaire parait transposable à la recherche non-nucléaire. Celle-ci constitue pour le CEA un potentiel et un actif importants, mais elle ne correspond pas à ses vocations premières. Elle ne peut donc tirer sa légitimité que de la preuve apportée qu'elle répond à des besoins réels.
     Ceci suppose une certaine clarification. La création des "pôles de compétence» doit s'accompagner d'une réflexion approfondie sur leur mission dans un cadre élargi aux partenaires scientifiques et industriels concernés: sont-ils des pôles tournés vers l'amont (recherche de base, formation) ou vers l'aval (au service de l'industrie)? S'ils se veulent tournés vers l'aval, ils doivent prouver leur utilité en montrant qu'ils sont en mesure de se financer largement par des contributions extérieures. C'est bien le sens de la politique de «valorisation» poursuivie avec des bonheurs divers par le CEA depuis un certain nombre d'années, et qui doit être renforcée. En particulier, l'abandon des programmes pour lesquels les cofinancements extérieurs font durablement défaut, doit être envisagé.
     4. En définitive, l'Institut de Recherches Nucléaires et l'Institut de Recherches Technologiques issus de dédoublement de l'IRDI devraient être l'un et l'autre tenus d'assurer une partie de leur financement par ressources extérieures, selon une proportion croissante dans le temps, et qui soit dès le départ sensiblement plus forte pour l'Institut de Recherches Technologiques.

II. Les autres acteurs industriels
     A - Quel avenir pour le groupe industriel CEA?
     Avant de s'interroger sur la légitimité pour le CEA de conserver la tutelle d'un véritable groupe, il est préférable d'examiner la situation de ses principaux éléments. Il existe en effet trois enjeux nettement distincts: la fille aînée COGEMA qui représente à elle seule avec ses filiales près de 75% de l'activité du groupe, FRAMATOME avec lequel le lien de filiation n'a jamais été très intense, et le reste du groupe au sein duquel se détachent quelques entités importantes: TECHNICATOME, ORIS, CISI.
     1 - Les liens avec COGEMA
     La clarification nécessaire des liens entre le CEA et COGEMA en matière de recherche-développement a été évoquée plus haut. L'établissement d'une relation «client-fournisseur» entre les deux organismes mettra fin à une situation très ambiguë dans laquelle COGEMA se plaint de ne pas avoir un droit de regard suffisant sur la recherche conduite par le CEA dans le domaine du cycle, tout en s'accommodant de laisser celui-ci financer sur ressources budgétaires une partie du soutien technologique qu'il lui apporte en matière de retraitement.
     Reste la question de savoir si COGEMA, acteur industriel majeur du cycle du combustible, doit demeurer sur le plan juridique et financier dans la stricte dépendance de l'établissement de recherche qui l'a engendrée. La vérité est que COGEMA, compte tenu des responsabilités qui sont les siennes, se comporte vis-à-vis du CEA comme une fille très émancipée et jouit déjà, en fait, d'une très large autonomie de gestion. Les difficultés rencontrées par CEA-Industrie pour instaurer une consolidation financière et mettre en œuvre un contrôle de gestion au niveau du groupe(22) en disent long sur ce point; elles ne sauraient vraiment surprendre étant donné la différence de culture qui s'est progressivement créée entre les deux organismes. 

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21. Il est clair que cette nouvelle donne peut conduire à réexaminer les droits de chacun en matière de propriété industrielle.
22. Difficultés analysées en détail par la Cour des Comptes.
     La mission considère donc que le moment est venu de desserrer le lien de filiation CEA/COGEMA, en ouvrant le capital de celle-ci à d'autres partenaires. Compte tenu de la nature industrielle des activités de COGEMA mais aussi de leur caractère sensible, dans le domaine civil comme dans ses activités militaires, il serait préférable que ces partenaires, qui devraient être peu nombreux, soient choisis parmi les entreprises industrielles du secteur public, sans exclure dans une phase ultérieure une ouverture limitée à des partenaires privés.
     Parmi les premiers, la logique industrielle conduirait à suggérer en priorité PECHINEY, ce qui pourrait faciliter la simplification des structures dans l'industrie du combustible qui a été évoquée plus haut.
     Le CEA pourrait conserver en première étape 50% du capital de COGEMA, ce qui lui laisserait un droit de regard sur la vie de l'entreprise et garantirait que la "nouvelle donne" en matière de recherche entre les deux entités ne débouche pas, de fait, sur un divorce. Ultérieurement, la participation du CEA pourrait être abaissée à un niveau un peu supérieur à la minorité de blocage; 35% par exemple.
     Il va de soi que cette émancipation créerait à COGEMA de nouvelles responsabilités. Elle supposerait aussi une clarification de ses perspectives financières; on y reviendra.

