La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°117/118

QUELQUES RÉFLEXIONS
 

     Un gérant du plan Orsec-Rad, le préfet de la Manche, ce haut fonctionnaire déclarait en décembre 1979 au cours d'une conférence de presse où il présentait le Plan particulier d'intervention de l'usine de la retraitement de La Hague:
     "J'ai en charge l'improbable et non l'imprévisible".
     Il n'a guère développé les concepts qui organisaient ses pensées. Nous nous interrogeons. 1) L'improbable est-il gérable parce qu'il est prévisible? 2) Si l'imprévisible n'est pas gérable parce que non improbable, est-il probable?

     "Faiblesses du catastrophisme: les plus graves faiblesses de la théorie catastrophiste sont toutefois d'un autre ordre. L'une consiste, selon une erreur classique en matière de prévision écologique, à extrapoler à partir des tendances passées".
     Patrick Hubert "L'écologie dans les pays du bloc soviétique. Crise ou catastrophe?", futuribles no 132, mai 1989, page 56 (Patrick Hubert est employé au Centre d'analyse et de prévision (CAP) du Ministère français des Affaires étrangères).
     Nous avons fait quelques recherches pour approfondir cette pensée. Le Petit Robert nous a éclairés:
     Extrapoler: 1) Calculer pour des valeurs de la variable situées en dehors de la série des valeurs observées, les valeurs d'une fonction connue empiriquement. 2) Appliquer une chose connue à un autre domaine pour en déduire des conséquences, des hypothèses.
     Ainsi ce penseur nous dit que l'on commet une erreur grave en utilisant le passé connu pour en déduire les tendances du futur. Il serait ainsi préférable de partir d'un futur connu pour prédire le passé. Hélas extrapoler les événements du futur pour connaître le présent risque de prendre un certain temps!

La gestion d'une catastrophe : une affaire de triage

     "Le triage fait partie de la médecine de catastrophe. Il permet une utilisation optimale des moyens disponibles (de soins sur place, d'évacuation, d'hospitalisation) en fonction de l'état des victimes".
     Pierre Huguenard, professeur à la faculté de Créteil Paris XII, "Médecine de catastrophe et risque technologique majeur", Annales des Mines oct.-nov. 1986.
     En cas de catastrophe il paraît raisonnable de ne pas encombrer les hôpitaux avec des gens en trop mauvais état! Mais que doit-on faire des déchets de ce triage?
     L'armée a déjà prévu la chose,on les renvoie en première ligne.

La gestion d'une catastrophe : savoir maîtriser les turbulents

     "Dans ce contexte de haute turbulence, la mise en relation - la communication - devient un facteur stratégique de première importance. Communications internes aux organismes concernés, communications entre organisations, communications vers le public à travers les médias (ou par voie directe dans les cas d'urgence extrême) l'expérience montre la nécessité de maîtriser ces multiples lignes d'information."
     Patrick Lagadec, Laboratoire d'économétrie de l'Ecole Polytechnique.
"Stratégies de communication en situation de crise" Annales des Mines oct. -nov. 1986.
     Pour mieux comprendre cette stratégie nous avons plongé dans notre Petit Robert:
     Maîtriser: 1) Soumettre à sa domination, "Maîtriser un peuple" V. Asservir, assujettir, soumettre.
     2) Se rendre maître de, par la contrainte physique... "Maîtriser un agité en lui passant la camisole de fonce..." V. Discipliner, enchalner.
     C'est tout un programme!
suite:
     En fouillant dans notre Petit Robert nous sommes tombés par hasard sur deux mots assez courants dans notre société:
démocratie, responsable.
     Démocratie du grec démokratia de démos "peuple" et kratos "force, puissance".
     Doctrine politique d'après laquelle la souveraineté doit appartenir à l'ensemble des citoyens; organisation politique dans laquelle les citoyens exercent cette souveraineté.
     Responsable (du latin responsus participe passé de respondere, qui doit accepter et subir les conséquences de ses actes, en répondre). 1) Qui doit (de par la loi) réparer les conséquences des dommages qu'il a causés - Qui doit subir le châtiment prévu par la loi.
     Dans une démocratie, et nous sommes en démocratie, le peuple exerce sa souveraineté. Il est donc pleinement responsable et il est normal qu'il subisse les conséquences des dommages qui peuvent arriver. C'est bien comme cela que les "responsables" qui décident, conçoivent la gestion "démocratique" des catastrophes majeures.
     Enfin il est intéressant de savoir que le mot informer vient du latin informare qui signifie façonner, former. Il semble bien que nous soyons de mieux en mieux informés!