2 - Les liens avec FRAMATOME
     Le CEA perçoit davantage FRAMATOME comme un partenaire industriel que comme une véritable filiale, et lui laisse en fait une grande autonomie. Il reste qu'à un moindre degré qu'avec COGEMA, cette filiation paraît de nature à gêner l'établissement entre CEA et FRAMATOME de liens contractuels en matière de recherche sur une base tout à fait objective, soit que le CEA y trouve une justification à effectuer en matière de combustible des recherches allant au-delà du nécessaire, soit qu'il accepte trop facilement que sa filiale, à laquelle il demande par ailleurs des dividendes très importants, ne contribue pas suffisamment au financement direct des recherches.
     A propos de la situation d'ensemble de FRAMATOME, on évoquera plus loin les problèmes que pose la structure de son actionnariat. On notera ici que s'il semble souhaitable que celui-ci reste pour une large part public, il n'est pas certain qu'un CEA "sleeping partner" constitue la meilleure solution.

     3 - Les liens avec les autres filiales
     Le reste du groupe (15% environ du chiffre d'affaires consolidé hors CEA) est constitué de sociétés de bien moins grande dimension, issues de l'effort de diversification du CEA à partir de son "savoir-faire" nucléaire. On mettra à part TECHNICATOME dont les activités relèvent pour l'essentiel du domaine militaire (propulsion des sous-marins nucléaires), en notant simplement que, si les activités de la DAM venaient à être un jour entièrement séparées de celles du CEA-civil -- ce qui n'est pas la recommandation de la mission --, TECHNICATOME devrait être directement rattachée à la première.
     Parmi les autres sociétés, les deux plus importantes sont nées d'une filiation d'activités exercées jusque-là au sein du CEA, ancienne pour CISI, beaucoup plus récente (1985) pour ORIS-Industrie. La CISI a été en son temps porteuse d'ambitions excessives, alors même qu'elle n'avait pas encore commencé de devenir une véritable entreprise; ses mésaventures ont coûté très cher au CEA, plus de 700 MF selon la Cour des Comptes. Redimensionnée, ouverte à un partenaire privé (Cap Sogeti) au fort professionnalisme qui détient 36% de son capital, elle paraît aujourd'hui sur la voie d'un rétablissement financier complet; d'ici un ou deux ans, il sera possible d'ouvrir son capital au marché par un nouvel allègement de la participation du CEA. Quant à ORIS-Industrie, engagée sur le créneau prometteur mais exposé des biotechnologies, elle affiche des résultats positifs, mais n'a pas encore pris entièrement son autonomie financière vis-à-vis du CEA; le processus d'ouverture au marché devra être engagé là aussi dès que possible.

suite:
     Sur le plan plus général, il apparaît que la démarche de base suivie par le CEA avec la création de ces filiales est sans doute la bonne, et qu'elle doit être poursuivie, en particulier dans le cas du LETI de Grenoble. Mais elle n'a de valeur que si le passage d'une culture administrative à celle de l'entreprise s'opère assez rapidement, et s'il n'est pas entravé par le maintien durable de liens "privilégiés" qui obscursissent l'appréciation de la compétence et de la situation financière des nouvelles filiales.

4 - L'avenir de CEA-Industrie
     Au terme de cette analyse, se pose la question de l'opportunité du maintien de la structure CEA-Industrie. Celle-ci joue un rôle d'écran financier entre les filiales, dont elle perçoit des revenus substanciels, et le CEA proprement dit auquel elle ne verse que des dividendes limités. C'est ainsi qu'en 1987, les revenus des participations encaissées par CEA-Industrie ont été de 274 MF alors qu'il n'a distribué que 65 MF de dividendes au CEA. CEA-Industrie a par ailleurs procédé peu après sa création, sans d'ailleurs de nécessité évidente, à une émission de titres participatifs de 500 MF. Enfin, il est le bénéficiaire essentiel du régime de consolidation fiscale, qui lui permet de se faire rembourser par le Trésor une partie de l'impôt sur les sociétés versé par ses filiales bénéficiaires. Ses disponibilités totales de trésorerie étaient de l'ordre de 2,4 milliards de francs à la fin de 1988.
     Trois solutions peuvent être envisagées pour l'avenir: le statu quo, l'absorption par le CEA proprement dit, la constitution d'une structure parallèle au CEA-Recherche.
     Le statu quo n'aurait de sens que si la structure actuelle avait un avenir. La mission ne le pense pas: la "valeur ajoutée" propre de CEA-Industrie est faible en dehors de son rôle de cagnotte financière; la vocation d'un organisme de recherche comme le CEA à gérer en permanence un vaste ensemble de sociétés industrielles n'a pas été démontrée, et se trouve contestée par les principales filiales, qui ont le sentiment de relever désormais d'une culture différente de leur "mère"; il semble au contraire souhaitable, on l'a dit, que le CEA mène plus rapidement à maturité les filiales qu'il constitue, et s'en dégage progressivement sur le plan du capital.
     Une variante de la structure actuelle pourrait consister à faire absorber CEA-Industrie par sa mère à 100%, le CEA. Elle présenterait l'avantage de simplifier l'organigramme et de raccourcir les circuits financiers. Mais elle serait sans doute perçue par COGEMA, dont la moitié du capital demeurerait directement détenue par le CEA, comme une tentative, ou une tentation, de "reprise en main" par celui-ci. Elle impliquerait en outre le maintien d'un échelon spécifique de contrôle de gestion des filiales au sein du CEA (probablement à la direction financière) et sans doute un remboursement anticipé des titres participatifs de CEA-Industrie (dont la rémunération est assise en partie sur l'autofinancement consolidé du groupe CEA-Industrie) qui poserait des problèmes délicats. En définitive, cette formule n'a pas paru cohérente avec le désengagement souhaité du CEA, partiel vis-à-vis de COGEMA, total vis-à-vis de FRAMATOME.
     La dernière solution, qui a la préférence de la mission, consisterait à maintenir CEA-Industrie, non pas comme filiale du CEA proprement dit, mais comme une pure société de portefeuille parallèle à celui-ci, dont le capital serait détenu directement par l'Etat. Cette structure devrait être très légère, puisque son rôle serait de pur holding. Elle gèrerait les participations publiques dans COGEMA et dans FRAMATOME, ainsi que dans les autres filiales du CEA parvenues à maturité, et renforcerait le contrôle de gestion déjà mis en place. Le CEA conserverait le capital des nouvelles filiales "en émergence". Les titres participatifs pourraient être maintenus. Pour assurer dans de bonnes conditions le démarrage de la nouvelle coopération entre CEA et COGEMA en matière de recherche, le responsable de CEA-Industrie pourrait être au départ le même que celui du CEA proprement dit.

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B - COGEMA
     Les perspectives de COGEMA sont directement liées à ce qui a été dit plus haut sur l'avenir industriel du cycle du combustible a ses diflérents stades. Dans l'ensemble, les marchés demeureront marqués par l'existence de surcapacité importantes; une dure compétition internationale persistera donc, qui pèsera sur les prix et sur les perspectives de rentabilité des industriels du cycle.
     COGEMA n'échappe pas a cette règle et se trouve donc, pour ses branches d'extraction minière, de fabrication de combustible (où son rôle opérationnel est d'ailleurs modeste) et d'enrichissement, devant des perspectives impliquant une gestion très serrée et le renforcement de ses efforts commerciaux pour conserver sa clientèle et en conquérir de nouvelles.
     La situation est moins facile à cerner dans la branche retraitement. Une fois assuré le démarrage des usines de La Hague, celles-ci devraient procurer des résultats très appréciables pendant la période couverte par les contrats actuels (jusqu'en 2000). Les perspectives après la prochaine décennie dépendront notamment de la capacité de COGEMA à fidéliser sa clientèle: tel est en particulier l'objet de l'accord de principe récemment conclu avec le groupe allemand VEBA et sa filiale PREUSSEN-ELEKTRA.
     Au-delà des incertitudes de marché, l'avenir de COGEMA reste gravement obéré par le contentieux qui oppose sa filiale à 51% EURODiF, aux autorités iraniennes, et qui se traduit par un préjudice évalué par COGEMA à 7,3 mililards de F à la fin de 1989. A défaut d'un dénouement de ce contentieux sur le plan international, que rien ne laisse aujourd'hui espérer pour le proche avenir, la mission juge indispensable qu'une solution partielle soit apportée sur un plan interne français a une situation qui crée deux risques majeurs: d'une part, elle suscite une irritation croissante de la part des autres associés européens d'EURODIF, et pourrait mettre en péril le maintien de leur clientèle après l'expiration des contrats actuels (qui viennent à èchéance en 1990); d'autre part, elle risque de placer rapidement EURODIF dans une situation financière critique par disparition de ses fonds propres, au point de nécessiter un appel très important de capitaux auprès de son principai actionnaire COGEMA.
     Cette solution partielle pourrait résulter, selon la suggestion formulée par COGEMA, d'une confirmation du transfert de créance sur les autorités iraniennes opéré d'EURODIF au CEA en 1986; sans apporter de trésorerie nouvelle à EURODIF, elle améliorerait -pour l'avenir- sa structure de bilan en mettant un terme aux provisions qu'elle constitue actuellement en cotrepartie de la garantie de bonne fin accordée au CEA.
     Quelle-que soit la formule retenue, un allègement des risques liés à ce contentieux est nécessaire à très brève échéance a la fois pour préserver la crédibilité commerciale d'EURODIF, et à travers celle de COGEMA, vis-à-vis de la clientèle de l'usine du Tricastin (dont il est impératif de maintenir au moins a son niveau actuelle taux d'utilisation, en raison des charges fixes qu'elle supporte). pour faciliter un désendettement assez rapide du même EURODIF qui iui permette de soutenir dans de bonnes conditions la concurrence du DOE américain, enfin pour que l'évaluation de la valeur financière de COGEMA, à laquelle toute ouverture de son capital est nécessairement subordonnée, puisse s'opérer dans des conditions de "visibilité" satisfaisante.
     Même si COGEMA voit s'alléger un peu l'hypothèque que le contentieux EURODIF fait peser sur son avenir, elle ne saurait se dispenser de poursuivre un effort soutenu de rigueur de gestion, impliquant en particulier un suivi très allentif de l'évolution de ses effectifs, ainsi que de ceux de ses filiales. ll est clair en effet que "l'âge d'or" qu'elle a connu sur le plan financier, et qui était dû notamment aux avances consenties par les futurs clients de l'usine UP3, prend fin, et que les années à venir seront beaucoup plus délicates.
     COGEMA ne peut revendiquer, fut-ce discrètement, son émancipation sans accepter simultanément toutes les disciplines que celle-ci implique. Le rôle de ses futurs actionnaires, en particulier de ceux ayant eux-mêmes une tradition industrielle, sera d'y veiller.
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     Jusqu'à présent, COGEMA a fonctionné surtout comme une fédération de branches techniques autonomes exerçant d'ailleurs des métiers très différents, Il lui faut maintenant devenir une véritable entreprise. Le management doit y renforcer son autorité en s'appuyant sur les outils de contrôle de gestion dont l'entreprise est en voie de se doter: une certaine tradition d'opacité des comptes destinée à se protéger des indiscrétions vis-à-vis des partenaires commerciaux, mais dont on peut se demander si elle épargnait les décideurs internes, ne pourra plus être proposée aux actionnaires(23). Et tel épisode récent devra rappeler durablement à COGEMA que, dans une grande entreprise disposant d'une trésorerie importante, la prudence et la sagacité des financiers importent autant que la qualité technique des ingénieurs et demandent à être surveillées d'aussi près.
     Il va de soi que l'autorité du management devra également s'exercer sur l'ensemble du groupe, en particulier sur les filiales d'ingénierie qui sont confrontées, on l'a vu, avec l'achèvement du chantier de La Hague, à une forte réduction de leur activité, et donc à un redimensionnement de leurs moyens.