Certains vont finir par nous démoraliser:

     "La gestion du risque technologique majeur apparaît bien proche des situations exceptionnelles de l'état de guerre mais ce modèle militaire s'accompagne d'une stratégie dont l'objet est alors non pas de préparer la victoire mais de gérer la déroute".
     J.-J. Salomon, "Prométhée empêtré", Ed. Anthropos, 1981. C'est suffisamment clair, nous n'avons pas eu besoin de notre Petit Robert.

Une parole d'expert

     Dans le Monde du 4 avril 1992 nous avons lu avec intérèt un article de Georges Vendryes, "La minute de vérité pour Superphénix". L'auteur est présenté en bas de l'article: "Georges Vendryes, spécialiste des réacteurs nucléaires est lauréat du prix Enrico Fermi du gouvernement américain et du prix du Japon".
     L'article commence ainsi : "Pour la centrale de Creys-Malville, la minute de vérité est arrivée". L'auteur nous prédit tout le bien que l'on peut attendre de Superphénix.
     Nous avons trouvé par hasard un texte ancien de M. Vendryes. Au cours du Colloque du 14 octobre 1985 organisé pour le 40e anniversaire du CEA, dans son allocution ce spécialiste déclarait (c'était 6 mois avant Tchernobyl):
     "Je voudrais également souligner le cas de 1'URSS où depuis quelques années les applications énergétiques du nucléaire ont acquis dans les plans du Gouvernement, une place prioritaire dont elles ne bénéficiaient pas auparavant. Il faut s'attendre en Russie d'Europe et dans les pays satellites de l'Est Européen à un grand développement quantitatif des programmes nucléaires civils et parallèlement à un progrès qualitatif du niveau technologique, qui se rapprochera des normes occidentales. Retournant pour un instant à mes propos de tout à l'heure, je ne puis imaginer que le nucléaire civil puisse n' occuper qu'un rôle secondoire, sinon marginal, dans un grand nombre de pays de l'Ouest, alors qu'il connaîtrait à l'Est une expansion considérable."
     En somme, il souhaitait que la France ne soit pas en retard sur les performances nucléaires de l'URSS. Des perspectives pour Superphénix!
p.17

Le Pr. Tubiana
éminence grise de la radioprotection en France

1958
     «Récemment, il s'est répandu dans le public de plusieurs pays des rumeurs concernant le danger auquel l'enfant en gestation peut se trouver exposé pendant la grossesse. Pour toutes les raisons déja exposées, de telles rumeurs, apparemment basées sur un rapport scientifique préliminaire, peuvent avoir des conséquences déplorables, surtout dans les circonstances actuelles où les données scientifiquement établies sont si rares. Il peut même être dangereux, dans ce cas, de diffuser des faits tenus pour certains".
     Extrait du Rapport d'un groupe d'&ude sur "Questions de santé mentale que pose l'utilisation de l'énergie atomique a des fins pacifiques", Rapport technique no 151 (1958). Organisation mondiale de la Santé.

     En 1958, certains experts de l'OMS considéraient comme dangereux de diffuser des faits tenus pour certains. Il fallait tenir secrets les résultats d'une étude épidémiologique concernant le danger auquel est exposé un enfant en gestation.
Qui étaient ces scientifiques? Le participant français à ce groupe d'études était le Dr M. Tubiana, alors Directeur du Laboratoire des Isotopes et du Bétatron, Institut Gustave Roussy (Villejuif).

1977
     Le Pr Maurice Tubiana, en conclusion d'un "Colloque sur les implications psycho-sociologiques du développement de l'industrie nucléaire" tenu à Paris, 13-15 janvier 1977, indiquait:
     "Il faudrait que jamais un scientifique ne favorise cette confusion entre l'exposé des faits et un jugement de valeur". En somme les jugements de valeur concernant une activité donnée doivent être indépendants des faits concernant cette activité.
     Plus loin il mettait en avant "la nécessité pour les scientifiques de reconsidérer la façon dont estfaite l'information. Il faut que nous cessions de voir celle-ci à travers un schéma simpliste et rationaliste mais l'acceptions telle qu'elle est".
     Ainsi, essayer d'expliquer à la population les résultats des études scientifiques sans en cacher certains aspects pour des raisons d'efficacité relèverait d'une conception "simpliste et rationaliste" tout à fait condamnable. C'est peut être au nom de cet abandon du rationalisme en information qu'il vient de signer le manifeste de scientifiques pour une écologie scientifique et rationnelle. Ce manifeste, s'il l'a signé, conrespond en fait à sa conception irrationnelle de l'information scientifique.

suite:
     Dans son allocution il poursuivait: "Il faut que nous recherchions l'efficacité dans l'information du public au lieu de nous contenter d'une information éthérée parfaitement satisfaisante mais inintelligible ou inefficace". Malheureusement il ne définit pas ce qu'il entend par efficacité. Efficacité pour qui? pour quoi ? Heureusement, il termine en donnant sa référence d'efficacité: "L 'efficacité de M. Goebbels était redoutable". Effectivement, l'efficacité du responsable nazi à l'information a été particulièrement redoutable pour des millions de gens. Il est singulièrement obscène (du latin obscenus: de mauvaise augure) de faire référence à Goebbels quand on parle d'informer la population.