C - FRAMATOME
     1. FRAMATOME doit faire face à la diminution inéluctable des commandes de chaudières nucléaires d'EDF(24) dont les effets commencent de se faire sentir sur ses comptes, sans que les quelques opportunités d'un marché international lui-même en forte contraction permettent d'espérer compenser la chute de l'activité interne.
     La pérennité de l'outil industriel de FRAMATOME suppose que soient remplies trois conditions au moins:
     a) La société doit disposer d'une vue assez claire sur les commandes à venir d'EDF, qu'il s'agisse de nouvelles centrales, d'études ou de services et maintenance. Une réflexion en commun à été conduite sur ce point par les deux entreprises; elle débouche notamment sur la conclusion que l'étiage minimum acceptable par FRAMATOME correspond à la commande d'une nouvelle tranche tous les trois ans, et au renouvellemllnt de trois générateurs de vapeur par an. En deçà, le maintien de l'outil industriel risquerait de faire problème, notamment en ce qui concerne l'usine de fabrication de cuves de Saint Marcel. La Direction d'EDF paraît disposée à s'engager sur ces bases. Encore faut-il vérifier que le coût d'anticipation des tranches nucléaires n'est pas disproportionné par rapport à l'aide qu'il apporte à FRAMATOME et aux autres fournisseurs d'EDF; le surcoût global d'une anticipation des commandes dans les prochaines années a été évalué par EDF entre 1,7 et 8,6 miliiards de francs suivant les scénarios d'évolution de la demande, dans des hypothèses retenant toutes, il est vrai, l'engagement de la prochaine tranche (Civaux I) en 1989 alors qu'il n'interviendra sans doute qu'en 1991. Un surcoût limité pourrait être également justifié par le désir d'éviter une interruption complète du programme nucléaire, dont le caractère symbolique aurait des effets fâcheux sur l'opinion publique.
     b) FRAMATOME doit poursuivre sans faiblesse le redimensionnement de ses moyens, en particulier de ses effectifs. Les réductions ont surtout touché jusqu'à présent l'outil industriel de la société, avec notamment la fermeture de l'usine du Creusot: elles concerneront à l'avenir pour une large part les effectifs d'ingénierie du siège. Si ces diminutions n'étaient pas conduites au rythme nécessaire, les coûts unitaires augmenteraient à un rythme inacceptable, mettant en péril la compétitivité de la société sur les marchés.
     c) Enfin, FRAMATOME doit se donner les meilleurs chances de développer son activité sur les marchés extérieurs: compte tenu de leur contraction, ceci passe par le développement de coopérations internationales.
     Une négociation est en cours avec BABCOCK, après un premier accord dans le domaine des combustibles, pour permettre de développer l'activité services et maintenance aux États-Unis. De façon plus générale, FRAMATOME doit être encouragé à rechercher des coopérations en Amérique du Nord, si l'on considère que le redémarrage futur du nucléaire débutera sans doute par le marché américain.

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23. Pour ce motif, il est dans doute peu souhaitable qu'EDF, principal client de COGEMA, figure parmi ceux-ci.
24. On rappelle que, selon les perspeclives actuelle de FRAMATOME, le chiffre d'affaire dans le domaine des chaudières pourrait passer de 50.600 MF en 1987 à 850 MF en 1995
     Particulièrement important pour l'avenir est l'accord récemment signé entre FRAMATOME et le constructeur allemand KWU, branche du groupe Siemens, en vue d'une action commune sur les marchés des pays tiers; il doit déboucher sur la mise au point d'un modèle commun de réacteur susceptible d'être proposé aux acheteurs potentiels. Cet accord, dont la signature a donné lieu à quelques péripéties, ne concerne pas à ce stade les marchés domestiques des deux constructeurs, mais il préfigure clairement un éventuel accord futur sur un réacteur destiné au marché européen.
     Le choix d'un partenariat avec l'Allemagne - de préférence aux autres partenaires possibles: Royaume Uni, USA, Japon, peut s'expliquer par la connaissance mutuelle (en termes jusque-là de rivalité plus que de collaboration) entre les deux partenaires, par l'intérêt de s'associer à un groupe allemand connu pour son dynamisme à l'exportation, par la communauté d'intérêt que crée - en matière de sûreté par exemple - la proximité géographique et politique des deux pays.
     Il reste que cet accord apparemment équilibré, qui confie à FRAMATOME la responsabilité du réacteur et à Siemens l'architecture industrielle, avec un partage égal entre les partenaires habituels des deux groupes pour la partie non-nucléaire des centrales, pose la question de la disproportion de taille entre les deux partenaires: KWU à lui seul, qui regroupe l'ensemble des activités "centrales énergétiques" de Siemens, et réalise environ la moitié de son chiffre d'affaires dans le nucléaire(25), pèse environ le double de FRAMATOME. Siemens, avec un chiffre d'affaires consolidé de 175 milliards de francs en 1987 et plus de 55 milliards de fonds propres, constitue l'un des principaux poids lourds industriels européens (à titre de comparaison, les chiffres du groupe français CGE pour le même exercice étaient de 127 et 27 milliards). FRAMATOME pourra-t-il, quel que soit le dynamisme de ses dirigeants, résister durablement à une vassalisation si l'accord venait à être étendu un jour à l'ensemble de ses activités de chaudiériste nucléaire? C'est là un des principaux motifs de s'interroger sur l'avenir de son actionnariat...
     2. Au-delà des activités nucléaires de FRAMATOME, ses dirigeants se sont engagés, en s'appuyant sur des disponibilités financières très confortables, dans une politique décidée de diversification. Cette politique répond à un souci parfaitement compréhensible de pérennité de l'entreprise, dont l'encadrement ne restera mobilisé que s'il voit s'offrir à la société d'autres perspectives que celles d'une retraite en bon ordre: FRAMATOME ne veut pas mourir, riche, d'inanition pendant la "traversée du désert" qui s'annonce en matière d'équipement nucléaire. Cette diversification, après divers tâtonnements, s'est orientée principalement vers le secteur de la connectique avec le rachat des sociétés Jupiter et Souriau en France, du groupe Burndy aux Etats-Unis, pour un coût total supérieur à 3 milliards de francs. La connectique constitue certes, comme le fait valoir FRAMATOME, un créneau porteur et touchant une clientèle très diversifiée. Mais le pari est considérable: il s'agit en réalité pour FRAMATOME, à partir de ces rachats, de constituer et de faire fonctionner avec une bonne rentabilité, un groupe international dans un secteur entièrement étranger à sa propre culture industrielle, où la valeur unitaire des articles se compte non plus en milliards, mais en centaines de francs...
     La qualité et l'engagement personnel des dirigeants de FRAMATOME ne sont pas en cause, mais on ne peut s'empêcher de se demander s'il leur sera vraiment possible de mener seuls à bien de façon simultanée trois stratégies en forme de défis: la préservation de leur outil industriel nucléaire face à la chute brutale des commandes, une alliance - appelée logiquement à être de plus en plus étroite - avec un des premiers groupes industriels européens, une diversification majeure dans un secteur très différent de leur activité traditionnelle.
     Ceci conduit à poser la question de l'actionnariat de FRAMATOME. Pour des raisons diverses: attitude volontairement passive du CEA et d'EDF, difficultés des relations de FRAMATOME avec la CGE, les actionnaires apparaissent aujourd'hui figés dans un certain immobilisme. Ils manifestent de temps à autre leur pouvoir de dire non, ou de formuler questions et réserves, mais ne donnent pas le sentiment d'une adhésion véritable à la politique conduite par FRAMATOME. Apparemment confortable pour les dirigeants, qui jouissent d'une large autonomie de fait, cette situation est en réalité dangereuse dans la mesure où elle les prive de conseils comme de soutien dans une phase très délicate de la vie de l'entreprise.
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     La mission estime que le statu quo ne peut se prolonger sans dommage, en particulier dans la perspective d'un développement à venir de la coopération avec KWU-Siemens. Elle suggère qu'une "réanimation" de l'actionnariat, au processus de laquelle les dirigeants de FRAMATOME doivent être associés, soit engagée. Si, du côté de la puissance publique, il parait souhaitable de maintenir la présence d'EDF, qui constitue la référence essentielle de FRAMATOME vis-à-vis de ses clients internationaux, la participation du CEA pourrait être transférée à la holding CEA-Industrie dont la création a été évoquée plus haut, ou à défaut à une entreprise publique du secteur industriel. Du côté du partenariat privé, la logique serait que, dans le cadre d'un accord explicite avec les pouvoirs publics, la CGE devienne, sur une base de parité de l'actionnariat, le pôle d'appui de FRAMATOME, tout en s'engageant à respecter son individualité et à maintenir son outil de production au minimum vital nécessaire pour l'avenir du programme nucléaire français. Cette solution aurait de surcroît l'avantage d'éviter un bouleversement du capital. Si elle n'était pas acceptable pour l'un des partenaires actuels, il conviendrait de chercher dans la voie de l'adossement à un autre actionnaire industriel.