1991
     M. le Pr Tubiana est intervenu à la "Conférence internationale sur les accidents nucléaires et le futur de l'énergie. Leçons tirées de Tchernobyl" (15 au 17 avril 1991, Paris). On trouve dans son intervention concernant "L'effet cancérogène des radiations à faible dose" le passage suivant: "Par conséquent il est désormais impossible d'exclure l'hypothèse d'un seuil (BEIR V, p. 181 - Acad. Sc.)". Si l'on se reporte à la page 181 du rapport BEIR V on trouve: "Moreover, epidemiologic data cannot rigorously exclude the existence of a threshold in the millisievert dose range". Cela signifie : "D'ailleurs les données épidémiologiques ne peuvent rigoureusement pas exclure l'existence d'un seuil dans le domaine de dose du millisievert" (souligné par nous). M. Tubiana, en citant BEIR V a tout simplement tronqué la citation. Le Comité de l'Académie des Sciences des USA n'excluait pas la possibilité d'un seuil à un niveau très bas, dans le domaine du rayonnement naturel, c'est-à-dire bien en de deçà des niveaux de dose concernant la radioprotection.
     M. le Pr Tubiana est actuellement le Président du Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaires. Il est membre de l'Académie des Sciences et c'est à ce titre que le Ministre de la recherche, M. H. Curien, l'a consulté pour savoir s'il fallait réviser les normes de radioprotection. (Rapport Ac. Se. novembre 1989, Risques des rayonnements ionisants et normes de radioprotection). Compte tenu des prestations antérieures du Pr Tubiana il était évident que la réponse ne pouvait être que négative. On peut s'étonner d'ailleurs que la protection des travailleurs et de la population soit du ressort du ministère de la recherche et non pas de celui de la santé.
     Secret, censure, mensonges, trucage, tout un programme pour un gouvernement qui s'est fait fort d'introduire de la transparence dans l'information sur les problèmes de l'énergie nucléaire.

p.18
Intervention à l'émission R.T.L. "Les auditeurs ont la parole" le lundi 16 mars1992 à 13h40

     En tant qu'enseignante, je viens de participer à un stage de l'Education nationale sur les risques majeurs.
     On distingue les risques majeurs naturels comme les malheureux exemples actuels: tremblements de terre, cyclones. inondations. Mais il y a aussi les risques majeurs technologiques, pour lesquels l'homme en est le responsable direct.
     M. Tarzieff dit que les hommes doivent oublier les catastrophes pour continuer à vivre mais que les élus, c'est-à-dire les décideurs respensables, eux, n'ont pas le droit d'oublier.
     En cette campagne électorale, tous les candidats évoquent l'environnement. Hier soir, sur votre antenne R.T.L., la Région Ile-de-France était à l'honneur et le projet du nouveau Schéma directeur fut évoqué.
     Une fois de plus, quelle opposition entre le discours et la réalité. En voici un exemple qui montre que l'environnement est bafoué au profit de l'argent:
     Le discours: il faut prendre en compte les risques majeurs technologiques et ne pas construire autour.
     Voyons la réalité: grâce à une modification partielle signée de toute urgence, par décret ministériel, il y a deux mois, le futur "pôle d'excellence" du Plateau de Saclay, avec ses 7 millions de m2 de terres agricoles sacrifiées pour une technopôle, avec 15.000 emplois transférés, avec 19.000 logements sur le Plateau et dans les vallées, avec l'autoroute A 126, ce soi-disant "pôle de l'Europe" se situe autour de trois risques maleurs technologiques répertoriés:
     - deux sont des risques chimiques: un se situe aux Loges-en-Josas et l'autre, celui de Thomson Corbeville, est à la limitede la directive SEVESO
     - le troisième est le risque nucléaire, bien connu à Saclay, sans parler de la déposante des déchets nucléaires de St-Aubin.
     Comment l'Etat et les élus peuvent-ils prendre un tel risque pour les générations futures, et sans aucun débat sur ce sujet?
     Il ne s'agit pas seulement de sauvegarder les fleurs et les petits oiseaux, mais ici, à 20 km de Paris, on joue aujourd'hui avec la vie des hommes.
     Quel est le candidat qui dénoncera ce scandale et appuiera les associations d'environnement qui ont attaqué cette modification en Conseil d'Etat?
     L'Education nationale compte sur ces stages pour que les enseignants fassent passer le message sur l'importance des risques majeurs.

Renée DELATTRE

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