III. EDF
     EDF est certainement, de tous les acteurs du secteur électro-nucléaire, celui qui se pose le moins de problèmes existentiels.
     EDF privilégie à juste titre, dans la phase actuelle, la valorisation et l'optimisation de son parc de centrales nucléaires, qui atteindra prochainement sa pleine capacité. Elle se préoccupe également - comme d'ailleurs certains de ses homologues étrangers - de préserver ce patrimoine contre d'éventuelles "attaques" technico-médiatiques qui, pour mieux valoriser les "réacteurs de l'avenir", tendraient à présenter la génération existante des centrales à forte puissance comme techniquement obsolètes et insuffisamment sûres. Ceci explique son souci de montrer, à travers le projet REP 2000, que la filière actuelle a un avenir technologique et qu'elle pourrait même, de progrès en progrès, être difficile à détrôner en termes de sûreté et de rentabilité: après tout, aucune technique n'a jamais réussi en matière automobile à détrôner le moteur à pistons parce qu'il n'a cessé, à partir de l'expérience acquise, de faire l'objet d'améliorations constantes... Ceci conduit aussi EDF à observer, avec à la fois vigilance et scepticisme, la vogue que semble avoir actuellement outre-Atlantique le concept de réacteur de petite taille (modulaire) à forte sûreté passive, dit parfois "intrinsèquement sûr". Pour une entreprise qui a beaucoup misé, jusqu'ici avec succès, sur l'accroissement de la puissance unitaire des réacteurs, le défi du "small is beautiful" ne peut être qu'intellectuellement stimulant.
     La place éminente qu'occupe dans le secteur nucléaire civil le producteur national d'électricité, et qui est celle d'un leadership de fait, lui confère aussi des responsabilités particulières. Même s'il est normal qu'EDF privilégie la gestion optimale de son outil industriel, dès lors que les premières perspectives de renouvellement sont à 15 ou 20 ans d'échéance, elle ne peut pas ne pas participer activement à la réflexion sur le grand avenir, qu'il s'agisse des filières de centrales ou du cycle. Cet intérêt doit se manifester d'abord par une association à la définition des orientations de recherche à long terme du CEA; même s'il s'agit d'un domaine dans lequel un recours privilégié aux crédits publics doit être une règle, une participation minimale d'EDF aux financements semble souhaitable, pour des raisons psychologiques plus encore que budgétaires, et parce qu'elle est sans doute la condition d'un intérêt réel de sa part pour les recherches du CEA.
     Encore cette participation à la réflexion à long terme doit-elle résulter d'une concertation, et non d'une "dime" imposée par la puissance publique à l'entreprise nationale. Car - et ceci est encore plus vrai des recherches à court-moyen terme dont il incombe à EDF de prendre largement la responsabilité de l'orientation et du financement - EDF doit parvenir à fonder ses relations avec le CEA sur une base essentiellement contractuelle, selon un mode sans doute moins formel que les actuels "Comités article 1" ou analogues, et à l'image des relations qu'elle entretient avec COGEMA ou FRAMATOME.
     Enfin, EDF doit accepter que sa propre politique fasse l'objet, explicitement et périodiquement, de la part de la puissance publique, d'une vérification de cohérence stratégique avec les objectifs de l'Etat en matière de nucléaire civil et avec ceux des autres grands acteurs du secteur.

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IV. La puissance publique
     Dans une branche industrielle maintenant parvenue à maturité comme le nucléaire civil, où de surcroît les principaux partenaires appartiennent au secteur public, le rôle propre de l'Etat est plus de tutelle générale que d'intervention directe. Ce rôle pourra être d'autant plus léger que s'établiront sur des bases claires les objectifs et les relations des principaux acteurs. C'est pourquoi ceux-ci ont été examinés en premier lieu.
     Les recommandations de la mission, pour ce qui concerne la puissance publique, tiennent en trois points: l'Etat doit se mettre mieux en mesure de jouer son rôle d'orientation d'ensemble du secteur nucléaire; il doit régler à bref délai certains problèmes pendants évoqués dans le cours du rapport; il doit réexaminer le montant et les modalités de son effort financier.
     1. Pour que la puissance publique puisse convenablement exercer la mission d'orientation stratégique qui lui revient, il est nécessaire que le fonctionnement du Comité de l'Energie Atomique soit repensé. Celui-ci doit cesser d'être un «super» Conseil d'Administration pour les affaires du CEA, et un simple organe de concertation pour le reste et doit redevenir un organe de décision pour l'essentiel (ce qui implique d'ailleurs un rythme de réunions moins fréquent qu'actuellement). Ce Comité doit pouvoir se prononcer chaque fois que possible sur des options ouvertes, et donc ne plus travailler sur la base de rapports émanant du seul CEA, même si celui-ci continuait d'assurer son secrétariat. Sans doute aussi serait-il souhaitable que sa présidence soit examinée: celle du Premier Ministre est le plus souvent théorique, ce qui conduit à faire présider le Conseil, soit par l'un ou l'autre des Ministres compétents, soit le plus souvent par l'Administrateur Général du CEA. Une présidence stable de niveau gouvernemental serait plus appropriée.
     Le Comité, dont l'appellation pourrait être modernisée, ce qui éviterait de surcroît une identité d'initiales avec le Commissariat qui n'est plus opportune aujourd'hui, devrait procéder, de façon systématique et périodique, à une confrontation entre objectifs et résultats pour les principaux acteurs du secteur nucléaire: CEA, COGEMA, mais aussi EDF. Il devrait également s'astreindre à une réévaluation périodique des orientations gouvernementales, compte tenu du caractère évolutif de la conjoncture internationale, et des incertitudes qui marquent encore les techniques de grand avenir: filières de réacteurs, procédé d'enrichissement, avenir du retraitement, techniques de stockage.
     2. Les pouvoirs publics ne pourront également se dispenser de se prononcer à brève échéance sur certains problèmes pendants évoqués plus haut:
     - Une solution partielle au contentieux d'EURODIF, dont il serait périlleux pour l'avenir financier et commercial de cette société et de COGEMA qu'il dépende entièrement de négociations internationales à l'issue comme l'échéance incertaines.
     - La composition de l'actionnariat de FRAMATOME: celui-ci doit être en mesure de suivre de plus près la politique de l'entreprise qui d'ici deux ou trois ans engagera irréversiblement l'avenir. Le succès de cette politique à la fois difficile et ambitieuse suppose qu'elle soit endossée par, et adossée à, de véritables actionnaires.
     - Le choix d'une politique tout à fait claire pour l'aval du cycle. En effet, le choix et le début d'aménagement du site destiné au stockage définitif des déchets à haute activité doivent entrer sans délai dans une phase opérationnelle.
     Les pouvoirs publics ont également à réfléchir aux implications qu'une internationalisation des normes de sûreté, qui semble à long terme inévitable, notamment au plan européen,  peut avoir sur l'organisation qui prévaut actuellement dans ce secteur; qu'on le souhaite ou non, la question du rattachement du Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires et de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire se trouvera un jour posée; mieux vaut s'être préparé à y répondre.
     3. Enfin, s'il apparaît qu'un allègement de l'effort supporté par les finances publiques peut et doit être poursuivi, c'est-à-dire en clair que les dotations budgétaires du CEA peuvent, avec la progressivité nécessaire, être revues à la baisse, cet allègement doit être l'occasion de mettre en œuvre une véritable politique:
     - Les réductions de crédits doivent reposer sur de véritables choix concertés avec le CEA. C'est dire qu'elles doivent comporter un réexamen systématique des «services votés» et être conduites de façon non homothétique: les équipes de recherche-développement porteuses d'avenir doivent être préservées, voire confortées; celles dont la valeur ajoutée est plus incertaine doivent, soit supporter un élagage sévère, soit démontrer leur utilité en obtenant une part croissance de financement de la part de l'industrie.
     - En contrepartie d'une politique financière exigeante, l'Etat doit - malgré sa réticence traditionnelle à aller dans cette voie - se lier, pour une part au moins de ses concours financiers, par des engagements pluriennaux conclus avec le CEA sur la base d'objectifs précis et vérifiables, négociés avec celui-ci. En effet, la continuité d'une politique de recherche s'accommode mal d'incertitudes budgétaires annuelles, surtout quand elle s'exerce dans un cadre financier global qui est rigoureux. Une certaine transposition de la technique des «contrats de plan» mise en œuvre avec les entreprises publiques classiques est ici à inventer avec les adaptations nécessaires.
     On évoquera enfin deux autres aspects du financement public du CEA:
     - il n'est pas certain que la répartition des responsabilités entre le Ministère de l'Industrie et le Ministère de la Recherche en matière de dotations budgétaires au CEA réponde aujourd'hui à une parfaite logique. Une clarification de ces responsabilités en fonction des vocations fondamentales des deux départements ministériels serait souhaitable;
     - la question peut se poser, au moins à la marge, de savoir si le financement de la recherche nucléaire publique doit être assuré par le contribuable ou par l'usager. La mission a manifesté une réserve à l'égard du système de «dime» imposé directement à EDF pour le financement partiel du CEA. Il serait par contre envisageable de faire supporter par le consommateur d'électricité une participation financière à la recherche-développement, par exemple, à celle touchant l'aval du cycle, à l'image de ce qui existe dans plusieurs des principaux pays étrangers à capacité nucléaire. Mais cette participation devait prendre la forme claire et directe d'un prélèvement fiscal ou parafiscal sur le consommateur, et non d'une contribution forcée de l'exploitant.
suite:
CONCLUSION:
LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION

     Dans une phase où le nucléaire civil a atteint sa maturité en France et se trouve «gelé» - pour une période difficile à déterminer - dans la plupart des pays occidentaux, la mission estime en conclusion que la politique française devrait s'ordonner autour de cinq orientations.

     1. Il convient d'abord, dans l'attente des échéances de renouvellement qui commenceront dans une vingtaine d'années, d'utiliser au mieux le remarquable et considérable outil industriel édifié depuis deux décennies:
     - en cherchant à gagner encore sur la sûreté, la fiabilité, les coûts et la durée de vie du parc d'EDF et des installations du cycle;
     - en poursuivant une politique d'exportation qui permette d'atténuer le plus possible les surcapacités actuelles: exportations d'électricité, exportations de toute la gamme des produits et services de l'industrie nucléaire: chaudières (mais une forte réduction de ce secteur chez FRAMATOME est inévitable), combustibles, services d'enrichissement et de retraitement, ingénierie et services.
     Il faut cependant rester conscient que les marchés internationaux du nucléaire sont limités, cloisonnés, et soumis à une compétition sévère sur les prix.

2. Il est nécessaire de préparer l'avenir:
     - en renforçant la cohérence de la politique de l'aval du cycle, notamment en accélérant la mise en œuvre concrète du stockage définitif des déchets;
     - en poursuivant avec détermination une politique de recherche à long terme, tant sur les filières de réacteurs que sur les technologies du cycle, avec un recours plus systématique aux coopérations internationales.

     3. Il y a lieu de procéder aux adaptations que la maturité du nucléaire implique chez certains acteurs principaux de ce secteur:
     - en redonnant au CEA des objectifs clairs et une dynamique interne, ce qui implique une restructuration et un certain "redimensionnement", mais surtout une rapide évolution culturelle et une transformation de ses relations avec son environnement, à commencer par ses filiales actuelles;
     - en faisant accéder COGEMA à un statut d'entreprise industrielle autonome, mais en lui faisant accepter les disciplines et les principes de gestion que cela implique;
     - en assurant une survie de FRAMATOME, par un minimum maintenu de commandes dans le nucléaire, mais aussi en le dotant d'un actionnariat ayant la volonté d'appuyer (et s'il y a lieu de corriger) les orientations stratégiques de l'entreprise.

     4. La mission première d'EDF dans la période actuelle est d'assurer la gestion la meilleure et la plus sûre de son parc. Rien n'est plus important pour promouvoir, et défendre contre d'éventuels détracteurs, la technologie nucléaire française. Mais EDF doit savoir se défendre d'un certain isolationnisme, et rester partie prenante à la définition des objectifs du long terme.

     5. Enfin, les pouvoirs publics doivent se donner les moyens de mieux définir les orientations d'ensemble de la politique nucléaire et de suivre les objectifs des principaux partenaires.
     Il leur incombe également, sans attendre les moments de crise, de prendre le temps d'expliciter et de justifier la politique nucléaire de la France. Celle-ci, en effet, quels que soient ses mérites objectifs, ne peut s'établir dans la durée que si elle emporte l'adhésion d'une opinion publique qui est de plus en plus attentive et mérite donc d'être pleinement informée.

Henri GUILLAUME
René PELLAT
Philippe ROUVILLOIS
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25. La proportion est nettement plus importante en 1988 du fait de la fabrication des deux centrales au cours de l'exercice

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